Qu’est-ce que l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité ?
Présentation
L’article 314-7 du Code pénal sanctionne le fait, par un débiteur, d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité, en vue de se soustraire à l’exécution d’une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive ou, dans certaines hypothèses, par une juridiction civile (alinéa 1er). Le même texte réprime, par ailleurs, le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale qui, poursuivant un objectif analogue, organise ou aggrave l’insolvabilité de cette dernière (alinéa 2).
Ce délit, institué par la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 tendant à renforcer la protection des victimes d’infraction, avait été initialement placé, dans l’ancien Code pénal, à côté de l’escroquerie et était donc considéré comme une infraction voisine de celle-ci. Puis, les rédacteurs du nouveau Code pénal, tout en maintenant cette incrimination, ont estimé utile de la faire figurer parmi les « détournements », à savoir l’abus de confiance et le détournement de gage ou d’objet saisi. Il est toutefois permis de se demander si la place qu’ils lui ont réservée est justifiée
Intérêts protégés
À première vue, l’infraction d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité vise à protéger les créanciers dont les prérogatives peuvent être menacées par des actes de disposition, des dissimulations, de fausses reconnaissances de dettes ou tout autre acte de nature à diminuer le patrimoine du débiteur sur lequel ils ont un droit de gage général. Sans aucun doute, ce texte complète, de manière efficace, les dispositions de l’article 1167 du Code civil, qui autorisent les créanciers à exercer l’action paulienne, par laquelle ils peuvent attaquer en leur nom personnel, les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. On voit donc qu’en dehors de cette action, les créanciers peuvent bénéficier de l’arsenal répressif existant qui permet de condamner, sur le plan pénal, les débiteurs agissant de mauvaise foi, sauf si leur créance relève du domaine contractuel.
À vrai dire, l’infraction définie à l’article 314-7 du Code pénal n’a pas uniquement pour finalité de protéger les intérêts des créanciers mais, d’abord et avant tout, l’autorité des décisions judiciaires (Ph. Conte, Droit pénal spécial, op. cit., n° 682). Ainsi, la doctrine souligne-t-elle les « liens prédominants » (M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., n° 999 😉 du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité avec l’administration de la justice, en déclarant que celui-ci sanctionne « une entrave à l’exécution de ses décisions qui ont été humiliées par le prévenu » ( ; J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 6e éd. 2014, n° 1039).
Tels étant alors les objectifs poursuivis par l’incrimination en cause, il convient d’étudier, d’une part, ses composantes et, d’autre part, les règles régissant sa répression.
LES COMPOSANTES DE L’INFRACTION
Pour que le délit soit constitué, la loi exige une décision de condamnation déjà prononcée, un acte tendant à organiser ou à aggraver l’insolvabilité d’un débiteur et l’intention coupable de ce dernier.
1) La nécessité d’une décision judiciaire prononcée
La nature de la décision
L’article 314-7 du Code pénal punit le débiteur qui se soustrait à l’exécution de certaines condamnations de nature patrimoniale. En particulier, il s’agit de celles prononcées par une juridiction pénale : condamnations à des peines d’amende ou de confiscation, condamnations au paiement des dommages-intérêts ou des frais de justice, etc. La loi vise également les condamnations prononcées par une juridiction civile en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments. Plus précisément, sont concernées, par ces termes, les condamnations intervenues dans le domaine de la responsabilité civile – et ayant, par exemple, pour appui les dispositions des articles 1382 à 1386 du Code civil ou celles de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation, ou les condamnations au paiement d’aliments.
De plus, l’article 314-9 du Code pénal assimile à ces dernières les décisions judiciaires et les conventions judiciairement homologuées portant obligation de verser des prestations, subsides ou contributions aux charges du mariage (voir Crim. 5 avr. 2005, Bull. crim. n° 118 ; Dr pénal 2005, comm. n° 104, note M. Véron). En tout cas, ne relève pas de la catégorie de ces conventions la seule mention, dans une ordonnance de non-conciliation, de « l’engagement » d’un mari à prendre en charge la totalité des remboursements d’emprunts de la communauté (voir Crim. 23 août 1994, Bull. crim. n° 293 ; Rev. sc. crim. 1995, p. 103, obs. R. Ottenhof).
De même, dans le silence de la loi, restent en dehors du champ d’application de l’incrimination les créances relevant du domaine contractuel (ou quasi contractuel). Dans cette hypothèse, il appartient au créancier de se faire consentir des sûretés ou d’autres garanties.
Enfin, lorsqu’il s’agit de condamnations frappant une personne morale, l’article 314-7, al. 2, du Code pénal vise uniquement celles de nature « pécuniaire » (et non pas, d’une manière plus large, les condamnations de « nature patrimoniale ») résultant d’une condamnation prononcée en matière pénale, délictuelle ou quasi délictuelle.
Les caractères de la décision prononcée
Les comportements du débiteur, réprimés par l’article 314-7 du Code pénal, sont constitutifs de l’infraction, même dans l’hypothèse où ils précèdent « la décision judiciaire constatant sa dette ». En réalité, le législateur a entendu sanctionner celui qui, profitant de la longueur d’une procédure ou, ayant des raisons de redouter sa condamnation, fait traîner ladite procédure par l’exercice des recours dilatoires, afin d’organiser ou d’aggraver par anticipation son insolvabilité (voir Crim. 24 mars 2004, Bull. crim. n° 78 ; Dr pénal 2004, comm. n° 101, note M. Véron).
Toutefois le délit ne peut être retenu que si la décision de condamnation est réellement intervenue.
En revanche L’infraction est inconcevable lorsque le débiteur bénéficie d’une décision favorable ou s’il y a désistement de l’action.
Bien évidemment, l’incrimination s’applique pleinement si les faits délictueux sont commis postérieurement à la décision de condamnation.
Mais la question qui se pose ici est celle de savoir s’il est nécessaire que cette décision soit définitive. En d’autres termes, une décision, qui bénéficie d’une exécution provisoire et peut donc être réformée en appel, est-elle suffisante pour justifier une condamnation sur le fondement de l’article 314-7 du Code pénal ? Dès lors que l’infraction en cause a pour objectif essentiel de garantir l’autorité de la justice, elle devrait pouvoir s’appliquer dans ce dernier cas. Et il devrait en être ainsi même dans l’hypothèse où les intérêts des créanciers ne seraient pas lésés !
2°) La matérialisation
Les agissements réprimés
La loi sanctionne « le fait, par un débiteur, […] d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité soit en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine, soit en diminuant ou en dissimulant tout ou partie de ses revenus, soit en dissimulant certains de ses biens ».
Ainsi, tombe sous le coup de l’interdiction de la loi pénale celui qui cède des biens lui appartenant à un prix très inférieur à leur valeur réelle en diminuant l’actif de son patrimoine ou emprunte, par ailleurs, à ses proches des sommes importantes en aggravant son passif (Crim. 6 oct. 2010, Dr pénal 2011, comm. n° 3, note M. Véron). De même, le délit est constitué lorsqu’une personne diminue l’actif de son patrimoine au moyen d’une donation consentie à l’un de ses enfants portant sur un immeuble, seul bien saisissable de ce patrimoine (Crim. 23 août 1994, Bull. crim. n° 293, Rev. sc. crim. 1995, p. 103, obs. R. Ottonthoff). Entre également dans cette hypothèse la renonciation volontaire à un emploi rémunéré ayant pour résultat de diminuer l’actif du patrimoine du débiteur (Crim. 1er fév. 1990, Bull. crim. n° 55) ou une augmentation de capital frauduleuse, sans utilité pour une SCI constituée entre deux époux, qui avait pour objectif de transférer à l’épouse la presque totalité des droits sur l’actif social et d’appauvrir corrélativement l’époux débiteur (Crim. 3 oct. 1996, Bull. crim. n° 347, Dr pénal 1997, comm. n° 20, note M. Véron).
Toutefois, le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité n’est pas caractérisé dans l’hypothèse où un époux retire, trois semaines avant son assignation devant le JAF, d’un compte bancaire appartenant à la communauté universelle des fonds dont il a la libre disposition (CA Aix-en-Provence, 13 fév. 2008, Dr pénal 2008, comm. n° 95, note M. Véron).
De plus, le délit se trouve caractérisé par des ventes effectuées dans des conditions désavantageuses (Crim. 5 avr. 2005, Bull. crim. n° 118, Dr pénal 2005, comm. n° 104, note M. Véron) ou par des actes de destruction de biens et de dissimulation de revenus. Tel était le cas de l’individu qui, après avoir été condamné par une juridiction civile, a cessé son activité professionnelle à la suite d’un licenciement dont les causes sont restées inconnues et qui s’est toujours refusé, tant au cours de l’enquête que devant le tribunal, à fournir les pièces justificatives de ses activités et de ses ressources, alors qu’il était constaté qu’il avait conservé des sommes importantes sous diverses formes et en divers lieux (Crim. 24 mars 2004, Bull. crim. n° 78, Dr pénal 2004, comm. n° 101, note M. Véron).
En revanche, le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité n’a pas été retenu à l’encontre du prévenu qui avait dissimulé, au cours d’une audience civile, qu’en plus de son allocation pour adulte handicapé, il exerçait l’activité de gérant de fait d’une société commerciale, ce qui lui avait permis d’obtenir la suspension du paiement de la pension alimentaire. La solution adoptée est justifiée car le délit de l’article 314-7 du Code pénal est une infraction de commission, si bien que la non-révélation, par le prévenu, d’une partie de ses revenus ne devrait pas logiquement entrer dans le champ d’application de l’incrimination (Crim. 25 avr. 2006, Bull. crim. n° 108, Dr pénal 2006, p. 310, obs. J. Leblois-Happe).
3°) L’élément intentionnel
L’incrimination de l’article 314-7 du Code pénal est un délit intentionnel qui suppose que l’auteur ait sciemment commis les faits, c’est-à-dire en ayant connaissance de la condamnation intervenue ou des raisons pouvant l’entraîner. Mais, en dehors du dol général, l’infraction ici étudiée exige également un dol spécial ; en particulier, le comportement de l’agent doit être animé par la volonté d’échapper aux conséquences de sa condamnation. Ainsi, cette volonté a-t-elle été établie dans l’hypothèse où une personne avait cédé, sans contrepartie, deux mois avant l’audience du tribunal correctionnel à laquelle une affaire la concernant avait été renvoyée, à sa concubine et au fils de celle-ci 60 % du capital d’une société civile immobilière dont il était l’unique détenteur, « alors qu’il pouvait redouter d’être condamné par cette juridiction » (Crim. 5 avr. 2005, Bull. crim. n° 118, Dr pénal 2005, comm. n° 104, note M. Véron). De même, l’intention coupable a été caractérisée à l’égard d’un prévenu qui, ayant consenti une donation à l’un de ses enfants, était certain, à la date de celle-ci, de son renvoi devant la cour d’assises (Crim. 23 août 1994, Bull. crim. n° 293, Rev. sc. crim. 1995, p. 103, obs. R. Ottonthoff).
L’élément intentionnel de l’infraction a été également retenu lorsqu’un individu, condamné à des dommages et intérêts pour diffamation, avait fait donation à ses parents de la nue-propriété de ses meubles, quelques jours après avoir frappé d’appel le jugement le condamnant. En revanche, l’absence de preuve d’un « projet frauduleux » peut justifier une décision de relaxe (crim 25 avril 2006)
LA RÉPRESSION
Peines applicables
Qu’il s’agisse d’un débiteur, personne physique, ou d’un dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale, l’un et l’autre s’exposent aux mêmes peines, à savoir un emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 euros. En outre, ils encourent les peines complémentaires visées à l’article 314-11 du Code pénal. En particulier, il s’agit de la peine de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit (à l’exception des objets susceptibles de restitution) et de l’affichage ou de la diffusion de la décision prononcée. Quant aux personnes morales déclarées responsables pénalement, elles peuvent se voir appliquer, en dehors de la peine d’amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques, la peine de confiscation et l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée (art. 314-13 C. pén.).
Lorsque la condamnation (de nature patrimoniale) à laquelle l’auteur a tenté de se soustraire a été prononcée par une juridiction pénale, le tribunal peut décider que la peine qu’il prononce pour le délit de l’article 314-7 du Code pénal ne se confondra pas avec celle qui a été précédemment prononcée. Cette possibilité est expressément prévue par l’article 314-8, al. 2, du Code pénal instituant une dérogation à la règle du non-cumul des peines (Crim. 6 mai 2002, Bull. crim. n° 99, Dr pénal 2002, comm. n° 123, note M. Véron).
Complicité
La juridiction répressive, saisie du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, peut décider que la personne condamnée comme complice de l’infraction est tenue solidairement, dans la limite des fonds ou de la valeur vénale des biens reçus à titre gratuit ou onéreux, aux obligations pécuniaires résultant de la condamnation à l’exécution de laquelle l’auteur du délit a voulu échapper (art. 314-8, al. 1er, C. pén.). Comme la Cour de cassation l’a clairement affirmé, cette faculté offerte au juge pénal lui permet, non pas d’apprécier le montant de l’indemnité destinée à réparer le dommage né de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité et mise à la charge de l’ensemble des personnes condamnées pour ladite infraction, mais seulement de déclarer le complice de ce délit tenu solidairement, avec l’auteur principal, dans la limite prévue par [la loi], aux obligations pécuniaires résultant de la condamnation à l’exécution de laquelle celui-ci a voulu se soustraire (art. 314-8, al. 1er, C. pén.)¹. Peut donc faire l’objet d’une condamnation solidaire une femme mariée qui, en en occultant son état, aide son mari à dissimuler ses biens et revenus en lui servant de prête-nom dans le cadre d’une société commerciale, afin de lui permettre d’échapper à diverses condamnations pécuniaires (crim 16 nov 2004).
Prescription
La prescription de l’action publique ne court qu’à compter de la condamnation à l’exécution de laquelle le débiteur a voulu se soustraire. Il en est ainsi même dans l’hypothèse où le comportement incriminé serait accompli antérieurement au prononcé de cette condamnation. Toutefois, la prescription ne peut courir qu’à compter du dernier agissement ayant pour objet d’organiser ou d’aggraver l’insolvabilité du débiteur, lorsque cet agissement est postérieur à la condamnation intervenue (art. 314-8, al. 3, C. pén.).