Fraude fiscale et blanchiment : comment s’en sortir ?

La fraude fiscale est un sujet aussi sensible que complexe. Entre les erreurs involontaires et les manœuvres délibérées d’évasion, la frontière est parfois floue. Pourtant, les conséquences peuvent être lourdes : redressements, sanctions pénales, voire peines de prison. 📉

Mais qu’est-ce que la fraude fiscale au sens du droit français ? Quels sont les risques encourus et comment l’administration fiscale la détecte-t-elle ? Cet article vous explique tout, en s’appuyant sur la législation en vigueur et la jurisprudence récente.

La fraude fiscale est une infraction de droit pénal des affaires

Droit pénal des affaires / Infractions pénales économiques et financières (ECOFI): tout comprendre

Comment l’enquete pour fraude fiscale démarre-t-elle ?

Une enquête pour fraude fiscale peut être ouverte dans trois hypothèses (art. L. 228 LPF) :

  1. À la suite d’un contrôle fiscal, lorsque l’administration constate des manquements graves (40 %/80 %/100 % de majorations) et qu’elle doit dénoncer les faits au procureur ;
  2. Par dénonciation de l’administration au parquet, soit avec avis conforme de la CIF, soit directement en cas de fraude sophistiquée (comptes à l’étranger, faux documents, etc.) ;
  3. Par la police judiciaire fiscale (« police fiscale »), sur commission du procureur et hors de tout contrôle fiscal en cours. Cette enquête est menée par la BNRDF ou désormais par l’ONAF – qui dispose de pouvoirs judiciaires et peut procéder à des perquisitions. Elle a une finalité pénale, mais en pratique, sert souvent à alimenter un contrôle fiscal ultérieur.

Cumul des poursuites administratives et pénales

Fondements constitutionnels et jurisprudentiels

  • Décision du Conseil constitutionnel du 30 mars 2016 : reconnaissance de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale.
  • Cour de cassation : nécessité d’une fraude « grave » pour permettre des poursuites pénales en complément des poursuites fiscales.

Conventionnalité du cumul

La possibilité de cumuler des poursuites fiscales et pénales a été jugée compatible avec les exigences conventionnelles, sous réserve du respect du principe de proportionnalité.

Compétence des parquets

  • Parquet national financier (PNF) : compétent pour les fraudes complexes.
  • Parquets locaux : compétents pour les fraudes de moindre ampleur.

Conditions préalables à l’action pénale

  • Dénonciation par l’administration fiscale auprès du parquet.
  • Ou dépôt d’une plainte, après avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF).

Auteur de la fraude fiscale

  • Personne physique (exemple : impôt sur le revenu).
  • Personne morale et son dirigeant (exemple : TVA, impôt sur les sociétés).

Éléments constitutifs de l’infraction

  • Élément matériel : constaté par l’administration fiscale (exemple : absence de déclarations).
  • Élément moral : déduit de la connaissance notoire, par le contribuable, de ses obligations fiscales.

Infractions connexes

Le parquet peut également engager des poursuites pour des infractions liées à la fraude fiscale : travail dissimulé, blanchiment de fraude fiscale, etc.

Coopération entre autorités

Des échanges réguliers d’informations existent entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale.
Fondements : articles L. 82, L. 101 et L. 142 A du Livre des procédures fiscales ; article 40 du Code de procédure pénale.

Quel est le but de la fraude fiscale ?

Le but de la fraude fiscale est de réduire indûment la charge fiscale (Faire des économies d’impôt).

Les sommes éludées peuvent ensuite être utilisées :

  • soit pour financer les besoins personnels du dirigeant,
  • soit pour assurer la continuité et la survie de l’entreprise.

Quel cumul fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale ?

Toute fraude fiscale génère en principe un blanchiment, puisque les sommes éludées sont dissimulées ou réinjectées dans le circuit économique.
Cependant, lorsque la fraude fiscale et le blanchiment concernent la même période, il n’y a généralement pas de poursuites distinctes : un cumul serait sans intérêt répressif, car il s’agirait de sanctionner deux fois les mêmes faits.
En revanche, lorsque les opérations de dissimulation ou de réemploi interviennent sur une période distincte et postérieure, le blanchiment est alors considéré comme une infraction autonome, justifiant un cumul de poursuites avec la fraude fiscale initiale.

Comment se défendre ?

Les arguments en défense qui ne fonctionnent pas

Le prévenu (ou son avocat non spécialisé…) fait parfois valoir des moyens inopérants :

  • La contestation des éléments techniques apportés par le Fisc ;
  • Une absence de mauvaise volonté dans un contexte de non-paiement du comptable qui a retenu des documents ou mal fait son travail ;
  • La responsabilité du dirigeant de droit alors que le prévenu apparaît comme dirigeant de fait. La simple absence de comptabilité est un délit
La comptabilité en droit

Les arguments qui fonctionnent

Essentiellement les arguments pour obtenir la clémence du tribunal. SI le prévenu voulait contester le raisonnement et les calculs de l’administration fiscale, c’était devant le juge administratif qu’il fallait le faire !

Le positionnement du mis en cause sur les faits et son comportement ‘post-contrôle’ (régularisations…) peuvent lui être favorables.

Il faut partir du principe que le magistrat pénaliste n’a généralement aucune maîtrise du droit fiscal.

Si le raisonnement de l’administration est contesté, il convient donc d’adapter sa défense au juge : aller à l’essentiel, éviter les conclusions trop longues et la multiplication de références jurisprudentielles, et proposer un raisonnement clair et simple.

En cas d’incertitude, le magistrat aura tendance à suivre la position de l’Administration fiscale (AF).

Comment se déroule l’audience de fraude fiscale ?

À l’audience, le Fisc est présent dans la salle aux côtés du parquet. Concrètement, son rôle est double : défendre les intérêts financiers de l’État et veiller à la cohérence avec la procédure fiscale parallèle.

En pratique, l’Administration fiscale va généralement :

  • Se constituer partie civile pour demander réparation du préjudice subi. Elle évite toutefois le « doublonnage » avec la procédure fiscale (redressement, pénalités, recouvrement), sauf lorsqu’il s’agit d’une escroquerie poursuivie comme telle (par exemple escroquerie à la TVA avec fausses factures, car la fraude n’est alors pas seulement fiscale mais également pénale en tant qu’infraction autonome).
  • Demander la solidarité fiscale entre la personne morale et son dirigeant, afin que ce dernier soit condamné à payer, solidairement avec la société, les impôts éludés et les pénalités.

👉 En résumé : à l’audience de fraude fiscale, le parquet poursuit au nom de la société, le juge tranche, et le Fisc se constitue partie civile pour garantir que l’État récupère ses créances et puisse étendre la responsabilité financière aux dirigeants.

Les principales peines :

  • Emprisonnement, amende, peines complémentaires obligatoires d’affichage et de publication, interdiction de profession libérale, interdiction de gérer
  • Confiscation de biens saisis
  • Exclusion de plein droit des marchés publics

La Commission Départementale des Impôts Directs et des Taxes sur le Chiffre d’Affaires : un piège procédural ?

🔍 Un avis consultatif… mais redoutable
La Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires (CDIDTCA) intervient en cas de désaccord entre le contribuable et l’administration fiscale. Son avis est purement consultatif : il ne lie pas l’administration. Pourtant, il pèse lourdement sur la suite de la procédure.

⚖️ Le basculement de la charge de la preuve
Si la Commission se prononce en faveur de l’administration, la conséquence procédurale est majeure : la charge de la preuve se renverse. C’est alors au contribuable de démontrer que l’imposition est infondée, et non plus à l’administration de justifier son redressement. Ce simple renversement peut suffire à transformer un dossier défendable en dossier perdu.

💡 La stratégie du désistement en amont
Conscients de ce risque, certains contribuables choisissent – sur conseil de leur avocat – de se désister avant que la Commission ne statue. Ce choix peut être interprété comme un signe de faiblesse, mais c’est souvent une stratégie lucide : mieux vaut priver l’administration d’un avis favorable que d’affronter ensuite le Tribunal administratif avec la charge de la preuve sur ses épaules.

👉 En pratique, éviter la Commission permet de conserver l’initiative procédurale et de plaider son dossier devant le juge administratif sans le handicap d’un avis défavorable et d’un renversement probatoire.

Contentieux fiscal : les principaux enjeux

Dans un litige fiscal, deux grands types de contestations peuvent être soulevés :

  • La question probatoire 🔍 : Le contribuable doit apporter la preuve des dépenses ou des éléments contestés afin de les soumettre à l’appréciation du juge. L’absence de justificatifs solides peut compromettre la défense.
  • La contestation technique ou juridique ⚖️ : Elle vise à remettre en cause la régularité de la procédure, indépendamment du fond ou des éléments probatoires. Une irrégularité substantielle, notamment si elle porte atteinte aux droits de la défense, peut entraîner l’annulation de la procédure, rendant toute discussion sur le fond inutile.

Pourquoi l’administration fiscale recherche-t-elle le cumul des sanctions pénales et administratives ?

Un objectif clair : garantir le paiement par la solidarité

L’objectif principal de l’administration fiscale est simple : assurer le recouvrement des sommes dues. C’est à dire se faire payer.

Lorsqu’elle saisit le tribunal correctionnel, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du procureur de la République, son intention est d’engager la responsabilité solidaire de la personne physique pour les dettes de la personne morale. Ainsi, en cas de faillite et d’insolvabilité de la société, cette dernière ne bénéficiera pas de la protection de la procédure collective, et la personne physique devra assumer le règlement des dettes fiscales.

Pour contrer cet argument, il est essentiel de démontrer que la société a bien acquitté ses obligations fiscales et demeure in bonis.

L’opposabilité des constatations de fait : Les faits constatés par les tribunaux répressifs s’imposent au juge de l’impôt

Le principe d’opposabilité des constatations de fait

🔫 L’administration fiscale (AF) dispose d’une arme redoutable : le principe de l’opposabilité des constatations de fait établies dans un jugement pénal.

Lorsqu’un tribunal pénal statue sur une affaire de fraude fiscale, il émet des constatations de fait qui, une fois la décision définitive, deviennent opposables au prévenu… mais aussi à l’AF.

En vertu de l’autorité de la chose jugée, la décision juridictionnelle est considérée comme l’expression du droit. L’autorité de la chose jugée s’attache aux constatations de fait effectuées par la juridiction pénale et lesdites constatations s’imposent au juge de l’impôt.

Il en résulte, que le contribuable n’est pas recevable à contester devant le juge de l’impôt, l’exactitude des faits constatés par le juge pénal.

Ainsi, dans une instance en matière de fraude fiscale, une société n’est pas recevable à contester devant le juge de l’impôt, l’exactitude des faits constatés par le juge pénal dont la décision est passée en force de chose jugée, alors même que les condamnations prononcées viseraient le président-directeur général et son adjoint et non la société (CE, arrêt du 22 novembre 1972, n° 77490). De même, un contribuable ayant été déclaré coupable de fraudes fiscales pour avoir volontairement dissimulé une partie des sommes sujettes aux taxes sur le chiffre d’affaires, l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux constatations ainsi effectuées par la juridiction répressive fait obstacle à ce que l’intéressé puisse utilement soutenir devant le juge de l’impôt qu’il n’aurait commis aucune dissimulation (CE, arrêt du 7 janvier 1973, n° 85064, RJ, n°IV, p. 19).

Par ailleurs, le juge de l’impôt doit valablement tenir pour établie la matérialité des constatations effectuées par la juridiction pénale.

Lorsque, par un arrêt devenu définitif, la Cour d’appel a constaté qu’un contribuable avait perçu à l’occasion de ses ventes, des suppléments de prix non portés en recettes dans sa comptabilité, l’autorité de la chose jugée par la juridiction pénale s’attache à ladite constatation et c’est dès lors à bon droit que le tribunal administratif tenant pour établie l’existence des recettes occultes, a ordonné une expertise aux fins d’en déterminer le montant (CE, arrêt du 13 juillet 1967, n° 67559, RJ, 2e partie, p. 182).

Il en va de même en matière de contributions indirectes relevant de la compétence de la DGFiP.

Ainsi il a été jugé qu’un excédent constaté chez un fabricant de vinaigres doit être tenu pour constant au civil s’il a été reconnu exact par un jugement correctionnel passé en chose jugée (Cass. Ch., req. 19 janvier 1914).

Pourquoi c’est dangereux pour le mis en cause

Ce mécanisme offre un avantage stratégique à l’administration, qui peut ensuite s’appuyer sur ces éléments devant le juge fiscal pour verrouiller le débat.

⚖️ Le problème ? Les juges pénaux, moins familiers avec les subtilités de la procédure administrative fiscale, prennent parfois des raccourcis favorables à l’AF. Une fois devant le juge de l’impôt, l’administration brandit ces constatations pour empêcher toute discussion sur le fond.

📌 Mais il reste un levier de défense : la régularité de la procédure.
Même si le tribunal pénal a qualifié le contribuable de fraudeur, cela ne signifie pas que l’imposition a été correctement établie. Si la procédure fiscale a violé les droits du contribuable, il est toujours possible d’en demander la nullité.

Comment obtenir un sursis à statuer devant le juge pénal ?

  • La dette des sociétés a été payée, la solidarité n’a donc aucun intérêt, la personne physique ne peut pas être solidaire d’elle-même
  • Eviter la contrariété de décisions entre le juge fiscal et le juge correctionnel : Laissez la justice se faire et lui permettre de juger convenablement le prévenu
  • Taper sur l’AF en disant qu’elle a DEJA les poches pleines
  • Si une décision de première instance a déjà été rendue, préciser que l’appel est en cours et que les sommes dues par les personnes morales ont été payées

Blanchiment de fraude fiscale

Absence de nécessité de poursuite de la fraude fiscale sous-jacente pour qu’il y ait poursuite du blanchiment de fraude fiscale. En pratique, ce blanchiment est souvent poursuivi à l’occasion par exemple de la découverte de travail dissimulé par dissimulation d’activité.

L’élément matériel est apporté par l’enquête (ex: absence de déclarations fiscales+ utilisation des impôts éludés), l’élément moral va résulter de la connaissance notoire de ses obligations par le mis en cause.

Contrairement à la fraude fiscale, où le préjudice fiscal est calculé par le Fisc, en matière de blanchiment de fraude fiscale, il appartient aux parties (Parquet & Défense) de calculer le manque à gagner fiscal

Le Fisc ne sera quasi-jamais présent dans la salle d’audience ni se constituera partie civile.

Exemple : poursuite sur fraude fiscale après procédure fiscale pour la période 2019-2021, et poursuite sur blanchiment de fraude fiscale pour l période 2022-2023

Il faut évaluer précisément le préjudice : c’est là que la contestation se fait par l’avocat du prévenu.

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