Les sanctions des fautes de gestion du dirigeant : comment le faire payer personnellement ?

La direction d’une société n’est pas une sinécure.

Le dirigeant doit

  1. à la fois prendre des risques, s’il espère atteindre les résultats fixés, 
  2. et demeurer prudent, s’il ne veut pas que des fautes lui soient par la suite reprochées.

Aussi, le dirigeant le plus consciencieux peut toujours faillir. Il pourra alors être sanctionné, s’il a violé la loi, les règlements, les statuts, ou commis des fautes de gestion. Ces dernières, en apparence moins graves que les premières, ne supposent aucunement, pour être retenues, qu’une norme n’ait pas été respectée par le dirigeant, elles ne supposent pas davantage l’existence de manœuvres frauduleuses ou d’une intention dolosive. Elles ne sont que des manquements à la bonne gestion. Le dirigeant aura, par exemple, pris des risques excessifs ; on pense au dirigeant qui poursuit une activité déficitaire en étant persuadé que la réussite est à portée de main, mais sans jamais l’atteindre. Elles peuvent également être le résultat d’une négligence, d’un désintérêt régulier, voire passager, du dirigeant, ou simplement d’une inaction dont la cause peut résider dans la surcharge de travail.

Dépassé, même l’espace d’un instant, le dirigeant commettra des fautes. Or elles peuvent avoir des conséquences graves.

Préjudiciable à la société, aux associés ou encore aux tiers, ce comportement ne peut demeurer impuni. Mais il faut se garder d’un excès de sanctions, car la sanction systématique serait contre-productive. La faute ne peut être supprimée, elle est inhérente à l’activité de direction, et demeure un risque de la gestion par l’homme.

Le droit des sociétés semble sur ce point avoir trouvé un équilibre qui repose à la fois sur la situation sociale et sur la gravité de la faute :

  1. Le dirigeant de la société in bonis pourra être sanctionné, mais les sanctions ne pèseront que rarement sur lui, in fine.
  2. En revanche, lorsque la société est en difficulté, la sanction sera plus fréquente, sa fonction prophylactique est évidente. Toutefois, le législateur n’occulte pas la réalité, les fautes de gestion ne doivent pas toutes conduire à une sanction.

Cet article expliquera comment on peut faire l’équivalent anglo saxon du “pierce the corporate veil”, c’est à dire aller chercher la responsabilité et donc le patrimoine de la personne physique dissimulée derrière la personne morale.

Les sanctions dans la société in bonis

Le dirigeant de la société in bonis encourt, lorsqu’il commet des fautes de gestion, à la fois des sanctions au sein de la société et des sanctions supposant l’intervention du juge.

Les sanctions sociétaires

La révocation

La première sanction qu’encourt le dirigeant, à la suite d’une faute de gestion, est sa révocation. Qu’il soit révocable ad nutum ou pour juste motif, les associés pourront choisir de le révoquer en invoquant la faute (CA Agen 9-11-1989 : Bull. Joly 1990 p. 198), mais également la perte de confiance qui en résulte (A. Albarian, La révocation des mandataires sociaux pour perte de confiance : RTD com. 2012 p. 1). Cette sanctionpolitique, a pour mérite la célérité et la simplicité. Néanmoins, il n’est pas impossible, en fonction de la configuration de la société, que l’intervention du juge soit nécessaire (pour une demande de révocation judiciaire pour faute grave de gestion, CA Paris 29-11-2016 no 16/06010 : RJDA 3/17 no 190).

À cette sanction politique peuvent s’ajouter des conséquences financières néfastes pour le dirigeant. Deux cas peuvent être distingués.

En premier lieu, il est possible que le dirigeant soit privé d’une partie de sa rémunération. Lorsque la diminution porte sur la part fixe, elle doit être décidée par l’organe compétent et ne peut concerner que l’avenir, et donc l’hypothèse où le dirigeant n’aurait pas été révoqué. Également, il est possible que les compléments de rémunération liés aux résultats sociaux intègrent dans leur modalité de calcul la faute de gestion. Partant, le dirigeant ayant commis une telle faute pourra constater une baisse de la part variable de sa rémunération, ou encore la disparition des rémunérations différées, comme les primes de départ (J. Mestre, D. Velardocchio et A.-S. Mestre-Chami, Lamy Sociétés commerciales 2022 no 735). Celles-ci peuvent prendre en compte, dans leur mode de calcul ou leurs conditions de versement, l’absence de faute dans l’exécution du mandat. Selon la gravité ou la récurrence des fautes, la prime pourrait dès lors être réduite ou supprimée.

En second lieu, le dirigeant peut, en raison d’une clause de bad leaver contenue dans un pacte extrastatutaire auquel il serait partie, devoir céder ses titres à un prix minoré. Ces clauses peuvent faire dépendre d’un événement à la fois le départ de l’actionnaire et le prix auquel ses droits sociaux seront rachetés. La faute du dirigeant peut être l’un de ces événements (J. Heinich, L’acte de bonne gestion : Mélanges A. Couret, Dalloz-Francis Lefebvre 2020 p. 371). Les pertes financières pour le dirigeant risquent en conséquence d’être importantes, ce qui explique en partie l’ampleur du contentieux en matière de révocation.

Révocation abusive du dirigeant

Licenciement ?

Enfin, les fautes de gestion du dirigeant ne pourront en principe pas être invoquées comme motif de licenciement dans l’hypothèse où il disposerait également d’un contrat de travail, que ce contrat ait été suspendu durant son mandat ou qu’il ait pu cumuler les deux statuts (Cass. soc. 9-6-1999 no 97-42.033 D : RJDA 10/99 no 1080). Un licenciement fondé sur le seul motif de la révocation du mandat ou des fautes commises en tant que dirigeant serait considéré comme sans cause réelle et sérieuse (CA Paris 27-2-1992 : RJDA 8-9/92 no 828).

De la même manière, le dirigeant également salarié qui commettrait une faute dans son activité de salarié, entraînant son licenciement, ne peut être révoqué pour cette même faute (CA Reims 23-4-1979 : JCP G 1980 II no 19410 note Y. Guyon).

Cependant, il n’est pas exclu que les fautes commises dans la gestion ou dans l’activité salariée rendent le maintien dans la société difficile. Ainsi est-il fréquent, lorsque le salarié est licencié pour faute, qu’il soit par la suite révoqué de son mandat en raison d’une perte de confiance ou encore d’une réorganisation de la société. De même, lorsque le mandat est révoqué, une rupture conventionnelle du contrat de travail ou un licenciement suivi d’une transaction comportant une indemnité pourront être envisagés (G. Auzero et N. Ferrier : Rép. travail Dalloz vo Cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social no 118 ; Cass. com. 26-2-2002 no 98-22.753 F-D : Bull. Joly 2002 p. 698 obs. G. Auzero).

Les sanctions judiciaires

En sus des sanctions sociétaires, les fautes de gestion peuvent entraîner des sanctions judiciaires.

L’injonction sous astreinte

La première d’entre elles, l’injonction sous astreinte, permet de demander en justice l’exécution de ses obligations par le dirigeant. Néanmoins, si le « droit des injonctions devient peu à peu un élément du droit commun des sanctions du droit des sociétés » (P. Le Cannu, L’étrange ballet des sanctions en 2004 : Le droit des sociétés pour 2005, Dalloz 2005 p. 41 s. spéc. p. 46), son domaine demeure cantonné aux manquements aux obligations légales ou réglementaires. Ainsi peut-on notamment demander le prononcé d’une telle injonction afin d’obtenir la production ou la transmission de documents comme le prévoit l’article L 238-1 du Code de commerce. En présence de simples fautes de gestion sans manquement aux obligations légales, cette sanction ne peut donc pas être mobilisée.

La responsabilité du dirigeant

Demeure en revanche la possibilité d’engager la responsabilité du dirigeant. Celle-ci peut être de trois ordres : civile, pénale et fiscale.

La responsabilité pénale du dirigeant

Sur le plan pénal, la condamnation du dirigeant suppose davantage que des fautes de gestion. Des infractions à la réglementation générale et spécifique des entreprises – droit du travail, droit de la protection sociale, droit de l’environnement, droit de la consommation, etc. – ou encore des délits doivent être identifiés.

La responsabilité fiscale du dirigeant

De même, en matière fiscale, le mécanisme de la solidarité fiscale, prévu à l’article L 267 du Livre des procédures fiscales, comme l’obligation pour le dirigeant d’acquitter les amendes pénales de l’article 1745 du Code général des impôts, nécessite que le dirigeant se soit rendu coupable de manœuvres frauduleuses, ou d’inobservations graves et répétées des obligations fiscales. Les fautes de gestion sont dès lors insuffisantes pour mettre en œuvre la responsabilité fiscale du dirigeant, sa garantie en paiement (J.-P. Le Gall et G. Blanluet, La responsabilité fiscales des dirigeants d’entreprises : Rev. sociétés 1992 p. 669), ou sa responsabilité pénale.

La responsabilité civile du dirigeant (faute détachable)
La responsabilité civile personnelle du dirigeant (faute de gestion, faute détachable)

Les sanctions dans la société en difficulté

Lorsque la société rencontre des difficultés financières, les dirigeants encourent non seulement des sanctions patrimoniales, mais également des sanctions professionnelles et pénales. Néanmoins, la condamnation à ces deux derniers types de sanctions suppose davantage que de simples fautes de gestion.

A noter : le droit des procédures collectives a pour but d’« encourager la création d’entreprises » et de « favoriser le rebond des dirigeants de sociétés à la suite d’une faillite » et d’« éviter que des condamnations patrimoniales puissent être prononcées pour simple négligence dans la gestion d’une société ». Aussi, son régime est plus favorable au dirigeant que le régime de responsabilité civile fondée sur l’article 1240 du code civil  ou sur les dispositions spécifiques du droit des sociétés

Les sanctions pénales

Sur le plan pénal, par exemple, le délit de banqueroute nécessite la fraude, la dissimulation d’actifs ou encore la tenue d’une comptabilité fictive (C. com. art. L 654-2 ; H. Matsopoulou, Banqueroute et autres infractions : J.-Cl. Pénal des affaires fasc. 10).

De même, si le dirigeant peut subir des sanctions professionnelles, telles que la faillite personnelle (C. com. art. L 653-5 ; H. Matsopoulou, précité) ou l’interdiction de diriger ou contrôler une entreprise ou une personne morale (C. com. art. L 653-8 ; H. Matsopoulou, Réflexions sur la faillite personnelle et l’interdiction de gérer : D. 2007 p. 104), elles ne seront pas encourues en présence de fautes de gestion. En revanche, le dirigeant qui, par ses fautes de gestion, aura causé une insuffisance d’actif peut voir sa responsabilité engagée (C. com. art. L 651-2).

Les sanctions financières

Action en insuffisance d’actif et comblement de passif, ou comment faire payer le dirigeant personnellement

Le non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et des actions en responsabilité du droit des sociétés

On l’a vu, il y a deux actions possibles contre le dirigeant pris personnellement :

  • L’action en responsabilité pour faute quand la société est in bonis
  • L’action en responsabilité pour insufissance d’actif en cas de procédure collective

Le non-cumul exige que lorsque l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est ouverte, aucune action en responsabilité pour faute ne puisse être intentée.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est exclusive de l’exercice d’autres actions en responsabilité sur un texte propre au droit des sociétés (Cass. com., 28 févr. 1995, n° 92-17.329) ou sur les articles 1240 (1382 et 1383 anciens) du Code civil (Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-12.810).

Cependant, l’application de l’article L. 651-2 du Code de commerce suppose une insuffisance d’actif lors de l’ouverture de la procédure à l’encontre de la personne morale. Faute d’une telle insuffisance d’actif, le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce est inapplicable de sorte qu’une action en responsabilité pour faute de gestion fondée sur le droit des sociétés ou le droit commun de la responsabilité civile peut être exercée. Ainsi, la Cour de cassation a déjà permis à un liquidateur qui n’alléguait aucune insuffisance d’actif de poursuivre une action en responsabilité pour faute de gestion engagée par la SARL à l’encontre de son ancien gérant (Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-11.533 ).

“Il est cependant de principe qu’après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire d’une SARL, une action engagée sur le fondement de l’article L. 223-22 du code de commerce ne peut être poursuivie par le liquidateur qu’en l’absence d’une insuffisance d’actif ; la sanction pécuniaire spécifique aux procédures collectives et découlant de l’application de l’article L. 651-2 du code de commerce exclut toute action concurrente, de la part du liquidateur, agissant ut singuli.”

Cour d’appel, Montpellier, Chambre commerciale, 10 Mai 2022 – n° 19/03856

Le non-cumul est cantonné à la liquidation judiciaire (1), aux seuls dirigeants (2), à l’insuffisance d’actif (3) et aux seules fautes antérieures au jugement d’ouverture (4).

  1. Liquidation judiciaire : il est possible d’agir en responsabilité civile contre les dirigeants en se fondant sur une disposition spéciale du droit des sociétés ou sur le droit commun de la responsabilité civile en procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire et lors de la résolution du plan de sauvegarde ou de celle du plan de redressement.
  2. Seuls dirigeants : L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut pas concerner les entrepreneurs individuels, les dirigeants de personnes morales de droit public, les membres du conseil de surveillance d’une société par actions, les commissaires aux comptes, les salariés, les fondateurs de sociétés. De plus, si la qualité de dirigeant de droit ou de fait n’est pas démontrée, les actions en responsabilité civile fondées sur une disposition spéciale du droit des sociétés ou sur le droit commun de la responsabilité civile peuvent être retenues. Le liquidateur ou le ministère public a alors tout intérêt à agir à titre subsidiaire sur le fondement du droit des sociétés ou de l’article 1240 du Code civil. L’application de l’article L. 651-2 du Code de commerce peut même être contournée, si le liquidateur ne fait pas référence à l’insuffisance d’actif et considère le dirigeant comme un mandataire en agissant sur le fondement de l’article 1993 du Code civil. En effet, la Cour de cassation estime que l’action en reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code civil n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (Cass. com., 15 nov. 2016, n° 15-16070 : Rev. proc. coll. 2017, comm. 89, Martin-Serf A.)
  3. L’insuffisance d’actif est une condition sine qua nonde l’action prévue par l’article L. 651-2 du Code de commerce. Ainsi, si le liquidateur ou le ministère public n’allègue pas l’insuffisance d’actif, une action en responsabilité civile fondée sur une disposition spéciale du droit des sociétés ou sur le droit commun de la responsabilité civile doit être jugée recevable (Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-11533 : BJS juin 2000, n° 135, p. 606, § 135, note Daigre J.-J). Voir récemment  Cour d’appel, Aix-en-Provence, Chambre 3-3, 13 Janvier 2022 – n° 19/06724 “En réplique, Mme B. estime être recevable à agir sur le fondement de l’article L 223-22 du code de commerce et de l’article 1240 du code civil. Elle fait valoir que son recours ne vise pas une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif et invoque la responsabilité civile personnelle de M. D. T., y compris celle de droit commun. En effet, elle invoque, en qualité de tiers, une faute séparable des fonctions du gérant et un préjudice individuel, en dehors de toute insuffisance d’actif.”
  4. Le cantonnement du non-cumul aux seules fautes antérieures au jugement d’ouverture: le caractère exclusif de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne vaut que pour les fautes antérieures au jugement d’ouverture. La responsabilité des dirigeants pour des fautes postérieures au jugement d’ouverture ne peut être engagée que sur le fondement des dispositions du droit des sociétés ou de l’article 1240 du Code civil. Si le liquidateur agit par erreur sur le fondement de l’article L. 652-1 du Code de commerce pour des faits postérieurs au jugement d’ouverture, le juge ne peut pas relever d’office l’application du droit des sociétés ou de l’article 1240 du Code civil

Conclusion

La recherche d’un équilibre entre impunité et excès de sanction semble ainsi avoir conduit à davantage de sévérité lorsque la société est en difficulté, tout en tenant compte de l’impossibilité pour un dirigeant d’être irréprochable. Les fautes de gestion les moins graves ne conduiront ainsi pas à sa condamnation, si bien qu’un juste équilibre semble avoir été trouvé par le législateur entre sanction de celui qui commet une faute et protection de celui qui prend des risques. De plus, le danger reste relatif pour le dirigeant, car il est fréquent que la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant fasse partie des risques compris dans l’assurance de responsabilité des mandataires (CA Paris 29-10-2020 no 19/23022).

En conclusion, l’examen des sanctions encourues par le dirigeant d’une société révèle que, si la faute de gestion peut conduire à des sanctions, le dirigeant demeure néanmoins protégé. Un équilibre favorable au dirigeant a donc été trouvé entre les risques d’une impunité et ceux d’un excès de sanction.

Mais une sanction d’un nouveau genre, le « name and shame » , pourrait être en passe de bouleverser cet équilibre. Issue de la sphère publique, cette sanction pourrait s’appliquer en matière de faute de gestion tant on constate ces dernières années un glissement de la dénonciation numérique des sanctions vers la dénonciation des seuls manquements (J. Jombart, La sanction numérique du « name and shame » en droit des affaires : Dalloz actu du 4-2-2022) quand bien même ils ne seraient pas juridiquement sanctionnés ou sanctionnables. Des fautes de gestion, des pratiques peu vertueuses ou encore des manquements à des règles de soft law peuvent conduire des dirigeants au pilori médiatique et contraindre les sociétés à davantage de sévérité à leur égard.

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