L’action paulienne : tout comprendre

Le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (action dite « paulienne » ; C. civ. art. 1341-1).

L’article 1341-2 du Code civil étant laconique sur l’action paulienne, c’est la jurisprudence qui en a fixé le régime en retenant les principes suivants.

Les conditions de l’action paulienne

Cette action est recevable sous certaines conditions .

quatre conditions subordonnant la caractérisation de la fraude paulienne:

  1. La préexistence de l’engagement du débiteur (A.1.) ;
  2. L’entrave à l’exécution du droit de la créance (A.2.) ;
  3. L’intention frauduleuse du débiteur (A.3.) ;
  4. La complicité du tiers (A.4.).

Une créance fondée en son principe

Le créancier demandeur doit être titulaire d’une créance fondée en son principe à la date de l’acte attaqué (notamment, Cass. 1e civ. 17-1-1984 no 82-15.146 P : Bull. civ. I no 16 ; Cass. com. 25-3-1991 no 89-12.267 P : RJDA 11/91 no 885, 1e espèce). Il n’est pas nécessaire que cette créance ait été certaine et exigible à cette date (Cass. com. 25-3-1991 précité).

Appauvrissement du débiteur 

La question à se poser : l’opération constitue-t-elle un facteur de diminution de la valeur du gage du créancier et d’appauvrissement du débiteur ?

L’acte attaqué doit avoir entraîné un appauvrissement du débiteur (diminution de son patrimoine) et provoqué ou aggravé l’insolvabilité apparente de celui-ci : ces conditions sont cumulatives pour un créancier chirographaire (Cass. 1e civ. 6-3-2001 no 98-22.384 FS-P : RJDA 7/01 no 808 ; Cass. 3e civ. 26-11-2020 no 19-23.243 F-D : RJDA 7/21 no 513).

Toutefois l’insolvabilité n’a pas à être caractérisée lorsque la fraude affecte l’exercice d’un droit spécial dont dispose le créancier sur un bien du débiteur, par exemple, une promesse de vente (Cass. 3e civ. 6-10-2004 no 03-15.392 F-PBI) ou une hypothèque (Cass. 1e civ. 8-10-2008 no 07-14.262 F-D).

Il faut qu’en accomplissant l’acte attaqué le débiteur ait eu conscience du préjudice qu’il causait au créancier (Cass. 1e civ. 13-1-1993 no 91-11.871 P  ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 no 09-10.639 F-D  ; Cass. com. 1-7-2020 no 18-12.683 F-D ).

Enfin, pour un acte consenti à titre onéreux, le tiers cocontractant doit avoir eu connaissance de la fraude (C. civ. art. 1341-2). Une telle connaissance n’est pas requise pour un acte à titre gratuit, telle une donation (Cass. 1e civ. 15-5-2015 no 14-16.652 F-D : RJDA 8-9/15 no 601).

Bien sûr, l’action paulienne doit être rejetée dès lors que, nonobstant l’acte attaqué, le débiteur demeure en mesure de désintéresser le créancier poursuivant (Cass. com. 1-7-2020 ).

Même en cas d’acte onéreux au prix du marché

Lorsque l’acte attaqué a été consenti à titre onéreux, l’équivalence des prestations dues par l’une des parties à celui-ci exclut-elle l’action paulienne puisque a priori il n’en résulte aucun appauvrissement ? La réponse négative de la Cour de cassation ne surprend pas.

Notamment le cas quand un immeuble est remplacé par du cash ou par des parts sociales.

Certes les parts sociales peuvent être saisies par le créancier (C. exécution art. L 231-1) mais les parts sociales ont des désavantages majeurs :

  • Difficulté de négociation des parts sociales : il n’est pas aisé de trouver un acquéreur pour celles-ci
  • que la vente soit faite à l’amiable ou sur adjudication, l’acquéreur doit être agréé par les autres associés
  • la valeur des parts peut baisser en fonction de l’évolution des dettes sociales
  • risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCI : les créanciers de la société prendre des sûretés sur les actifs de celle-ci, voire les saisir

Acte litigieuxSolutionJp
Apport par une personne physique d’un immeuble à une SCI en contrepartie de quoi ’intéressé a reçu des parts de la SCI dont la valeur nominale correspondait à la valeur de l’immeublela difficulté de négocier les parts sociales et le risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCICass. com. 29-5-2024 no 22-20.308 F-B, Sté Banque CIC Sud-Ouest c/ X
des parts sociales reçues par un débiteur en contrepartie de l’apport d’un immeuble à une société civile, même si l’apport avait été fait dans des conditions financières normales,la saisie des parts n’offrait pas, pour le créancier, les mêmes garanties qu’une saisie immobilière et que, l’existence de dettes sociales amoindrissant la valeur des parts, l’apport constituait un appauvrissement du patrimoine du débiteurCass. com. 3-12-2002 no 99-18.580 F-D
la cession d’un bien, même consentie à un prix normal, contre des liquiditésa pour effet de faire échapper le bien aux poursuites du créancier du vendeur, en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender ().Cass. com. 1-3-1994 no 92-15.425 P ; Cass. com. 23-5-2000 no 96-18.055 FS-D

Conditions relatives aux personnes

Conditions tenant au tiers poursuivi (l’acquéreur)

L’action paulienne est dirigée non pas contre le débiteur auteur de la fraude, mais contre le tiers qui a bénéficié de l’acte frauduleux et qui jouit des droits relatifs au bien litigieux. Il en résulte que le fait de ne pas mettre en cause le tiers constitue une fin de non-recevoir susceptible d’être soulevée en tout état de cause (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n° 89-14.948). Ce tiers sera en général le cocontractant du débiteur, mais on ne peut exclure que le bien aliéné se trouve entre les mains d’un sous-acquéreur. Seront donc étudiées la situation du cocontractant du débiteur, puis celle du sous-acquéreur.

Situation du cocontractant du débiteur
Actes à titre onéreux : exigence de la mauvaise foi du tiers

Cette condition est explicitement posée par l’article 1341-2 du code civil.

L’action paulienne ne peut aboutir que si le demandeur parvient à démontrer que le défendeur s’est rendu complice de la fraude, ce qui revient à dire qu’il a été de mauvaise foi (Cass. req., 22 août 1882 : DP 1883, 1, p. 296Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n° 81-11.426 Cass. 1re civ., 27 juin 1984, n° 83-12.749).

Si le tiers ignorait que l’acte aggravait ou créait l’insolvabilité du débiteur, aucun reproche ne pourra lui être adressé, et l’acte qu’il a passé conservera toute son efficacité. Les intérêts du tiers contractant l’emporteront toujours sur ceux du créancier dès lors qu’il sera de bonne foi. Il serait en effet dangereux pour la sécurité des transactions de pénaliser le tiers qui n’aurait rien à se reprocher.

Par ailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que le tiers contractant devra, si l’action réussit, rendre ce qu’il a reçu, sans pouvoir répéter la valeur qu’il a fournie au débiteur, par hypothèse insolvable.

La question se pose alors de savoir quelle est l’intensité de l’exigence de complicité qui est exigée par les tribunaux. Il convient de considérer que la définition de la complicité répond aux mêmes critères que celle de la fraude elle-même. Admettre le contraire serait inconvenant. Il peut ainsi exister un complot ou un concert frauduleux entre le débiteur et son cocontractant, comme en attestent certains exemples tirés de la jurisprudence [(Cass. 1re civ., 7 oct. 1980, n° 79-12.462 Cass. 3e civ., 15 nov. 1977, n° 76-11.202), à propos de la constitution d’une hypothèque]. Mais, en tout état de cause, la seule connaissance par le tiers du préjudice causé au créancier par l’acte auquel il souscrit doit être jugée suffisante (Cass. civ., 30 janv. 1900 : DP 1900, 1, p. 166Cass. 1re civ., 29 mai 1985, n° 83-17.329).

Ainsi, a été considéré comme complice de la fraude du débiteur son beau-frère au courant de ses difficultés financières (Cass. 3e civ., 23 avr. 1971, n° 70-10.951).

Mais il ne suffit pas en principe que le tiers ait connaissance de l’existence de dettes pesant sur son cocontractant, dès lors qu’il ignore tout du montant de ces dettes et des difficultés relatives à leurs règlements. Il a été jugé que n’est pas complice d’une fraude le tiers qui obtient la constitution d’une sûreté à son profit, hypothèque ou nantissement, en sachant que ce faisant, il contribuait à créer à son profit une situation privilégiée (CA Dijon, 19 déc. 1897 : DP 1900, 1, p. 166). Il l’est, en revanche, s’il a conscience de s’associer à un acte qui accroît l’insolvabilité du débiteur ou qui réduit les chances des créanciers de celui-ci d’obtenir satisfaction (Cass. 3e civ., 15 nov. 1977, n° 76-11.202). On ne saurait occulter le fait que la ligne de démarcation entre ces deux situations peut être très ténue.

La preuve de cette complicité, comme celle de la fraude du débiteur, peut être faite par tous moyens, qui sont souverainement appréciés par les juges du fond (Cass. 1re civ., 16 mai 1979, n° 78-10.585).

Les tribunaux peuvent ainsi prendre en considération :

  1. les liens de parenté ou d’amitié,
  2. la faiblesse du prix
  3. ou l’inexécution de l’acte.

Actes à titre gratuit : indifférence à la mauvaise foi du tiers

L’exigence de la mauvaise foi du tiers bénéficiaire d’un acte à titre gratuit n’est pas une condition de l’exercice de l’action paulienne (Cass. com., 24 janv. 2006, n° 02-15.295 Cass. 1re civ., 23 avr. 1981, n° 80-10.873 Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-11.124, n° 927 P). Cette solution est, depuis le 1er octobre 2016, implicitement consacrée par l’article 1341-2 du code civil, tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui exige la fraude uniquement pour les actes à titre onéreux. La fraude est seulement nécessaire dans ce cas dans la personne du donateur. La solution se justifie par l’idée que si la remise en cause de la libéralité prive le bénéficiaire d’un gain qu’il pouvait croire définitivement acquis, il ne subit pas à proprement parler une perte, à la différence du créancier agissant. Les acquéreurs à titre gratuit n’ont en effet fourni aucune contrepartie, contrairement à ceux qui ont traité à titre onéreux. Ils manquent simplement l’occasion de s’enrichir.

Cas des obligations naturelles

Comme on le voit, la dualité des solutions retenues est le fruit d’un compromis. On s’était demandé comment il convenait de raisonner à propos de la constitution de dot, c’est-à-dire s’il fallait raisonner comme pour les actes à titre onéreux ou à titre gratuit. La jurisprudence traitait traditionnellement cette institution comme un acte à titre onéreux (Cass. civ., 18 janv. 1887 : S. 1887, 1, p. 97, note Labbé). Mais en raison de sa disparition, la question est aujourd’hui sans intérêt. En revanche un débat du même type persiste à propos de l’exécution des obligations naturelles. Il ne semble pas que la Cour de cassation se soit déjà penchée sur cette difficulté. La tendance dominante dans la doctrine est plutôt de considérer qu’il s’agirait d’une libéralité, ce qui rendrait l’acte plus aisément attaquable (C. Colombet, De la règle que l’action paulienne n’est pas reçue contre les paiements, RTD civ. 1965, p. 5, spéc. p. 15 et s.).

Charge de la preuve de l’insolvabilité ou de la solvabilité du débiteur

La Cour de cassation fait application de ces principes, y compris ceux relatifs à la charge de la preuve (Cass. 1e civ. 5-7-2005 no 02-18.722 F-PB : RJDA 2/06 no 188 ; Cass. 1e civ. 10-4-2013 no 12-11.788 F-D : RJDA 11/13 no 937 ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 no 09-10.639 F-D : RJDA 7/10 no 782).

En effet, si c’est au créancier exerçant l’action paulienne d’établir l’insolvabilité apparente du débiteur, c’est à ce dernier qu’il appartient de prouver qu’il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l’engagement.

D’une part, l’insolvabilité apparente du débiteur résultait des éléments suivants : la créance de l’administration des douanes était fondée en son principe à la date de la donation-partage, puisque la condamnation pénale du débiteur avait déjà été confirmée une première fois par une cour d’appel ; la dette en cause était importante ; l’acte de donation, portant sur une somme à partager de 1 260 000 € et intervenu trois mois après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel, avait nécessairement appauvri le débiteur en soustrayant certains éléments de son patrimoine et avait été consenti afin de porter atteinte au droit de créance de l’administration des douanes ; la donation étant un acte à titre gratuit, la preuve de la fraude de ses bénéficiaires n’était pas exigée.

D’autre part, le débiteur n’avait pas soutenu qu’il aurait disposé d’un patrimoine suffisant pour faire face à sa dette.

Cass. com. 10-5-2024 no 22-15.257 F-D, X c/ Administration des douanes et droits indirects

Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836 : le demandeur à l’action paulienne n’a pas à apporter la preuve de l’insolvabilité du débiteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *