Expertise judiciaire, privée, de partie ou amiable : quelle différence ?

Lorsqu’un litige nécessite l’intervention d’un expert pour éclairer le juge sur des questions techniques, il existe plusieurs types d’expertise possibles.

Cet article vous explique la différence entre l’expertise judiciaire, expertise privée, expertise de partie, et l’expertise amiable.

Comment choisir l’expertise la plus adaptée à votre situation ?

Qu’est ce qu’une expertise ?

Pour rapporter la preuve d’une situation de fait, le système juridique offre aux personnes de nombreux instruments, réglementés par les divers codes et lois de fond et par les lois de procédure si la preuve est apportée en justice.

L’expertise peut être définie comme un processus diligenté par un technicien qui donne son avis sur une question de fait (évaluation d’un dommage ou d’un bien, origine de désordres). 

Il existe trois catégories d’expertises :

  1. l’expertise judiciaire, mesure d’instruction ordonnée par le juge pour l’éclairer sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien (CPC, art. 232),
  2. l’expertise non judiciaire réalisée à la demande d’une des parties. Cette dernière est diversement dénommée : expertise privée, expertise unilatérale, expertise de partie, expertise officieuse, parfois expertise d’assurance
  3. Expertise amiable : l’expertise réalisée à la demande de toutes les parties.

L’expertise amiable n’est pas une expertise privée ou officieuse

Il existe chez plusieurs auteurs (par exemple Expertise – Expertise amiable : vous avez dit « amiable » ? – Focus par Natalie FRICERO) une volonté d’assimiler l’expertise amiable à l’expertise privée, sans que l’on comprenne vraiment l’intérêt ni la pertinence d’une telle position, surtout au regard de la promotion de l’amiable portée par de fantastiques juges comme M. Fabrice VERT

  • L’expertise officieuse est celle qui est diligentée par un technicien à la demande d’une personne ou d’un organisme privé. Elle est souvent nommée, ce qui crée parfois de la confusion, expertise amiable, alors que cette dernière est tout à fait différente en ce qu’elle procède non d’une volonté unilatérale, mais de l’accord des parties
  • L’expertise amiable, à la différence de l’expertise officieuse, est une expertise organisée d’un commun accord par les parties. 

Il faut bien faire la différence entre l’expertise unilatérale, parfois appelée amiable non-contradictoire, et l’expertise amiable : dans la première, elle est portée et obtenue par une des parties pour obtenir une preuve contre l’autre. Même si elle peut être contradictoire dans son déroulement postérieur à son commencement (désignation), l’expert non désigné de manière judiciaire reste de manière partiale mandaté par une des parties. Il s’agit pour nous d’une expertise privée ou uniltérale.

En revanche, l’expertiser amiable est réalisée à la demande des deux parties et généralement son expert est payé par les deux parties. L’expert est parfaitement indépendant, comme l’est un expert nommé par le juge. Cette expertise amiable doit à mon sens ne pas être mélangée avec les expertises unilatérales, fussent-elles contradictoires. Son régime juridique doit également être différent et son efficacité semblable à celle du rapport d’expertise judiciaire.

Enfin, même si l’expert amiable est payé par une seule partie, on comprend mal comment cela pourrait remettre en cause son indépendance : l’expert judiciaire n’est-il pas lui aussi payé par une seule partie, la partie demanderesse à l’expertise ? A ceux qui opposent que le demandeur à l’expertise judiciaire ne choisit pas son expert judiciaire, c’est mal connaitre la pratique bien ancrée des juges des référés qui, au vu de la difficulté à trouver des experts compétents dans le domaine visé ET disponibles, demandent dorénavant à la partie demanderesse de lui communiquer un ou plusieurs noms d’experts pour faciliter le travail du greffe et éviter qu’un expert non coméptent ou non disponible soit nommé, ce qui entrainera des délais pour le faire remplacer.

Qu’est-ce qu’une expertise judiciaire ?

L’expertise judiciaire est ordonnée par le juge à la demande des parties ou d’office. L’expert est choisi sur une liste officielle et doit respecter les règles de procédure civile. Son rapport est remis au juge et aux parties et a une valeur probante importante. L’expertise judiciaire est confiée à un technicien soumis à des règles déontologiques, dont l’obligation d’impartialité, et fait l’objet d’un strict encadrement procédural.

Une expertise judiciaire est une mesure d’instruction ordonnée par le juge, à la demande d’une ou plusieurs parties ou d’office, afin de recueillir l’avis d’un expert sur des faits ou des questions relevant de sa compétence. L’expert est désigné par le juge parmi les personnes inscrites sur une liste officielle ou, à titre exceptionnel, en dehors de cette liste. L’expert doit être impartial, indépendant et compétent. Il doit respecter les règles déontologiques de sa profession et les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense. Il doit remettre au juge un rapport écrit qui expose ses constatations, ses analyses et ses conclusions. Le rapport a une valeur probante mais n’est pas contraignant pour le juge, qui reste libre d’en apprécier la pertinence et la crédibilité. L’expertise judiciaire est soumise au contrôle du juge et des parties, qui peuvent formuler des observations ou des demandes d’explications à tout moment de la procédure. L’expertise judiciaire est rémunérée par les parties, selon les modalités fixées par le juge (article 232 et suivants du code de procédure civile).

Pour obtenir une expertise judiciaire, il faut démontrer l’existence du motif légitime.

Il est recommandé de produire une expertise amiable contradictoire et la preuve de démarches amiables avant de solliciter une expertise judiciaire.

Qu’est-ce qu’une expertise privée ou expertise unilatérale ou expertise de partie ou expertise officieuse ?

Les termes d’expertise privée, expertise unilatérale et expertise de partie désignent la même expertise, ce sont des synonymes.

Un rapport d’expertise unilatéral est un rapport non judiciaire et non contradictoire, réalisé à la demande d’une partie en amont ou au cours du procès.

L’expertise de partie est effectuée par un expert mandaté par une seule partie au litige. L’expert n’est pas tenu de respecter le principe du contradictoire et son rapport n’a pas la même valeur probante que le rapport de l’expert judiciaire. L’expertise privée est réalisée hors de tout cadre juridique par un technicien mandaté, rémunéré par une partie et dont le contenu de la mission est défini par celle-ci.

Le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur une expertise non-contradictoire réalisée à la demande de l’une des parties. (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710 Cass. 1″ civ., 24 avr. 2013, n° 12-15.246)

Après avoir posé le principe que « le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire», la Haute assemblée précise qu’il « ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties ».

La Cour de cassation, au visa de l’article 9 du Code de procédure civile et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a confirmé que « le juge ne peut se fonder exclusivement sur des rapports établis de manière non contradictoire, peu important que ces rapports aient été soumis à la libre discussion des parties » (Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-28.205).

Ainsi, sans aller jusqu’à écarter des débats l’expertise non contradictoire, l’expertise privée ne peut être retenue que si d’autres indices la confortent.

Une expertise de partie est une mesure d’instruction réalisée à l’initiative d’une partie au litige, sans intervention du juge, afin de recueillir l’avis d’un expert sur des questions techniques. L’expert est choisi librement par la partie qui le mandate. Il n’est pas tenu aux mêmes obligations que l’expert judiciaire en matière d’impartialité, d’indépendance et de respect du contradictoire. Il doit néanmoins respecter les règles déontologiques de sa profession et les principes généraux du droit. Il doit remettre à son mandant un rapport écrit qui expose ses constatations, ses analyses et ses conclusions. Le rapport peut être utilisé comme un élément de preuve par la partie qui le produit devant le juge. L’expertise de partie est entièrement financée par la partie qui la sollicite.

Si le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions et qu’il apprécie souverainement l’objectivité du rapport de l’expert, un rapport d’expertise extra-judiciaire régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties constitue un mode de preuve admissible. (CA Montpellier, 5e ch. civ., 11 avr. 2023, n° 19/07831)

La première chambre civile a jugé à plusieurs reprises, au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, que « tout rapport amiable peut valoir, à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties » (Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 01-10.739 : JurisData n° 2002-015548 ; Bull. civ. 2002, I, n° 220. – Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n° 01-01.1430. – Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 08-21.743 : JurisData n° 2010-051368), formule reprise par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui sanctionne le juge qui refuse d’examiner un rapport d’expertise amiable soumis au débat contradictoire (Cass. 2e civ., 18 juin 2009, n° 08-12.671 : JurisData n° 2009-048800. – Cass. 2e civ., 12 févr. 2004, n° 02-15.460 : JurisData n° 2004-022417), reprise également par la troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 10-26.653 : JurisData n° 2012-003303. – Cass. 3e civ., 13 janv. 2009, n° 07-21.521 : JurisData n° 2009-046601. – Cass. 3e civ., 17 janv. 2012, n° 11-10.863) et par la chambre commerciale (Cass. com., 17 mai 1993, n° 92-13.542). La reconnaissance par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 2012 (Cass. 1re civ., 5 avr. 2012, n° 11-14.177 : JurisData n° 2012-006418 ; Bull. civ. 2012, I, n° 85) d’un véritable « droit à la preuve » sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne et de l’article 9 du Code de procédure civile peut également justifier cette recevabilité. « Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » : si une preuve « déloyale » peut être admise, a fortiori, une expertise non judiciaire doit l’être !

L’administration judiciaire contradictoire de l’expertise amiable non contradictoire. – Si un rapport amiable est utilisé dans un procès, les principes directeurs s’imposent, et, notamment, l’obligation de communiquer les preuves en temps utile et de les soumettre à un débat contradictoire. Au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation admet que tout « rapport amiable peut valoir à titre de preuve, dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties » (expertise amiable d’une automobile, ou pour évaluer un préjudice : Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 01-10.739, préc. – Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n° 01-01.430, préc.), quel que soit le contentieux, assurance, immobilier, commercial. Le juge ne peut pas refuser d’examiner une pièce dont la communication est régulière et qui est soumise à une discussion contradictoire, au motif qu’elle n’a pas été rédigée de manière contradictoire (Cass. 2e civ., 18 juin 2009, n° 08-12.671, préc.), même si la partie s’appuie sur ce rapport d’expertise amiable pour contester le rapport d’expertise judiciaire (Cass. 3e civ., 13 janv. 2009, n° 07-21.521, préc. – Cass. 3e civ., 17 janv. 2012, n° 11-10.863, préc. – Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 10-26.653, préc.).

L’expertise amiable non contradictoire ne peut plus être la seule preuve. – La chambre mixte de la Cour de cassation, le 28 septembre 2012 (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710 : JurisData n° 2012-022400), a jugé que « si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties ». Une expertise amiable ne peut donc pas constituer la seule preuve sur laquelle se fonde le jugement (V. déjà F. Bérenger, Le juge ne peut déplafonner un loyer en se fondant exclusivement sur une expertise non contradictoire : Ann. loyers 2010, p. 802).

L’expertise amiable

L’expertise amiable « est une expertise extra-judiciaire diligentée, à la demande conjointe des parties concernées, en vertu d’une clause contractuelle ou d’un accord, soit par un expert désigné d’un choix commun, soit par deux experts choisis respectivement par chaque partie» (CA Montpellier, 5e ch. civ., 11 avr. 2023, n° 19/07831)

L’expertise amiable est réalisée par un expert commun aux parties qui cherchent à résoudre leur litige à l’amiable. L’expert doit respecter le principe du contradictoire.

L’expertise amiable, qui suppose un accord entre les parties, est très rare. Elle doit néanmoins être encouragée puisqu’elle est moins couteuse et plus rapide.

Lorsque l’ expertise amiable est contradictoire, c’est-à-dire que toutes les parties ont été convoquées aux opérations d’ expertise amiable et y ont participé, la troisième Chambre civile considère que les conclusions de cette expertise peuvent être admises comme preuve exclusive de la responsabilité et des dommages  Cass. 3e civ., 29 oct. 2003, n° 01-11004.

Les conclusions d’une expertise amiable contradictoire réalisée à la demande d’une partie peuvent être remises en cause par l’autre partie lorsqu’elle dispose d’éléments venant les contredire, et le juge ne peut pas passer outre leur examen en accordant une valeur probatoire plus élevée aux conclusions du rapport qu’aux éléments venant les contester. La Cour de renvoi devra donc examiner les éléments de preuve de l’incapacité de travail de l’assuré fournis par l’assuré qui conteste les conclusions de l’ expertise amiable contradictoire sur laquelle se base l’assureur. Cass. 2e civ., 25 mai 2022, n° 21-12081, F-D

hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci (Civ. 3e, 14 mai 2020, nos 19-16.278  et 19-16.278 , D. 2020. 1113 ).

Si l’expertise a été réalisée, non d’un commun accord, mais à l’initiative d’une seule partie, elle ne peut servir de fondement exclusif de la décision, quand bien même l’autre partie y a-t-elle été convoquée (Civ. 1re, 26 juin 2019, no 18-12.226 , RTD com. 2019. 750, obs. Bouloc ) ou y a assisté (Civ. 2e, 19 mars 2020, no 19-12.254 ). En effet, il ne s’agit plus dans ce cas d’une expertise amiable, convenue entre parties, mais d’une expertise officieuse.

L’expertise participative

L’expertise décidée par acte contresigné d’avocats présente la même valeur probante que l’expertise judiciaire (article 1554 du CPC).

Comment choisir entre une expertise judiciaire et une expertise de partie ?

Le choix entre une expertise judiciaire et une expertise de partie dépend des objectifs et des contraintes de chaque partie au litige. Voici quelques critères à prendre en compte :

  • Le coût : une expertise judiciaire est généralement plus coûteuse et plus longue qu’une expertise de partie, car elle implique des frais de justice et une répartition des honoraires entre les parties selon leur responsabilité dans le litige. Une expertise de partie permet à la partie qui la sollicite de maîtriser son budget et de négocier directement avec l’expert. Cependant, une expertise de partie peut n’être qu’un simple préalable à une expertise judiciaire : il faut donc payer deux expertises.
  • Le délai : une expertise judiciaire est habituellement plus longue qu’une expertise de partie, car elle suit le rythme de la procédure judiciaire et peut être soumise à des incidents ou des recours. Une expertise de partie permet à la partie qui la sollicite d’obtenir rapidement un avis technique sur son dossier.
  • La force probante : une expertise judiciaire a une force probante supérieure à celle d’une expertise de partie, car elle est réalisée sous le contrôle du juge et dans le respect du contradictoire. Elle peut donc emporter la conviction du juge et des autres parties. Une expertise de partie a une force probante limitée, car elle est réalisée à l’initiative d’une seule partie et peut être contestée par les autres parties ou par le juge.
  • La stratégie : une expertise peut être utile pour faire valoir ses droits devant le juge ou pour tenter une conciliation avec les autres parties sur la base d’un avis technique.

Doit-on écarter des débats un rapport d’expertise unilatéral ?

Un rapport d’expertise unilatéral est un rapport non judiciaire et non contradictoire, réalisé à la demande d’une partie en amont ou au cours du procès. Il se distingue de l’expertise amiable « qui est une expertise extra-judiciaire diligentée, à la demande conjointe des parties concernées, en vertu d’une clause contractuelle ou d’un accord, soit par un expert désigné d’un choix commun, soit par deux experts choisis respectivement par chaque partie » (Cass. 2e civ., 26 févr. 1997, n° 94-15.918). L’expertise reste unilatérale, même si elle est improprement qualifiée d’amiable dès lors que le contenu de la mission a été défini indépendamment des parties au litige ou que celles-ci ont été invitées à y participer.

De nombreux arrêts accordaient une valeur probante à ces expertises dès lors qu’elles sont soumises à la libre discussion des parties (Cass. 1re civ., 18 juin 2009, n° 08-12.671 ; Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 08-21.743 ; Cass. 3e civ., 13 janv. 2009, n° 07-21.521). La question se posait néanmoins de savoir si le juge pouvait fonder exclusivement sa décision sur ce moyen de preuve.

Mettant fin à des hésitations jurisprudentielles, la chambre mixte de la Cour de cassation, par un arrêt de principe du 28 septembre 2012 (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710, Procédures nov. 2012, n° 11, note Perrot), énonce que le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties.

Après avoir posé le principe que « le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire », la Haute assemblée précise qu’« il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » (Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-24.305). Ainsi, sans aller jusqu’à écarter des débats l’expertise non contradictoire, celle-ci ne peut être retenue que si d’autres éléments de preuve la confortent, même si les autres parties ne formulent pas de critiques (Cass. 2e civ., 16 oct. 2008, n° 07-18.865, à propos de l’évaluation par un rapport d’expertise d’assurance d’une motocyclette accidentée).

Cet arrêt est important, pas seulement par ses conséquences juridiques, mais aussi par la présomption qu’il accorde à l’expertise judiciaire confiée à un technicien soumis à des règles déontologiques, dont l’obligation d’impartialité, et faisant l’objet d’un strict encadrement procédural. Tel n’est pas le cas de l’expertise privée ou réalisée hors de tout cadre juridique par un technicien mandaté, rémunéré par une partie et dont le contenu de la mission est défini par celle-ci.

En ce qui concerne les éléments de preuve susceptibles de corroborer l’expertise non contradictoire, il a été jugé que l’évaluation d’un préjudice ne peut être subordonnée à la seule production d’une facture corroborant celle résultant d’une expertise de partie (Cass. 3e civ., 30 juin 2015, n° 13-11.423). Mais, à la suite du refus de statuer ou de rejeter une demande d’autorisation de complément d’expertise, la Haute juridiction approuve une cour d’appel d’avoir retenu en l’état l’avis technique de l’expert privé missionné par le demandeur, en l’absence de tout autre élément corroboré par les deux documents (Cass. 2e civ., 4 avr. 2019, n°s 17-19.652 et 17-24.822).

Ce principe doit cependant être nuancé lorsque les parties ont entièrement assisté aux opérations des experts qu’elles avaient missionnés dans un cadre amiable (Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-28.205 ; Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-20.099 ; Cass. 3e civ., 14 mai 2020, n° 19-16.279 ; Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 19-13.755, JurisData n° 2020-015871).

En pratique, lorsqu’un rapport non contradictoire, judiciaire ou non, ne constitue pas un élément de preuve admissible exclusif, il ne peut être écarté des débats et doit être examiné par le juge dès lors que les parties ont pu faire valoir leur point de vue.

Rapport d’expertise amiable ou unilatéral mais contradictoire : quelle valeur probante ?

Lorsqu’un litige oppose deux parties sur les causes et les conséquences d’un dommage, il est fréquent qu’elles fassent appel à des experts pour évaluer la situation.

Mais que se passe-t-il lorsque l’une des parties produit un rapport d’expertise rédigé unilatéralement, mais établi contradictoirement avec l’autre partie ?

Quelle est la force probante de ce document devant le juge ?

C’est la question à laquelle la Cour de cassation a répondu dans un arrêt du 14 juin 2023 (Cass. 1re civ., 14 juin 2023, n° 21-24.996) aboutissant à un renforcement de la force probante d’une expertise non-judiciaire:

« Dès lors que la cour d’appel s’est fondée non seulement sur le rapport de l’expert missionné par monsieur Z mais aussi sur des pièces établissant qu’une expertise dont les conclusions étaient convergentes avait également été réalisée à la demande de la société Groupama, même si celle-ci s’était abstenue de la produire, le moyen manque en fait. » 

Cass. 1re civ., 14 juin 2023, n° 21-24.996

Le principe : le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties

Le code de procédure civile dispose, en son article 16 qu’il “ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement“.

Il en résulte que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci. En effet, une telle expertise ne présente pas les garanties d’impartialité et d’objectivité requises pour être admise comme moyen de preuve.

C’est ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, notamment :

  • Cass. 1e civ. 6 juillet 2022, 21-12.545, F-D : “le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de celles-ci” (Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 mai 2020, 19-16.278 19-16.279,)
  • Cass. Chambre mixte, 28 septembre 2012, 11-18.710, P+B+R+I : “le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, même si elle a été effectuée contradictoirement”

L’exception : le juge peut se fonder sur un rapport d’expertise unilatéral mais contradictoire s’il est corroboré par d’autres éléments

Toutefois, le juge peut se fonder sur un rapport d’expertise rédigé unilatéralement par l’expert mandaté par l’une des parties, si ce rapport a été établi contradictoirement avec l’autre partie et s’il est corroboré par d’autres éléments convergents, produits ou non par les parties.

En effet, dans ce cas, le rapport d’expertise n’est pas le seul fondement de la décision de justice, mais il est renforcé par des pièces ou des témoignages qui confirment ses conclusions.

C’est ce qu’a admis la Cour de cassation dans plusieurs arrêts récents, notamment :

  • Cass. 1e civ., 14 juin 2023, 21-24.996, F-D : “la cour d’appel s’est fondée non seulement sur le rapport de l’expert missionné par M. [Z] mais aussi sur des pièces établissant qu’une expertise dont les conclusions étaient convergentes avait également été réalisée à la demande de la société G., même si celle-ci s’était abstenue de la produire”
  • Cass. 1e civ., 23 juin 2021, 19-23.614, FS-B : “le juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport d’expertise établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire”
  • Cass. 3e civ., 26 mars 2020, 18-25.939, F-D : “ces éléments avaient été soumis à la libre discussion des parties, la cour d’appel (…) a pu, sans méconnaître les exigences du procès équitable, se fonder sur le rapport d’expertise établi contradictoirement par l’expert mandaté par une compagnie d’assurance et corroboré par un plan (…) dont elle a apprécié souverainement la valeur et la portée”

Si le rapport n’a pas été contradictoire, la sanction diffère selon sa nature : la nullité du rapport lorsque l’expertise est judiciaire et son inopposabilité en cas d’expertise amiable.

La portée : une solution plus réaliste et pratique

Cette solution permet de prendre en compte la réalité d’une expertise contradictoire, qui implique que les parties aient pu faire valoir leurs arguments et leurs objections devant l’expert, et de renforcer la force probante d’un document factuel et technique, qui reflète les causes et les circonstances du dommage. Elle évite ainsi de restreindre inutilement la valeur probante d’un rapport d’expertise unilatéral mais contradictoire, qui ne diffère pas fondamentalement d’un procès-verbal d’expertise amiable contradictoire.

Elle s’inscrit également dans la lignée de la recommandation n° 28 du rapport de l’Inspection Générale de la Justice décembre 2021 n° 127-21, qui préconise de “rendre opposable aux parties une expertise amiable versée aux débats et contradictoirement débattue”. En effet, cette recommandation vise à favoriser le recours à l’expertise amiable, qui présente des avantages en termes de rapidité, de coût et de qualité, et à lui conférer une force probante suffisante pour éviter les contestations devant le juge.

Conclusion

En conclusion, le rapport d’expertise rédigé unilatéralement mais établi contradictoirement n’est pas dénué de valeur probante devant le juge, à condition qu’il soit corroboré par d’autres éléments convergents, produits ou non par les parties. Cette solution permet de prendre en compte la réalité d’une expertise contradictoire et de renforcer la force probante d’un document factuel et technique. Elle s’inscrit également dans la lignée de la recommandation de l’Inspection Générale de la Justice qui préconise de rendre opposable aux parties une expertise amiable versée aux débats et contradictoirement débattue.

Le juge peut sans violer les règles de preuve puiser des éléments de conviction dans le rapport d’un expert amiable. Si le rapport de l’expert amiable n’est pas opposable, il peut toujours être pris en considération par le Juge avec d’autres éléments de preuves.

C’est d’ailleurs le pendant du principe selon lequel le Juge n’est jamais tenu de suivre les conclusions techniques de l’expert. Le pouvoir souverain des juges du fond est grand.

Tableau récapitulatif synthétique

Rapport d’expertise unilatéral mais contradictoireValeur probante
PrincipeLe juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties
ExceptionLe juge peut se fonder sur un rapport d’expertise unilatéral mais contradictoire s’il est corroboré par d’autres éléments convergents
PortéeUne solution plus réaliste et conforme à la recommandation de l’Inspection Générale de la Justice

Expertise judiciaireExpertise de partie
Ordre du jugeInitiative d’une partie
Expert impartial et indépendantExpert choisi librement
Rapport très probantRapport moins probant
Contrôle du juge et des partiesPas de contrôle du juge ni des parties
Délai longDélai court
Frais avancés d’une partie mais remboursables intégralement en cas de victoireFrais avancés d’une partie mais remboursés partiellement dans l’article 700 du code de procédure civile

Conclusion

L’expertise judiciaire et l’expertise de partie sont deux modes d’expertise différents qui présentent chacun des avantages et des inconvénients selon les cas. Il n’existe pas de réponse unique à la question de savoir comment choisir entre ces deux types d’expertise. Il convient donc d’évaluer les besoins et les intérêts de chaque partie au litige en fonction des critères exposés ci-dessus.

Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur l’expertise judiciaire ou l’expertise de partie, n’hésitez pas à me contacter.

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