Quelle est la valeur juridique d’une LRAR non réclamée ?

Le destinataire d’une lettre recommandée peut être tenté de ne pas aller la retirer au bureau de poste afin d’échapper aux éventuelles conséquences qu’elle induirait.

Mais qu’en est-il réellement ?

Quel est l’effet d’une notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception non réclamée ?

Les règles diffèrent selon que:

  • La LRAR est adressée dans une phase pré contentieuse ou au contraire contentieuse
  • La LRAR est adressée dans une procédure judiciaire ou au contraire extra judiciaire

Pour la mise en demeure contractuelle/non-contentieuse

La LRAR non réclamée a un effet.

La Cour de cassation fait échapper les notifications non contentieuses aux règles prévues pour la notification des actes de procédure en vertu desquelles la notification par lettre recommandée est privée d’effet si l’accusé de réception n’a pas été signé (Cass. 1e civ. 20-1-2021 no 19-20.680). Elle a jugé que n’étaient pas contentieuses l’information du cédant de droits sociaux par l’acquéreur qu’il mettait en œuvre la garantie de passif (Cass. com. 8-11-2023 no 21-25.033) et la mise en demeure de payer adressée par le créancier au débiteur défaillant (Cass. 1e civ. 20-1-2021 précité) ou à sa caution (Cass. 1e civ. 11-1-2023 no 21-23.957), de sorte que le défaut de réception effective de la lettre recommandée AR par son destinataire n’en affectait pas la régularité.

La Cour de cassation a par un arrêt du 20 janvier 2021 (n°19-20.680) jugé que :« la mise en demeure que le créancier doit adresser au débiteur en application de l’article 1146 (devenu 1221) du Code civil (…) n’étant pas de nature contentieuse, les dispositions des articles 665 à 670-3 du Code de procédure civile ne sont pas applicables et le défaut de réception effective par le débiteur de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n’affecte pas sa validité ».

En d’autres termes, le fait que le courrier avec avis de réception ne soit pas parvenu à son destinataire ne prive en rien la mise en demeure de son effectivité.

Cette solution très pragmatique vise à ne pas laisser le choix aux débiteurs de mauvaise foi de retirer ou non les courrier recommandés qu’ils reçoivent et de bloquer ainsi les recours offerts par la loi à leurs créanciers. 

Les débiteurs ont donc tout intérêt à les retirer ne serait-ce que pour prendre connaissance de leurs contenus et ainsi se défendre efficacement. N’oublions pas en effet, comme le rappelle la Cour de cassation par cet arrêt, qu’une mise en demeure n’est pas un acte contentieux mais une (ultime?) tentative de résolution amiable d’un conflit.

Efficacité de la renonciation par lettre recommandée AR à une clause de non-concurrence

Le bénéficiaire d’une clause de non-concurrence peut valablement informer le débiteur de la renonciation à cette clause en lui adressant une lettre recommandée avec accusé de réception, même si celui-ci ne retire pas la lettre.

Dans une affaire récente (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 23-21.997 F-D, Sté Financière Hygie c/ X), un pacte d’associés prévoyait une obligation de non-concurrence de 24 mois à la charge des « managers » quittant le groupe, moyennant une indemnité d’environ 180 000 €. La société avait adressé deux courriers recommandés à l’un de ses anciens dirigeants : l’un l’informant de la révocation de ses mandats sociaux, l’autre de la levée de son engagement de non-concurrence. Ces lettres avaient été retournées avec la mention « destinataire inconnu ». La cour d’appel avait considéré que la renonciation n’était pas valable, estimant que la société devait s’assurer que l’associé avait effectivement connaissance de l’information. La Cour de cassation a censuré ce raisonnement : la notification de la renonciation n’ayant pas un caractère contentieux, l’absence de retrait de la lettre recommandée n’affecte pas sa validité. Cette solution confirme que l’efficacité d’une renonciation à une clause de non-concurrence dépend de l’envoi régulier d’une LRAR, et non de sa réception effective par le destinataire.

Lettre recommandée et congé de bail d’habitation

En matière de bail d’habitation, la règle est stricte : une lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) non réclamée n’a aucun effet.

L’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 prévoit expressément que :

« Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, signifié par acte de commissaire de justice ou remis en main propre contre récépissé ou émargement. Le délai court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l’acte ou de la remise en main propre. »

Autrement dit, ce n’est pas l’envoi qui compte, mais bien la réception effective par le locataire ou le bailleur.

LRAR non réclamée : pas de congé valable

Lorsqu’un congé de bail d’habitation est envoyé en recommandé et revient avec la mention « pli avisé et non réclamé », il est considéré comme non notifié. La Cour de cassation l’a confirmé dans un arrêt du 21 septembre 2022 (Civ. 3e, n° 21-17.691) : le congé n’est pas régulièrement donné si la lettre n’est pas remise à son destinataire.

Le destinataire qui ne va pas chercher son courrier à La Poste ou qui refuse de signer l’avis de réception est réputé ne jamais l’avoir reçu. Dans ce cas, le délai de préavis ne commence pas à courir.

L’intérêt du locataire à ne pas retirer la lettre

D’un point de vue pratique, le locataire a tout intérêt à ne pas réclamer le recommandé contenant le congé. En refusant de le retirer, il bloque le départ du délai de préavis et maintient la continuité de son bail. Cette stratégie, bien que souvent critiquée comme une manœuvre dilatoire, est parfaitement efficace tant que le bailleur ne fait pas appel à un commissaire de justice.

Conséquences pratiques

  • Si vous êtes bailleur et que vous voulez donner congé à votre locataire, méfiez-vous : un simple recommandé qui revient non réclamé n’interrompt pas le bail. Il faudra alors passer par un commissaire de justice (ancien huissier de justice), dont la signification fait courir le délai de préavis.
  • Si vous êtes locataire et que vous voulez quitter votre logement, la même règle s’applique : votre congé doit parvenir effectivement au bailleur. Une lettre recommandée non retirée par votre propriétaire est inopérante.

En résumé

Pour être valable, le congé d’un bail d’habitation doit être effectivement reçu par le destinataire. L’envoi par LRAR ne suffit pas : en cas de retour avec la mention « pli avisé et non réclamé », la notification est nulle et le délai de préavis ne commence pas. La seule solution sûre, si l’on veut éviter toute contestation, est la signification du congé par commissaire de justice.

Pour la notification d’un jugement (et le délai d’appel)

La LRAR non réclamée n’a aucun effet (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 19 novembre 2020, 19-17.934, Publié au bulletin) :

« 6. Il résulte de ces textes que le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise.
7. Pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article R142-28 du code de la sécurité sociale que le délai d’appel est d’un mois à compter de la notification du jugement, qu’en cas de notification à domicile, le délai court à compter du dépôt de la lettre recommandée et non pas de son retrait et qu’en conséquence, l’appel formé le 12 octobre 2016, alors que l’accusé de réception de la notification du jugement était en date du 6 septembre 2016, est manifestement hors délais. »

La LRAR non réclamée n’a aucun effet.

Les décisions du juge de l’exécution ou du conseil de prud’hommes sont notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception par le greffe.

Article 670-1 CPC « En cas de retour au greffe de la juridiction d’une lettre de notification dont l’avis de réception n’a pas été signé dans les conditions prévues à l’article 670, le greffier invite la partie à procéder par voie de signification. »

Si la LRAR n’est pas réclamée, aucun notification n’a lieu et aucun délai ne court.

Pour le non-respect d’un plan de surendettement

La LRAR non réclamée a un effet.

« la mise en demeure prévue à l’article R732-2 du code de la consommation, préalable à la caducité d’un plan conventionnel de redressement, n’étant pas de nature contentieuse, c’est à bon droit que le tribunal d’instance, relevant que celle-ci n’avait pas été suivie d’effet, peu important que son destinataire n’ait pas réclamé cette lettre, a, sans être tenu de répondre au moyen inopérant tiré de l’impossibilité de retirer le pli, retenu qu’une mesure d’exécution pouvait être effectuée » (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n°15-27.725)

Pour le mémoire préalable en fixation du prix du bail renouvelé ou révisé

La LRAR non réclamée a un effet.

La formalité de notification du mémoire en fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est remplie lorsque son destinataire est à même de retirer la lettre recommandée présentée à son domicile. Ajoute ainsi à la loi une condition qu’elle ne comporte pas la cour d’appel qui exige une remise effective de la lettre recommandée à son destinataire pour déclarer régulière la notification. (Cour de cassation, Chambre civile 3, 16 octobre 2013, 12-20.103, Publié au bulletin)

Pour la signification d’un acte par un huissier de justice

La LRAR non réclamée n’a aucun effet.

En matière de signification à domicile (et non à personne), la date de signification (date de point de départ est celle de l’acte lui-même de signification c’est à dire le jour de présentation de l’huissier au domicile et non :

  • Celle de l’envoi par l’huissier de justice de la lettre prévue par l’article 658 (Civ. 2e, 12 oct. 1994, n° 92-19.332) ;
  • Celle du retrait du pli par le destinataire en cas de dépôt à l’étude (Civ. 2e, 5 févr. 1997, n°95-11.752).

En matière de copropriété et de délai de rétractation d’une vente immobilière

La LRAR non réclamée a un effet.

Les textes en matière de copropriété et de délai de rétractation dans le cadre d’une vente immobilière prévoient, tant l’article 64 du décret du 17 mars 1967 (en copropriété) que l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation (relatif à la vente) que le destinataire a reçu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception le lendemain du jour de sa première présentation.

En application de l’article 64 du décret n° 67-223, du 17 mars 1967, la notification d’un procès-verbal d’assemblée générale par lettre recommandée avec demande d’avis de réception fait, quand bien même ne parviendrait-elle pas effectivement à son destinataire, courir le délai pour agir.

Autrement dit, même si le copropriétaire ne retire pas le pli « pli avisé et non réclamé », la notification est valable et le Syndic n’a pas à recourir à l’exploit d’huissier. ( Cass. civ. 3, 29 juin 2023, n° 21-21.708, FS-B)

Pour la convocation à une audience

N’a pas été régulièrement convoqué à l’audience d’appel, en matière de contentieux des honoraires, l’avocat dont la convocation a été retournée avec la mention «pli avisé et non réclamé » (Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-21.149, F-P+B)

La question spécifique de la convocation prévue par l’article 3-2 de la loi du 6 juillet 1989

Un point mérite encore d’être éclairci : celui de la convocation prévue à l’article 3-2 de la loi du 6 juillet 1989. Ce texte impose que les parties soient avisées au moins sept jours avant le constat établi par le commissaire de justice. Mais à partir de quelle date ce délai doit-il être compté ?

Le Code de procédure civile (art. 668) retient, en principe, la date d’expédition de la lettre recommandée. Cela signifie qu’en théorie, le délai de sept jours court dès l’envoi de la convocation. En pratique, toutefois, cette solution peut poser difficulté : le destinataire dispose de quinze jours pour retirer son pli recommandé, et il peut arriver que la date de convocation soit échue avant même qu’il n’en ait pris connaissance.

À ce jour, il n’existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence de la Cour de cassation directement sur ce point. Les juridictions pourraient être tentées d’appliquer strictement le texte (date d’expédition), mais on peut aussi imaginer qu’un juge considère que l’absence d’information effective de la partie porte atteinte à ses droits, ce qui pourrait fragiliser le constat.

Dans le doute, la solution la plus sûre reste la signification par acte de commissaire de justice, qui fait courir le délai de manière incontestable.

Autres cas

L’hypothèse d’un dysfonctionnement des services postaux doit être distinguée de celle où le destinataire refuse la lettre recommandée ou ne va pas la retirer. Dans bien des cas et sauf disposition contraire de la loi (exigeant la preuve de la réception de la lettre par le destinataire ou, à défaut, le recours à un autre mode de notification), la validité de la notification n’est pas alors remise en cause. Il en a été jugé ainsi notamment à propos de :

  • la notification du non-renouvellement d’un contrat de franchise (Cass. com. 29-1-2008 no 06-20.426 F-D : RJDA 6/08 no 635),
  • de la suspension d’un permis de conduire (Cass. crim. 4-6-2013 no 12-86.877 P : Bull. crim. no 126),
  • d’un procès-verbal de l’assemblée générale de copropriété (Cass. 3e civ. 29-6-2023 no 21-21.708 FS-B),
  • de la mise en demeure préalable à la caducité d’un plan conventionnel de surendettement (Cass. 2e civ. 1-12-2016 no 15-27.725 FP-B)
  • ou encore pour l’information annuelle de la caution par le créancier (Cass. com. 24-11-2021 no 20-11.722 F-D : RJDA 3/22 no 168).

Quid de la LRAR « refusée » ?

Il semble que les solutions soient les mêmes pour les LRAR refusées que non réclamées (Soc. 31 mars 2003, no 02-30.765).

Quelle date de notification prendre en compte pour une LRAR ?

Article 668 CPC « la date de la notification par voie postale est,

  • à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition
  • et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre. »

Comment contourner le problème ?

Aux termes de l’art. 651 du c. pr. civ., la signification par huissier de justice est envisageable alors même qu’elle n’est pas expressément prévue.

L’avantage est de s’assurer de la notification (qui prend alors le nom de signification) et de contrôler la date.

3 réflexions sur “Quelle est la valeur juridique d’une LRAR non réclamée ?”

  1. Maître, merci pour ces informations.
    Le destinataire d’une LR peut-il prendre connaissance de l’identité de l’expéditeur pour ensuite refuser explicitement le pli.
    L’opérateur courrier (le plus souvent La Poste) doit-il fournir un document au destinataire concernant ce refus, afin que, le cas échéant et preuve à l’appui, le destinataire puisse porté plainte auprès de la CNIL dans le cas d’utilisation abusive voire délictuelle de ses données personnelles ?

  2. Bonjour
    Je travaille dans le secteur public local. Un projet de décompte général définitif a été notifié en temps et en heure à une entreprise de travaux, mais celle ci n’a pas été retirer le recommandé, car elle a déménagé et a oublié d’aller à la Poste en partant. C’est bien la date du premier recommandé qui fait foi ? Faut il renvoyer le courrier en recommandé de nouveau, ou en courrier simple avec la signature du président correspondant à la date initiale ? merci de votre aide.

  3. Bonjour,

    Dans votre chapitre sur « la mise en demeure contractuelle/non-contentieuse » vous illustrez votre propos par le cas du débiteur/créancier.

    Les autres cas non contentieux semblent visés par ce que vous exposez dans le chapitre « Autres Cas », mais les jurisprudences citées concernent chaque fois un cas particulier. Peut-on en déduire que cette position serait étendue à tous les cas de mise en demeure non contractuelle entre entreprises ?

    Cordialeme,t

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