Fondement juridique
Article L821-37 du code de commerce :
« Les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l’égard de la personne ou de l’entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l’exercice de leur profession.
Leur responsabilité ne peut toutefois être engagée à raison des informations ou divulgations de faits auxquelles ils procèdent en exécution de leur mission ou prestation.
Ils ne sont pas civilement responsables des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux, sauf si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas signalées dans leur rapport à l’assemblée générale ou à l’organe compétent mentionnés à l’article L. 821-40. »
il s’agissait auparavant de (C. com. art. L 822-17, al. 1).
Le principe de responsabilité
Les CAC sont responsables, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables résultant des fautes ou des négligences qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions.
La responsabilité du commissaire aux comptes peut ainsi être retenue :
- pour ne pas avoir révélé les malversations commises par un dirigeant, telles que des détournements d’actifs (CA Paris 2-6-2003 no 01-17616),
- pour avoir certifié des comptes alors que la situation alarmante de la société n’avait pas pu leur échapper (Cass. com. 3-6-2014 no 13-19.350)
- pour avoir fait preuve de négligence dans leur mission de contrôle et certifié de manière erronée des comptes sociaux (Cass. com. 27-10-1992 no 90-21.127 P ; CA Paris 13-11-1998 no 96-88487).
Charge de la preuve
La charge de la preuve d’une faute du CAC incombe classiquement à celui qui met en cause sa responsabilité.
Ce dernier peut solliciter, avant d’agir en responsabilité, une expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, à condition de démontrer que celle-ci est utile et pertinente et qu’elle lui permettra de recueillir des éléments de preuve susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel (Cass. 2e civ. 10-12-2020 no 19-22.619 F-PBI : rejetant la demande d’un associé contre une société car il n’apportait pas la moindre consistance à ses soupçons de fautes de gestion et ne procédait que par affirmations ne reposant sur aucun fait précis, objectif et vérifiable).
Le préjudice
Quand il parvient à prouver la faute du CAC, le demandeur doit encore justifier d’un préjudice résultant de cette faute. Conformément au droit commun de la responsabilité, l’analyse du lien de causalité entre la faute et le préjudice conduit à considérer l’ensemble des faits générateurs, parmi lesquels une éventuelle faute commise par la victime.
Dans le cadre d’une expertise avec un client l’accusant de manquement, le CAC a tout intérêt à demander que la mission de l’expert soit étendue à l’examen de l’implication de la société mère dans la gestion de la filiale, aux décisions de gestion et au lien de causalité entre sa faute prétendue et le préjudice de la société mère.
La révélation de faits délictueux
Le commissaire aux comptes doit révéler au parquet les faits délictueux dont il a eu connaissance (C. com. art. L 823-12, al. 2), faute de quoi il encourt des sanctions pénales.
Une circulaire, à laquelle est annexée la pratique professionnelle de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes relative à la révélation des faits délictueux au procureur de la République (identifiée comme bonne pratique professionnelle par le Haut Conseil du commissariat aux comptes) donne une interprétation extensive du texte légal (Circulaire du 18-4-2014 : BOMJ no 2014-04 du 30-4-2014) : les commissaires aux comptes doivent porter à la connaissance du procureur de la République tous les faits susceptibles de revêtir une qualification pénale découverts dans le cadre de l’accomplissement de sa mission, sans distinction tenant à leur gravité, leur nature ou leurs conséquences. La seule exception à cette obligation concerne les faits sans lien avec leurs missions et les irrégularités ou inexactitudes ne procédant manifestement pas d’une intention frauduleuse. En cas de doute, le commissaire aux comptes doit révéler le fait ou s’adresser à un magistrat du parquet compétent pour la révélation.
En contrepartie du caractère extensif de cette obligation, et de la sévérité de la sanction qui l’assortit, le commissaire aux comptes bénéficie d’une immunité, sa responsabilité ne pouvant en principe pas être engagée lorsqu’il procède à ces révélations.
Cette immunité n’est pas absolue, et a vocation à exonérer le professionnel de sa responsabilité seulement lorsqu’il agit dans l’exercice normal de son devoir de révélation : le commissaire aux comptes ne peut pas être inquiété si le procureur de la République n’estime pas opportun de donner une suite à la révélation. Elle ne le protège pas, en revanche, d’une révélation abusive, qui pourrait être dictée par une volonté de nuire. Cass. com. 15-3-2017 no 14-26.970 P-PBI, Sté SAS Buhr Ferrier Gossé (BFG) c/ X.
Le tribunal territorialement compétent
La juridiction compétente est en principe celle du domicile du défendeur (CPC art. 42).
Toutefois, en matière extracontractuelle, l’article 46 du Code de procédure civile permet au demandeur de saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. En l’espèce, le tribunal de Clermont-Ferrand était compétent en tant que juridiction dans le ressort de laquelle le défendeur était domicilié et le fait dommageable commis, mais le tribunal de Lyon l’était également en tant que juridiction dans le ressort de laquelle le dommage avait été subi.
Il a déjà été jugé que le lieu où le dommage a été subi est celui où est né le préjudice (Cass. 2e civ. 28-2-1990 no 88-11.320).
Le tribunal territorialement compétent pour connaître de l’action en responsabilité extracontractuelle d’une société contre son commissaire aux comptes peut être celui du siège social de cette société, en tant que lieu où le dommage a été subi. Si le lieu où a été commis le manquement du commissaire aux comptes est celui de son domicile professionnel ou du siège de sa société, le lieu où le dommage a été subi est celui du siège de la société contrôlée, ce dont il résultait que le tribunal était territorialement compétent pour connaître de l’action en responsabilité dirigée contre le commissaire aux comptes. Cass. com. 10-2-2021 no 18-26.704 F-P
Le relèvement des fonctions du CAC
La seule introduction d’une action en responsabilité contre un commissaire aux comptes par la société au sein de laquelle il exerce sa mission ne constitue pas un empêchement justifiant son relèvement.
Cass. com. 24-1-2024 no 22-12.340 F-B : Sté Chestone France c/ X.
En cas de faute ou d’empêchement, les commissaires aux comptes peuvent, sur décision de justice, être relevés de leurs fonctions avant l’expiration normale de celles-ci, notamment à la demande de l’organe chargé de la direction (C. com. ex-art. L 823-7 ; désormais art. L 821-50).
Pour qu’une faute du commissaire aux comptes dans l’accomplissement de ses diverses missions justifie son relèvement, il faut démontrer que le commissaire aux comptes a agi avec mauvaise foi, autrement dit dans l’intention de nuire à la société ou à ses organes, ou que cette faute révèle soit un manquement délibéré du commissaire à ses obligations légales, réglementaires ou déontologiques, soit son incurie (Cass. com. 3-12-1991 no 90-14.592). De simples erreurs d’appréciation ne peuvent pas justifier un relèvement.
Il s’ensuit que la responsabilité civile du commissaire aux comptes peut être engagée en cas de faute simple, alors qu’il ne peut être relevé que s’il a commis une faute grave.
La nécessité d’une faute grave a été motivée par le fait que le commissaire aux comptes exerce une mission d’ordre public, qui va bien au-delà de la protection des intérêts de la société et de ses associés, et qu’il n’a pas à se soumettre aux exigences de l’entité contrôlée ou de ses associés (CA Versailles 17-11-2011 no 10/09159 précité), ainsi que par sa nécessaire indépendance qui suppose qu’il soit maintenu en fonction pendant la durée de son mandat (T. com. Blois 11-12-2015 : Bull CNCC juin 2016 note Ph. Merle).
L’empêchement des fonctions du CAC
L’empêchement vise toutes les situations dans lesquelles le commissaire aux comptes se trouve dans l’incapacité de poursuivre sa mission dans les conditions et délais requis. Cet empêchement peut être de nature physique (par exemple, maladie, éloignement, surcharge d’activité, etc.) ou juridique (incompatibilité, omission, interdiction temporaire, suspension provisoire ou radiation).
La procédure disciplinaire du CAC
Depuis le 1er janvier 2024, la Haute autorité de l’audit a succédé au Haut conseil du commissariat aux comptes, en vertu de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 portant transposition de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Une nouvelle mission lui est confiée : celle de superviser les professionnels qui certifieront les rapports de durabilité des entreprises, en sus des missions précédemment assurées par le H3C. Cet article sera mis à jour
Qui peut saisir le rapporteur général du H3C ?
La saisine est un élément clé des procédures disciplinaires car le rapporteur général ne peut s’autosaisir pour ouvrir une enquête.
Concrètement, qui peut saisir le rapporteur général du H3C ?
Article L821-73 code de commerce :
« Le rapporteur général est saisi de tout fait susceptible de justifier l’engagement d’une procédure de sanction par :
1° Le premier président de la Cour des comptes ou le président d’une chambre régionale des comptes ;
2° Le procureur général près la cour d’appel compétente ;
3° Le président de l’Autorité des marchés financiers ;
4° Le président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
5° Le président de la Haute autorité de l’audit ;
6° Le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ou le président d’une compagnie régionale.
Le rapporteur général peut également se saisir des signalements dont il est destinataire.
Les faits remontant à plus de six ans ne peuvent faire l’objet d’une sanction s’il n’a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction. »
La présidente du H3C
Statistiquement, c’est la présidente du H3C qui saisit le plus fréquemment le rapporteur général, notamment à la suite de contrôles périodiques, mais également à la suite de plaintes de professionnels.
Les présidents de la CRCC
Les remontées d’informations par les présidents de CRCC concernant des situations jugées anormales (sur le plan de la déontologie ou comme portant atteinte à l’honneur et à la probité) sont également importantes.
Les juridictions financières et les autres tiers
La commission des sanctions de la H2A ne peut être saisie que par le collège de la Haute autorité.
Pour les juridictions financières (Cour des comptes ou Chambres régionales des comptes) et les autres tiers (actionnaires ou associés, professionnels du Chiffre), les signalements doivent être adressés au rapporteur général du H3C (secretariat-rapporteur-general@h2a-france.org) en application de l’article L. 821-73 du code de commerce. Il n’est pas possible de saisir directement la H2A.
En dehors de ces situations, les commissaires aux comptes et les entités dont ils certifient les comptes doivent solliciter la CRCC à laquelle le commissaire aux comptes est rattaché ou la CNCC.
Comment se déroule la procédure d’enquête disciplinaire ?
L’équipe d’enquêteurs débute leur enquête avec la documentation reçue lors de la saisine. Elle peut être complétée par des demandes particulières s’il manque certains éléments.
Analyse du signalement
Une analyse du professionnel mis en cause est faite. Elle porte notamment sur ses antécédents disciplinaires, sur son profil professionnel. Le service du rapporteur général vérifie systématiquement le respect des obligations de formation ou de déclaration d’activité, quand bien même la saisie ne porterait pas sur ces points. Le respect des obligations légales est une priorité pour le H3C.
Ouverture et formalisation de l’enquête
C’est un acte d’enquête formalisée par une décision. Les enquêteurs sont désignés et le périmètre de l’enquête est défini. Le rapporteur général du H3C précise que la saisine est indicative, pas limitative. Cela signifie qu’il peut étendre l’enquête à d’autres faits que ceux mentionnés dans la saisine s’il estime cela utile.
Phase d’enquête
Il s’agit de la partie cruciale. Le service du rapporteur général procède à des actes d’enquêtes : demande de documentation, auditions, transports sur place si nécessaire pour récupérer des documents,…
Dans la pratique, les délais impartis pour transmettre les documents au H3C sont généralement assez courts. Il est possible dans ce cas de demander un délai supplémentaire. En cas de sanction, le degré de coopération du mis en cause est pris en compte.
Rédaction du rapport d’enquête
Il retrace à gros traits le déroulement de l’enquête. Il sera ensuite examiné par la FCI (organe de poursuite du H3C).
Comment se déroule la procédure de sanction ?
Après examen du rapport d’enquête, la FCI (organe de poursuite du H3C) décide de poursuivre ou non le professionnel mis en cause.
Si elle décide de poursuivre, elle rédige les griefs. Ils sont ensuite notifiés par le rapporteur général du H3C au professionnel qui passe du statut de mis en cause à celui de personne poursuivie.
Après la notification des griefs, les parties présentent leurs observations au rapporteur général. En moyenne, il répond aux observations dans un délai de 3 mois.
Dans un deuxième temps, le service du rapporteur général rédige un rapport final qui prend en compte les observations des parties. Il est adressé ensuite à la formation restreinte.
Elle décidera d’audiencer le dossier dans les délais qu’elle choisira.
Quelles sont les sanctions les plus souvent prononcées ?

Source : CNCC
Les interdictions temporaires d’exercer sont souvent assorties d’un sursis partiel.
Pour le rapporteur général du H3C, les faits qui sont traduits devant la formation restreinte sont suffisamment sérieux pour que la sanction prononcée ne soit pas « indolore » pour le professionnel.

Source : CNCC
Le faible taux d’enquêtes donnant lieu à des poursuites s’explique, en partie, en raison du fait qu’un certain nombre d’enquêtes portent sur des faits anciens. Les commissaires aux comptes mis en cause sont parfois décédés ou partent à la retraite, les faits ont aussi pu être régularisés.

