Le mandataire apparent : comment faire échapper au paiement la société ?

Le mandat apparent est une création jurisprudentielle fondée sur la théorie de l’apparence désormais consacrée à l’article 1156 du Code civil.

Fondement juridique : l’article 1156 du code civil

Article 1156 du code civil :

“L’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité.
L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié.”

Explications

L’article 1156 du code civil précise que la croyance légitime du tiers en la réalité des pouvoirs du représentant peut notamment résulter du comportement ou des déclarations du représenté. Ces éléments d’appréciation n’étant pas limitatifs, les juges demeurent libres de prendre en considération le comportement de celui qui se fait passer pour un mandataire ou le comportement du tiers.

Même si les fonctions d’un dirigeant sont soumises à une publicité légale, accessible en consultant le K bis, cela ne suffit pas à exclure que la société puisse être engagée sur le fondement d’un mandat apparent (Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.704 : Elnet, 22 avr. 2022, K. Rodriguez).

Le mandat apparent s’applique aux personnes morales malgré les règles de publicité légale entourant la nomination et la cessation de fonctions de leurs représentants légaux. Ce principe vaut pour toute forme de société peu important, par ailleurs, que le cocontractant lésé soit présumé avoir connaissance des modalités légales de représentation de la société du fait qu’il en est une lui-même.

Le cas de l’ancien dirigeant

Toutefois, la reconnaissance d’un mandat apparent ne peut être retenue pour les actes passés par un ancien dirigeant dont la cessation des fonctions a été régulièrement publiée avant la conclusion de ces actes (Cass. com. 4-5-1993 no 91-14.616 P).

Les conditions du mandat apparent : le tiers est-il autorisé à ne pas vérifier le pouvoir et à se dispenser de vérifications ?

Pour déterminer s’il y a mandat apparent, il faut que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime ; cette croyance est légitime si les circonstances autorisent le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.

Les juges du fond apprécient la croyance légitime en fonction d’un faisceau d’indices résultant de la combinaison de circonstances objectives et subjectives.

L’existence de circonstances autorisant le tiers à se dispenser de la vérification des pouvoirs est appréciée souverainement par les juges. Si la jurisprudence peut ponctuellement faire preuve de souplesse dans cette appréciation, notamment lorsque le tampon de la société est utilisé pour signer un contrat habituel de faible montant (Com. 14 mars 2006, n° 04-10.718), la tendance est plutôt à la sévérité (Cass. com., 26 nov. 1996, n° 94-19.171 ; Cass. com., 19 janv. 2016, n° 14-11.604).

Cette technique du faisceau d’indices rend difficile d’isoler les circonstances qui, en elles-mêmes, suffiraient à justifier la solution et laisse libre cours à l’imaginaire du juge.

Les circonstances objectives

S’agissant des circonstances objectives, elles résultent d’abord de l’acte lui-même. Le juge doit s’attacher à l’acte écrit pour déceler si, effectivement, le tiers a déclaré agir au nom d’autrui, ou donné à croire qu’il agissait ainsi et, par là même, a suscité la croyance du tiers : notamment, emploi de la formule « pour ordre » (Cass. 1e civ. 13-6-1967 : Bull. civ. I no 211) ou utilisation du papier à en-tête du mandant par le mandataire apparent (Cass. com. 2-10-1979 no 77-16.010 : Bull. civ. IV no 243 ; Cass. 1e civ. 6-3-1996 no 94-14.156 D).

La durée des relations d’affaires est également prise en compte (Cass. com. 15-3-1984 no 82-15.081 : Bull. civ. IV no 106).

Enfin, le juge apprécie si l’acte, de par sa nature, sa gravité ou son urgence, est normal et justifiait l’absence de vérification des pouvoirs du mandataire apparent par le tiers. Ainsi, la jurisprudence apparaît moins exigeante face à un acte d’administration et plus exigeante en présence d’un acte de disposition.

Le montants

Par exemple, dans l’affaire Cass. com., 26 févr. 2025, n° 23-21.539, n° 98 F-D, les sommes en jeu atteignant à peine 3 000 euros ce qui n’a pas empêché la Cour de Cassation de rejeter la théorie de l’apparence en dépit du faible montant.

Les circonstances subjectives

Les circonstances subjectives sont celles qui tiennent à la personne du mandataire apparent ou du tiers : compétences, qualifications, emploi occupé…

Par ailleurs, la croyance légitime est retenue plus difficilement lorsque le tiers agit pour les besoins de son activité professionnelle (Cass. 1e civ. 6-4-2016 no 15-16.446 F-D : RJDA 7/16 no 533 ; Cass. 1e civ. 19-3-2008 no 05-18.911 F-D : RJDA 7/08 no 793).

Concernant les liens de famille (filiation, parenté, alliance…), est insuffisant le fait que le mandataire apparent est le gendre du mandant (Cass. 1e civ. 13-6-2018 no 15-25.569 F-D), voire qu’il est son fils (Cass. com. 12-7-1993 no 91-15.667 P : RJDA 3/94 no 293), même si, dans d’autres circonstances, le lien de filiation a été considéré comme un élément en faveur de la dispense de vérification des pouvoirs (Cass. com. 10-1-2012 no 11-11.322 F-D : RJDA 5/12 no 495).

Exemples jurisprudentiels

  • Une reconnaissance de dette signée par le compagnon d’une entrepreneuse individuelle n’engage pas cette dernière, même si elle était revêtue du tampon humide de l’entreprise et même si le couple travaillait ensemble. Une personne vire 37 500 € sur le compte de l’entreprise individuelle exploitée par la compagne de son cousin, lequel travaille au sein de l’entreprise et signe une reconnaissance de dette. Elle agit en remboursement de cette somme contre l’exploitante, en faisant valoir que son cousin était le mandataire apparent de cette dernière. Sa demande est rejetée. Une personne ne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent que si la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier ces pouvoirs. En l’espèce, le fait que le couple ait travaillé ensemble au sein de l’entreprise individuelle et qu’il ait été lié par un pacte civil de solidarité, dissous à la date de l’assignation dans des conditions très contentieuses, ne suffisait pas à justifier la légitimité de la croyance du créancier aux pouvoirs dont se prévalait son cousin. En effet, il n’était pas établi que celui-ci avait le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L 121-6 du Code de commerce et la reconnaissance de dette signée par lui en cette qualité, portant le tampon humide ainsi que les références bancaires de l’entreprise individuelle, était dépourvue de date certaine. Cass. 1e civ. 24-1-2024 no 22-17.759 F-D
  • Un contrat conclu par une assistante administrative salariée d’une SAS n’a pas engagé celle-ci, la remise du RIB et d’une ancienne facture de la société ainsi que l’apposition du tampon de la société sur plusieurs documents n’ayant pas suffi à établir l’existence d’un mandat apparent. Une employée d’une SAS, assistante administrative des ventes en période d’essai, signe au profit de la société un contrat de prestation de télécommunication. Après la résiliation du contrat par la SAS, la société prestataire assigne celle-ci au titre des factures impayées et sollicite des indemnités de résiliation. La SAS reproche à la cour d’appel de faire droit à ces demandes. Elle estime que la théorie du mandat apparent ne pouvait pas être appliquée en l’espèce. Elle observe d’abord que le cocontractant de la SAS était également une SAS et savait donc que seul le président peut, sauf délégation de pouvoir, inexistante en l’espèce, représenter la société à l’égard des tiers, de sorte qu’il aurait dû vérifier les pouvoirs de l’intéressée. Argument rejeté par la Cour de cassation : « le fait qu’une société par actions simplifiée ne soit, sauf délégation de pouvoir, représentée à l’égard des tiers que par son président n’est pas de nature à priver le tiers de la possibilité d’invoquer l’existence d’un mandat apparent ». La SAS fait ensuite valoir que la signature d’une autorisation de prélèvement, la communication d’un RIB et d’une ancienne facture au nom de la SAS et l’apposition d’un tampon humide de la société sur les documents présentés n’étaient pas de nature à caractériser les circonstances autorisant à dispenser le cocontractant de toute vérification des pouvoirs. La Cour de cassation valide cet argument, après avoir rappelé que, selon l’article 1985 du code civil, « une personne ne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent que lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ». Faute d’avoir été régulièrement engagée et en l’absence de mandat apparent, la SAS est dispensée d’acquitter les factures litigieuses. Cass. com., 26 févr. 2025, n° 23-21.539, n° 98 F-D

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