Le Code de procédure civile envisage, sous le titre V du livre Ier, trois moyens de défense :
- les exceptions de procédure qui permettent de contester la régularité de la demande (CPC art. 73 s.) ;
- les fins de non-recevoir qui permettent de contester la recevabilité de l’action du demandeur (CPC art. 122) ;
- les défenses au fond qui permettent de contester le bien-fondé de la prétention du demandeur (CPC art. 71).
Il faut néanmoins également ajouter :
- La caducité qui permet de constater la caducité d’un acte
- La péremption qui permet de constater la péremption d’une procédure
Les ordres d’énonciation des moyens de défense dans les mêmes conclusions
- In limine litis, l’incident d’instance : la péremption. la péremption doit être invoquée avant tout autre moyen ;
- In limine litis, les exceptions de procédure soulevées simultanément SAUF exceptions de nullité pour irrégularités de fond. les exceptions de procédure doivent être soulevées in limine litis et simultanément avant toute défense au fond et fin de non-recevoir ;
- Exception de nullité pour irrégularité de fond (qui reste une exception de procédure)
- les incidents de nature à mettre fin à l’instance ; – Caducité
- les fins de non-recevoir (en tout état de cause)
- Arguments au fond à tribunal, demande mal-fondée ou bien fondée après examen au fond
In limine litis, l’incident d’instance
L’incident d’instance est un événement qui survient à l’occasion d’une procédure d’ores et déjà engagée et qui affecte le lien juridique d’instance.
Il existe plusieurs sortes d’incidents qui ont des effets différents sur l’instance.
Titre XI : Les incidents d’instance. (Articles 367 à 410)
- Les jonction et disjonction d’instances (Articles 367 à 368) qui en modifient l’étendue ;
- L’interruption de l’instance (Articles 369 à 376) qui en modifie le déroulement
- La suspension qui en modifie le déroulement (Articles 377 à 383)
- Le sursis à statuer. (Articles 378 à 380-1)
- La radiation et le retrait du rôle. (Articles 381 à 383)
- Mise en cause des organes de la procédure
- L’extinction de l’instance ((Articles 384 à 410) : les incidents de nature à mettre fin à l’instance (qui en affectent l’existence même) :
- La péremption d’instance. (Articles 386 à 393)
- Le désistement d’instance. (Articles 394 à 405)
- La caducité de la citation. (Articles 406 à 407)
- L’acquiescement. (Articles 408 à 410)
Le régime des incidents d’instance, prévu par les articles 367 à 410 du CPC, a vocation à s’appliquer devant toutes les juridictions (CPC art. 749).
Les incidents d’instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent (CPC art. 50). Ainsi, il n’appartient pas à la cour d’appel, saisie d’une instance relative au fond d’un litige, de se prononcer sur la péremption d’une instance en référé, fûtelle relative aux mêmes parties et au même litige (Cass. 1e civ. 18-2-2003 n° 99-10.505 : Bull. civ. I n° 51).
Les incidents d’instance (articles 367 à 410)
In limine litis, les exceptions de procédure : demande irrégulière
Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours (CPC art. 73).
Les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public. (art. 74 CPC)
Voici la liste des exceptions de procédure :
- les exceptions d’incompétence ;
- les exceptions de litispendance et de connexité ;
- les exceptions dilatoires ;
- les exceptions de nullité des actes de procédure
- Nullité pour vice de fond : on examine l’auteur de l’acte ou son représentant et l’on vérifie s’il avait la capacité et le pouvoir d’accomplir l’acte de procédure.
- Nullité pour vice de forme : on se place du côté du destinataire de l’acte de procédure pour apprécier si l’irrégularité lui a causé un grief
- Nullités de l’acte d’huissier (art 648 cpc)
Les fins de non-recevoir : prétention irrecevable
Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir. (CPC art. 122).
Elles peuvent être présentées en tout état de cause.
La liste non limitative des fins de non recevoir est :
- le défaut de qualité à agir
- le défaut d’intérêt à agir
- la prescription,
- le délai préfix,
- la chose jugée
- Défaut d’indication des informations essentielles des concluants en appel (article 961 CPC) [pas vraiment régularisable si délai d’appel pour conclure expiré]
Le mot « demande » ne doit pas être pris dans un sens étroit. L’argument de fin de non-recevoir bénéficie aussi au demandeur confronté à une demande incidente.
Une fin de non-recevoir permet donc de contester la recevabilité de l’action du demandeur et a pour effet de le priver de l’accès au juge puisque sa demande, déclarée irrecevable, ne sera pas examinée.
La liste de l’article 122 du CPC n’est pas limitative (Cass. ch. mixte 14-2-2003 n° 00-19.423).
Défense au fond
Constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter, comme non justifiée, la prétention de l’adversaire après un examen portant directement sur le fond du droit (CPC art. 71). Cette définition prolonge celle de l’article 30 du CPC, qui envisage l’action, du point de vue du défendeur, comme le droit de contester le bien-fondé de la prétention adverse. L’esprit général est donc clair : la défense au fond vise le droit substantiel et non la régularité procédurale.
Une défense au fond est imprescriptible (Cass. 1re civ., 31-1-2018, n° 16-24.092 F-PB ; Cass. com., 6-6-2018, n° 17-10.103 FS-PBI). Ce caractère imprescriptible est déterminant : le défendeur peut, à tout stade de la procédure, soutenir que le droit invoqué contre lui n’existe pas, est mal fondé, mal étayé, ou ne présente pas l’étendue que lui prête le demandeur.
L’argumentation consiste, pour le défendeur, à contester l’existence, l’étendue ou le bien-fondé du droit allégué. Ainsi, constituent des défenses au fond — et non des exceptions de procédure — le moyen pris de la nullité de l’acte juridique sur lequel se fonde le demandeur (Cass. 3e civ., 16-3-2010, n° 09-13.187 : Bull. civ. III n° 63) ou l’incident de faux visant à contester une preuve écrite produite par ce dernier (Cass. 1re civ., 24-10-2006, n° 05-21.282 : Bull. civ. I n° 434). De même, dans une affaire où un bailleur avait obtenu en référé l’expulsion de son locataire, le moyen tiré de la contestation sérieuse de la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire n’a pas été analysé comme une exception de procédure, mais comme un moyen propre à faire obstacle aux pouvoirs du juge des référés (Cass. 3e civ., 30-3-2017, n° 16-10.366 F-PB).
À l’inverse, une demande de renvoi de l’affaire à une audience ultérieure ne constitue pas une défense au fond (Cass. 2e civ., 27-1-1993, n° 91-14.395 : Bull. civ. II n° 29), puisqu’elle ne vise en rien le bien-fondé de la prétention, mais uniquement l’organisation procédurale du litige.
Il convient également de distinguer les défenses au fond des demandes reconventionnelles. Alors que les premières tendent uniquement au rejet des prétentions du demandeur, les secondes visent à obtenir un avantage propre, autonome, qui dépasse la simple contestation de la prétention adverse.
Les défenses au fond pouvant être invoquées à tout moment de la procédure (CPC art. 72), les parties peuvent, en cause d’appel, présenter des moyens nouveaux pour justifier les prétentions qu’elles avaient déjà soumises au premier juge. Cette faculté exclut qu’elles puissent être accusées d’adopter des positions successives contradictoires (Cass. com., 10-2-2015, n° 13-28.262 : Bull. civ. IV n° 17).
En revanche, devant la Cour de cassation, les moyens nouveaux ne sont pas recevables, sauf s’il s’agit de moyens de pur droit ou de moyens nés de la décision attaquée, conformément aux exigences du CPC (art. 619).
Quelles différences entre fins de non-recevoir ou exceptions de procédure
Les fins de non-recevoir doivent également être distinguées des exceptions de procédure et principalement des nullités des actes de procédure pour vice de forme ou de fond qui ne touchent pas au droit d’action mais portent sur la validité d’un acte.
Il reste que certains textes prévoient que l’omission de mentions dans un acte, qui s’apparente à un vice de forme, est une cause d’irrecevabilité de l’acte
Ce que j’en pense en tant que praticien
À vrai dire, mon expérience montre que même les magistrats s’y perdent : la même demande est tour à tour qualifiée de fin de non-recevoir ou d’exception de nullité, sans véritable cohérence. Comme naguère pour la distinction entre preuve déloyale et preuve illicite, la frontière entre fin de non-recevoir et exception de nullité demeure floue, instable, et finalement source de confusion — pour les justiciables, pour les avocats, mais également pour les juges eux-mêmes, auxquels le législateur impose de trancher des litiges avec des outils conceptuels qui datent et qui n’ont jamais réellement fonctionné.
Il est temps d’admettre que cette distinction n’est plus opérationnelle. À l’heure où les pouvoirs du juge de la mise en état n’ont jamais été aussi étendus, la lisibilité et la cohérence des moyens de défense deviennent essentielles. C’est pourquoi j’appelle à une réforme structurelle : la fusion pure et simple des fins de non-recevoir et des exceptions de nullité des actes de procédure. Une clarification indispensable pour redonner efficacité, cohérence et prévisibilité à la procédure civile.
Pourquoi cette confusion dans la jurisprudence ?
Les règles du code de procédure civile relatives aux exceptions de nullité pour vice de forme sont contraignantes : si une exception de nullité pour vice de forme est soulevée après l’ouverture du débat au fond, alors, aux termes de l’article 112, l’irrégularité est couverte. Mais cette logique est parfois jugée indésirable, le législateur ne souhaitant pas que celui qui ait commis l’irrégularité s’en sorte indemne. Aussi, pour l’écarter, le législateur et le juge ont-ils recours à un artifice : au lieu d’être un vice de forme qui affecte l’acte, l’irrégularité sera qualifiée de défaut d’action en justice, opposable par conséquent sans grief et en tout état de cause au moyen d’une fin de non–recevoir.
Exemples de confusion par la Cour de Cassation
De nombreux exemples de la proximité des problèmes posés par le défaut d’action et le défaut de capacité ou de pouvoir pourraient être cités (V. Civ. 2e, 15 juin 2017, no 16-15.668 , RTD civ. 2017. 726, obs. N. Cayrol )
Que faire par exemple lorsqu’une procédure est engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique (par exemple société en formation) ?
- S’agit-il d’une irrégularité de fond que l’on dénoncera au moyen d’une exception de nullité pour vice de fond ? Oui, selon la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 32 et 117 du code de procédure civile : « L’irrégularité d’une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est une irrégularité de fond qui ne peut faire l’objet d’une régularisation » (Civ. 2e, 11 sept. 2003, no 01-14.493 , Bull. civ. II, no 253 ; D. 2003. 2543 , et les obs. ; RTD civ. 2004. 766, obs. Ph. Théry . – Civ. 2e, 27 sept. 2012, no 11-22.278 , Rev. sociétés 2013. 30, obs. S. Prévost ).
- S’agit-il au contraire d’un cas d’irrecevabilité des prétentions qu’il faudra relever au moyen d’une fin de non–recevoir ? Oui aussi, selon la chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa des articles 32 et 126 : « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ; cette situation n’est pas susceptible d’être régularisée lorsque la prétention est émise par ou contre une personne dépourvue de personnalité juridique » (Com. 20 juin 2006, no 03-15.957 , Bull. civ. IV, no 146 ; D. 2006. 1820, obs. A. Lienhard ; Dr. et pr. 2006, no 5, p. 299 ; Rev. sociétés 2007. 65, note J.-F. Barbièri . – Civ. 2e, 20 mars 1989, no 88-11.585 , Bull. civ. II, no 76 ; RTD com. 1990. 601, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ).
Exemples
- Constitue une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence, le moyen tiré de l’immunité de juridiction, car, dans ce cas, l’interdiction faite au juge de connaître du litige n’est pas une question de compétence de ce juge mais une question de pouvoir juridictionnel (Cass. 1e civ. 15-4-1986 n° 84-13.422 : Bull. civ. I n° 87).
- Constitue également une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence le défaut de pouvoir du juge de l’exécution pour statuer sur la responsabilité d’un notaire (Cass. 2e civ. 8-1-2015 n° 13-21.004 : Bull. civ. II n° 3) ou sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure, le juge ne disposant pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci (Cass. 2e civ. 15-4-2021 n° 19-20.281 F-P).
- Le défaut de saisine régulière d’un tribunal ne constitue pas un vice de forme, mais une fin de non-recevoir (Cass. 2e civ. 6-1-2011 n° 09-72.506 : Bull. civ. II n° 5 ; Cass. 2e civ. 1-6-2017 n° 16-15.568 F-PB). En revanche, affectant le contenu de l’acte de saisine de la juridiction et non le mode de saisine de celle-ci, l’irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne constitue pas une cause d’irrecevabilité de celle-ci, mais relève des nullités pour vice de forme (Cass. 2e civ. 19-10-2017 n° 16-11.266 F-PB).
Les différences d’effets : Comparaison des régimes juridiques de l’exception de nullité pour vice de fond et fin de non-recevoir
| Fin de non-recevoir | Exception de procédure | |
| Prescription | Pas d’interruption de la prescription | Interruption de la prescription |
| Moment de la présentation | En tout état de cause (art 123) et pour la première fois en appel | A peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et in limine litis, cad avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (CPC art. 74, al. 1). La nullité pour vice de forme pourra même être couverte (art. 112 cpc) SAUF : l’exception de connexité : à tout moment l’exception de nullité pour vices de fond : à tout moment mais devant le JME |
| Régularisation | Régularisable jusqu’au moment où le juge statue (CPC art. 126). | Au cas par cas : parfois couvrable, parfois non (CPC art. 121). Généralement couvrable |
| Nécessité d’un grief | Non (CPC art. 124) | Exception de nullité de fond : pas de grief (119 cpc) Exception de ullité de forme : grief Les autres exceptions : non pertinent puisque doivent être justifiées (incompétence, sursis, etc.) |
| Nécessité d’une disposition expresse | Non | Exception de nullité de fond : pas de grief Exception de ullité de forme : grief |
| Juge compétent | JME (CPC art. 789) ou fond si pas de JME | JME (CPC art. 789) ou fond si pas de JME |
La vraie différence est finalement que la fin de non recevoir n’interromp pas la prescription : c’est ce qui est mortel dans les procédures avec délais comme la saisine du juge des loyers et son délai d’un mois (Civ. 3e, 8 févr. 2024, no 22-22.301) ou la procédure d’appel. Pour les procédures sans date butoir (type procédure écrite au fond ordinaire TJ), la différence a peu d’importance si ce n’est de vérifier le moment de présentation (in limine litis ou non).
Tableau synthétique
| Exception de procédure (Forme) | Exception de procédure (Fond) | Fins de non- recevoir | Défense au fond | |
| Sanction | Irrégularité, Suspension Extinction (73) | Extinction (nullité) | Irrecevabilité (122) | Mal-fondé (30) |
| Domaine | Actes de procédure | Actes de procédure | Action en justice (30) | Demande |
| Cas prévus CPC | . Incompétence (75 s.) . Litispendance, connexité (100 s.) . Exceptions dilatoires (108 s.) . Exception de nullité pour vice de forme (112) | Défaut de capacité d’agir ou de pouvoir (117) | Défaut d’intérêt, de qualité, prescription, chose jugée (122) | Droit substantiel |
| Régime | . Soulevées simultanément (74, 113) . In limine litis (74, 112) Nullité pour vice de forme . Prouver un grief (114) . Nullité pouvant être couverte (115) | . En tout état de cause (118) . Pas de grief (119) . Relevé d’office si OP (120) . Régularisation si possible (121) | . En tout état de cause (123) . Pas de grief (124) . Relevé d’office si OP (125) . Régularisation si possible (126) | Débouté |
