En théorie, la médiation devait désengorger les tribunaux, apaiser les conflits et permettre aux parties de reprendre la main sur leur différend. En pratique, elle s’est peu à peu transformée en un passage obligé, souvent vidé de son sens, où chacun fait semblant d’y croire — juste pour ne pas paraître rétif au dialogue.
Ce décalage entre l’idée et la réalité mérite d’être dit, car il explique pourquoi la médiation, en France, ne convainc ni les avocats ni les justiciables.
L’idée : un espace de liberté, hors du judiciaire
Le principe est simple : une tierce personne neutre, le médiateur, aide les parties à trouver elles-mêmes un accord.
La médiation est volontaire (article 131-1 du Code de procédure civile), confidentielle, et suppose un minimum de bonne foi. Elle peut être judiciaire — ordonnée par un juge — ou conventionnelle — décidée d’un commun accord avant ou pendant un procès.
Sur le papier, c’est séduisant : la médiation promet souplesse, rapidité, confidentialité et autonomie. Les textes européens et français en font d’ailleurs une priorité.
Une injonction déguisée
Dans les faits, la médiation est souvent imposée, ou fortement suggérée, par les juridictions.
Le juge « invite » les parties à rencontrer un médiateur, mais cette invitation a tout d’un ordre déguisé : celui qui refuse passe pour le fauteur de blocage, celui qui accepte perd souvent du temps.
Les avocats le savent : dans bien des affaires, la médiation n’a pas lieu parce que les parties veulent se parler, mais parce qu’elles y sont contraintes. On se réunit deux heures dans une salle impersonnelle, on relit les positions déjà connues, puis on rédige un procès-verbal d’échec. Le dossier revient ensuite devant le juge… trois mois plus tard.
Une lubie qui coûte cher
Même si les statistiques officielles évoquent environ 50 % d’accords totaux ou partiels dans les médiations judiciaires, la réalité économique reste rude : pour beaucoup de dossiers civils, ces médiations ne produisent aucun effet concret.
Pour le client, c’est souvent une charge supplémentaire.
Le médiateur est rémunéré — contrairement au juge — et ses honoraires sont fixés par heure ou par séance, parfois plusieurs centaines d’euros.
L’avocat, de son côté, doit préparer la séance, assister son client, répondre à ses questions, rédiger des notes de synthèse.
Autrement dit, la médiation génère un coût additionnel sans garantie de résultat.
Une perte de temps
Pendant toute la durée de la médiation, la procédure judiciaire est suspendue.
Le juge attend le retour du médiateur avant de reprendre le dossier.
Résultat : plusieurs mois perdus, pour un simple constat d’échec dans la majorité des cas.
Ce délai est d’autant plus problématique que certains justiciables ont besoin d’une décision rapide : expulsion, référé, contentieux commercial urgent. La médiation, dans ces hypothèses, retarde simplement la justice.
Le flou autour du rôle du médiateur
La qualité des médiateurs est très inégale.
Certains sont d’excellents praticiens du dialogue, formés et indépendants. D’autres n’ont ni expérience juridique, ni réelle neutralité : anciens magistrats, fonctionnaires ou consultants, ils importent dans la médiation des réflexes hiérarchiques ou technocratiques.
Leur rémunération est souvent mal définie. Les barèmes varient selon les juridictions, sans lien clair avec le travail fourni.
Il arrive que la médiation coûte plus cher qu’une audience de plaidoirie.
Surtout, le médiateur n’a pas de véritable responsabilité. S’il commet une faute, aucune instance ne la sanctionne réellement. Le contrôle du juge est quasi inexistant.
La dérive « chamanique » de certains médiateurs
Un autre phénomène, plus récent, agace profondément les praticiens.
Certains médiateurs confondent médiation et thérapie de groupe.
Leur discours verse dans la psychologie de comptoir : on parle d’« émotions », de « blessures anciennes », de « libération de la parole ».
Les parties, déjà en tension, se retrouvent face à des injonctions morales ou pseudo-spirituelles sans rapport avec le litige.
Cette dérive discrédite la médiation, qui n’a pas vocation à devenir une séance de psychanalyse collective.
Une communauté d’adeptes quasi sectaire
Autour de la médiation s’est formée une sorte de communauté quasi doctrinale.
Il y a les convaincus — ceux qui y voient une révolution culturelle — et les autres, forcément présentés comme rétrogrades, brutaux ou incapables de comprendre « l’esprit » de la médiation.
Cette polarisation crée un climat étrange : refuser une médiation, c’est être catalogué comme un avocat agressif, « procédurier », voire « pas assez évolué ».
Ce manichéisme contribue à couper le dialogue entre praticiens, au lieu de l’enrichir.
Un marché financier qui attise les convoitises
La médiation, c’est aussi un marché. Et il faut le dire.
Ceux qui en vantent les vertus ont souvent un intérêt direct.
Les juges y trouvent un moyen de soulager leurs audiences : chaque dossier « orienté vers la médiation », c’est un dossier de moins à juger. Pourtant, le rôle premier du juge, c’est de trancher, pas de déléguer la décision.
Les médiateurs, eux, y trouvent un revenu.
Chaque médiation ordonnée est une mission rémunérée, souvent répétée. Pour une profession libérale, c’est une aubaine : un flux de clients garantis, sans démarche commerciale à fournir.
Derrière le discours humaniste de la « justice apaisée », il y a donc aussi un système économique. Et ce système crée, comme toujours, ses intérêts, ses réseaux, et ses lobbys.
Le déséquilibre entre les parties : la victoire du plus fort
Le plus grave, c’est que la médiation renforce souvent le déséquilibre entre les parties.
Devant un juge, chacun est entendu à égalité, sur la base de conclusions écrites, et le droit sert de cadre protecteur.
En médiation, tout repose sur la parole, la persuasion, la capacité à occuper l’espace.
Celui qui parle fort, qui manie bien le langage ou qui intimide, prend l’ascendant.
Celui qui est sous emprise, en position de faiblesse ou simplement moins à l’aise, cède plus facilement.
La médiation devient alors la continuation de la domination du fort sur le faible — là où la justice, précisément, devait rétablir un équilibre.
Un dispositif sans effet utile
La médiation réussit quand les parties sont prêtes à transiger.
Mais quand l’une nie les faits, conteste les droits ou veut simplement gagner du temps, la médiation n’a aucun sens.
Le médiateur ne peut ni contraindre, ni trancher. Le juge, lui, suspend l’affaire dans l’attente du « retour de médiation ». Résultat : des délais supplémentaires, sans bénéfice tangible.
Nombre de praticiens constatent que la médiation ne résout pas les litiges, elle les diffère. Elle ajoute une couche procédurale, sans régler le fond.
Les causes profondes
Plusieurs raisons expliquent ces dérives :
- L’illusion politique du désengorgement : on a cru qu’une mesure procédurale pouvait compenser un manque de moyens.
- L’absence de sélection réelle : devenir médiateur ne requiert ni formation unifiée ni évaluation régulière.
- La confusion des rôles : certains se croient juges, d’autres thérapeutes, d’autres facilitateurs commerciaux.
- La dérive idéologique : une partie du mouvement de la médiation s’est construite sur une foi quasi militante dans ses vertus, au point de rejeter toute critique rationnelle.
- L’existence d’un marché lucratif : l’essor de la médiation profite à ceux qui en vivent, et entretient un système d’auto-promotion institutionnelle.
Comment redonner du sens à la médiation
La médiation ne doit pas être un réflexe administratif, mais un outil choisi.
Elle n’a de sens que si les conditions de succès sont réunies : volonté sincère de dialogue, équilibre des rapports de force, médiateur compétent et indépendant.
Pour cela, il faudrait :
- cesser de rendre la médiation quasi obligatoire ;
- instaurer une certification exigeante et un contrôle effectif des médiateurs ;
- garantir une rémunération transparente et proportionnée ;
- supprimer les avantages de carrière dévolus aux juges lorsqu’ils ordonnent des médiations.
Conclusion
Le problème avec la médiation, ce n’est pas l’idée. C’est ce qu’on en a fait : un rite procédural de plus, coûteux, lent, parfois infantilisant, et qui fragilise les parties les plus vulnérables.
La médiation pourrait être utile si elle redevenait ce qu’elle aurait toujours dû être : une démarche libre, éclairée, et encadrée par des professionnels réellement neutres.
