Action ut singuli et individuelle de l’associé contre le dirigeant

Actionnaire/Associé : comment obtenir indemnisation du préjudice ? (action sociale ut singuli et action individuelle)

Vous êtes actionnaire ou associé d’une société. Vous estimez que les dirigeants ont commis des fautes de gestion qui ont causé un préjudice à la société ou à vous-même. Quels sont vos droits et vos recours pour obtenir réparation ?

Vous pouvez agir en justice contre les dirigeants en engageant deux types d’actions : l’action sociale et l’action individuelle.

Quelles sont les différences entre ces deux actions ?

Quelles sont les conditions et les conséquences de chacune d’elles ?

Voici quelques éléments de réponse.

Table des matières

L’action sociale en responsabilité ut singuli

Qu’est ce que l’action sociale (préjudice de la société) ?

Il existe un régime de responsabilité propre aux dirigeants de droit qu’on appelle l’action sociale : action en responsabilité exercée au nom et pour le compte de la société contre un dirigeant de droit qui par ses fautes lui a causé un dommage.

Lorsque la faute d’un dirigeant cause un préjudice à la société, l’action en réparation de ce préjudice (dite « action sociale ») peut être engagée par la société elle-même, par l’intermédiaire de ses représentants légaux, ou par un associé (exercice de l’action sociale ut singuli) (C. com. art. L 223-22 pour les SARL et  art. L 225-251 pour les sociétés par actions).

Cette action peut être intentée par le représentant légal de la société : on parle alors d’action ut universi.

Elle peut également être intentée pour le compte de la société par ses actionnaires : on parle alors d’action ut singuli.

L’action sociale ut singuli a été créée en oppotion à l'”action ut universi” que la société exerce par ses dirigeants sociaux.

Qu’est-ce que l’action sociale en responsabilité ut singuli ?

L’action sociale est l’action en responsabilité civile des associés ou des actionnaires contre les dirigeants qui ont commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice à la société. L’action sociale vise à réparer le préjudice social, c’est-à-dire la diminution de l’actif ou l’augmentation du passif de la société.

L’action sociale ut singuli, qui permet d’obtenir la réparation d’un préjudice causé à la société par la faute d’un dirigeant, est une action en responsabilité menée par un associé ou un groupe d’associés. 

L’action sociale ut singuli a pour fondement l’existence, au moins potentielle d’un conflit d’intérêts entre le dirigeant et la société : l’action en responsabilité est dirigée contre le dirigeant qui est en même temps le représentant légal de la société.

L’action sociale ut singuli est une action menée par les associés/actionnaires exercée au nom et pour le compte de la personne morale pour obtenir la réparation de l’entier préjudice subi par la société du fait des fautes du dirigeant de droit

Le fondement juridique de l’action sociale ut singuli

L’action sociale est fondée sur , qui dispose que “les dirigeants sont responsables, envers la société, des fautes qu’ils commettent dans leur gestion”.

Article du codeSociétéContenu du texte de loi
Article 1843-5 du code civilSociété civile“les dirigeants sont responsables, envers la société, des fautes qu’ils commettent dans leur gestion”.
Article L. 223-22 du Code de commerce
art. R. 223-31
Société à responsabilité limitée (SARL)“Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.”
Article L225-252 du code de commerceSociété Anonyme (SA)“Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués.”
Article L. 227-8 du code de commerceSociété par actions simplifiée (SAS)“Les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d’administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée.”

Le caractère dérogatoire de l’action sociale

Par principe, sauf pouvoir spécial, un associé ne peut pas agir au nom de la société (Cass. com., 6 déc. 1977, n° 76-11.061 – CA Paris 14-5-1991: Bull. Joly 1991 p. 728).

De nature dérogatoire, le législateur a créé l’action sociale ut singuli, strictement encadrée.

Le caractère exclusif de l’action sociale

L’action sociale est la seule action ouverte à l’actionnaire d’une société qui agit en réparation du préjudice subi par la société à l’exclusion de toute action prévue dans la loi.

Un associé ou un actionnaire ne peut agir au nom de la société qu’en responsabilité contre les diri­geants et uniquement surle fondement des textes régissant l’action ut singuli (C. com. art. L 223-22, al. 3 pour la SARL ; art. L 225-252 pour les sociétés par actions; C. civ. art. 1843-5, al. 1 pour les autres sociétés), à l’exclusion de tout autre, tel l’ar­ticle L 225-41 du Code de commerce.

Par exemple, les actionnaires d’une SA ne peuvent pas exercer l’action sociale en responsabilité contre les personnes intéressées au sens des articles L 225-38 et L 225-41 du Code de commerce dès lors qu’elles ne sont pas dirigeantes de droit la société pour le compte de laquelle l’action est exercée. (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 22-10.271, Publié au bulletin).

Les conditions de recevabilité de l’action ut singuli

La recevabilité de l’action sociale est subordonnée à deux conditions .

Qualité d’associé ou d’actionnaire

Le demandeur doit avoir la qualité d’associé ou d’actionnaire (Cass. com. 26-1-1970 : Bull. civ. IV no 30 ; CA Paris 6-4-2001 : RJDA 10/01 no 982).

La qualité d’associé s’apprécie

  • au jour d’introduction de l’instance. ( Com. 9 janv. 2020, n° 19-80.924
  • et tout au long de l’instance : Paris 6 avr. 2001, RJDA 2001, n° 982 ; Paris 10 mars 2022, n° 13/18511

La mise en cause de la société victime ou la désignation d’un mandataire ad hoc

En l’absence de conflit d’intérêt

Le tribunal ne peut statuer sur l’action ut singuli que si la société a été mise en cause par l’intermédiaire de ses représentants légaux .

En présence d’un conflit d’intérêt

Le Tribunal peut (voire doit) désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l’instance lorsqu’il existe un conflit d’intérêts entre celle-ci et ses représentants légaux

  • Pour la société anonyme : article R. 225-170 al. 1 et 2 du code de commerce
  • Pour la SARL : C. com. art. R 223-32 al. 2 
  • Pour la SAS : Par renvoi de C. com., art. L. 227-1 , al. 3.
  • Pour la sociétés en commandite par actions : par renvoi de C. com., art. L. 226-1 , al. 2.
  • Pour la société européenne : par renvoi de C. com., art. L. 229-1, al. 2.
  • Pour la société civile : aucun texte ne le prévoit

L’action sociale exercée par un associé n’est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l’instance et, lorsqu’il existe un conflit d’intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu’il appartient au juge de désigner à la demande de l’associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d’office. (Cass. com. 9-11-2022 no 2019.077 F-B). Lorsqu’un tel conflit d’intérêts surgit, ce qui advient si le représentant légal en exercice est l’auteur des faits préjudiciables à la société, la désignation du mandataire ad hoc peut être demandée par le représentant légal mais également, contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel dont l’arrêt est censuré, par l’associé exerçant l’action ut singuli. Si les associés ou les actionnaires ne peuvent pas demander la désignation d’un mandataire ad hoc chargé d’exercer une action sociale, la loi leur ayant accordé le droit d’exercer eux-mêmes une telle action (Cass. com. 14-12-2004 no 04-13.059 F-PB : RJDA 4/05 no 384), ils peuvent, dans le cadre d’une action ut singuli qu’ils ont initiée (mais pas avant : CA Douai 6-7-2017 no 17/00527 : RJDA 1/18 no 35), demander sa désignation pour que la société soit valablement représentée.

Par ailleurs, alors qu’à la lettre des articles R 225-170 et R 223-32 du Code de commerce le tribunal dispose d’une faculté de désignation du mandataire ad hoc (il « peut »), la Cour de cassation y voit une obligation lorsqu’aucune demande n’a été présentée à ce dernier par le représentant légal de la société ou l’associé demandeur à l’action ut singuli. Ainsi, le juge qui identifiera un conflit d’intérêts entre la société et son représentant devra procéder d’office à cette désignation.

Tant que cette désignation n’est pas intervenue, la société n’est pas régulièrement représentée à l’instance et le juge ne peut donc pas examiner les moyens de défense opposés par cette dernière (Cass. com. 18-9-2019 no 17-25.757 F-D : RJDA 4/20 no 215 : en l’espèce, les juges avaient écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription avant d’avoir désigné un mandataire) ou encore statuer sur le fond.

Ce qu’on peut demander par l’action sociale ut singuli

L’action ut singuli est limitée au domaine des actions en responsabilité contre les dirigeants sociaux.

Un actionnaire/associé ne peut exercer une action ut singuli 

  • en nullité (Cass. com., 16 octobre 1972, n° 70-13.691 ).
  • en rescision pour lésion d’une vente d’immeuble préjudiciable à la société, quand bien même celle-ci serait en liquidation (Cass. com., 12 octobre 1954 , D. 1955, jurispr., p. 697, note J. Copper-Royer)
  • ou bien encore interjeter appel d’une décision, au seul motif qu’elle causerait un grief à la société (Cass. com., 6 décembre 1977, n° 76-11.061).

Qui peut l’engager l’action sociale ?

L’action ut singuli est une action attitrée, action sociale, qui appartient aux associés en vue de la réparation du préjudice causé à la société dont ils sont directement associés.

L’action sociale est ouverte à un associé ou actionnaire quelle que soit la fraction du capital social qu’il pos­sède. Lorsque l’associé ou actionnaire est une personne morale, c’est son représentant légal qui agit pour son compte.

L’action sociale ut singuli peut être exercée :

  • Par un ou plusieurs associés ou actionnaires, individuellement ou collectivement. Il n’y a pas de condition de détention d’un pourcentage minimum du capital social pour agir. L’action sociale peut également être exercée par le liquidateur judiciaire en cas de liquidation de la société, ou par le ministère public en cas d’intérêt général.
  • Par la société de gestion d’un fonds commun de placement (FCP) qui agit au nom des poteurs de parts du fonds pour faire valoir les droits attachés aux actions qu’il détient contre les dirigeants de la société dont le fonds est associé (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 21-24.776)

Les associés de la société soumise à un plan ont qualité à agir en responsabilité contre les dirigeants de la société, l’indemnisation sollicitée ne pouvant être confondue avec une insuffisance d’actif. L’action ut singuli, qui tend à la réparation du préjudice subi par la société, échappe au monopole du commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde, lequel n’a qualité à agir qu’au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, qui est satisfait par l’adoption de ce plan. (Cass. com., 12 nov. 2020, n° 19-11.972, FS-P+B)

A l’inverse, les personnes suivantes ne peuvent pas engager l’action sociale ut singuli :

  • L’actionnaire de la société mère pour la responsabilité des dirigeants des sociétés filles : Les dispositions de l’article L. 225-252 du Code de commerce n’autorisent les actionnaires à exercer l’action sociale ut singuli qu’à l’encontre des dirigeants de droit de la société dont ils détiennent les actions. Ayant constaté que les demandeurs n’étaient actionnaires que de la société mère et non de sa filiale, la cour d’appel en a déduit à bon droit que leur action sociale ut singuli formée contre les dirigeants de cette dernière était irrecevable. (Cass. com., 13 mars 2019, no 17-22128)
  • Tout tiers

Qui récupère le profit tiré du procès ut singuli ?

Les dommages-intérêts obtenus profitent à la société.

Si l’action sociale aboutit, le tribunal peut condamner les dirigeants fautifs à verser des dommages-intérêts à la société. Les dommages-intérêts sont calculés en fonction du préjudice social effectivement subi par la société. Le tribunal peut tenir compte de la gravité de la faute, du rôle respectif des dirigeants, ou encore du bénéfice éventuel retiré par les dirigeants de leur faute.

Contre qui engager l’action sociale ?

La Cour de cassation a une lecture restrictive des textes régissant l’action ut singuli, justifiée par leur précision dans la désignation des personnes visées par l’action et son caractère dérogatoire.

Uniquement contre le dirigeant de droit et jamais le dirigeant de fait.

Le dirigeant de droit

Ainsi, ne peuvent être visées par l’action sociale ut singuli que les personnes suivantes faisant office de dirigeant de droit :

  1. gérant de socié­té civile, de société en nom collectif et de société en comman­dite simple : C. civ. art. 1843-5, al. 1 ;
  2. gérant de SARL : C. com. art. L 223-22;
  3. administrateur, directeur général et membre du directoire de SA, gérant de société en commandite par actions, dirigeant de société par actions simplifiée et de société euro­péenne : C. com. art. L 225-252

La prohibition contre toute autre personne que le dirigeant de droit de la société visée

A l’inverse, cette action ne peut pas être intentée contre des personnes qui ne sont pas visées par le texte, telles que

  • un dirigeant de fait (Cass. corn. 21-3-1995 n° 93-13.721 P; Cass. com. 29-3-2017 n° 16-10.016 F-D)
  • les dirigeants de la société mère qui sont ni administrateurs ni directeurs généraux de la société fille dont est actionnaire le demandeur (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 22-10.271, Publié au bulletin).
  • le liquidateur amiable de la société (Cass. com 21-6-2016 n° 14-26.370 FS-PB ; Cass. 3• civ. 5-12-2019 n° 18-26.102 FS-PBI)
  • Les personnes intéressées au sens des articles L 225-38 et L 225-41 du Code de commerce, seules susceptibles de prendre en charge les conséquences préjudiciables à une SA d’une convention désapprouvée (Cass. com., 11 oct. 2023, n° 22-10.271, Publié au bulletin) comme les actionnaires, personnes physiques ou morales, disposant de plus de 10% des droits de vote toute société controlant une société actionnaire qui détient plus de 10 % des droits de vote ;
  • des tiers (Cass. com 19-3-2013 n° 12-14.213 F-PB)

Que se passe-t-il en cas de plusieurs dirigeants?

Quelles que soient les circonstances, un autre dirigeant ou cogérant pourra toujours être poursuivi seul par la victime :  « la pluralité de gérants ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle » (§ 7),

Même lorsqu’est en cause un véritable organe collectif, tel que le conseil d’administration, dans lequel le pouvoir est exercé de manière collégiale, les fautes commises par ses membres et notamment par les administrateurs conservent un caractère individuel qui devrait permettre, là aussi, à la victime d’engager de manière individuelle leur responsabilité : « que commet une faute individuelle chacun des membres du conseil d’administration ou du directoire d’une société anonyme qui, par son action ou son abstention, participe à la prise d’une décision fautive de cet organe, sauf à démontrer qu’il s’est comporté en administrateur prudent et diligent, notamment en s’opposant à cette décision » (Cass. com., 30 mars 2010, n° 08-17.841, PBI, Crédit Martiniquais).

Enfin, quand bien même serait constatée une faute indivisible des administrateurs, chacun d’eux peut être condamné solidairement avec les autres à réparer tout le préjudice causé par cette faute (Cass. req., 31 mars 1896 : S. 1896, I, p. 309).

L’exception : le complice pénal

Un associé peut, par exception, intenter une action ut singuli contre les complices et receleurs d’un délit commis par le dirigeant social. Cette action est possible si le dirigeant a commis une faute qui lui est imputable et qui est liée aux délits de complicité et de recel (Cass. crim. 6-11-2019 n° 17-87.150 F-D).

L’action sociale ut singuli intentée par les actionnaires d’une société anonyme (SA) contre les complices et receleurs est ainsi recevable. Cette action peut être intentée même si l’action publique est éteinte à l’égard des auteurs principaux.

Ce cas de figure découle du principe de la solidarité entre les personnes condamnées au pénal pour un même délit (CPP art. 480-1, al. 1).

L’action sociale ut singuli et les procédures collectives

La situation diffère selon qu’il existe ou non une insuffisance d’actif qui s’apprécie tout au long de la procédure.

L’action sociale ut singuli recevable en cas de redressement ou liquidation judiciaire sans insuffisance d’actif

Une action en responsabilité ut singuli est possible même en cas de liquidation judiciaire dès lors qu’aucune insuffisance d’actif n’est apparue (Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-14.271) ou n’est alléguée (Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-11.533 : Bull. civ. IV, n° 70, p. 58). 

Une société avait engagé une action en responsabilité à l’encontre de l’un de ses anciens dirigeants, cette action a pu être reprise par le liquidateur dès lors que celui-ci n’invoquait aucune insuffisance d’actif (Cass. com., 28 mai 2002, n° 98-20.333, FS-D).

Plus récemment, un arrêt affirme que seule l’absence d’une insuffisance d’actif autorise le liquidateur à poursuivre l’action introduite sur le fondement du droit commun (Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13.421  ; Rev. proc. coll. 2016, comm. 94, note A. Martin-Serf ; RJDA 2015/10, n° 669, p. 678, 2e esp.).

Ainsi, en cas de redressement judiciaire, l’action sociale ut singuli devient recevable (Cass. com., 26 juin 2006, n° 05-14.271).

Cependant, si au cours de la procédure la société se retrouve en liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, la procédure devient rétroactivement irrecevable. En effet, si la recevabilité d’une action s’apprécie au jour où elle est introduite, l’ouverture de la procédure collective a une incidence sur l’action sociale. En effet, si cette dernière prospère la condamnation pécuniaire que le dirigeant aura à payer reviendra à la société, en l’espèce au liquidateur qui représente la société et, en cas d’insuffisance d’actif, les sommes payées viendront combler cette insuffisance. De fait, si le liquidateur constate une insuffisance d’actif il devra introduire une action en responsabilité sur ce fondement sauf à considérer qu’il dispose d’un choix sur le fondement de son action, ce qui serait contraire aux principes d’ordre public qui régissent les procédures collectives. Ainsi, dès lors qu’il existe une insuffisance d’actif l’action ut singuli ne peut se poursuivre et doit être rejetée.

L’action sociale ut singuli irrecevable en cas d’insuffisance d’actif

La Cour de Cassation a posé un principe clair de non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et de la responsabilité des dirigeants sociaux pour violation des règles du droit des sociétés ou mauvaise gestion (Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-14.271 ; Cass. com., 17 nov. 2015, n° 14-13.421 .

Les conditions du principe de non-cumul des actions en responsabilité civile et en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre du dirigeant social sont :

  1. Une insuffisance d’actif ;
  2. L’existence d’une liquidation judiciaire ;
  3. Une action contre les seuls dirigeants ;
  4. Des fautes antérieures au jugement d’ouverture.

Dès lors qu’une insuffisance d’actif existe, peu importe qu’elle se soit déclarée après l’assignation, l’action ut singuli ne peut se poursuivre et doit être rejetée (CA Paris, 4 févr. 2021, n° 19/15149 ).

En cas d’insuffisance d’actif c’est exclusivement l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif qui est ouverte, à l’exclusion de l’action ut singuli.

Il s’agit de faire primer le monopole d’ordre public de la responsabilité pour insuffisance d’actif prévu à l’article L. 651-2 du Code de commerce.

Cette règle du non-cumul est hautement critiquable : l’action sociale qui répare le préjudice causé à la société devrait pouvoir être exercée aussi bien lorsque la société est in bonis que sous procédure collective avec une insuffisance d’actif.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif étant attitrée (qualité exclusive du liquidateur), s’il décide de ne pas l’exercer, l’actionnaire se retrouve démuni (Cass. com., 26 mai 1999, n° 96-16.126).

Extinction et prescription de l’action sociale ut singuli

L’action sociale doit être intentée dans les trois ans suivant le fait dommageable ou sa révélation si celle-ci est postérieure.

Aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre l’action sociale (C. civ. art. 1843-5, al. 3 ; C. com. art. L 223-22, al. 5 et L 225-253, al. 2 ; pour une illustration, voir Cass. com. 8-3-2016 n° 14-16.621 F-D : RJDA 6/16 n° 440).

Le quitus donné aux dirigeants par l’assemblée est donc sans effet à cet égard (Cass. 3e civ. 27-5-2021 n° 19-16.716 FS-P : RJDA 8-9/21 n° 571).

Bien que les textes ne le précisent pas expressément, on ne saurait pas plus permettre au conseil d’administration, au directoire ou au conseil de surveillance d’une société par actions d’adopter une décision mettant fin à l’action sociale.

Prescription triennale

L’action en responsabilité dirigée contre les dirigeants suivants se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation et par dix ans s’il s’agit d’un crime :

  • gérant de SARL (C. com. art. L 223-23) ou de société en commandite par actions (C. com. art. L 225-254 sur renvoi de l’art. L 226-12, al. 2) ;
  • administrateur et directeur général (mais pas le directeur général délégué) de société anonyme (art. L 225-254) ;
  • membre du directoire et du conseil de surveillance de société anonyme (art. L 225-254 sur renvoi de l’art. L 225-256, al. 1 ) ;
  • dirigeant de société par actions simplifiée (art. L 225-254 sur renvoi de l’art. L 227-8).

Le point de départ du délai de prescription correspond à la période où le fait dommageable a pu être constaté, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’époque où a été perçue l’étendue réelle des conséquences de ce fait (Cass. com. 23-10-1990 n° 89-14.721 : RJDA 1/91 n° 30).

Illustration

  • A été déclarée prescrite l’action engagée contre d’anciens administrateurs ayant reçu de la société des rémunérations indues réintégrées par la suite dans les bénéfices sociaux à l’occasion d’un redressement fiscal car, même si ce redressement était intervenu moins de trois ans avant l’exercice de l’action, les rémunérations avaient été perçues par les intéressés plus de trois ans avant ; or, c’était la privation des sommes litigieuses à l’époque de leur perception qui constituait le fait dommageable pour la société (Cass. com. 2-5-1983 n° 81-12.717 : Bull. civ. IV n° 128).
  • Dans un cas où un ancien dirigeant social avait bénéficié d’un non-lieu faisant suite à une plainte pour abus de biens sociaux déposée contre lui par la société, l’action en réparation du préjudice résultant de ce dépôt de plainte qu’il a engagée contre le nouveau dirigeant s’est prescrite à compter de la date à laquelle la décision de non-lieu est devenue définitive (Cass. com. 21-6-2017 n° 15-27.465 F-D : RJDA 10/17 n° 645).
  • Lorsque la responsabilité des dirigeants est recherchée par le biais d’une action récursoire en garantie formée par la société, le point de départ du délai se situe au jour où la société a elle-même été assignée (Cass. com. 6-5-2014 n° 13-17.632 : RJDA 8-9/14 n° 704 ; CA Paris 17-2-2015 n° 10/04697 : RJDA 5/15 n° 353). Si la société agit en garantie de pénalités fiscales qu’elle a dû acquitter à la suite d’un redressement, le point de départ de l’action en responsabilité contre le dirigeant correspond à la date du redressement (CA Paris 14-1-2020 n° 17/20212 : RJDA 5/20 n° 273).

Dissimulation de la faute

Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre un dirigeant peut, en cas de dissimulation du fait dommageable, être reporté au jour où ce fait a été révélé (Cass. com. 25-1-2017 n° 14-29.726 F-D : RJDA 4/17 n° 259). En revanche, il ne peut pas être reporté en cas de dissimulation des conséquences dommageables résultant de la faute du dirigeant (Cass. com. 20-2-2007 n° 03-12.088 : RJDA 11/07 n° 1116). A ainsi été déclarée prescrite l’action d’une société exercée contre son ancien dirigeant après qu’elle a été condamnée à indemniser un salarié pour non-paiement d’heures supplémentaires. La prescription avait commencé à courir du jour de la réception de la lettre recommandée adressée plus de trois ans auparavant à la société par le salarié demandant le paiement des heures et révélant les agissements de l’ancien dirigeant. Le préjudice résultant de la condamnation de la société ne pouvait pas constituer le point de départ de la prescription car il n’était que la conséquence des faits dommageables reprochés à ce dirigeant (CA Versailles 30-9-2010 n° 09-4525 : RJDA 3/11 n° 252).

La dissimulation doit être intentionnelle (Cass. com. 16-3-2018 n° 16-26.323 F-D : RJDA 10/18 n° 741). En cas de dissimulation d’une décision fautive prise par le conseil d’administration ou le directoire d’une société anonyme, la volonté de dissimulation de chaque administrateur ou membre du directoire est établie dès lors qu’il ne s’est pas opposé personnellement à cette décision (Cass. com. 30-3-2010 n° 08-17.841 : RJDA 7/10 n° 760).

L’action est prescrite si le fait dommageable commis plus de trois ans auparavant n’a pas été dissimulé.

Illustration

  • Il n’y a pas dissimulation lorsqu’un associé qui conteste une opération a été convoqué à une assemblée à laquelle le dirigeant a soumis un rapport faisant état de l’opération (Cass. com. 1-6-2010 n° 09-15.322 : RJDA 10/10 n° 965).
  • De même, a été jugée prescrite l’action en responsabilité engagée par un actionnaire de société anonyme contre des administrateurs auxquels il reprochait d’avoir octroyé des concours à une filiale : loin d’être dissimulés, les concours financiers et la situation de la filiale ont fait l’objet d’une information dans les rapports annuels de la société ; la connaissance par le conseil d’administration et l’approbation par l’assemblée générale des comptes des exercices au cours desquels les avances ont été consenties excluaient leur dissimulation (CA Paris 19-3-2013 n° 12/00020 : RJDA 7/13 n° 633).

Prescription quinquennale

Pour tous les dirigeants autres que commerciaux (gérant de société civile, de société en nom collectif ou de société en commandite simple, directeur général délégué non administrateur de société anonyme), l’action en responsabilité, fondée sur le droit commun de la responsabilité extracontractuelle (CA Versailles 7-9-2006 n° 05-2470 : RJDA 8-9/07 n° 859), est soumise à la prescription de droit commun : elle se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaître la faute du dirigeant (C. civ. art. 2224).

Précisions

  1. La prescription triennale ne s’applique pas non plus à l’action en responsabilité engagée contre un dirigeant de fait (Cass. com. 30-3-2010 n° 08-17.841 : RJDA 7/10 n° 760 ; Cass. com. 12-4-2016 n° 14-12.894 F-D : RJDA 7/16 n° 546).
  2. L’action en responsabilité spéciale ouverte contre les dirigeants pour irrégularité commise à l’occasion de la constitution de la société ou d’une modification statutaire (défaut de mention dans les statuts, omission ou accomplissement irrégulier d’une formalité) se prescrit par dix ans à compter, selon le cas, de l’immatriculation de la société ou de la publicité au registre du commerce et des sociétés de l’acte modifiant les statuts (C. civ. art. 1840, al. 3 ; C. com. art. L 210-8, al. 3).

Quel est le tribunal compétent ?

En matière civile et commerciale

Si l’action est civile (faute de gestion), alors l’action sociale relève de la compétence du tribunal de commerce pour une société commerciale.

En matière pénale

La Cour de cassation a reconnu aux associés le droit d’agir devant le juge pénal par la voie de l’action sociale ut singuli (Crim. 2 avr. 2003, n° 02-82.674), conformément aux dispositions de la loi commerciale (Crim. 12 déc. 2000, n° 97-83.470), afin d’obtenir réparation du préjudice causé à la société par des actes constitutifs du délit d’abus de biens sociaux. Aussi bien, cette action peut-elle être exercée contre les auteurs, les complices (Crim. 28 janv. 2004, n° 02-87.585) ou les receleurs (Crim. 14 janv. 2009, n° 08-80.584) de ce délit.

Si l’action est pénale, par exemple pour des faits d’abus de bien social (abus de biens sociaux), alors c’est le tribunal correctionnel. Il est établi que le tribunal correctionnel peut être saisi par l’actionnaire par :

  • Une plainte avec constitution de partie civile
  • Une citation directe pénale devant le tribunal correctionnel

Attention, l’actionnaire ne peut pas saisir le tribunal en nom personnel pour un préjudice non personnel : les tribunaux veillent de manière très méticuleuse à ce point.

  • Saisine ut singuli = préjudice de la société
  • Saisine personnelle = préjudice personnel (très rare)

La citation directe doit dès le début établir clairement quelle est l’action visée, sachant que les deux peuvent être cumulées mais là encore uniquement dès le début.

Qu’est-ce que l’action individuelle (préjudice personnel de l’actionnaire) ?

L’action individuelle est l’action en responsabilité civile des associés ou des actionnaires contre les dirigeants qui ont commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice personnel et distinct à l’un ou plusieurs d’entre eux.

L’action individuelle vise à réparer le préjudice individuel, c’est-à-dire la perte subie par l’associé ou l’actionnaire du fait de la faute du dirigeant.

L’action individuelle est fondée sur l’article 1240 du code civil, qui dispose que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

La nécessité d’un préjudice personnel

L’action individuelle peut être exercée par tout associé ou actionnaire qui justifie d’un préjudice personnel et distinct de celui subi par la société. Il faut donc démontrer que la faute du dirigeant a porté atteinte aux droits propres de l’associé ou de l’actionnaire, et non pas seulement à ses intérêts patrimoniaux liés à sa qualité d’associé ou d’actionnaire.

Lorsqu’un tiers a commis une faute envers une société (généralement, il s’agit d’un cocontractant de celle-ci), un associé ou actionnaire n’est recevable à exercer une action en responsabilité contre le tiers que s’il est en mesure de prou­ver qu’il a subi un préjudice personnel distinct de celui de la société (Cass. com. 8-2-2011 n° 09-17.034 F-PB: RJDA 5/11 n° 421; Cass. corn. 30-5-2018 n° 17-10.393 F-D)

Le préjudice personnel et distinct doit être distinct de celui subi par la société elle-même (Cass. com., 9 déc. 2014, no 13-21557).

Il faut rapporter la preuve de « l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction » (Crim. 12 sept. 2001, n° 01-80.895)

Ce qui n’est pas un préjudice personnel/individuel

  • Le préjudice résultant de la perte de valeur des titres consécutive à l’amoindrissement du patrimoine social (Cass. corn. 8-10-2013 n° 12-18.252 F-D: RJDA 1/14 n° 37; Cass. com. 26-4-2017 n° 15-20.054 F-D : RJDA 7/17 n° 461).
  • du préjudice résultat d’agissements parasitaires commis par une autre société : l’actionnaire ne peut pas obtenir de cette dernière, à titre d’indemnisation, une quote-part du manque à gagner subi par la société (Cass. com. 30-5-2018 no 17-30.393 F-D )
  • La perte financière subie par la société elle-même du fait des agissements fautifs
  • « la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » Crim. 13 déc. 2000, n° 99-80.38
  • « la dévalorisation du capital social découlant du délit d’abus de pouvoirs, commis par un dirigeant de société, constitue non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » Crim. 13 déc. 2000, n° 99-84.855
  • Le « préjudice résultant pour eux de la ruine de la société découlant de l’abus de biens sociaux retenu contre le prévenu » Crim. 12 sept. 2001, n° 01-80.895
  •  l’associé d’une société victime d’un abus de biens sociaux, exerçant l’action non à titre social mais à titre personnel, est irrecevable à se constituer partie civile, sauf à démontrer l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction, ce qui ne saurait être le cas du préjudice résultant de la perte ou de la baisse de valeur de ses titres sociaux. (Crim. 9 juin 2022, F-D, n° 21-82.545)

Qu’est-ce qu’un préjudice personnel de l’actionnaire ?

La caractérisation du préjudice financier de l’actionnaire d’une société est très différente selon que la société est cotée ou non cotée.

Dans une société cotée l’affichage public du cours de l’action a des conséquences spécifiques qui peuvent concerner tous les actionnaires, ceux qui ont acheté ou qui n’ont pas acheté, ceux qui ont vendu ou qui n’ont pas vendu (1). Dans une société non cotée – et in bonis – il est rare que le contentieux concerne tous les actionnaires et le contentieux ne pose pas autant de questions théoriques difficiles (2).

Société non côtée

Dans la mesure où il n‘existe pas de mécanisme de publicité de la valeur des actions, les contentieux opposent le plus souvent l’acquéreur d’actions à son vendeur. Il peut cependant arriver que l’associé d’une société non cotée puisse subir un préjudice en raison d’une information trompeuse ou imprécise venue de la société ou de son dirigeant et qui aurait faussé sa décision d’acquérir ou de céder ses titres.

Dol subi par l’acquéreur

L’acquéreur d’actions se plaint d’un dol dans ses relations avec son vendeur. Cette situation relève d’une situation contractuelle, prévue par les articles 1137 et s. C.civ. Il permet soit une action en nullité et/ou une action en responsabilité. Si le contrat est maintenu (car il n’y a pas d’action en nullité, ce qui est le plus fréquent), le préjudice est constitué par le fait qu’on a payé trop cher. On aurait pu contracter à des conditions plus avantageuses. C’est ce préjudice qui, selon la jurisprudence, va être caractérisé par l’idée d’une perte de chance. Il s’agit selon la jurisprudence de « la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » (Cass.com. 5 juin 2019, n° 16-10391, Rev. soc. 2019, p.742).

C’est la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses ou d’avoir obtenu un meilleur investissement (Cass.com. 5 juin 2019, n° 16-10391).

Information trompeuse par le dirigeant ?

L’acquéreur se plaint d’une information trompeuse donnée par le dirigeant de la société. N’est plus en cause le rapport vendeur – acquéreur, mais le rapport acquéreur-dirigeant de la société. La responsabilité du dirigeant de la société relève d’une responsabilité délictuelle (ancien art. 1382 C.civ.).

Il semble que la jurisprudence refuse d’appliquer la réparation sur la perte de chance qui existe pour les sociétés cotées aux sociétés non cotées(Cass.com 16 mai 2018, n°, 16-20864, Rev. soc. 2018, p. 708).

On peut noter également :

  • Augmentation de capital obtenue par des allégations mensongères (Cass. com., 9 mars 2010, no 08-21.547)
  • Diffamation par un dirigeant au sein d’une assemblée générale (CA Montpellier, 31 mars 1966)

Si l’action individuelle aboutit, le tribunal peut condamner les dirigeants fautifs à verser des dommages-intérêts à l’associé ou à l’actionnaire qui a agi. Les dommages-intérêts sont calculés en fonction du préjudice individuel effectivement subi par l’associé ou l’actionnaire. Le tribunal peut tenir compte de la gravité de la faute, du rôle respectif des dirigeants, ou encore du bénéfice éventuel retiré par les dirigeants de leur faute.

Mauvaise gestion
  • Rétention, détournements de fonds appartenant à l’associé (Cass. civ., 26 nov. 1912)
  • Détournement de titres appartenant à l’associé (Cass. req., 22 juin 1936)
  • Aucun dividende n’a été distribué durant plusieurs années (CA Paris, 15 déc. 1995)

Société côtée

Le cas principal est celui de l’actionnaire d’une société cotée qui se trouve victime d’une perte de valeur de son titre, à raison d’un défaut d’information ou d’une information inexacte imprécise ou trompeuse qui aurait été diffusée les dirigeants de la société dans laquelle l’actionnaire est ou était intéressé.
En pareil cas, l’actionnaire subit un préjudice propre et distinct de celui de la société, laquelle ne subit pas de la même façon les conséquences de la diffusion de cette information inexacte, imprécise ou trompeuse.
La réparation du préjudice boursier de l’actionnaire peut intervenir dans ces circonstances dans le cadre d’une action en responsabilité civile de droit commun, qui nécessite la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

Dans son arrêt Gaudriot du 9 mars 2010, la Cour de cassation a consacré la solution selon laquelle le préjudice subi par l’actionnaire consiste en une perte de chance (Cass. com., 9 mars 2010, nos 08-21.547 et 08-21.793) : « […] celui qui acquiert ou conserve des titres émis par voie d’offre au public au vu d’informations inexactes, imprécises ou trompeuses sur la situation de la société émettrice perd seulement une chance d’investir ses capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisé ».

Cette perte de chance de l’actionnaire, qui seule peut donc être réparée selon la jurisprudence de la Cour de cassation, suppose que sa décision d’investissement ou de conservation de son titre ait été altérée. Le préjudice que celui-ci rencontre peut alors se traduire par une perte de chance :

  • d’avoir acquis ses titres à un prix plus faible que celui qu’il aurait payé, compte tenu de la circulation sur le marché d’une information optimiste erronée ;
  • d’avoir pu céder ses titres à un meilleur prix, compte tenu de la circulation sur le marché d’une information négative erronée ;
  • de renoncer à son investissement s’il a conservé ses titres.

L’actionnaire devra ainsi établir quel investissement alternatif il aurait effectué et quel résultat il aurait pu escompter de façon probante.

Même en cas d’insuffisance d’actif

La Cour de cassation a admis la recevabilité de l’action exercée par un associé à l’encontre des dirigeants d’une société faisant l’objet d’une procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d’ouverture. La chambre commerciale subordonne la recevabilité de l’action « à l’allégation d’un préjudice personnel, distinct de celui subi par la personne morale, peu important que la procédure collective fasse apparaître une insuffisance d’actif ». Il n’y a pas dans ce cas à démontrer l’existence d’une faute séparable des fonctions, ce qui rend possible, par exemple, l’indemnisation des associés victimes de la dissimulation par les dirigeants de la situation financière de la société.

L’action individuelle doit être intentée dans les cinq ans suivant le fait dommageable ou sa révélation si celle-ci est postérieure. L’action individuelle relève de la compétence du tribunal judiciaire.

Quel est le tribunal compétent ?

Voir ci-dessus.

Le préjudice personnel distinct de la qualité d’associé

Pour dol en qualité d’acheteur

L’actionnaire d’une société, qui, après avoir acheté les actions d’un autre actionnaire, lui reproche des agissements antérieurs à la cession préjudiciables à la société et ayant eu une incidence sur la valeur des actions, a un intérêt personnel à agir en responsabilité contre ce dernier. En effet, l’associé n’arguait pas d’une dévalorisation de ses actions, mais il soutenait avoir acquis celles-ci pour un prix d’acquisition ne correspondant pas à leur valeur réelle, préjudice qu’il avait bien personnellement subi.

L’acquisition d’actions à un prix ne correspondant pas à leur valeur réelle caractérise bien un préjudice que l’acquéreur actionnaire avait bien personnellement subi à la suite d’agissements dolosifs. L’actionnaire d’une société, qui, après avoir acheté les actions d’un autre actionnaire, lui reproche des agissements de concurrence déloyale antérieurs à la cession préjudiciables à la société et ayant eu une incidence sur la valeur des actions, a un intérêt personnel à agir en responsabilité contre ce dernier (Cour de cassation, 1re chambre civile, 27 Septembre 2023 – n° 22-15.146).

Un actionnaire d’une société anonyme (SA) achète à un autre des actions. Il prétend par la suite avoir découvert que le cédant et une société créée par lui avaient commis, avant la cession, des actes de concurrence déloyale préjudiciables à la SA ayant eu une incidence sur la valeur des actions. Estimant avoir en conséquence payé un prix de cession trop élevé, il agit en responsabilité contre le cédant et cette société. Ces derniers lui opposent l’irrecevabilité de la demande, en faisant valoir que la dévalorisation des titres d’une société ne peut pas être considérée comme un préjudice personnel de l’actionnaire. Argument rejeté par la Cour de cassation : l’intéressé agissait en sa qualité d’acquéreur des actions, de sorte qu’il se prévalait bien d’un préjudice personnel distinct de celui de la SA. Cass. 1e civ. 27-9-2023 no 22-15.146 F-D

C’est en qualité de cessionnaire et non d’actionnaire que le demandeur agit.

“dans la mesure où les appelants invoquent non pas une dévalorisation de leurs titres, mais un prix d’acquisition ne correspondant pas à leur valeur réelle en raison d’agissements dolosifs, les intimés ne sont pas fondés à invoquer l’irrecevabilité de ces demandes, qui ne ressortissent pas directement à leur qualité d’associés.”

Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 15 Février 2022 – n° 20/00253 – confirmé par Cour de cassation, 1re chambre civile, 27 Septembre 2023 – n° 22-15.146

Quelles sont les différences entre l’action sociale et l’action individuelle ?

L’action sociale et l’action individuelle se distinguent par plusieurs aspects :

  • L’objet : l’action sociale vise à réparer le préjudice social, c’est-à-dire celui subi par la société, tandis que l’action individuelle vise à réparer le préjudice individuel, c’est-à-dire celui subi par l’associé ou l’actionnaire.
  • Le bénéficiaire : l’action sociale profite à la société, qui reçoit les dommages-intérêts, tandis que l’action individuelle profite à l’associé ou à l’actionnaire, qui reçoit les dommages-intérêts.
  • La condition de recevabilité : l’action sociale suppose une faute de gestion ayant causé un préjudice à la société, tandis que l’action individuelle suppose une faute de gestion ayant causé un préjudice personnel et distinct à l’associé ou à l’actionnaire.
  • Le délai de prescription : l’action sociale se prescrit par trois ans, tandis que l’action individuelle se prescrit par cinq ans.

Tableau synthétique

Action socialeAction individuelle
Objet : réparer le préjudice socialObjet : réparer le préjudice individuel
Bénéficiaire : la sociétéBénéficiaire : l’associé ou l’actionnaire
Condition : faute de gestion ayant causé un préjudice à la sociétéCondition : faute de gestion ayant causé un préjudice personnel et distinct à l’associé ou à l’actionnaire
Délai : trois ansDélai : cinq ans

Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur ces actions ou sur votre situation personnelle, n’hésitez pas à me contacter.

3 réflexions sur “Action ut singuli et individuelle de l’associé contre le dirigeant”

  1. Seyedi el mehdi

    Mais est ce qu’on peut réunir dans une seule action ,au nom d’un associé /dirigeant ,l’action sociale et individuelle pour réparer le dommage causé à la société et à l’associé dirigeant (demandeur) pour les fautes commises par le ci-dirigeant associé?
    Cordialement.

      1. Seyedi el Mehdi

        Merci confrère, pour votre interactivité avec mon commentaire je suis avocat au Maroc et j’ai un dossier et je me demandais est ce que je devrai faire deux actions distinctes puis demander la jonction en instance pour connexité ou une action suffisait .
        Bien cordialement.

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