La tricherie logicielle révélée
Depuis 2015, le scandale dit du Dieselgate a mis en lumière l’utilisation, par certains constructeurs automobiles — au premier rang desquels Volkswagen —, d’un logiciel permettant de fausser les mesures d’émissions polluantes lors des tests d’homologation. Ces véhicules, pourtant présentés comme respectant les seuils d’émission d’oxydes d’azote fixés par le règlement européen n° 715/2007 du 20 janvier 2007, étaient en réalité équipés d’un dispositif d’invalidation destiné à réduire artificiellement les résultats lors des contrôles.
Cette pratique, expressément prohibée par le règlement européen, a conduit à des milliers de procédures à travers le monde. En France, un arrêt récent de la Cour de cassation (1re civ., 24 septembre 2025, n° 23-23.869) apporte enfin une clarification majeure : l’installation d’un tel logiciel constitue un manquement grave à l’obligation de délivrance conforme, justifiant la résolution du contrat de vente et ouvrant droit à indemnisation.
Ce que dit la Cour de cassation
L’affaire concernait un particulier ayant acheté un véhicule diesel ultérieurement identifié comme équipé du dispositif trompeur. Informé par le constructeur, il avait demandé la résolution de la vente pour défaut de conformité.
La cour d’appel avait rejeté sa demande, estimant que la preuve d’un dépassement effectif des normes n’était pas rapportée, que le véhicule demeurait homologué, et que le constructeur proposait en tout état de cause une mise à jour corrective.
La Cour de cassation a censuré cette position : le seul fait que le véhicule contienne un logiciel truqueur suffit à caractériser un défaut de conformité. Peu importe que le véhicule fonctionne correctement ou qu’il ait été utilisé plusieurs années sans incident : il ne correspondait pas à ce qui avait été promis au consommateur ni aux exigences réglementaires en vigueur.
Pourquoi ce manquement est jugé grave
La Haute juridiction combine ici le droit commun de la vente (article 1604 du Code civil) et le droit européen.
Le vendeur, rappelle-t-elle, doit délivrer une chose conforme non seulement aux stipulations contractuelles mais aussi à la réglementation applicable.
Dès lors qu’un bien ne respecte pas une norme impérative — ici environnementale —, il y a défaut de délivrance conforme.
La Cour s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 juillet 2022, aff. C-145/20) : un véhicule équipé d’un tel dispositif ne présente pas la qualité habituelle qu’un consommateur peut légitimement attendre. Ce défaut ne saurait être qualifié de mineur.
L’arrêt du 24 septembre 2025 innove en y ajoutant une dimension environnementale : la Cour interprète les articles 1604 et 1224 du Code civil à la lumière des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement, qui ont valeur constitutionnelle. Chaque contractant est ainsi tenu d’une obligation de vigilance environnementale. Installer un dispositif destiné à fausser les mesures antipollution constitue non seulement une tromperie, mais aussi une atteinte à ce devoir constitutionnel.
La résolution de la vente et le droit à indemnisation
La Cour rappelle que l’acheteur d’un bien non conforme peut demander la résolution du contrat (articles 1610 et 1224 du Code civil).
Le manquement est ici qualifié de grave : il justifie l’anéantissement du contrat, sans que le vendeur puisse opposer ni la proposition de rappel du véhicule, ni la longue utilisation du bien par l’acheteur.
Concrètement, cela signifie que l’acheteur peut obtenir :
- le remboursement intégral du prix du véhicule, contre restitution ;
- ou, à défaut, une réduction du prix ou des dommages-intérêts correspondant à la perte de valeur du véhicule et au préjudice moral subi.
En pratique, les tribunaux ont déjà accordé des indemnisations équivalentes à 10 à 15 % du prix d’achat du véhicule, selon le modèle et la gravité de la dissimulation.
Le délai pour agir : cinq ans à compter de la découverte de la fraude
Autre apport essentiel de l’arrêt du 24 septembre 2025 : le point de départ du délai de prescription.
Jusqu’à présent, l’action en résolution pour défaut de conformité devait, en principe, être engagée dans les cinq ans suivant la livraison du bien. Cette règle posait problème lorsque le défaut n’était pas apparent, comme c’est le cas d’un logiciel caché.
La Cour de cassation modifie sa position : désormais, le délai de cinq ans commence à courir à compter du jour où l’acheteur a eu connaissance du défaut.
Autrement dit, le consommateur peut encore agir s’il a découvert la fraude moins de cinq ans avant la saisine du juge, par exemple lors de la réception d’un courrier de rappel du constructeur.
Cette solution met fin à une jurisprudence antérieure trop stricte et assure une meilleure protection des acheteurs trompés.
En quoi cette décision change la donne
Cet arrêt de 2025 marque une étape importante dans le contentieux du Dieselgate :
Il reconnaît la gravité intrinsèque de la fraude logicielle, sans exiger de démonstration technique sur les émissions réelles.
Il élève le respect de la réglementation environnementale au rang d’exigence contractuelle fondamentale.
Il étend la possibilité d’agir dans le temps, en fixant le point de départ de la prescription à la date de la découverte du vice.
Surtout, il ouvre la voie à une indemnisation plus systématique des automobilistes, que ce soit par la résolution de la vente ou l’octroi de dommages-intérêts.
Comment faire valoir vos droits
Pour tout consommateur concerné, la marche à suivre est la suivante :
Vérifier que votre véhicule est concerné : modèle, marque, motorisation, année d’immatriculation.
Conserver toutes les preuves : facture, bon de commande, certificat de conformité, lettres de rappel, échanges avec le constructeur.
Vérifier la date de découverte du défaut : si vous avez reçu une information ou un rappel dans les cinq dernières années, votre action est probablement recevable.
Choisir la voie d’action :
- Action individuelle : saisir le tribunal judiciaire pour demander la résolution de la vente ou des dommages-intérêts.
- Action collective : rejoindre une association agréée, comme la CLCV, qui conduit une action de groupe contre Volkswagen et d’autres marques.
Évaluer le préjudice : perte de valeur du véhicule, frais liés à la procédure, préjudice moral.
Conclusion
Le Dieselgate n’est pas seulement un scandale environnemental : c’est aussi une affaire de droit des contrats. En décidant que le simple fait d’avoir installé un logiciel truqueur suffit à caractériser un manquement grave du vendeur à son obligation de délivrance conforme, la Cour de cassation consacre le droit des consommateurs à une véritable réparation.
Les acheteurs disposent désormais d’une base juridique solide pour agir, même plusieurs années après l’achat, dès lors qu’ils n’ont eu connaissance du subterfuge que récemment. L’arrêt du 24 septembre 2025 replace la conformité environnementale au cœur du contrat de vente automobile : un tournant majeur dans la protection des consommateurs et dans la responsabilisation des constructeurs.
