Action en insuffisance d’actif et comblement de passif, ou comment faire payer le dirigeant personnellement

Lorsqu’une entreprise est en liquidation judiciaire, ses actifs sont vendus pour payer ses créanciers. Mais il arrive que les actifs soient insuffisants pour couvrir le passif, c’est-à-dire les dettes de l’entreprise. Dans ce cas, le tribunal peut engager la responsabilité des dirigeants de droit ou de fait qui ont commis des fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif. Il s’agit de l’action en insuffisance d’actif, prévue par l’article L. 651-2 du code de commerce. Quelles sont les conditions et les conséquences de cette action ? Comment s’en prémunir ? Voici quelques éléments de réponse.

Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.

Article L651-2

Résumé

Limitée au cas de liquidation judiciaire, la responsabilité pour insuffisance d’actif est encourue tant par le dirigeant de droit que par le dirigeant de fait (Cass. com. 26-2-2020 no 18-22.745 F-D : Rev. proc. coll. 2021 comm. no 7 obs. J. Vallansan et V. Leloup-Thomas), dès lors que, par ses fautes de gestion, il a contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Cette action, ne pouvant être engagée que par le liquidateur, le ministère public et éventuellement les créanciers contrôleurs (C. com. art. L 651-3), conduit à faire supporter par le dirigeant une partie du passif de la société dès lors que la société s’est retrouvée dans cette posture funeste par sa faute. En cas de pluralité de dirigeants, la condamnation pourra d’ailleurs être solidaire si les fautes ont été commises par tous.

Quelles sont les conditions de l’action en insuffisance d’actif ?

L’action en insuffisance d’actif suppose la réunion de trois conditions :

  • Une insuffisance d’actif, c’est-à-dire que le produit de la liquidation des biens de l’entreprise est inférieur au montant des créances vérifiées². L’insuffisance d’actif doit être constatée au moment de la clôture de la liquidation judiciaire ou au cours de celle-ci³.
  • Une faute de gestion commise par un ou plusieurs dirigeants de droit ou de fait. Il s’agit d’un manquement aux obligations légales, réglementaires ou statutaires, ou d’une violation des règles de prudence et de diligence dans la conduite des affaires⁴. La faute doit être antérieure au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire et avoir un lien avec la cessation des paiements⁵. Depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016, la responsabilité des dirigeants ne peut pas être engagée en cas de simple négligence dans la gestion.
  • Un lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. Il faut démontrer que la faute a contribué à l’aggravation du passif ou à la diminution de l’actif, et donc à la situation des créanciers.

L’action en insuffisance d’actif peut être initiée par le liquidateur judiciaire, le ministère public ou les contrôleurs nommés par le tribunal. Elle doit être exercée dans les trois ans suivant le jugement qui prononce la clôture pour insuffisance d’actif ou qui constate l’état de cessation des paiements.

Qu’est-ce que la faute de gestion ?

Devront alors être apportées, d’une part, la preuve d’une faute de gestion et, d’autre part, celle d’un lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif constatée.

Les fautes de gestion peuvent être diverses :

  • des fautes d’omission (Cass. com. 18-1-2000 no 96-18.512 D : Bull. Joly 2000 p. 498 note J.-F. Barbièri, RJDA 6/20 no 322) telles que des défauts de surveillance, l’absence de réalisation d’une comptabilité analytique,
  • des fautes d’action comme le lancement de projets inadaptés ou encore la poursuite d’une activité déficitaire (CA Paris 16-9-2021 no 20/15132 : Bull. Joly 2021 p. 39 note L. Fin-Langer, RJDA 5/22 no 296).

Toutefois, depuis la modification, par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016, de l’article L 651-2 du Code de commerce, les dirigeants de société bénéficient d’une échappatoire partielle. Ce ne sont désormais plus toutes les fautes de gestion qui sont susceptibles d’entraîner la responsabilité pour insuffisance d’actif, mais uniquement les fautes de gestion qui ne sont pas de simples négligences.

Reste que la notion de simple négligence est difficile à appréhender (F.-X. Lucas, Réforme de l’action « en comblement de passif » : Bull. Joly 2017 p. 1). Le législateur a-t-il souhaité offrir une irresponsabilité aux dirigeants faisant preuve de légèreté, de négligence ? Vraisemblablement non. La notion de simple négligence s’opposerait plutôt à la faute lourde, à la faute dolosive : elle serait la faute légère, sans gravité.

La jurisprudence a fourni quelques précisions allant en ce sens, notamment s’agissant de la question de la déclaration tardive de la cessation des paiements (Cass. com. 5-2-2020 no 18-15.075 F-D : Rev. proc. coll. 2020 no 113 note C. Lisanti ; Cass. com. 5-2-2020 no 18-15.062 F-D : Bull. Joly 2020 p. 47 note L. Fin-Langer ; Cass. com. 8-4-2021 no 19-25.802 F-D : Bull. Joly 2021 p. 53 note L. Camensuli-Feuillard). Par exemple, l’ignorance, par le dirigeant, de l’état de cessation des paiements ne lui permet pas d’échapper à sa responsabilité (Cass. com. 3-2-2021 no 19-20.004 F-P : Bull. Joly 2021 p. 57 note E. Mouial-Bassilana, Rev. sociétés 2021 p. 533 obs. R. Dalmau, RJDA 5/21 no 333).

Qui peut engager l’action en insuffisance d’actif ? (droit d’agir)

  • Le Liquidateur judiciaire (C. com., art. L. 651-3 et R. 651-4)
  • Le Ministère public (article L. 651-3 du Code de commerce)
  • La majorité des créanciers contrôleurs (avec un minimum de 2) précédée d’une mise en demeure préalable, en cas d’intérêt collectif des créanciers et de carence du liquidateur (article L. 651-3 du Code de commerce).  Sont des « créanciers contrôleurs » ceux qui sont désignés comme tels par le juge-commissaire, après une demande formée par ces derniers (C. com., art. L. 621-10).

Ne peuvent pas l’engager :

  • Le créancier individuel faute de pouvoir justifier d’un préjudice particulier et distinct de celui de l’ensemble des créanciers (Cass. com., 8 janv. 1985 : JCP G 1985, IV, p. 113 ; JCP E 1985, I, 14908, n° 22, obs. Cabrillac et Vivant). 

Quelles sont les conséquences de l’action en insuffisance d’actif ?

Si l’action en insuffisance d’actif aboutit, le tribunal peut condamner les dirigeants fautifs à supporter tout ou partie du montant de l’insuffisance d’actif. Le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation en fonction des circonstances et du comportement des dirigeants. Il peut tenir compte notamment du caractère intentionnel ou non de la faute, du rôle respectif des dirigeants, du partage des responsabilités entre eux, ou encore du préjudice subi par les créanciers.

La condamnation à combler le passif n’a pas pour effet d’éteindre les dettes de l’entreprise à l’égard des créanciers. Elle crée une obligation personnelle du dirigeant envers la procédure collective, qui se substitue aux créanciers pour percevoir les sommes versées par le dirigeant et les répartir entre eux selon les règles applicables à la liquidation judiciaire.

La condamnation à combler le passif est susceptible de recours devant la cour d’appel, puis devant la Cour de cassation. Elle n’est pas assortie de l’exécution provisoire de droit, ce qui signifie que le dirigeant n’est pas tenu de payer tant que le jugement n’est pas définitif.

Comment se prémunir contre l’action en insuffisance d’actif ?

Pour éviter d’être exposé à l’action en insuffisance d’actif, le dirigeant doit adopter une gestion prudente et diligente de l’entreprise, respecter les obligations légales, réglementaires et statutaires qui lui incombent, et réagir rapidement en cas de difficultés financières.

Il peut également souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle qui couvre le risque de condamnation à combler le passif. Cette assurance permet au dirigeant d’être indemnisé par son assureur en cas de mise en jeu de sa responsabilité pour insuffisance d’actif. Le liquidateur judiciaire peut alors agir directement contre l’assureur du dirigeant pour obtenir le paiement des sommes dues.

Enfin, le dirigeant peut conclure une transaction avec le liquidateur judiciaire pour mettre fin au litige. La transaction doit être homologuée par le tribunal et respecter les intérêts des créanciers.

Quelle est la différence avec l’action en comblement de passif et l’action pour insuffisance d’actif ?

L’action en comblement de passif est l’ancienne appellation de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Elle a été remplacée par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005. Les deux actions ont le même fondement et le même objet : sanctionner les dirigeants qui ont commis des fautes de gestion ayant aggravé le passif de l’entreprise en liquidation judiciaire.

La différence réside dans le fait que l’action en comblement de passif était fondée sur l’article L. 624-3 du code de commerce, qui prévoyait que le tribunal pouvait décider que les dettes sociales seraient supportées par les dirigeants fautifs. Ainsi, les dirigeants étaient tenus solidairement et indéfiniment des dettes sociales à l’égard des créanciers.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est fondée sur l’article L. 651-2 du code de commerce, qui prévoit que le tribunal peut décider que le montant de l’insuffisance d’actif sera supporté par les dirigeants fautifs. Ainsi, les dirigeants sont tenus personnellement et proportionnellement du montant de l’insuffisance d’actif à l’égard de la procédure collective.

La nouvelle action en responsabilité pour insuffisance d’actif est donc plus favorable aux dirigeants que l’ancienne action en comblement de passif qui n’existe plus.

Qui peut être visé ?

Lorsqu’une SAS en liquidation judiciaire a pour dirigeant de droit ou de fait une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d’actif est encourue par la personne morale dirigeante et par son représentant légal en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeante au sein d’une SAS. En conséquence, la faute de gestion de nature à engager la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant légal d’un dirigeant personne morale peut être caractérisée indifféremment à l’égard de celle-ci ou du représentant légal. Cass. com. 13-12-2023 no 21-14.579 F-B

Comment calculer le délai de prescription ?

L’action en comblement de passif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire (C. com. art. L 651-2, al. 4).

La prescription se compte par jours, et non par heures (C. civ. art. 2228).

Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli (art. 2229).

Le point de départ du délai est la date du jugement quand bien même il aurait été ensuite frappé d’appel et remis substantiellement en cause par la cour d’appel (Cass. com. 19-5-2004 no 02-11.199 FS-PB : RJDA 11/04 no 1250). 

Est donc indifférente la date :

  • à laquelle la décision acquiert force de chose jugée.
  • à laquelle les fautes de gestion reprochées au dirigeant ont été commises (Cass. com. 8-4-2015 no 13-28.512 F-PB : RJDA 7/15 no 515).

En l’espèce, l’assignation en comblement de passif avait été valablement délivrée au dirigeant le 7 janvier 2019, soit trois ans jour pour jour après la mise en liquidation judiciaire de la société.

Le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, qui constitue le point de départ du délai de prescription, ne peut pas être inclus dans le calcul de ce délai, lequel expire trois ans après le jour suivant cette date.

Par exemple :

  • 7 janvier 2016 : liquidation judiciaire
  • 8 janvier 2016 : point de départ du délai de 3 ans
  • Lundi 7 janvier 2019 : assignation valablement délivrée (et non le dimanche 6 janvier 2019 à minuit puisque le 7 janvier 2016 ne compte pas).

Le délai de prescription de trois ans de l’action en comblement de passif court à partir du jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, lequel n’est pas pris en compte dans la computation de ce délai.

Cass. com. 18-1-2023 no 21-22.090 F-B

Conclusion

L’action en insuffisance d’actif est une action redoutable pour les dirigeants d’une entreprise en liquidation judiciaire. Elle vise à les sanctionner pour les fautes de gestion qu’ils ont commises et qui ont aggravé la situation des créanciers. Elle peut aboutir à une condamnation à payer tout ou partie du passif de l’entreprise, ce qui peut avoir des conséquences financières très lourdes pour les dirigeants. Pour s’en prémunir, il convient d’adopter une gestion rigoureuse et transparente de l’entreprise, de souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle, et de rechercher une solution amiable avec le liquidateur judiciaire en cas de litige.

Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur l’action en insuffisance d’actif ou sur votre situation personnelle, n’hésitez pas à me contacter.

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