Révocation abusive du dirigeant

Les fonctions des dirigeants de société peuvent prendre fin par leur révocation, qui est organisée par le Code de commerce pour chaque type de société. Dans certaines sociétés, la révocation n’est possible qu’en raison d’un juste motif. Dans tous les cas, elle ne doit pas intervenir dans des conditions abusives, sous peine d’ouvrir droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le dirigeant.

La révocation sans juste motif d’un cogérant

L’absence de motif justifiant l’allocation de dommages-intérêts

Dans certaines sociétés telles que les SARL, les SNC ou les SCS, la révocation du dirigeant peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsqu’elle est décidée sans juste motif (C. com. art. L 223-25, al. 1 pour les SARL, art. L 221-12, al. 4 pour les SNC, art. L 222-2 pour les SCS). Autrement dit, le gérant dont la révocation a été décidée sans juste motif peut prétendre à des dommages-intérêts. 

Qu’est-ce qu’un juste motif ?

Cas général

 Le juste motif peut consister en :

  • une faute du gérant, telle une violation de la loi ou des statuts,
  • un manquement aux obligations lui incombant en sa qualité de gérant, présentant un caractère objectif de gravité, mais également en la nécessité de mettre un terme par la révocation du gérant concerné à une situation de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société, étant précisé qu’une situation contraire à l’intérêt social suffit à constituer un juste motif, sans qu’il soit nécessaire d’établir son imputabilité au gérant.

En cas de cogérance

Lorsque les statuts ne définissent pas les missions de chacun des cogérants, les associés ne peuvent pas révoquer l’un d’entre eux sur le fondement de l’inexécution d’obligations qui auraient pu être accomplies par les autres cogérants, maintenus dans leurs fonctions. En cas de cogérance sans que les statuts ou un acte extrastatutaire ne fixent les missions de chacun des cogérants, il ne peut pas être reproché à l’un d’entre eux l’inexécution d’une obligation qui incombait à la société alors qu’aucun obstacle juridique ou matériel n’empêchait les autres d’agir.  (Cour d’appel de Riom, Chambre commerciale, 26 avril 2023, n° 21/01106)

Un cogérant pourrait donc en revanche être révoqué sur les fondements suivants :

  • un manquement à une obligation qu’il était le seul à pouvoir accomplir ;
  • un manquement à une obligation, si ses cogérants qui avaient le pouvoir d’agir sont eux aussi révoqués ;
  • un acte positif de sa part constituant une faute de gestion, comme le licenciement abusif d’une salariée enceinte (Cass. com. 15-1-2020 n°18-12.009 F-D : RJDA 4/20 n° 220), une opposition aux changements de stratégie souhaités par les associés (CA Paris 20-2-2007 n° 05-23812 : RJDA 11/07 n° 1120) et, plus généralement, toute situation liée à l’organisation de la société – telle une mésentente avec ses cogérants ou les actionnaires – de nature à compromettre l’intérêt social (Cass. com. 10-2-2015 n° 13-27.967 F-D : RJDA 7/15 n° 505).

A noter également qu’en matière de responsabilité civile des dirigeants, même lorsqu’il faut retenir la responsabilité solidaire de dirigeants fautifs (C. com. art. L 223-22 pour les gérants de SARL), la part contributive de chacun doit être proportionnelle à la gravité de sa faute (CA Limoges 17-1-2013 n° 11/01356 : RJDA 8-9/13 n° 727 ; CA Paris 17-2-2015 n° 10/04697 : RJDA 5/15 n° 353).

La révocation libre du dirigeant

Le principe de révocation ad nutum

La révocation libre du dirigeant, aussi appelée révocation ad nutum, signifie que le dirigeant peut être révoqué à tout moment, sans avoir à justifier d’un motif, ni à respecter un préavis, ni à verser une indemnité. Il s’agit du principe général qui s’applique à la plupart des dirigeants de société, sauf exception.

La révocation libre du dirigeant concerne notamment :

  • Le président du conseil d’administration, les administrateurs et les membres du conseil de surveillance des sociétés anonymes (SA) ;
  • Le directeur général, les directeurs généraux délégués et les membres du directoire des SA, sauf si le directeur général est également président du conseil d’administration (PDG) ;
  • Le gérant des sociétés à responsabilité limitée (SARL) et des sociétés en nom collectif (SNC) ;
  • Le président, le directeur général et les autres dirigeants des sociétés par actions simplifiées (SAS), sauf si les statuts prévoient un mode de révocation différent.

La révocation libre du dirigeant doit être décidée par l’organe compétent de la société, qui peut être :

  • Le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, pour les dirigeants des SA ;
  • L’assemblée générale des associés, pour les gérants des SARL et des SNC ;
  • L’assemblée générale des actionnaires ou tout autre organe prévu par les statuts, pour les dirigeants des SAS.

La révocation libre du dirigeant doit être notifiée au dirigeant révoqué, par tout moyen permettant d’en rapporter la preuve, comme une lettre recommandée avec accusé de réception. La révocation libre du dirigeant prend effet immédiatement, sauf si les statuts ou le mandat prévoient un délai.

Absence de dommages-intérêts (sauf si révocation abusive)

La révocation libre du dirigeant n’ouvre pas droit à une indemnité pour le dirigeant révoqué, sauf si les statuts ou le mandat en disposent autrement. Toutefois, le dirigeant révoqué peut demander des dommages et intérêts si la révocation est abusive, c’est-à-dire si elle est faite dans des conditions vexatoires, injurieuses ou de mauvaise foi, ou si elle cause un préjudice anormal au dirigeant.

La révocation abusive

Sanctionnée même ad nutum

Quelle que soit la forme sociale, le dirigeant révoqué abusivement a droit à réparation, même s’il est révocable ad nutum (Cass. com. 14-5-2013 n° 11-22.845 FS-PB : RJDA 11/13 n° 899). La révocation est abusive si elle est accompagnée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant ou si elle est décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation (Cass. com. 14-5-2013 n° 11-22.845 précité ; Cass. com. 25-11-2014 n° 13-21.460 F-D : RJDA 3/15 n° 189).

Seules les circonstances qui entourent la révocation sont prises en compte pour caractériser l’abus. Ainsi, le dirigeant évincé ne peut pas obtenir réparation en avançant le fait que sa révocation est fondée sur des arguments fallacieux (CA Chambéry 8-2-2022 n° 19/02215 : RJDA 10/22 n° 564) ; réciproquement, la société ne peut pas échapper à une condamnation en invoquant un juste motif (Cass. com. 25-11-2014 n° 13-21.460 F-D : RJDA 3/15 n° 189) ou une faute grave du dirigeant (Cass. com. 26-4-1994 n° 92-15.884 P :  RJDA 8-9/94 n° 937 ; Cass. com. 25-11-2014 n° 13-21.460 précité).

Caractérisation de l’abus

La révocation du dirigeant est considérée comme abusive dans deux cas, qui peuvent se cumuler : quand elle a lieu dans des circonstances vexatoires ou injurieuses, et en cas de méconnaissance de l’obligation de loyauté due au dirigeant.

La révocation intervient dans des circonstances vexatoires ou injurieuses lorsqu’elle porte atteinte à la réputation ou à l’honorabilité du dirigeant, ce qui résulte le plus souvent de la publicité malveillante ayant suivi la révocation, ou de circonstances laissant supposer que le dirigeant a commis des fautes graves.

Exemple

Constituent des circonstances vexatoires ou injurieuses :

  • le fait de demander au dirigeant de remettre les clefs de l’entreprise dès la fin de l’assemblée l’ayant révoqué ;
  • le fait de révoquer le dirigeant brutalement, au su et à la vue du personnel, en faisant appel à un huissier de justice et à la police et en l’ébruitant dans le milieu professionnel ;
  • le fait de supprimer les outils de travail du dirigeant dès la révocation de son seul mandat de président-directeur général d’une des sociétés du groupe, ce qui l’a privé de la possibilité d’exercer dans les mêmes locaux ses autres mandats sociaux dont il était toujours investi ;
  • le fait d’interdire au dirigeant révoqué de se présenter dans l’entreprise ;
  • le fait de publier au RCS l’intégralité du procès-verbal de révocation mentionnant le fait que celle-ci est prononcée pour faute grave du dirigeant.

Comment respecter l’obligation de loyauté ?

L’obligation de loyauté qui incombe à la société lors de la révocation implique un respect peu rigoureux du contradictoire.

En effet, le dirigeant doit seulement

  1. être informé, même de manière informelle (CA Versailles 4-10-2001 n° 98-5192 :  RJDA 2/02 n° 166 ; CA Paris 9-3-2010 n° 08/23637 :  RJDA 10/10 n° 970), des motifs de la révocation envisagée
  2. être mis en mesure de présenter ses observations.
  3. Dans un délai qui lui est accordé pour préparer sa défense même très court : la révocation peut être décidée au cours d’une assemblée convoquée le matin pour l’après-midi, dès lors que le dirigeant a eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés dès sa convocation (Cass. com. 6-11-2012 n° 11-20.582 F-PB :  RJDA 2/13 n° 135 ; dans le même sens, Cass. com. 10-2-2015 n° 13-27.967 F-D :  RJDA 7/15 n° 505). Il a même été jugé qu’un dirigeant, informé par l’associé unique de la société qu’il envisageait de le révoquer et convoqué à un entretien trois semaines à l’avance, n’avait pas à être informé avant l’entretien des motifs pour lesquels sa révocation était envisagée (Cass. com. 23-10-2019 n° 17-27.659 F-D : RJDA 1/20 n° 18).

Peu importe que la révocation sans juste motif ne donne pas droit à indemnisation.

Quelle exception en cas de loyauté et de risque du vol potentiel de données ?

Le risque pour la société d’un détournement des données essentielles au développement de ses produits que lui fait courir le maintien en fonction de son dirigeant ne l’autorise pas à révoquer celui-ci sans lui permettre de présenter ses observations.  Est abusive la révocation, fût-ce pour faute lourde, du président d’une SAS décidée sans que celui-ci ait été préalablement informé des motifs de la décision prise à son encontre et mis en mesure de présenter ses observations.(Cass. com., 11 oct. 2023, n° 22-12.361., X c/ SAS AXS Medical). Dans cette affaire, non seulement le dirigeant avait commis une faute grave en projetant de s’approprier des données essentielles de la société, mais le risque que ce projet aboutisse croissait à mesure que le dirigeant restait en fonction. Étant donné le préjudice encouru par la société, une révocation immédiate pouvait sembler légitime. Ce n’est toutefois pas ce que retient la Cour de cassation.

Indemnisation du dirigeant révoqué abusivement

Préjudice réparé

L’indemnité à laquelle le dirigeant révoqué peut prétendre est destinée à réparer uniquement le préjudice moral causé par les circonstances entourant la révocation. Aussi, ne sont prises en compte :

  • ni la perte de chance de conserver ses fonctions pendant plusieurs années ;
  • ni les conséquences notamment pécuniaires de la révocation sur la situation personnelle du dirigeant.

Calcul de l’indemnité

Le préjudice doit être apprécié concrètement au regard des éléments en cause. Il ne peut donc pas être réparé par une allocation forfaitaire.

Débiteur de l’indemnité : qui doit payer ?

Le débiteur de l’indemnité est en principe, la société. En cas de révocation sans juste motif ou de révocation abusive, c’est en principe la société seule qui doit indemniser le gérant pour le préjudice occasionné. La décision de révocation adoptée par l’assemblée générale est celle de la société et non celle de ses membres pris individuellement.

Toutefois, lorsque les associés ont commis une faute personnelle à l’égard du dirigeant, l’indemnité peut être mise à leur charge sur le fondement du droit commun de la responsabilité, soit seuls, soit solidairement avec la société. Dans certains cas, la jurisprudence va jusqu’à exiger une intention de nuire de leur part pour retenir leur responsabilité. Autrement dit, lorsqu’un ou plusieurs associés ont commis une faute personnelle insusceptible d’être rattachée à l’expression de la volonté sociale, faute généralement induite de l’existence d’une volonté de nuire, ils peuvent être condamnés sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle (C. civ. art. 1240, ex-art. 1382) à indemniser le gérant soit seuls (Cass. com. 13-3-2001 no 98-16.197 F-P : RJDA 8-9/01 no 872), soit in solidum avec la société (Cass. com. 1-2-1994 no 92-11.171 P : RJDA 5/94 no 540 ; Cass. com. 12-2-2013 no 11-23.610 F-D : RJDA 6/13 no 516).

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