Délégation des pouvoirs du représentant légal d’une personne morale gérante : ce qu’il faut savoir
Les représentants légaux d’une société peuvent déléguer à une ou plusieurs personnes de leur choix (appelées « délégataires » ou « fondés de pouvoirs ») le pouvoir d’accomplir, au nom de la société, certains actes déterminés, notamment en matière de direction technique, administrative, comptable ou financière.
Les deux grandes catégories de situations dans lesquelles la délégation de pouvoir est utilisée sont les suivantes :
- Pour une petite société sans salarié (type SCI), le dirigeant de veut pouvoir déléguer à un tiers la gestion d’un dossier en particulier (action en justice, recouvrement d’une créance, mise en location d’un bien) sans que ce tiers ne soit nécessairement appelé à être co-gérant.
- Pour une société avec des cadres et des salariés : le dirigeant peut vouloir protéger sa responsabilité pénale et civile de chef d’entreprise en délégant à un tiers ses pouvoirs afin que ce soit ce tiers qui supporte les conséquences préjudiciables d’une éventuelle faute
Toute délégation de pouvoirs est accordée sous la responsabilité du dirigeant, qui demeure comptable des fautes commises à cette occasion, telles qu’une mauvaise sélection du délégataire, une définition imprécise de ses attributions ou encore un défaut de contrôle (Cass. com. 6-2-1962 : Bull. civ. III n° 80).
Lorsqu’elle remplit certaines conditions, cette délégation peut exonérer le dirigeant de sa responsabilité pénale.
Précisions
🔹 Délégation de pouvoirs par les directeurs généraux délégués des SA
Les directeurs généraux délégués des sociétés anonymes (SA) peuvent, selon nous, consentir des délégations de pouvoirs. En effet, la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 leur a transféré les pouvoirs autrefois attribués aux directeurs généraux. Avant cette réforme, la jurisprudence reconnaissait déjà aux directeurs généraux des SA des prérogatives équivalentes à celles du président-directeur général, incluant le pouvoir de représenter la société en justice et de déléguer ce pouvoir (Cass. com. 9-5-1995 n° 968 : RJDA 8-9/95 n° 995).
🔹 Limites de la délégation accordée par un PDG
Même étendue, une délégation de pouvoirs consentie par un président-directeur général à un administrateur salarié ne saurait conférer à ce dernier la qualité de directeur général délégué (CA Paris 1-2-2012 n° 10/19173 : RJDA 7/12 n° 687).
🔹 Délégation de pouvoirs dans les SARL
Dans une SARL, le gérant est le représentant légal de la société (C. com., art. L 223-18, al. 5), et aucun pouvoir exprès en ce sens n’est dévolu aux associés. Toutefois, la cour d’appel de Paris a jugé que l’assemblée générale des associés, en sa qualité d’« instance délibérante par essence », pouvait mandater un associé non gérant pour représenter la société dans une opération déterminée (CA Paris 1-10-2008 n° 07-8940 : RJDA 8-9/09 n° 756).
Cette interprétation est cependant discutable. En effet, l’article L 223-18, al. 5 dispose que le gérant engage la société à l’égard des tiers « en toute circonstance ». Or, la loi ne conférant aucun pouvoir de représentation à l’assemblée, celle-ci ne saurait déléguer une compétence qu’elle ne possède pas. Reconnaître un tel pouvoir aux associés engendrerait une insécurité juridique significative.
La question de la délégation des pouvoirs par le représentant légal d’une personne morale gérante d’une société civile est essentielle pour assurer une gestion efficace. Pourtant, elle soulève de nombreuses interrogations : jusqu’où peut aller cette délégation ? Quelles sont ses limites ? Quels sont ses effets juridiques ? Cet article fait le point sur les règles applicables et la jurisprudence en la matière.
✅ Le principe de la délégation des pouvoirs
La publication du nom du représentant légal d’une personne morale gérante ne signifie pas que celui-ci ne peut déléguer ses pouvoirs pour représenter cette personne dans une société civile. En l’absence de disposition statutaire contraire, il conserve cette faculté en application du droit commun du mandat (articles 1984 et suivants du Code civil).
💡 Une délégation sans impact sur la portée de la publication
Le délégataire n’étant qu’un mandataire, c’est toujours le représentant légal qui demeure responsable vis-à-vis des tiers, conformément à l’article 1847 du Code civil.
⚖️ La délégation de représentation en justice
La délégation de pouvoirs donnée à un préposé pour représenter la société en justice est valable sans limitation géographique (Cass. com. 13-9-2017 n° 15-26.666 F-D : RJDA 12/17 n° 806).
⏳ Durée de la délégation de pouvoirs
🏛 Mandat donné par l’assemblée des associés
L’assemblée des associés peut également donner mandat à l’un d’eux pour conclure un acte au nom de la société, en raison de son rôle d’instance délibérante (CA Paris 1-10-2008 n° 07-8940 : RJDA 8-9/09 n° 756).
Le gérant peut déléguer son pouvoir sans passer par une AG.
📜 Effets des délégations consenties
Les délégations de pouvoirs restent valables même après le départ du gérant qui les a consenties (Cass. com. 4-2-1997 n° 286 ; Cass. com. 15-3-2005 n° 414). Son successeur n’a pas à les renouveler, mais peut les retirer ou les modifier.
⚠️ Responsabilité du gérant en cas de délégation
Le gérant reste responsable des fautes commises par son délégué vis-à-vis de la société (CA Paris 11-3-1953 : JCP G 1953 IV p. 96).
👉 Toutefois, les limitations internes de pouvoir sont inopposables aux tiers, notamment en cas de défaut de publicité (Cass. com. 24-1-1989 : Bull. Joly 1989 p. 264).
🔍 Cas particuliers de délégation
✔️ Responsabilité pénale du dirigeant
Un dirigeant peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en déléguant ses pouvoirs à une personne compétente disposant des moyens et de l’autorité nécessaires pour respecter les réglementations (n° 6571 s.).
✔️ Déclaration des créances en procédure collective
Lors d’une procédure collective, la déclaration des créances peut être effectuée par le représentant légal ou par tout préposé ou mandataire (C. com. art. L 622-24, al. 2).
📌 En résumé
🏛 Point clé | ⚖️ Jurisprudence & règles applicables |
---|---|
Délégation autorisée | Sauf interdiction statutaire, la délégation est possible (C. civ. art. 1984 s.) |
Nombre de délégataires | Un même travail ne peut être confié à plusieurs délégataires (Cass. crim. 19-3-1996) |
Représentation en justice | Aucune limite géographique pour un préposé (Cass. com. 13-9-2017) |
Durée de la délégation | Pas de durée imposée (Cass. com. 17-1-2012) |
Effet post-démission du gérant | La délégation de pouvoirs reste valable (Cass. com. 4-2-1997) |
Responsabilité du gérant | Il reste responsable des fautes de son délégué (CA Paris 11-3-1953) |
Exonération pénale | Possible en cas de délégation à un préposé compétent |
Distinction entre délégation de pouvoirs et délégation de signature
Il convient de distinguer les délégations de signature des délégations de pouvoirs.
- Délégation de signature : le délégué signe simplement en lieu et place du représentant légal → prend fin avec la cessation des fonctions du gérant.
- Délégation de pouvoirs : le délégué agit au nom et pour le compte de la société → persiste après le départ du gérant, sauf révocation expresse.
Avec la délégation de signature, le représentant légal se borne à charger une personne de signer pour son compte et en son lieu et place tel ou tel acte relevant de ses pouvoirs. Cette personne apparaît alors comme le mandataire d’un individu et non comme le représentant de la société.
Avec la délégation de pouvoirs, le représentant légal confie, au nom et pour le compte de la société, à une personne qu’il investit d’une fonction déterminée (direction administrative, direction technique, direction d’une usine ou d’une succursale, etc.) le soin de représenter la société dans les limites de ses attributions.
Il en résulte que les délégations de pouvoirs subsistent en cas de cessation des fonctions du délégant ou en cas de transformation de la société alors qu’en présence d’une simple délégation de signature, de tels événements mettent fin au mandat.
Quelle différence entre délégataire, mandataire et fondé de pouvoir ?
Ce sont trois termes utilisés indistinctement pour décrire la même chose.
Preuve de la délégation de pouvoirs
La preuve de la délégation peut être rapportée par tous moyens. Dans la pratique, de nombreuses délégations résultent d’un écrit, bien que ce formalisme ne soit pas exigé par la loi. Cet écrit doit alors être dépourvu d’ambiguïté.
A.Conditions d’efficacité de la délégation de pouvoirs
Qualité du délégataire – Qui peut être délégataire ?
Le représentant légal dispose d’une certaine liberté dans le choix de son délégataire :
- Salarié de la société : Les tribunaux retiennent l’efficacité de la délégation consentie à un délégataire qui a la qualité de préposé sous l’autorité hiérarchique du délégant, et donc en pratique un salarié de la société.
- Salarié du groupe : En fonction des pouvoirs qui font l’objet de la délégation et des réglementations en cause, les tribunaux retiennent également l’efficacité de délégations consenties à des personnes qui n’ont pas la qualité de salarié de la société elle-même, notamment dans le cadre des groupes de sociétés. Tel est le cas, en particulier, en matière de licenciement. Il est admis qu’un salarié de la société mère puisse recevoir délégation d’un dirigeant d’une filiale. Par exemple, un directeur du personnel engagé par une société mère pour exercer ses fonctions au sein de cette société et de ses filiales peut valablement recevoir mandat de procéder au licenciement d’un salarié d’une filiale (Cass. soc. 19-1-2005 n° 123 : RJDA 5/05 n° 560). De même, le directeur financier d’une société mère peut licencier un salarié d’une filiale dès lors qu’il est titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de gestion du personnel établie par le dirigeant de la filiale (Cass. soc. 30-6-2015 n° 13-28.146 : RJDA 12/15 n° 834). Il n’est alors pas nécessaire que la délégation de pouvoirs soit donnée par écrit (Cass. soc. 19-1-2005 précité).
- Un dirigeant de la personne morale gérante (ex. : un membre du directoire)
- Un associé, sous certaines conditions
- un tiers : pour moi rien ne s’oppose dans le cadre du régime juridique général du mandat
Toutefois, il ne peut pas désigner plusieurs personnes pour exécuter un même travail, au risque d’entraver l’autorité des délégataires (Cass. crim. 19-3-1996 n° 1467 : RJDA 7/96 n° 928).
Limitation des pouvoirs délégués
Limitation ou prohibition par les statuts
Les statuts peuvent interdire la délégation. Ils peuvent aussi en fixer les conditions : qualité et statut du délégataire, nature des pouvoirs délégués, nécessité d’établir un écrit, obligation de demander une autorisation préalable des associés ou des organes d’administration, durée de la délégation, etc. Le délégant doit se conformer aux clauses statutaires.
Annihiliation de ses propres pouvoirs
En tout état de cause, il ne peut pas valablement consentir une délégation dont l’étendue aurait pour effet d’annihiler ses pouvoirs ou tout au moins de les neutraliser (Cass. com. 11-6-1965 : Bull. civ. III n° 361, à propos d’un président de SA mais à notre avis transposable à tout dirigeant social).
Inopposabilité des limitations aux tiers
Le délégataire engage la société par les actes qu’il conclut avec les tiers à condition que ces actes entrent dans le cadre de la délégation qui lui a été consentie. Toutefois, en pratique, les limitations de pouvoirs auxquelles il peut être soumis sont inopposables aux tiers, qui peuvent invoquer à l’encontre de la société le défaut de publicité de ces limitations (Cass. com. 24-1-1989 n° 87-12.785 : Bull. Joly 1989 p. 264) ou l’existence d’un mandat apparent.
Subdélégation de pouvoirs
La délégation peut émaner du représentant légal ou de toute autre personne à qui ce représentant (ou l’un de ses délégataires) a délégué ses pouvoirs. En effet, aucune règle n’interdit à un délégataire de déléguer à son tour tout ou partie des pouvoirs dont il a été investi par son propre délégant, du moment que celui-ci n’a pas interdit une telle subdélégation. La question de savoir si, pour être valable, la subdélégation doit avoir été autorisée par le dirigeant n’a été tranchée qu’en matière d’infraction aux règles de sécurité du travail.
La cessation des fonctions du délégataire ne remet pas en cause l’efficacité des subdélégations qu’il a consenties à des salariés de la société.
Sur les conditions de la subdélégation du pouvoir de déclarer les créances,
Sur les conditions de la subdélégation du pouvoir de donner des garanties au nom d’une SA
Délégation du pouvoir d’agir en justice
En principe, le représentant légal peut déléguer le pouvoir d’agir en justice au nom de la société. La délégation est valable même si elle n’est pas délimitée géographiquement (Cass. com. 13-9-2017 n° 15-26.666 F-D : RJDA 12/17 n° 806).
Plus spécialement, le représentant légal peut déléguer le pouvoir de déclarer les créances de la société en cas de procédure collective d’un débiteur.
B.Durée de la délégation de pouvoirs
Règles générales relatives à la durée de la délégation
Aucune disposition légale n’impose que la délégation de pouvoirs soit limitée dans le temps (Cass. com. 17-1-2012 n° 10-24.811 : RJDA 4/12 n° 405).
La délégation de pouvoirs doit être temporaire (Cass. com. 22-12-1975 : Bull. civ. IV n° 314). Pour autant, il n’est pas nécessaire que sa durée soit déterminée (Cass. com. 17-1-2012 n° 10-24.811 : RJDA 4/12 n° 405).
Elle peut donc être consentie sans durée déterminée. En cas de délégation consentie pour une durée indéterminée, le délégant peut retirer celle-ci à tout moment.
Lorsqu’une délégation consentie à un salarié apparaît comme un élément substantiel du contrat de travail, son retrait constitue une modification d’un élément substantiel du contrat de nature à entraîner la rupture de celui-ci (Cass. soc. 22-7-1986 n° 2184 : BRDA 17/86 p. 9).
Durée de la délégation en cas de cessation des fonctions du délégant
Les délégations de pouvoirs subsistent même lorsque le délégant vient à cesser ses fonctions pour quelque cause que ce soit : décès, démission ou révocation. En effet, la délégation est consentie par le représentant légal au nom et pour le compte de la société et non en son nom personnel ; dès lors, peu importent les événements entraînant la cessation des fonctions du délégant : la société reste engagée par la délégation tant que celle-ci n’a pas été révoquée par le nouveau représentant légal (Cass. com. 4-2-1997 n° 286 : RJDA 6/97 n° 780 ; Cass. com. 15-3-2005 n° 414 : RJDA 7/05 n° 814 ; CA Paris 25-1-2018 n° 17/01883 : RJDA 4/18 n° 326).
Précisions
- a. Dans les SA ayant choisi de dissocier les fonctions de président et de directeur général et de confier à ce dernier la qualité de représentant légal, les délégations consenties par le président avant la dissociation des fonctions subsistent (CA Paris 31-3-2006 n° 05-11953 : RJDA 8-9/06 n° 906).
- b. Les subdélégations consenties par un salarié subsistent après la cessation de ses fonctions (Cass. com. 8-7-2008 n° 07-13.868 : RJDA 11/08 n° 1155).
- c. Le successeur du délégant n’a pas à renouveler les délégations précédemment consenties (en pratique, afin d’éviter toute contestation, de nombreuses sociétés préfèrent toutefois renouveler les délégations lors des changements de dirigeants).
Durée de la délégation en cas de transformation de la société
La transformation de la société n’entraîne pas création d’une personne morale nouvelle (art. L 210-6). Il en résulte qu’en principe les délégations consenties avant cette opération continuent à produire leurs effets après puisqu’elles ont été données au nom d’une personne qui n’a pas disparu par l’effet du changement de forme.
Par dérogation à ce principe, les délégations deviennent caduques et doivent donc être renouvelées lorsque la transformation entraîne un changement dans la structure interne de la société car, du fait de l’apparition d’un nouvel organe de direction, les pouvoirs de l’ancien organe n’ont pas pu se perpétuer. Une délégation consentie par un président de conseil d’administration de SA a ainsi été jugée sans valeur après la transformation de celle-ci en SNC (Cass. crim. 3-1-1986 : D. 1987 p. 84 note B. Bouloc).
Durée de la délégation en cas d’absorption de la société
Malgré le principe de transmission universelle du patrimoine attaché à la fusion-absorption, la survie des délégations de pouvoirs accordées avant l’opération dépend des circonstances. Ainsi, un salarié auquel une délégation de pouvoirs avait été accordée pour la durée de sa responsabilité au sein de la société avait été condamné pour prêt illicite de main-d’œuvre sur le fondement de cette délégation. Cette décision a été cassée car les juges du fond n’avaient pas recherché si la fusion, qui avait donné lieu à la création d’une société distincte de la précédente et à un changement de dirigeant, n’avait pas eu pour effet d’entraîner la caducité de la délégation (Cass. crim. 20-7-2011 n° 10-87.348 : RJDA 12/11 n° 1035).
La prudence recommande donc à la société absorbante de renouveler les délégations de pouvoirs accordées aux salariés de la société absorbée qui conservent leur poste dans la nouvelle structure.
C.Exonération de responsabilité du dirigeant en cas de délégation de pouvoirs
1.Exonération de responsabilité pénale du dirigeant
Conditions d’exonération de responsabilité liées au délégant
En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le dirigeant qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation d’une infraction peut être exonéré de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires (Cass. crim. 11-3-1993 n° 91-80.598, 91-80.958, 90-84.931 et 92-80.773 : RJDA 5/93 n° 470 ; Cass. crim. 3-5-1995 n° 2147 : RJDA 7/95 n° 862 ; Cass. crim. 19-9-2007 n° 06-85.899 : RJDA 2/08 n° 167). Dans ce cas, c’est le délégataire qui sera tenu pour responsable des faits répréhensibles.
Une telle délégation permet d’exonérer le dirigeant de sa responsabilité pour les infractions commises qui relèvent du domaine de compétence délégué. Il peut s’agir, selon les cas, d’infractions :
– à la réglementation du travail (hygiène et sécurité sur le lieu de travail, durée du travail, embauche illégale de travailleurs étrangers, etc.) ;
– au droit des affaires (notamment publicité trompeuse, revente à perte, ententes, délit d’initié, contrefaçon) ;
– à la législation fiscale (essentiellement le délit de fraude fiscale) ou douanière.
La responsabilité du dirigeant est donc engagée pour les infractions ne relevant pas de la délégation. Par exemple, le gérant d’une société de travaux publics poursuivi pour infraction aux règles de sécurité des travailleurs n’est pas exonéré de sa responsabilité par une délégation concernant la signalisation des chantiers, étrangère aux questions de sécurité (Cass. crim. 8-9-2015 n° 14-83.053 : RJDA 12/15 n° 829).
Il importe que le délégant se réserve la preuve qu’il a bien délégué ses pouvoirs, et ce, avant la réalisation de l’infraction. Cette preuve peut aussi bien résulter d’un écrit spécifique (pour l’établir, on pourra s’inspirer du modèle de délégation proposé n° 13750) que du contrat de travail du délégataire ou des fonctions qu’il exerce (n° 13661).
Pour être exonéré de sa responsabilité, le dirigeant ne doit pas avoir personnellement pris part à la réalisation de l’infraction (Cass. crim. 20-5-2003 n° 2669 : RJDA 12/03 n° 1181 ; Cass. crim. 15-3-2016 n° 14-85.078 : RJDA 7/16 n° 537). Ainsi, une délégation de pouvoirs invoquée par le dirigeant d’un supermarché poursuivi pour publicité comparative illicite a été jugée sans effet car, compte tenu de l’importance commerciale de l’opération, celle-ci relevait des prérogatives attachées à la qualité de dirigeant, si bien que l’intéressé était impliqué personnellement (Cass. crim. 4-3-2008 n° 07-83.628 : RJDA 7/08 n° 860). De même, le dirigeant qui a donné une délégation de pouvoirs au directeur des relations sociales ne peut pas échapper à sa condamnation pour délit d’entrave, dès lors qu’il a présidé les réunions du comité d’entreprise et a sciemment omis de consulter celui-ci sur le projet de déménagement (Cass. crim. 15-3-2016 précité ; la solution serait à notre avis la même s’il avait présidé les réunions du comité social et économique).
Conditions d’exonération de responsabilité liées au délégataire
La délégation doit avoir été donnée à un salarié de la société et non à un tiers. Par exemple, les juges ont estimé qu’un dirigeant, à qui il incombe personnellement de veiller au respect par la société de ses obligations fiscales et comptables, ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité pour fraude fiscale et omission d’écritures comptables en faisant valoir qu’il a délégué ses pouvoirs à un cabinet d’experts-comptables (Cass. crim. 24-9-1998 n° 5302 : RJDA 1/99 n° 48).
Toutefois, dans un groupe de sociétés, le dirigeant de la société dominante peut s’exonérer de sa responsabilité en matière d’hygiène et de sécurité en déléguant ses pouvoirs dans ce domaine pour l’ensemble des sociétés du groupe à un salarié d’une filiale placé sous son autorité hiérarchique (Cass. crim. 26-5-1994 n° 93-83.180 et 93-82.213 : RJDA 1/95 n° 28, 1e et 2e esp.). De même, le dirigeant d’une filiale peut se prévaloir d’une délégation consentie en matière d’hygiène et de sécurité, non pas à l’un de ses salariés, mais à un salarié d’une autre société du groupe par le président de la société dominante de ce groupe (Cass. crim. 7-2-1995 n° 94-81.832 : RJS 6/95 n° 657).
Le délégataire devant être pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour exercer effectivement les pouvoirs délégués, il doit disposer de l’indépendance nécessaire pour prendre seul les décisions relatives à l’exploitation (Cass. crim. 29-5-1990 n° 89-84.177 : RJS 8-9/90 n° 677) et posséder des connaissances techniques suffisantes. Par conséquent, même si, en théorie, tout salarié, quelle que soit sa position hiérarchique, peut être investi par l’employeur d’une délégation de pouvoirs s’il satisfait aux conditions tenant à la personne du délégataire, en pratique, les délégations sont le plus souvent confiées au personnel d’encadrement.
Illustrations :
Le dirigeant d’une société poursuivi pour homicide et blessure involontaires ne peut pas se prévaloir d’une délégation de ses pouvoirs au chef de chantier, alors qu’il venait de l’embaucher et qu’il ignorait s’il disposait de la compétence nécessaire (Cass. crim. 2-9-2008 n° 08-80.408 : RJDA 3/09 n° 221 ; dans le même sens, Cass. crim. 14-5-2013 n° 12-81.847 : RJDA 10/13 n° 801). De même, un dirigeant n’est pas exonéré de sa responsabilité pénale par une délégation de pouvoirs en matière de sécurité donnée à un préposé jeune (21 ans) et inexpérimenté (Cass. crim. 8-12-2009 n° 09-82.183 : RJDA 4/10 n° 367).
La délégation ne peut pas être accordée à une personne frappée d’une mesure d’interdiction de gérer (Cass. crim. 13-6-2012 n° 11-85.280 : RJDA 5/13 n° 415 ; Cass. crim. 22-8-2018 n° 17-83.966 F-D : RJDA 2/19 n° 91).
Conditions d’exonération de responsabilité liées à la délégation
La délégation doit en principe avoir été consentie par le dirigeant lui-même. Par exemple, un président de SA ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en invoquant une délibération du conseil d’administration nommant un directeur général délégué même si cette délibération confère au directeur général délégué des pouvoirs identiques à ceux du président (Cass. crim. 17-10-2000 n° 6095 : RJDA 5/01 n° 596, rendu avant la loi 2001-420 du 15-5-2001 à propos de la nomination d’un directeur général, mais transposable sous l’empire des textes actuels à la nomination d’un directeur général délégué).
Par exception à cette règle, la Cour de cassation admet qu’un dirigeant de filiale puisse se prévaloir d’une délégation que le président de la société dominante du groupe dont fait partie la filiale a consentie à un salarié d’une autre société de ce groupe (Cass. crim. 7-2-1995 n° 94-81.832 : RJS 6/95 n° 657).
La délégation doit avoir été acceptée par la personne à qui elle est consentie, faute de quoi elle n’a aucune valeur (Cass. crim. 23-5-2007 n° 06-87.590 : RJDA 3/08 n° 276).
La délégation doit être certaine et exempte de toute ambiguïté : un document non intitulé et rédigé en termes trop généraux ne peut pas exonérer un dirigeant de sa responsabilité (Cass. crim. 2-2-1993 n° 92-80.672 : RJDA 12/93 n° 1036).
La délégation peut résulter du contrat de travail du délégataire ou des fonctions qu’il exerce pourvu qu’il n’y ait ni incertitude ni ambiguïté sur l’existence de cette délégation.
Illustrations
- Un dirigeant poursuivi pour fraude fiscale ne peut pas se prévaloir d’une délégation de pouvoirs donnée au directeur financier « pour effectuer toutes les démarches afférentes à la gestion de l’entreprise dans les domaines suivants : comptable, fiscal, social et juridique » dès lors que son champ d’application était très limité puisqu’elle ne concernait que l’accomplissement d’actes de relations, de discussions et de recherches d’informations, voire de conseils (Cass. crim. 23-5-2007 n° 06-87.590 : RJDA 3/08 n° 276).
- Le dirigeant d’une entreprise de gros œuvre qui n’avait pas délégué la direction d’un chantier à un salarié ne peut pas non plus s’exonérer de sa responsabilité à la suite d’un accident de travail survenu sur ce chantier en faisant valoir qu’il était hospitalisé au moment des faits et qu’une délégation de responsabilité avait été accordée « de fait » aux cadres de l’entreprise (Cass. crim. 7-6-2006 n° 3301 : RJDA 10/06 n° 1027).
- Un directeur salarié investi des pouvoirs inhérents à ses fonctions dans le cadre de son contrat de travail a été considéré comme ayant reçu de la société une délégation générale en matière technique et commerciale, de sorte qu’il pouvait être poursuivi à la place des dirigeants sociaux pour les infractions qu’il avait commises (Cass. crim. 4-3-2003 n° 1328 : RJDA 7/03 n° 726, en matière de fraude alimentaire ; Cass. crim. 19-9-2007 n° 06-85.899 : RJDA 2/08 n° 167, en matière de fausses déclarations douanières).
À l’inverse :
- une mission générale de surveillance et d’organisation des mesures de sécurité des chantiers, précisée dans le contrat d’engagement d’un directeur de travaux, ne peut, à défaut d’instructions plus précises, constituer une délégation efficace (Cass. crim. 28-1-1975 : Bull. crim. n° 32).
- De même, le dirigeant d’une société exploitant un supermarché ne peut pas éluder sa responsabilité en invoquant une délégation de pouvoirs consentie au directeur du magasin en matière d’hygiène pour la protection des consommateurs dans la mesure où l’imprécision du contrat de travail de ce dernier ne permettait pas de retenir l’existence d’une telle délégation (Cass. crim. 22-5-2002 n° 3066 : RJDA 10/02 n° 1032).
- Un dirigeant de société poursuivi pour des délits de blessures involontaires ne peut pas se prévaloir d’une délégation de pouvoirs donnée au directeur industriel en matière d’hygiène et de sécurité à défaut d’indication dans le contrat de travail de ce dernier, alors que ce directeur ne disposait en outre d’aucune autonomie pour la conception de la sécurité de l’établissement (Cass. crim. 16-9-2008 n° 07-86.213 : RJDA 1/09 n° 27).
Cas particuliers des codélégations et subdélégations de pouvoirs
Le dirigeant ne peut pas se prévaloir d’une délégation de pouvoirs consentie à plusieurs personnes pour l’exécution d’un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l’autorité et à entraver les initiatives des prétendus délégataires (Cass. crim. 19-3-1996 n° 1467 : RJDA 7/96 n° 928 ; Cass. crim. 12-12-2006 n° 7654 : RJS 4/07 n° 463).
En revanche, les subdélégations de pouvoirs sont efficaces pourvu qu’elles soient régulièrement consenties et que les subdélégataires soient pourvus de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de leur mission (Cass. crim. 30-10-1996 n° 4682 : RJDA 3/97 n° 361) ; dans cet arrêt, il a même été jugé que l’autorisation du dirigeant n’est pas nécessaire pour la validité de la subdélégation ; toutefois, cette solution n’a été affirmée qu’en matière d’infraction aux règles de sécurité du travail et il n’est pas certain que la validité d’une subdélégation tacite soit admise dans d’autres domaines.
2. Exonération de responsabilité fiscale du dirigeant
Lorsqu’un dirigeant a rendu impossible le recouvrement des impôts dus par la société, ce qui l’expose à devoir en payer personnellement le montant (n° 14790 s.), l’intéressé peut échapper à ce paiement s’il prouve avoir délégué ses pouvoirs. Une telle délégation doit porter sur l’ensemble des pouvoirs du dirigeant (BOI-REC-SOLID-10-10-20 n° 210) et doit être effective (Cass. com. 19-11-1991 n° 1433 D : RJF 2/92 n° 260).
Il en résulte, à notre avis, qu’une délégation limitée à l’application de la réglementation fiscale ne suffirait pas à exonérer le dirigeant de sa responsabilité fiscale.
En tout état de cause, pour qu’une délégation de pouvoirs soit efficace, il faut que le dirigeant qui l’a consentie s’abstienne d’intervenir dans les affaires fiscales de la société, par exemple en signant lui-même les déclarations d’impôt établies au nom de celle-ci.
Illustrations
Un dirigeant ayant délégué à son directeur administratif et financier le pouvoir de s’assurer du respect des obligations fiscales de la société et d’en signer les déclarations d’impôt ne pouvait pas se prévaloir de cette délégation pour les motifs suivants : il avait négocié personnellement les délais de paiement de la dette fiscale de la société et il avait suivi tous les stades des procédures de vérification et de redressement dont avait fait l’objet la société ; la simple délégation de signature des pièces comptables ou des déclarations fiscales ne l’exonérait pas de ses obligations inhérentes à son pouvoir de contrôle et de surveillance ; le directeur administratif et financier de la société restait placé sous son autorité directe (Cass. com. 26-6-2007 n° 06-15.867 F-PB : RJF 11/07 n° 1335). Le gérant d’une SARL faisant partie d’un groupe ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité fiscale en invoquant avoir délégué ses attributions à la holding du groupe par une convention de prestations dans les domaines comptable, financier, administratif et informatique car cette convention ne comportait pas expressément de délégation de pouvoirs. En outre, le gérant était intervenu personnellement en matière fiscale, notamment pour déclarer le changement de compte bancaire de la société en vue du règlement de la TVA (CA Rouen 28-6-2018 n° 17/02275 : RJDA 11/18 n° 833). |
Si une délégation dépouillant le dirigeant de l’ensemble de ses pouvoirs est efficace sur le plan fiscal, elle est, on le rappelle, sans effet sur le plan civil.
Modèle de délégation de pouvoirs
Le modèle proposé ci-après n’est pas destiné à être reproduit tel quel. Il ne constitue qu’une aide à la rédaction d’une délégation de pouvoirs, qui doit être adaptée à la situation particulière de chaque société.
Délégation de pouvoirs
Entre les soussignés :
– [identité du délégant], pris en sa qualité de [mentionner cette qualité : gérant, président, directeur général, etc.] de la société [dénomination sociale], [forme juridique de la société] au capital de [montant du capital], ayant son siège [adresse du siège], immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro [indiquer le numéro Siren] RCS [ville], ci-après dénommé « le délégant » et,
– [identité du délégataire], exerçant au sein de la société [dénomination sociale] les fonctions salariées de [indiquer la nature des fonctions], ci-après dénommé(e) « le délégataire »,
Il a été convenu ce qui suit :
1. Le délégant confie de manière effective au délégataire le pouvoir de veiller au nom de la société [dénomination sociale] à l’observation de la réglementation applicable au sein de celle-ci dans les domaines énumérés ci-après. Le délégataire déclare en toute connaissance de cause accepter expressément cette mission et être informé que sa responsabilité pénale peut être engagée en cas de faute de sa part dans l’accomplissement de cette mission.
Le délégataire est investi de toute l’autorité et de tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission et dispose des compétences techniques et professionnelles requises pour veiller efficacement au respect de la réglementation dans les matières qui lui sont déléguées. Il devra tenir le délégant régulièrement informé de la façon dont il exécute sa mission, des difficultés rencontrées ou des moyens qui lui feraient défaut à l’occasion de cette exécution.
A – Hygiène et sécurité du travail
2. Le délégataire assure au nom de la société [dénomination sociale] :
– le respect des conditions d’hygiène et de sécurité tant sur les lieux de travail qu’au cours des déplacements du personnel ;
– la mise en place des mesures de protection collectives et individuelles des salariés.
B – Gestion du personnel
3. Le délégataire assure au nom de la société [dénomination sociale] le recrutement du personnel ainsi que le suivi de la gestion du personnel tant sur le plan administratif que disciplinaire. Il est seul compétent pour prononcer des sanctions disciplinaires et engager des procédures de licenciement au nom de la société.
[S’il existe une représentation du personnel, ajouter la clause suivante.]
4. Le délégant attire l’attention du délégataire sur les conditions particulières d’emploi des représentants du personnel.
L’ensemble des salariés bénéficie d’un statut spécifique défini par des dispositions du Code du travail que le délégataire déclare connaître. L’inobservation de ces règles constitue un délit d’entrave faisant l’objet de sanctions pénales. Le délégataire devra veiller à ce que de telles infractions ne se produisent pas dans les différents services de la société [dénomination sociale].
C – Règles encadrant l’activité de la société
5. Le délégataire est chargé de veiller au nom de la société [dénomination sociale] au respect de la réglementation dans les domaines suivants : [lister ces matières en fonction de l’activité de la société et de la qualification du délégataire : par exemple, réglementation des prix et de la facturation, règles du Code de la consommation sur la publicité trompeuse, droit de la propriété intellectuelle, etc.].
D – Subdélégation
6. [Si la subdélégation n’est pas souhaitée, insérer la clause suivante.]
Le délégataire ne peut en aucun cas déléguer à quiconque les pouvoirs qui lui sont conférés par les présentes.
[Si la subdélégation est souhaitée, insérer la clause suivante.]
Le délégataire peut, sous sa responsabilité, déléguer les pouvoirs qui lui sont conférés par les présentes à un salarié relevant de son autorité qu’il devra choisir en raison de ses connaissances et aptitudes en matière de [domaine à préciser], de sa position hiérarchique, de son autorité sur le personnel et des moyens dont il dispose pour assurer le respect des obligations précitées.
[Si une « sous-subdélégation » n’est pas souhaitée, ajouter l’alinéa suivant.] Ce salarié ne pourra en aucun cas déléguer tout ou partie des pouvoirs qui lui auront été conférés.
Le délégataire devra communiquer au délégant l’identité et les fonctions de ce salarié dans les plus brefs délais ainsi qu’une copie de la délégation de pouvoirs qui lui aura été conférée.
E – Durée de la délégation [en cas de délégation consentie pour une durée déterminée]7. La présente délégation est consentie pour une durée de [à déterminer] à compter de son acceptation par le délégataire. Le délégant peut toutefois y mettre fin à tout moment, sans que cela puisse constituer une modification du contrat de travail du délégataire.
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