Une taxe d’un autre temps
Le droit de plaidoirie appartient à notre histoire : il existe depuis le XVIIe siècle.
À l’origine, il s’agissait d’une redevance symbolique, payée par le client et reversée par l’avocat pour financer la retraite de la profession.
Aujourd’hui, c’est un impôt déguisé, une taxe sans visage, devenue l’une des aberrations les plus tenaces du système de financement de la CNBF.
Le principe est simple — et redoutable :
chaque avocat est censé recouvrer 13 € auprès de son client pour chaque plaidoirie faite devant les juridictions judiciaires et administratives.
Ces 13 € sont ensuite reversés à la CNBF, censés financer un tiers du régime de retraite de base.
Sur le papier, l’idée est séduisante : faire contribuer la plaidoirie au financement solidaire de la profession.
En réalité, c’est un jeu de dupes : qu’on plaide ou non, qu’on recouvre ou non, l’avocat finit toujours par payer.
Qui est concerné ?
Tous les avocats.
Le droit de plaidoirie est dû dès qu’un avocat plaide ou représente une partie à une audience de jugement, y compris les référés.
Il s’applique devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire et administratif, sauf exceptions très limitées :
- Conseil de prud’hommes (y compris en départage), sauf en appel ;
- Tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes ;
- Juridictions statuant en matière de sécurité sociale et de contentieux électoral ;
- Conseil d’État et Cour de cassation, pour les affaires dispensées du ministère d’avocat.
Les avocats désignés au titre de l’aide juridictionnelle restent redevables du droit de plaidoirie, qu’ils ne peuvent comptabiliser qu’après la délivrance de l’attestation de fin de mission.
Montant réglementaire : 13 € par audience.
Aucune remise possible. Aucune modulation. Aucune équité.
Peut-on le refacturer au client ?
Oui, et c’est même une obligation légale.
Le droit de plaidoirie doit apparaître distinctement sur la facture, après le montant TTC, car il n’est pas assujetti à la TVA : il s’agit d’un débours.
En clair :
- le client paye la taxe,
- l’avocat l’encaisse,
- la CNBF l’exige.
La transparence est totale sur la forme, mais le principe demeure absurde : le client finance indirectement la retraite de l’avocat par un prélèvement obligatoire dont il ignore l’existence et la finalité.
Quand et comment payer ?
Chaque avocat — ou la société dans laquelle il exerce — doit reverser les droits recouvrés auprès de ses clients au cours d’un trimestre civil, au plus tard le 15 du mois suivant.
Le versement s’effectue exclusivement via l’espace personnel CNBF (rubrique Services Cotisant / Droit de plaidoirie).
Si aucun droit n’a été encaissé, rien n’est à verser.
Mais attention : ne pas payer ne veut pas dire ne rien devoir.
C’est là que le système bascule dans la caricature administrative.
Le piège : la contribution équivalente
L’avocat qui ne plaide pas, ou qui plaide peu, ne pense pas être concerné.
Erreur.
S’il n’a pas acquitté un nombre suffisant de droits de plaidoirie au cours de l’avant-dernière année, il devra quand même verser une contribution équivalente.
Cette contribution est calculée comme s’il avait plaidé : le revenu professionnel déclaré est divisé par la valeur moyenne d’une plaidoirie, ce qui détermine un nombre théorique de droits.
Si le nombre réel est inférieur, la différence est appelée et recouvrée par la CNBF.
Résultat :
- celui qui plaide paie ;
- celui qui ne plaide pas paie ;
- celui qui sous-évalue ses plaidoiries paiera quand même.
Un système kafkaïen où l’avocat est perdant dans tous les cas.
Qu’il soit fiscaliste, mandataire, médiateur, conseil ou plaideur, il contribue à la même caisse — sauf que pour certains, cette cotisation n’a aucune contrepartie réelle.
C’est un mécanisme clos, autoréférentiel, un “jeu de dupes” institutionnalisé :
le seul objectif est que la CNBF encaisse, indépendamment de la réalité du travail fourni.
Le grand malentendu
Je discutais récemment avec un confrère :
« Le droit de plaidoirie ? Franchement, ça ne représente rien. Treize euros… je plaide trois fois par an, je suis collaborateur, donc ça ne me concerne pas vraiment. »
C’est exactement là que réside le piège.
Ce que beaucoup d’avocats ignorent, c’est que le système n’oublie jamais personne.
Même si vous ne plaidez jamais, même si votre structure encaisse peu ou pas de droits, vous paierez quand même — mais sous un autre nom : la contribution équivalente.
Autrement dit, le droit de plaidoirie est une façade, une version folklorique d’une taxe bien plus large et sournoise.
Le vrai mécanisme est celui de la contribution équivalente, calculée automatiquement par la CNBF à partir de vos revenus déclarés :
plus vous gagnez, plus vous êtes réputé avoir « plaidé » un certain nombre de fois,
et plus vous paierez… même si vous n’avez mis les pieds au tribunal qu’une seule fois dans l’année.
C’est là tout le génie pervers du système :
« Tu ne plaides pas ? Pas grave, on te fera payer comme si tu avais plaidé. »
Peu importe la réalité, la CNBF a décidé que les avocats doivent financer un tiers du régime de base par ce biais.
Alors, pour atteindre cet objectif, on vous attribue des plaidoiries fictives.
Résultat :
- le plaideur paie ses droits réels ;
- le non-plaideur paie ses droits imaginaires ;
- tout le monde paie pour que le système reste à flot.
Un jeu de dupes parfaitement huilé
Le droit de plaidoirie est présenté comme une marque d’identité, presque une relique d’un âge d’or du barreau.
Dans les faits, c’est un dispositif de ponction automatique, conçu pour que le régime encaisse quoi qu’il arrive.
Vous plaidez souvent ? Vous payez.
Vous plaidez peu ? Vous payez.
Vous ne plaidez jamais ? Vous payez aussi.
Le système n’a pas de sortie.
La “solidarité” vantée par la CNBF n’est qu’une rhétorique : il ne s’agit pas de mutualiser les efforts, mais d’assurer que la trésorerie du régime de base ne baisse jamais, quelles que soient les évolutions de la profession (montée du conseil, du contentieux digital, de l’arbitrage, etc.).
Et surtout, aucune contrepartie réelle : ces contributions ne génèrent aucun point de retraite complémentaire, aucun avantage spécifique, rien d’individuel.
Juste un prélèvement.
Un impôt corporatiste, à taux fixe, prélevé sur un acte professionnel qui n’a plus rien à voir avec la réalité économique des cabinets.
Le discours officiel : la solidarité
Les textes de la CNBF sont d’une limpidité désarmante :
« Les droits de plaidoirie et la contribution équivalente représentent le tiers des ressources de notre régime de retraite de base. Leur suppression conduirait soit à augmenter les autres cotisations d’un tiers, soit à une diminution de la retraite de base d’un tiers. »
Autrement dit :
« C’est injuste, mais nécessaire. »
Et quand on ose poser la question de la suppression, la réponse est toujours la même :
cela menacerait “l’indépendance de la profession” et “notre identité collective”.
En réalité, cette “identité” est devenue une ligne comptable : un prélèvement rigide, sans lien avec la pratique, qui survit uniquement parce qu’il rapporte.
L’avocat piégé : une solidarité forcée sans réciprocité
Le paradoxe est total.
Ceux qui plaident beaucoup reversent mécaniquement leurs droits.
Ceux qui plaident peu paient la contribution équivalente.
Et ceux qui exercent exclusivement en conseil, médiation, fiscalité, fusions-acquisitions ou arbitrage… paient aussi.
Tout le monde contribue, mais personne ne sait vraiment à quoi.
On finance un régime dont les règles changent, sans jamais voir de bénéfice tangible.
La CNBF a réussi à inventer une taxe où la base imposable n’est plus un revenu, ni un acte, ni un service rendu, mais une fiction statistique : le nombre théorique de plaidoiries correspondant à votre revenu.
C’est le stade ultime de la déconnexion entre le droit et la réalité.
Treize euros de trop
Treize euros.
C’est la somme qui symbolise à la fois la dignité historique de la plaidoirie… et la schizophrénie administrative de notre régime de retraite.
Treize euros qui, multipliés, prélevés, recalculés, compensés, deviennent le pivot d’un système absurde, où la justice n’a plus rien à voir avec l’équité.
On nous explique que c’est un “droit”, qu’il incarne “la solidarité du Barreau”.
Mais soyons honnêtes : c’est une taxe.
Une taxe que le client paie sans comprendre, que l’avocat reverse sans savoir, et que la CNBF encaisse sans s’interroger.
Et le plus ironique, c’est que tout cela fonctionne.
Le dispositif est si bien huilé qu’il rend toute contestation presque vaine : celui qui plaide paie, celui qui ne plaide pas paie aussi, et celui qui s’indigne finance le système en protestant.
Le droit de plaidoirie est devenu une mécanique de ponction sans contrepartie, un impôt corporatiste déguisé en vestige noble.
Un impôt que personne n’assume, mais que tout le monde paye.
Alors oui, ce n’est “que” 13 €.
Mais 13 € de trop quand le symbole n’a plus aucun sens.
Treize euros pour entretenir la fiction d’une solidarité qui n’existe plus, treize euros pour perpétuer un système où l’avocat finance sa propre dépendance.
Treize euros pour rappeler, chaque trimestre, que le droit de plaidoirie n’est plus un honneur : c’est une servitude fiscale.
