AG de société commerciale : comment contester une décision ?

Les fondements juridiques

Le droit commun des contrats

L’abus de majorité

Il y a abus de majorité lorsqu’une décision collective adoptée par le ou les associés majoritaires est contraire à l’intérêt social et a été prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés (jurisprudence constante). La décision litigieuse peut alors être annulée (Cass. com. 1-7-2003 no 99-19.328 F-D : RJDA 11/03 no 1074, 1e esp.). La nullité d’une décision collective pour abus de majorité est une nullité relative. La nullité d’une délibération d’assemblée générale pour abus de majorité est une nullité relative, qui peut être demandée tant par les minoritaires que par le dirigeant de la société. La nullité peut être couverte par la confirmation de la résolution.

Qui peut agir ?

La question qui se pose d’abord est la suivante : l’action en nullité se fait elle pour violation des statuts ou du droit commun des contrats ?

Les conditions de recevabilité d’une action en nullité dépendent du caractère absolu ou relatif de la nullité. La nullité absolue autorise toute personne justifiant d’un intérêt légitime à agir (C. civ. art. 1180) tandis que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger (C. civ. art. 1181).

Celui qui a un intérêt légitime à agir

Article 31 du Code de procédure civile ; ce texte ouvre, on le rappelle, l’action en justice à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour défendre un intérêt déterminé, telles les personnes agissant en nullité pour la violation d’une règle destinée à protéger leur intérêt particulier.

La nullité d’actes ou de délibérations d’une société commerciale ne modifiant pas les statuts résulte notamment de la violation des lois qui régissent les contrats (C. com. art. L 235-1, al. 2). La nullité est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé (C. civ. art. 1179, al. 2), auquel cas l’action en nullité ne peut être exercée que par la partie que la loi entend protéger (art. 1181, al. 1).

Le dirigeant de société

L’action en justice en nullité d’une délibération d’assemblée générale abusive peut être formée par le dirigeant de la société : la société a bien intérêt à agir dans la mesure où la décision contestée porte, par définition, atteinte à son intérêt si elle a été prise abusivement (abus de majorité par exemple). La solution permet au dirigeant social de pallier l’éventuelle inaction des minoritaires en demandant lui-même la nullité d’une décision collective en cas d’abus de majorité. (Cass. 3e civ. 11-7-2024 no 23-10.013 FS-P)

L’associé minoritaire

La SAS : tout intéressé (droit commun des contrats) ou que les associés (statuts)

Par dérogation, les décisions collectives d’associés de société par actions simplifiée (SAS) prises en violation de l’article L 227-9 du Code de commerce (selon lequel les statuts déterminent les décisions à prendre par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient) peuvent être annulées à la demande de tout intéressé (art. L 227-9, al. 4).

Il résulte de ces dispositions que l’action en annulation d’une délibération d’assemblée générale de SAS pour défaut d’objet relève d’une cause de nullité des contrats en général, de sorte que sa recevabilité doit être appréciée au regard du droit commun.

En conséquence, un directeur général de SAS qui a démissionné de ses fonctions n’est pas recevable à demander l’annulation, pour défaut d’objet, de la délibération de l’assemblée générale qui l’a révoqué de son mandat après sa démission, la nullité encourue étant relative et ne pouvant être demandée que par les personnes que la loi a entendu protéger. le directeur général faisait valoir que la délibération litigieuse n’avait pas d’objet puisqu’il avait démissionné auparavant. Il se prévalait donc d’une cause de nullité des contrats, pour violation d’une règle ayant pour objet la sauvegarde de l’intérêt privé des parties (cf. art. 1179, al. 2), à savoir celui des associés ayant pris part à la délibération litigieuse, de sorte que seuls ceux-ci étaient recevables à agir en nullité. Cass. com. 4-4-2024 no 22-20.482 F-D, Sté Banque Edel c/ F.

Autrement dit, seuls les associés sont recevables

La solution aurait été différente si le directeur général s’était prévalu d’une violation des statuts : le régime dérogatoire de l’article L 227-9, al. 4 aurait alors pu jouer. Ajoutons que, si le directeur général est associé, sa demande n’est recevable que s’il agit en sa qualité d’associé et non en sa qualité d’ancien dirigeant.

Un directeur général de SAS ayant démissionné de ses fonctions n’est pas recevable à demander l’annulation, pour défaut d’objet, d’une délibération d’assemblée générale qui l’a révoqué de son mandat après sa démission. Un dirigeant de SAS ne peut pas agir en nullité d’une décision d’assemblée dépourvue d’objet.

Cass. com. 4-4-2024 no 22-20.482 F-D, Sté Banque Edel c/ F.

Quel juge saisir ?

Le juge des référés

Le juge des référés peut-il ajourner ou annuler une assemblée d’associés ?

Si le juge des référés n’a pas le pouvoir d’annuler un acte dans la mesure où une telle mesure consiste à trancher le fond du litige (CA Paris 17-5-1989 : JCP G 1989 IV no 341) et que le principe selon lequel l’annulation des délibérations d’une assemblée générale ne constitue ni une mesure conservatoire ni une mesure de remise en état et n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés (Cass. com. 29-9-2009 no 08-19.937), le juge des référés n’est pas privé de solutions s’il constate un trouble manifestement illicite puisqu’il peut suspendre les effets des résolutions votées.

Même en présence d’une contestation sérieuse, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (CPC art. 873).

ll y a trouble manifestement illicite en présence d’un fait qui constitue une violation évidente d’une norme obligatoire.

La Cour de cassation a pu souligner que « l’annulation des délibérations de l’assemblée générale d’une société, qui n’est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés ». Il peut toutefois en suspendre les effets (Com. 13 janv. 2021, nos1825.713 et 18-25.730) :

18. En statuant ainsi, alors qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, fût-ce pour faire cesser un trouble manifestement illicite, d’annuler les délibérations de l’assemblée générale d’une société, la cour d’appel, qui pouvait en revanche en suspendre les effets, a violé les textes susvisés.”

Le juge des référés peut reporter l’assemblée générale d’une société pour prévenir un dommage imminent. Il peut aussi suspendre les effets d’une assemblée qui s’est déjà tenue mais il ne peut pas l’annuler, même en cas de trouble manifestement illicite.

Tel a été le cas de la décision des membres d’un groupement d’intérêt économique d’exclure un membre qui avait été prise en violation du règlement intérieur du groupement (Cass. com. 29-1-2008 no 07-10.797 F-D).

Le juge du fond

S’il n’entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés de prononcer l’annulation d’une assemblée prise en violation d’une telle décision ; ce dernier peut seulement suspendre les effets des délibérations (Cass. com. 13-1-2021 no 1825.713 : RJDA 4/21 no 239), l’annulation peut en revanche être prononcée par les juges du fond. (CA Bordeaux 10-1-2023 no 22/01177)

L’ajournement d’une assemblée générale

 quelle que soit la forme sociale, le juge des référés peut, en présence de circonstances exceptionnelles, prononcer l’ajournement d’une assemblée générale, c’est-à-dire son report à une date ultérieure.


L’ajournement d’une assemblée générale est prononcé par le juge des référés en présence de circonstances exceptionnelles, par exemple en cas de litige sur une cession d’actions entraînant une modification importante dans la répartition du capital social (CA Paris 4-9-2000 : RJDA 2/01 no 166) ou de risque d’annulation des délibérations pour violation flagrante des règles de convocation (T. com. Toulouse 12-8-1983 : Bull. Joly 1994 p. 169). 

La désignation d’un administrateur provisoire

a nomination d’un administrateur judiciaire constitue également une situation exceptionnelle car elle n’est prononcée qu’en cas de difficultés graves empêchant le fonctionnement normal de la société (jurisprudence constante ; notamment, Cass. 3e civ. 21-11-2000 : RJDA 3/01 no 321 ; Cass. com. 6-2-2007 no 05-19.008 : RJDA 7/07 no 732).

Le juge ne doit toutefois pas s’immiscer dans le fonctionnement de la société ni se substituer aux organes sociaux légalement compétents (Cass. com. 9-3-1993 no 91-14.685 : RJDA 4/93 no 323 ; Cass. com. 31-3-2009 no 08-11.860 : RJDA 6/09 no 548). 

Comment régulariser une nullité relative ?

La Cour de cassation tire une autre conséquence de la qualification de nullité relative : la nullité de la délibération pour abus de majorité peut être couverte par la confirmation.

Cette solution résulte de l’article 1181 du Code civil qui précise que la nullité relative peut être couverte par la confirmation.

La confirmation est l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce, ce qui rend son action irrecevable. La confirmation doit être postérieure à l’acte litigieux ; elle peut être expresse ou résulter de l’exécution volontaire de l’acte, en connaissance de cause de la nullité (C. civ. art. 1182).

En l’espèce, quelque mois après une assemblée ayant décidé une augmentation du capital social constitutive, selon lui, d’un abus de majorité, un associé minoritaire avait voté en faveur de résolutions ayant approuvé les nouveaux statuts et compte courants d’associés tenant compte de cette augmentation et ayant décidé la distribution aux associés d’une avance de 18 000 € sur la prime d’émission. L’associé avait par ailleurs encaissé cette avance. Ces agissements caractérisaient une exécution volontaire de la décision d’augmentation du capital. De même, il a été jugé qu’un associé minoritaire avait manifesté sans équivoque sa volonté de renoncer à son action en nullité de l’assemblée ayant décidé une augmentation du capital, dès lors que, à l’assemblée suivante, il avait voté en faveur de la résolution approuvant les comptes et le bilan de l’exercice comportant le capital augmenté (Cass. com. 19-11-1991 no 90-16.660 : RJDA 7/92 no 711).

Ces solutions invitent à la prudence : les associés qui entendent demander l’annulation d’une décision pour abus de majorité doivent éviter tout comportement pouvant être considéré comme une confirmation tacite ; ils doivent notamment être vigilants lorsqu’ils sont appelés à se prononcer sur de nouvelles résolutions tenant compte de la décision qu’ils contestent.

En tout état de cause, si l’associé qui a confirmé une décision ne peut plus en invoquer la nullité, les tiers conservent leurs droits d’agir (C. civ. art. 1182). Il nous semble que le dirigeant social pourrait alors lui-même intenter l’action en nullité.

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