Faux dirigeant et faux PV d’AG : qui doit payer ?

Une société civile est engagée par les actes conclus par un gérant nommé sur la base d’un PV d’assemblée convaincu de faux dès lors que sa nomination a été publiée, sauf collusion frauduleuse entre lui et le tiers cocontractant. (Cass. 3è civ., 26 oct. 2023, n° 21-17.937, n° 702 FS-B)

Que se passe-t-il lorsque le signataire pour une personne morale est entré en fonction grâce à un faux, comme par exemple un faux procès-verbal d’assemblée générale ? Que deviennent les engagements qu’il a souscrits ? Les contrats qu’il a signés ? Les dépenses qu’il a engagées ? La société qui s’est aperçue de la fraude est-elle tenue de payer ?

Le faux est une simple irrégularité

Les textes juridiques, pour les sociétés civiles et commerciales, sont clairs: “« Ni la société, ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination des gérants ou dans la cessation de leur fonction, dès lors que ces décisions ont été régulièrement publiées ». (art. 1846-2 al. 2 C. civ., l’art. L. 210-9 al. 1 C. com.)

Le faux est considéré par la Cour de Cassation comme une simple irrégularité, inopposable aux tiers dès lors que la décision de nomination du dirigeant a été publiée

Autrement dit, la contrefaçon de la signature du procès-verbal portant désignation d’un gérant n’emporte pas l’inexistence de la nomination mais constitue une irrégularité, au sens de l’article 1846-2 du code civil.

Sauf collusion frauduleuse entre le gérant et le tiers cocontractant, la publication de la nomination du gérant sur la base d’un procès-verbal entaché d’un faux fait obstacle à la contestation par la société de conventions conclues en son nom par la personne désignée gérant dans de telles conditions.

C’est à dire que tous les actes pris par ce faux gérant sont invocables et opposables par les tiers de bonne foi.

L’effet protecteur de la publication des nominations des dirigeants pour les tiers contractant avec des sociétés est très fort.

L’inexistence désigne l’état d’un acte entaché d’un vice si grave qu’il convient de le priver d’effet. Cette sanction n’a jamais eu les faveurs des magistrats en droit des sociétés, ceux-ci préférant une action en nullité de l’acte vicié. C’est donc logique que dans le cas d’un faux ce soit l’irrégularité qui soit retenue.

La paralysie des effets de la publicité en cas de collusion frauduleuse

L’adage fraus omnia corrumpit ne s’applique que lorsqu’il y a “collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers “.

Et c’est tout à fait logique : le tiers complice d’une fraude ne mérite plus d’être protégé par la théorie de l’apparence.

La collusion frauduleuse pourra être établie, par exemple, :

  • le tiers contractant est une société dont un dirigeant ou un associé n’est autre que le gérant irrégulièrement nommé :
  • le tiers et le faux gérant conspireraient pour publier fictivement sa nomination afin de profiter des biens de la société;

Différentes qualifications pénales pourraient alors être attachées à ces comportements, dont le faux et l’escroquerie.

Attention :  la simple connaissance par le tiers contractant de l’irrégularité de la nomination ne suffit pas à écarter l’effet attaché à sa publication qui exige une “collusion frauduleuse” qui va bien au-delà. (cette exigence renforcée ne serait applicable qu’aux sociétés civiles, et pas aux sociétés commerciales comme les SARL et SAS)

La question reste non répondue de savoir si la collusion frauduleuse doit toucher la publication du faux PV et/ou la seule nomination du faux dirigeant. Le tiers qui contribue à établir uniquement le faux, sans aider à sa publication, pourra-t-il se voir reprocher sa collusion ? La Cour de Cassation n’a pas encore répondu.

Associé lésé : quel recours ?

Les associés et/ou la société doivent sans délai afin d’être protégée à l’égard des tiers :

  • Contester la décision nommant le faux gérant
  • demander l’annulation des délibérations irrégulières
  • demander la rectification des informations inexactes
  • Publier dans la foulée la révocation du gérant irrégulièrement nommé

Quid du mandat apparent ?

Cependant, la publicité légale accompagnant la nomination et la cessation des fonctions du gérant d’une SARL n’empêche pas le jeu du mandat apparent.

C’est-à-dire que la société pourra être engagée par les actes d’une personne qui n’est pas gérant alors même que le nom du gérant est publié (Com. 9 mars 2022 n° 19-25.704) tant que le tiers est de bonne foi.

Une ancienne jurisprudence avait décidé que la publication de la cessation des fonctions du gérant empêchait qu’il engageât la société (Com., 4 mai 1993, n° 91-14.616), mais il est difficile de savoir si elle est toujours d’actualité.

La société lésée a tout intérêt à communiquer sur la fraude dont elle a été victime pour qu’aucun cocontractant ne puisse invoquer le mandat apparent.

Quid des limitations statutaires ?

Les limitations statutaires du pouvoir du dirigeant sont toujours inopposables aux tiers, même s’ils en ont eu connaissance (Com., 2 juin 1992, n° 90-18.313) sauf lorsqu’ils les invoquent (Cass. 3e civ., 14 juin 2018 n° 16-28.672).

Conclusion

La publicité légale profite au tiers sauf collusion frauduleuse, mais ne saurait lui nuire, sauf mauvaise foi.

Le tiers de bonne foi est donc toujours gagnant …

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