En droit des contrats, le dol incarne la trahison du consentement. Il ne se confond pas avec l’erreur ou la négligence : il suppose la volonté délibérée de tromper.
L’article 1137 du Code civil en donne la définition : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. » Constitue également un dol « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».
Autrement dit, le dol n’est pas une simple erreur exploitée par hasard : il suppose une intention frauduleuse. Le contrat, censé naître d’un échange loyal, repose alors sur un consentement vicié.
Les trois composantes du dol
Pour être retenu, le dol suppose la réunion de trois éléments :
L’élément matériel
Il s’agit des actes ou omissions qui provoquent la tromperie : manœuvres, mensonges, ou silence volontaire sur une information essentielle.
L’élément intentionnel
C’est la volonté de tromper le cocontractant pour l’amener à conclure le contrat. L’intention distingue le dol de la simple erreur : il y a une volonté de manipuler, non une simple méprise.
Le lien de causalité
La manœuvre doit avoir déterminé le consentement de la victime ; sans elle, le contrat n’aurait pas été conclu, ou pas à ces conditions.
Le dol par silence : la réticence dolosive
La réticence dolosive est la forme la plus insidieuse du dol. Elle consiste à se taire délibérément sur une information décisive dont on sait qu’elle aurait influencé la décision de l’autre partie. Ce silence volontaire suffit à vicier le consentement, dès lors qu’il est gardé sciemment.
Contrairement à une idée reçue, le devoir de loyauté contractuelle ne s’éteint pas lorsque la victime est un professionnel. La Cour de cassation l’a rappelé : la réticence dolosive rend toujours excusable l’erreur provoquée, même chez un professionnel censé connaître la réglementation applicable à son activité (Cass. com., 1er octobre 2025, n° 24-13.488).
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante : que le dol résulte de manœuvres, de mensonges ou d’un silence calculé, l’erreur de la victime ne peut jamais être jugée inexcusable. Le cocontractant de bonne foi n’a pas à se méfier de celui qui, sciemment, le trompe.
Le dol inverse ainsi la logique habituelle du devoir de vigilance : dès lors qu’une tromperie est volontaire, la victime n’a pas à prouver qu’elle a été prudente.
Dol principal et dol incident
La distinction entre dol principal et dol incident conserve sa valeur :
- Le dol principal affecte la substance même du contrat : sans la tromperie, la partie n’aurait pas contracté. Il entraîne la nullité du contrat.
- Le dol incident ne détermine pas l’existence du contrat mais seulement certaines conditions accessoires (prix, modalités, prestations). Il n’ouvre alors droit qu’à des dommages-intérêts.
Cette distinction permet d’adapter la sanction à la gravité de la manœuvre.
Les sanctions du dol
Le dol entraîne la nullité relative du contrat (art. 1131 C. civ.). La victime peut obtenir l’annulation du contrat et la restitution des prestations échangées.
Elle peut également réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice subi, moral ou financier.
La nullité prononcée a un effet rétroactif : le contrat est réputé n’avoir jamais existé. Il s’agit d’une remise à zéro de la relation contractuelle.
Le dol et la bonne foi
Le dol illustre l’exigence de bonne foi qui traverse tout le droit des contrats. L’article 1104 du Code civil impose aux parties de négocier, former et exécuter le contrat de bonne foi.
Celui qui cache volontairement une information essentielle, manipule son partenaire ou entretient une illusion contraire à la réalité, viole ce principe.
Le dol n’est pas seulement une faute morale : c’est une rupture du lien de confiance sur lequel repose tout échange contractuel. Le droit civil en tire une conséquence logique : un consentement obtenu par tromperie n’a pas de valeur juridique.
Dol et erreur : deux régimes distincts
L’erreur n’entraîne la nullité du contrat que si elle est excusable et porte sur les qualités essentielles de la prestation ou du cocontractant (art. 1132 C. civ.).
Mais lorsque l’erreur est provoquée par un dol, elle est toujours excusable. La victime ne peut se voir reprocher ni sa négligence, ni son absence de vigilance, ni même sa qualité de professionnel.
Cette distinction traduit la gravité du dol : là où l’erreur relève de la maladresse, le dol relève de la tromperie.
Dol commis par un tiers : quels recours pour la partie trompée ?
En droit des contrats, le dol est traditionnellement associé à la manœuvre d’un cocontractant. Le Code civil encadre strictement cette notion : le dol n’entraîne la nullité que s’il émane de la partie au contrat ou d’une personne qui lui est rattachée (représentant, préposé, tiers de connivence).
Mais, dans la pratique, les situations sont rarement aussi nettes. Une partie peut parfaitement être induite en erreur par un acteur extérieur à la relation contractuelle : un diagnostiqueur immobilier, un fournisseur, un intermédiaire mal intentionné.
La question est alors simple : peut-on annuler un contrat sur la base d’une tromperie commise par un tiers ?
La réponse est oui – mais pas pour dol. Pour erreur.
1. Le dol du tiers : indifférent en droit… mais déterminant en fait
Le dol du tiers n’entraîne pas la nullité pour dol. Le Code civil est clair : la nullité pour dol suppose un lien juridique entre l’auteur de la tromperie et le cocontractant.
Cependant, la règle s’arrête là. Elle ne signifie pas que le contrat est intouchable.
Dès lors que la manœuvre du tiers provoque chez la victime une erreur sur la substance de l’engagement ou une qualité essentielle de la prestation, et que cette erreur est excusable, le contrat peut être annulé sur le fondement de l’article 1132 du Code civil.
L’indifférence du dol du tiers ne vise donc que la qualification de dol, non la possibilité d’obtenir la nullité par un autre biais.
Ce point est essentiel :
le droit ne sanctionne pas le comportement du tiers, mais les conséquences de sa manœuvre sur le consentement de la partie trompée.
2. L’arrêt du 19 avril 2023 : rappel méthodologique aux praticiens
Dans l’affaire jugée le 19 avril 2023, une société avait signé un contrat de location financière pour un copieur prétendument livré. Le fournisseur du matériel, tiers au contrat, avait fourni des informations trompeuses sur la réalité de la livraison.
Les juges du fond rejettent la nullité : le fournisseur n’était pas le cocontractant.
La Cour de cassation casse, rappelant un principe limpide :
L’erreur provoquée par le dol d’un tiers entraîne la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance de l’engagement.
La leçon à retenir est double :
– le juge doit examiner la demande subsidiaire en nullité pour erreur, même si la demande principale est fondée sur le dol ;
– le plaideur doit toujours articuler dol et erreur lorsqu’un tiers est en cause.
Le droit des contrats est une mécanique : si une voie est fermée, une autre peut l’être moins.
3. Exemple concret : le DPE falsifié par le diagnostiqueur
L’exemple le plus parlant – et de loin le plus fréquent – est celui de la vente immobilière réalisée sur la base d’un DPE falsifié.
Le schéma est simple :
– l’acquéreur consulte le DPE, document destiné à apprécier une qualité essentielle du bien ;
– le diagnostiqueur manipule les données ;
– le vendeur, de bonne foi, ignore tout ;
– l’acquéreur achète sur la base d’une information fausse.
Juridiquement :
– pas de nullité pour dol, puisque le vendeur n’a commis aucune manœuvre ;
– mais nullité pour erreur parfaitement possible dès lors que la performance énergétique réelle du bien était déterminante du consentement.
Le vendeur conserve sa bonne foi, mais la vente tombe quand même.
Le diagnostiqueur, lui, engage sa responsabilité délictuelle (art. 1240 C. civ.) et doit réparer le préjudice.
Ce cas illustre parfaitement la logique du système :
le droit ne cherche pas un coupable, il cherche à savoir si la volonté contractuelle a été altérée.
4. Les deux recours à dissocier : nullité du contrat et responsabilité du tiers
Dans ce type de situation, deux actions se complètent :
- L’action en nullité pour erreur, dirigée contre le cocontractant, afin d’obtenir la disparition du contrat. La bonne foi de celui-ci n’y fait pas obstacle : ce qui compte, c’est l’intégrité du consentement.
- L’action en responsabilité extracontractuelle, dirigée contre le tiers auteur de la tromperie, pour obtenir réparation du préjudice subi (coûts, perte de chance, décote du bien, frais engagés, etc.).
L’équilibre est simple :
– le contrat est rétabli dans sa vérité ;
– le dommage est réparé par celui qui l’a causé.
5. Ce qu’il faut retenir dans la pratique
Le dol du tiers est un faux problème si l’on adopte la bonne méthode. Il faut retenir :
– le dol du tiers ne ferme aucune porte : il déplace simplement le terrain juridique ;
– la nullité pour erreur est pleinement ouverte si la manœuvre a provoqué une erreur essentielle ;
– la bonne foi du cocontractant n’empêche pas la nullité ;
– le tiers engage sa responsabilité délictuelle ;
– et surtout : lorsque le dol d’un tiers est invoqué, l’erreur doit toujours être articulée à titre subsidiaire.
L’arrêt du 19 avril 2023 n’apporte pas une révolution : il rappelle le mode d’emploi.
Conclusion
Le dol du tiers n’est pas une anomalie juridique : c’est une situation ordinaire que le droit des contrats sait parfaitement traiter. Il ne permet pas la nullité pour dol, mais il peut provoquer une erreur déterminante, elle-même source de nullité.
La mécanique contractuelle reste cohérente :
– la nullité rétablit la vérité du consentement ;
– la responsabilité délictuelle sanctionne le tiers fautif.
Que ce soit au sujet d’un DPE falsifié, d’un matériel jamais livré ou de toute autre manœuvre extérieure, la logique reste la même :
lorsque la volonté contractuelle n’a pas été authentiquement formée, le contrat ne peut être maintenu.
En pratique
Le dol demeure une arme de défense redoutable en contentieux contractuel. Il permet d’annuler des ventes, des baux, des contrats de prestation ou de franchise lorsqu’une partie a été délibérément trompée.
Sa preuve est libre : correspondances, échanges, silences, contradictions, ou encore présentation trompeuse d’un bien ou d’une réglementation.
Le juge apprécie les indices de manière concrète, au regard du comportement global des parties.
En résumé
Le dol sanctionne la ruse et protège la loyauté.
Il rétablit l’équilibre du consentement en annulant tout contrat obtenu par tromperie, qu’elle soit manifeste ou dissimulée.
Et il rappelle que la bonne foi, loin d’être une simple exigence morale, demeure la clef de voûte du droit des contrats.
