Fondement juridique
Article 47 CPC :
« Lorsqu’un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d’une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe.
Le défendeur ou toutes les parties en cause d’appel peuvent demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions. A peine d’irrecevabilité, la demande est présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi. En cas de renvoi, il est procédé comme il est dit à l’article 82. »
Les auxiliaires et matières concernés
Qui est un auxiliaire de justice
- conseiller prud’homal
- juge consulaire (Cass. 2e civ. , 6 janv. 1988, n° 86-16.261 : , n° 2 . – Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 09-17.114 : JurisData n° 2010-016628 ; Bull. civ. II, n° 158 ).
- Avocat
- Administrateur judiciaire
Les matières hors privilège
L’application de l’article 47 est écartée en matière de contestation d’honoraires d’avocat (Cass. 1re civ., 14 mai 1991, n° 89-15.175) ainsi qu’en matière de règlement des différends entre avocats (Cass., avis, 23 mai 2011, n° 11-00.003) ou de procédures disciplinaires (Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 15-20.325).
En revanche, les règles de compétence posées par l’article R. 600-1 du Code de commerce en matière de procédures collectives ne dérogent pas à l’article 47 (Cass. com., 28 oct. 2008, n° 07-20.801).
Toutefois, l’article 47 demeure inapplicable lorsque le litige relève de la compétence exclusive du juge-commissaire (C. com., art. R. 662-3-1).
Par ailleurs, le privilège de juridiction instauré par l’article 47 du CPC ne s’applique pas aux litiges entre avocats nés à l’occasion de l’exercice professionnel. Ces contentieux obéissent à des procédures spécifiques prévues par la loi du 31 décembre 1971 et le décret du 27 novembre 1991 (CA Paris, 28 juin 2011, n° 10/01255 ; Cass. 1re civ., 27 févr. 2013, n° 12-15.828).
Qui n’est pas auxiliaire de justice ?
Cette qualité d’auxiliaire de justice a été déniée
- aux notaires (Cass. soc. 3-6-1982 n° 80-40.897),
- aux experts judiciaires (Cass. 2e civ. 7-5-1980 n° 78.15.382 : Bull. civ. II n° 98)
- et même aux avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État (CA Paris 19-5-1983).
Quand la question du privilège de juridiction se pose-t-elle ?
La demande au moment de l’assignation
Lorsqu’un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige relevant de la compétence d’une juridiction dans le ressort de laquelle il exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe ( CPC, art. 47, al. 1er ).
La demande en défense
Le défendeur – comme toute partie intimée ou appelante – peut solliciter le renvoi devant une autre juridiction, dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article 82 du Code de procédure civile. En cas d’acceptation, il est alors procédé à un renvoi pour incompétence vers la juridiction désignée (CPC, art. 47, al. 2).
La demande doit être présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi, à peine d’irrecevabilité (s’agissant d’un avocat : Cass. 2e civ., 7 avr. 2016, n° 15-15.372).
Le renvoi s’impose lorsque l’Ordre des avocats est partie à l’instance en la personne de son bâtonnier (Cass. 2e civ., 18 oct. 2012, n° 11-22.374).
Lorsque ces conditions sont réunies, le dépaysement est de droit (Cass. 2e civ., 6 janv. 2012, n° 10-27.998).
Une demande présentée tant par l’auxiliaire que la partie adverse
Le dépaysement peut être présenté par l’auxiliaire de justice lui-même (par exemple l’avocat) mais également par le non auxiliaire qui peut vouloir que l’avocat ne « bénéficie » pas de la connaissance de son propre tribunal.
Les cartes


Le choix de la juridiction limitrophe pour un avocat
La question n’est pas anodine : assigner devant un tribunal situé hors du ressort professionnel de l’avocat-défendeur entraîne des frais de postulation supplémentaires, que l’article 47 du CPC permet précisément d’éviter lorsque ses conditions sont réunies.
Pour que le demandeur puisse saisir une autre juridiction sans supporter ces frais, celle-ci doit être située dans un ressort limitrophe de celui où exerce l’avocat défendeur. Autrement dit, il doit exister une frontière commune entre les deux ressorts : la juridiction choisie doit avoir un ressort contigu à celui normalement compétent (Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n° 00-13.116 ; Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 10-20.334).
La jurisprudence confirme que le ressort limitrophe s’entend strictement comme celui qui partage une frontière territoriale avec le ressort du lieu d’exercice de l’auxiliaire de justice (CA Douai, 3e ch., 2 mars 2023, n° 22/05095).
Des règles différentes entre 1ère instance et appel
La saisine de la juridiction limitrophe s’opère selon des mécanismes différents selon que l’option est exercée en première instance ou en appel.
Le caractère limitrophe de la juridiction s’apprécie :
- lorsque la demande est faite devant le tribunal judiciaire au regard du ressort de ce tribunal judiciaire et non au regard de celui de la cour d’appel dont il dépend.
- lorsque la demande est faite devant la cour d’appel au regard du ressous de la cour d’appel dont il dépend.
En première instance
Le demandeur doit :
- Soit saisir le tribunal dans lequel exerce l’avocat ;
- Soit un tribunal limitrophe.
Pour un avocat parisien
S’agissant des avocats inscrits au barreau de Paris , le ressort où ils exercent leurs fonctions comprend les ressorts des tribunaux judiciaires de Bobigny, Créteil et Nanterre (Cour d’appel, Versailles, 14e chambre, 1 Juillet 2021 – n° 20/05417).
Pour un avocat parisien : ce ressort comprend les ressorts des tribunaux judiciaires de Bobigny, Créteil et Nanterre.
Ainsi, le tribunal judiciaire de Nanterre n’est pas limitrophe de celui de Paris ( Cass. 2e civ., 4 févr. 1998 : JCP G 1998, IV, 1665, p. 568 ).
Mais le TJ de Versailles est dans un ressort limitrophe pour l’avocat au Barreau de Paris : « Madame [W] [X] ne conteste pas être avocat au barreau de Paris (…) En conséquence, le Tribunal judiciaire de Paris se déclare incompétent et renvoie les parties devant le Tribunal judiciaire de Versailles, situé dans le ressort de la Cour d’appel de Versailles, limitrophe de celui de la Cour d’Appel de Paris et donc compétent pour connaître de ce litige. » (Tribunal Judiciaire de Paris, Pcp jtj proxi requetes, 21 décembre 2023, n° 23/00322)
Pour attaquer la RCP d’un avocat de Nanterre, vous saisissez soit Nanterre soit Versailles mais pas Paris !
Autrement dit, pour un avocat du barreau de Paris, Val de Marne (Créteil), Bobigny, ou Nanterre, le demandeur :
- peut saisir le tribunal du barreau exact de l’avocat [Tribunal de Créteil (val-de-marne), Bobigny ou Paris ou Nanterre)
- peut saisir le Tribunal limitrophe :
- Evry (limitrophe par Créteil)
- Versailles (limitrophe par Nanterre)
- Pontoise (limitrophe par Nanterre)
- Senlis (limitrophe par Bobigny)
- Meaux (limitrophe par Bobigny)
- Ne peut pas saisir à cause de la multipostulation HORMIS CELUI DE SON PROPRE BARREAU: Créteil, Bobigny, Paris et Nanterre
- Ne peut pas saisir parce que non limitrophes : Chartres, Troyes, etc.
Les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux judiciaires de Paris , Créteil et Nanterre peuvent exercer, auprès de chacune de ces juridictions, les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué.
- Le tribunal de Versailles est une juridiction située dans un ressort limitrophe de celui dans lequel un avocat au barreau de Paris exerce ses fonctions, (Cour d’appel, Paris, 19 Octobre 2022 – n° 22/07363)
- Le tribunal judiciaire d’Orléans n’est pas une juridiction située dans un ressort limitrophe de celui dans lequel un avocat au barreau de Paris exerce ses fonctions, (Cour d’appel, Paris, 19 Octobre 2022 – n° 22/07363)
En cause d’appel
En cours de rédaction
Sanction
Lorsque le tribunal choisi n’est pas situé dans un ressort limitrophe, la demande de renvoi fondée sur l’article 47 doit être écartée. Le contredit – aujourd’hui remplacé par l’appel – formé par le défendeur doit alors être déclaré bien-fondé (CA Paris, 4 févr. 1998, n° 97/25377).
Des règles floues et mal comprises par les juridictions
Cependant, la question de la multipostulation demeure particulièrement technique et, en pratique, elle est parfois mal maîtrisée, y compris par les juridictions. Une illustration significative en est donnée par un arrêt de la Cour de cassation ayant, à tort, considéré que la cour d’appel de Versailles constitue une juridiction limitrophe de Paris.
Dans cette affaire, un avocat parisien avait choisi, en première instance, de délocaliser une procédure de Nanterre vers Pontoise. La Cour de cassation a jugé qu’il était irrecevable, en appel, à solliciter un renvoi devant la cour d’appel de Reims, au motif qu’il aurait dû, dès l’origine, choisir une juridiction relevant d’un autre ressort de cour d’appel que ceux de Paris ou de Versailles (Cass. 2e civ., 12 avr. 2018, n° 17-17.241).
L’arrêt déduit donc – à tort – que Paris et Versailles seraient limitrophes, alors que leurs ressorts ne sont pas contigus. Cette confusion illustre combien la multipostulation et la notion de ressort limitrophe peuvent, encore aujourd’hui, être appliquées de manière approximative.
La multipostulation
Postulation et multipostulation : où puis-je postuler ?
Tableau récapitulatif
| Profession | Lieu d’exercice | Juridiction saisie | Juridiction limitrophe pouvant être saisie par le demandeur ou être destinataire du renvoi | Source |
| Avocat | Paris | TJ Paris | TJ Versailles | Cour d’appel de Paris 19 octobre 2022 RG n° 22/07363 Tribunal judiciaire, Paris, 8 Février 2024 – n° 23/08807 Tribunal judiciaire, Paris, 21 Décembre 2023 – n° 23/00322 |
| Avocat | Chartres | TJ Chartres | TJ Paris | L’avocat de Chartres n’a pas de multipostulation |
| Avocat | Paris | CPH Paris | CPH Boulogne | Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 2, 4 Avril 2024 – n° 23/07512 |
| Avocat | Boulogne sur mer | TJ Saint-Omer | TJ Amiens | Cour d’appel, Douai, 3e chambre, 2 Mars 2023 – n° 22/05095 |
| Administrateurs judiciaires | Ile de france | CA Versailles | CA Orléans | Cour d’appel, Versailles, 14e chambre, 14 Janvier 2021 – n° 19/06863 |
| Conseiller prud’hommal | Pointe-à-Pitre | Pointe-à-Pitre/Basse-Terre | Fort-de-France | Cour d’appel, Basse-Terre, Chambre sociale, 7 Décembre 2020 – n° 19/01562 |
