Prise illégale d’intérêts : comment se défendre ?

Être poursuivi pour prise illégale d’intérêts, c’est être soupçonné d’avoir mêlé un intérêt personnel à une mission d’intérêt général. Dans la pratique, cette accusation fragilise instantanément la réputation d’un élu ou d’un agent public. Pourtant, la sévérité de ce délit ne signifie pas qu’il soit indéfendable : la jurisprudence récente invite à distinguer la faute morale, la maladresse administrative et la véritable atteinte à la probité.

Comprendre le sens du délit

L’article 432-12 du code pénal réprime le fait, pour une personne exerçant une fonction publique, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une opération qu’elle surveille, administre, liquide ou paie.
L’infraction est formelle : elle se consomme dès qu’un intérêt privé interfère avec la fonction publique, sans qu’il soit nécessaire de prouver un profit, une corruption ou un préjudice.

Mais cette rigueur de principe a conduit à des poursuites parfois excessives, lorsque la frontière entre intérêt public et intérêt privé devient floue. D’où l’importance de replacer chaque dossier dans son contexte, et de démontrer que l’impartialité du prévenu n’a jamais été altérée.

L’absence d’intérêt personnel compromettant

Encore faut-il qu’il y ait un véritable intérêt. Tous les liens humains ou institutionnels ne suffisent pas à caractériser l’infraction.
Les tribunaux distinguent ainsi le simple attachement ou la proximité associative d’un intérêt réel, de nature à orienter la décision.
Un élu qui participe à une délibération attribuant une subvention à une structure locale dont il est membre, sans en tirer de profit ni de pouvoir personnel, ne commet pas nécessairement de prise illégale d’intérêts.

L’analyse est concrète : il faut prouver un avantage personnel identifiable et une influence effective sur la décision.

La transparence comme preuve de bonne foi

C’est sur ce point qu’intervient un tournant jurisprudentiel majeur.
Dans trois arrêts rendus le 10 septembre 2025 (Cass. crim., nos 24-87.146 FS-D, 24-87.071 FS-D, 24-87.068 FS-D), la Cour de cassation a précisé la notion de dissimulation et ses conséquences sur la prescription du délit.

Informer oralement sa hiérarchie exclut la volonté de dissimuler

Le délit de prise illégale d’intérêts n’est pas dissimulé lorsque son auteur a fait connaître à sa hiérarchie sa situation de conflit d’intérêts, même si cette situation n’a pas été rendue publique et même si les mesures de déport n’ont pas été mises en œuvre.

Une chambre de l’instruction avait estimé le contraire : selon elle, l’absence d’écrit révélait un pacte de silence entre le mis en examen et sa hiérarchie. Celle-ci, embarrassée par la situation, avait choisi de ne pas informer le conseil d’administration auquel le prévenu participait, ni de prendre de mesure de prévention.
Les juges en avaient conclu que ce silence partagé constituait une manœuvre de dissimulation justifiant le report du point de départ du délai de prescription.

La Cour de cassation a censuré cette interprétation. Elle a rappelé que :

– le silence du mis en examen à l’égard de certains dirigeants n’est pas une manœuvre caractérisée ;
– l’embarras de la hiérarchie à révéler la situation ne traduit pas un concert frauduleux ;
– l’absence d’écrit ou de mesure formalisée ne suffit pas à établir une volonté d’empêcher la découverte des faits.

En conséquence, l’information orale donnée à la hiérarchie exclut toute intention de dissimulation, et la prescription de six ans (article 7 du code de procédure pénale) court à compter de la commission des faits.

La chambre criminelle souligne ainsi que seule une manœuvre caractérisée – des actes positifs tendant à cacher la situation – peut suspendre la prescription.
L’infraction n’est pas dissimulée lorsqu’un conflit d’intérêts a été dévoilé, même à un cercle restreint.
À l’inverse, a déjà été jugé constitutif de dissimulation le fait de masquer des versements en les justifiant par un contrat fictif (Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124 FS-PF).

Identifier le rôle exact du prévenu

L’article 432-12 vise les personnes qui, « au moment de l’acte », avaient la charge d’assurer la surveillance, l’administration ou le paiement d’une opération.
Un élu ou un agent consulté à titre informatif, ou sans pouvoir décisionnel réel, ne saurait être poursuivi.
La défense doit donc reconstituer précisément la chaîne décisionnelle : qui proposait, qui décidait, qui exécutait ?
L’absence de compétence fonctionnelle ou de pouvoir d’influence exclut la responsabilité pénale.

L’absence d’intention coupable

Même si la prise illégale d’intérêts est une infraction de pure forme, elle suppose une conscience de l’acte.
La défense peut donc démontrer :
– une erreur sur la portée de la règle ;
– une méconnaissance du conflit potentiel ;
– ou la conviction sincère d’agir dans l’intérêt du service.

La faute pénale ne se présume pas : il faut prouver que l’auteur savait compromettre son impartialité.

La prescription, un moyen de défense stratégique

Le délai de prescription est de six ans à compter des faits, sauf dissimulation caractérisée.
Or, la jurisprudence de 2025 renforce la protection du justiciable : la simple inertie ou l’absence d’écrit ne suffisent plus à reporter le délai.
Dès lors, un dossier ancien, porté à la connaissance de la hiérarchie au moment des faits, peut légitimement être déclaré prescrit.

Les réflexes essentiels en défense

– Produire toute trace de transparence : échanges, notes, procès-verbaux, déclarations orales ou écrites.
– Souligner l’absence de profit ou de contrepartie.
– Reconstituer les circuits décisionnels, pour prouver l’absence de pouvoir réel.
– Faire valoir la bonne foi et la loyauté, notamment par les démarches entreprises pour informer ou consulter.
– Vérifier la prescription, souvent décisive dans les affaires anciennes.

En conclusion

La prise illégale d’intérêts ne sanctionne pas l’erreur administrative, mais la dissimulation et le détournement de loyauté.
Les arrêts du 10 septembre 2025 rappellent que la transparence, même orale, vaut protection : celui qui informe ne dissimule pas.
Dans la pratique, la meilleure défense reste donc la clarté : démontrer que le conflit potentiel était connu, assumé et jamais exploité à des fins personnelles.
L’infraction de probité ne vise pas à condamner la maladresse d’un agent loyal, mais à préserver la confiance dans l’intégrité du service public.

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