La diffamation et le dénigrement sont deux formes de critique qui portent atteinte à la réputation d’une personne ou d’une entreprise. Toutefois, ils se distinguent par leur objet, leur régime juridique et leurs sanctions.
Définitions
La diffamation vise toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne (Loi du 29-7-1881 art. 29).
Le dénigrement est la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur les produits ou services proposés ou commercialisés par une entreprise.
La libre critique n’est pas sanctionnée.
L’objet de la critique
Diffamation
La diffamation vise la personne, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale. Elle consiste à alléguer ou imputer un fait précis qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération.
Si la divulgation concerne le comportement de la société, la société elle-même ou sa réputation (concurrence déloyale, plainte pénale) –> diffamation.
Par exemple, la Société X escroque ses clients.
Dénigrement
Le dénigrement vise les produits ou les services d’une entreprise, souvent concurrente. Il consiste à jeter publiquement le discrédit sur eux dans le but d’en tirer un avantage.
Si la divulgation concerne ou vise directement le travail, les produits, les prestations et les services du concurrent –> dénigrement.
Par exemple, “les produits vendus par la société Orange sont de la camelote.“
Attention : la diffamation est exclusive du dénigrement !
Le régime juridique : l’enjeu de la distinction
L’enjeu de la qualification réside dans la différence de régime entre les deux actions.
La diffamation est une infraction pénale qui relève de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle peut être publique ou non publique selon le mode de diffusion de la critique. Elle peut également être aggravée si elle a un caractère raciste, sexiste ou discriminatoire. L’action publique doit être intentée dans un délai de 3 mois.
Le dénigrement est un acte de concurrence déloyale qui relève du droit civil. Il peut être sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil qui dispose que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”. L’action doit être intentée dans un délai de 5 ans. (C. civ. art. 2224). Ainsi, il ne s’agit pas d’une action punie par le code pénal.
Les sanctions
La diffamation publique est punie d’une amende de 12 000 €. La diffamation non publique est punie d’une amende de 1 500 €. La diffamation aggravée est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
Le dénigrement peut donner lieu à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la victime. Le montant des dommages-intérêts dépend des circonstances du cas et du préjudice prouvé.
Exemples de jurisprudence
Faits | Infraction | Source |
Critique uniquement des produits ou services qui sont en cause | Dénigrement | Cass. crim. 8 -2-1994 n° 90-85.699 P -F : RJDA 10/94 n° 1077 ; Cass. 2′ civ. 5 -7 -2000 n° 98-14.255 FS-PB : RJDA 2/01 n° 239; Cass. crim. 10-9-2013 n° 11-86.311 FS-PB: RJDA 2/14 n° 195 |
La société qui divulgue à ses clients que son concurrent est l’objet d’actions judiciaires pour des malversations financières | Diffamation | Cass. com., 28 juin 2023, n° 21-15.862 Aug. Winkhaus GmbH & Co c. Société Ferco |
L’envoi d’une lettre à la clientèle d’un concurrent dénonçant l’implication de celui-ci dans une action en justice, à savoir une action en contrefaçon concernant directement les produits du concurrent, n’ayant pas encore donné lieu à une décision | Dénigrement | Cass. com. 9-1-2019 n° 17-18.350 FS-PB: RJDA 4/19 n° 303 |
la publication de propos critiquant une société visant la société elle-même et non ses services ou ses produits | Diffamation | Cass. com. 26-9-2018 no 17-15.502 : F-D : RJDA 12/18 no 964 |
les propos tenus par une société à l’encontre de son concurrent portant sur la façon dont les services sont rendus par celui-ci, la qualité de ses produits et services, les pratiques prétendument illicites qu’il met en œuvre et les diverses collusions qui lui sont imputées | Dénigrement | Cass. com. 15-1-2020 no 17-27.778 FS-PB |
les propos malveillants tenus à l’encontre d’un gérant d’une société concurrente ayant pour objet de mettre en cause la qualité des prestations fournies par cette société et de détourner sa clientèle | Dénigrement | Cass. 1e civ. 5-12-2006 no 05-17.710 FS-PB |
Accuser son concurrent d’avoir commis une escroquerie à un jugement et menti aux juridictions françaises et aux investisseurs (sans viser ses produits ou services) | Diffamation | Cass. 1e civ. 18-10-2023 no 22-20.428 F-D, Sté Innovent c/ Sté Boralex énergie France |
Quid de la divulgation d’une action en justice non terminée ?
La décision sera différente selon que l’action en justice a trait aux produits et services vendus par le concurrent ou au contraire au comportement du concurrent.
Exemple 1
Une société spécialisée en menuiserie industrielle conclut un contrat d’approvisionnement avec un fabricant allemand de ferrures pour portes et fenêtres. Le fournisseur habituel de la société de menuiserie, estimant que le fabricant allemand a détourné sa cliente en usant de moyens illégaux (à savoir le versement occulte d’une somme au client), agit à son encontre en concurrence déloyale.
Quelques mois plus tard, le fabricant allemand reproche au fournisseur de l’avoir dénigré en diffusant auprès de sa clientèle l’action en concurrence déloyale qu’il avait formée à son encontre ainsi qu’une plainte pénale pour corruption qu’il avait déposée et ce, alors qu’aucune décision de justice n’était intervenue. Il agit alors à son tour contre le fournisseur en concurrence déloyale.
Hors restrictions légalement prévues, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice, sauf dénigrement de produits et services, ne peut être contesté que sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (ex-art. 1382).
La divulgation par une entreprise à ses clients que sa concurrente est l’objet d’actions judiciaires pour des malversations, qui constitue l’imputation de faits précis et déterminés portant atteinte à son honneur et à sa considération, et non une critique de ses produits ou services, peu important que ces allégations aient eu pour objectifs de lui nuire sur le plan commercial et de faire gagner des parts de marché à sa concurrente, ne peut donc être poursuivie qu’en application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
L’action du fabricant allemand, formée plus de trois mois après le dernier acte de divulgation, était donc prescrite. (Cass. com., 28 juin 2023, n° 21-15.862 Aug. Winkhaus GmbH & Co c. Société Ferco)
Exemple 2
L’envoi d’une lettre à la clientèle d’un concurrent dénonçant l’implication de celui-ci dans une action en justice n’ayant pas encore donné lieu à une décision constitue un acte de dénigrement. (Cass. com. 9-1-2019 n° 17-18.350)
Explication
Cette différence s’explique par la nature de l’action en justice faisant l’objet de la divulgation :
- Dans l’exemple 1, il s’agit d’une action en concurrence déloyale et d’une plainte pénale concernant le comportement de la société (malversations).
- Dans l’exemple 2, il s’agissait de la divulgation d’une action en contrefaçon concernant directement les produits du concurrent (contrefaçon).