Travaux et malfaçons : quel fondement juridique/garantie pour quel dommage ?

En matière de travaux, les malfaçons donnent presque toujours lieu à une question délicate : sur quel fondement juridique agir ? Il n’est pas rare que même les professionnels – assureurs, entrepreneurs, avocats et parfois même juges – se trompent sur la règle applicable. Le droit de la construction est en effet un domaine d’une grande complexité, mêlant garanties légales spécifiques (parfait achèvement, biennale, décennale) et responsabilité contractuelle de droit commun.

La première mission de l’avocat, lorsqu’il est saisi d’un dossier de malfaçons, consiste donc à qualifier juridiquement les désordres afin d’identifier le régime pertinent. C’est de ce choix que dépendront les chances de succès d’une action en justice, mais aussi l’indemnisation effective du client.

Ce guide vous propose une analyse claire et complète pour comprendre quel fondement juridique correspond à chaque type de dommage.

Y-a-t-il eu « réception » ?

95% des contentieux en matière de droit de la construction sont concentrés sur la question de savoir s’il y a eu ou non « réception de l’ouvrage ». En effet, la réponse est déterminante pour déterminer le régime juridique à appliquer et si l’assureur pourra être condamné à payer aux côtés de l’entrepreneur (bien souvent indigent).

Il résulte de l’article 1792-6 du Code civil que :

« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit, à défaut, judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
La garantie de parfait achèvement, à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an à compter de la réception, s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.
Les délais nécessaires à l’exécution des travaux de réparation sont fixés d’un commun accord par le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur concerné.
En l’absence d’un tel accord ou en cas d’inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant.
L’exécution des travaux exigés au titre de la garantie de parfait achèvement est constatée d’un commun accord ou, à défaut, judiciairement.
La garantie ne s’étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l’usure normale ou de l’usage. »

La réception judiciaire est la réception prononcée par le juge. Elle se distingue nécessairement de la réception par les parties. Elle n’est possible qu’en l’absence de toute réception expresse ou tacite par celles-ci. Elle peut intervenir notamment lorsqu’un litige naît à propos de désordres et qu’il est demandé au juge de déterminer si une réception est intervenue et, dans l’affirmative, à quelle date.

Contrairement à la réception tacite, la réception judiciaire suppose que l’ouvrage soit en état d’être reçu. Dès lors que tel est le cas, le juge prononce la réception quand bien même l’ouvrage ne serait pas totalement achevé et quand bien même l’habitabilité résulterait de travaux réalisés en substitution par le maître de l’ouvrage. Le critère retenu par la jurisprudence n’est pas celui de l’habitabilité.

L’importance des désordres n’empêche pas la réception judiciaire, pas plus que le refus du maître de l’ouvrage de réceptionner amiablement. C’est uniquement la nature même des désordres qui peut justifier un refus de prononcer la réception judiciaire : la réception judiciaire ne saurait être prononcée si l’ouvrage n’a jamais été en état d’être reçu.

En l’absence de réception : responsabilité contractuelle

En l’absence de réception de l’ouvrage, le régime de la réparation des dommages causés au maître de l’ouvrage par les constructeurs repose sur la combinaison de deux principes :

  • aucune des garanties légales résultant des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4-3 du Code civil n’a vocation à s’appliquer ;
  • la réparation des désordres ou dommages, quelle que soit leur gravité, relève du droit commun, c’est-à-dire soit de la responsabilité contractuelle, soit de la responsabilité extra-contractuelle selon qu’il existe ou non un contrat.
  • l’assureur ne peut pas être condamné dans 99% des cas
Malfaçons, garanties et assurance : ce qu’on ne vous dit pas

Ainsi, lorsque la responsabilité du constructeur est recherchée, elle ne peut l’être que sur le fondement du droit commun, à l’exclusion des garanties légales spéciales prévues pour les constructeurs.

Il résulte de l’article 1217 du Code civil que :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • obtenir une réduction du prix ;
  • provoquer la résolution du contrat ;
  • demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. »

Par ailleurs, l’article 1231-1 du Code civil dispose que : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Trois conditions doivent être réunies afin de mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur :

  1. Le non-respect de l’obligation de résultat : il est traditionnellement retenu que l’entrepreneur est tenu, à l’égard du maître de l’ouvrage, d’une obligation de résultat consistant à livrer un ouvrage exempt de vices et de non-conformités.
  2. L’existence d’un dommage : il doit être constaté l’existence d’un dommage, même mineur ou sans gravité, la jurisprudence rappelant qu’avant réception de l’ouvrage, tout désordre doit donner lieu à réparation.
  3. L’imputabilité du dommage à l’entrepreneur : la condition traditionnelle et commune à l’ensemble des responsabilités encourues par les constructeurs est celle de la preuve de l’imputabilité du dommage à l’entrepreneur dont la responsabilité est engagée.

Il est constant que l’obligation de résultat de l’entrepreneur persiste pour les désordres réservés, jusqu’à leur levée, et ce même lorsque le délai de la garantie de parfait achèvement a expiré. L’entrepreneur est, en effet, tenu d’une obligation de résultat à l’égard du maître de l’ouvrage jusqu’à la levée des réserves : il doit livrer une construction exempte de vices. Cette obligation de résultat entraîne une présomption de responsabilité et exclut toute démonstration d’une faute de sa part. L’entrepreneur est ainsi responsable des désordres et du non-respect des délais d’exécution, sauf à prouver l’existence d’une cause étrangère.

En cas de réception

Si les travaux ont été réceptionnés, les régimes juridiques issus de la loi (et non du contrat) vont donc s’appliquer.

La garantie qui s’appliquera sera déterminée selon la date d’apparition du dommage.

Les responsabilités encourues par les intervenants à l’acte de construire au titre de ces désordres pouvant, selon leur nature, relever de garanties d’ordre public, exclusives du droit commun de la responsabilité civile, il importe de les qualifier.

Ainsi :

  • Les désordres cachés au jour de la réception, qui incluent les désordres ayant fait l’objet d’une réserve à réception mais qui ne se sont révélés que par la suite dans leur ampleur et leurs conséquences, peuvent relever de la garantie décennale prévue par les articles 1792 et 1792-2 du Code civil. Cette garantie couvre :
    • d’une part, les dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, affectant l’un de ses éléments constitutifs ou d’équipement, le rendent impropre à sa destination ;
    • d’autre part, les dommages affectant la solidité des éléments d’équipement de l’ouvrage faisant indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.
      Le délai de la garantie décennale étant un délai d’épreuve, les désordres dénoncés doivent compromettre la solidité de l’immeuble ou le rendre impropre à sa destination dans le délai de dix ans courant à compter de la réception.
  • La garantie biennale prévue par l’article 1792-3 du Code civil s’applique au mauvais fonctionnement, dans les deux années suivant la réception, des autres éléments d’équipement de l’ouvrage.
  • À défaut, la responsabilité civile de droit commun demeure applicable.

Les constructeurs concernés par des désordres relevant des garanties décennale ou biennale engagent leur responsabilité de plein droit – autrement dit sans qu’il soit exigé la démonstration d’une faute – à l’égard du maître de l’ouvrage ou de l’acquéreur. Ils peuvent toutefois s’exonérer en établissant que les désordres proviennent d’une cause étrangère ou ne rentrent pas dans leur sphère d’intervention, étant précisé que la mission de chaque intervenant à l’acte de construire s’interprète strictement.

Il convient en outre de rappeler que, selon les articles 1646-1 et 1792-1 du Code civil, sont réputés constructeurs de l’ouvrage le vendeur d’immeuble à construire, ainsi que tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.

Garantie décennale

Garantie décennale : tout comprendre (Art. 1792 code civil)

Garantie biennale/garantie légale de bon fonctionnement/ Garantie de parfait achèvement (GPA)

Garantie légale de bon fonctionnement (garantie biennale) – Art. 1792-3

Responsabilité contractuelle

La responsabilité civile de droit commun est applicable aux désordres imputables aux intervenants ne relevant pas des garanties légales. Elle peut être engagée sur le fondement contractuel – à apprécier en fonction de la teneur de l’obligation en cause, qui peut être de résultat ou de moyens – ou, à défaut, sur le fondement délictuel. À ce titre, il est précisé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Quid en cas de plusieurs intervenants ?

Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même désordre, chacune est tenue, à l’égard du maître de l’ouvrage, de le réparer en totalité, sans possibilité d’opposer à ce dernier le fait d’un tiers, et notamment celui d’un autre constructeur. Cette circonstance n’a d’incidence que sur les rapports entre les personnes coobligées, pour la détermination de la charge finale de l’indemnisation.

Quid en cas de sous-traitance ?

Tout constructeur répond, à l’égard du maître de l’ouvrage, des fautes commises par son sous-traitant. Celui-ci engage également sa responsabilité directe à l’égard du maître de l’ouvrage, pour faute prouvée, en application de l’article 1241 du Code civil. En revanche, le sous-traitant n’est pas soumis aux garanties légales prévues aux articles 1792 et suivants du même Code.

Checklist

  • Le dommage a-t-il été constaté avant la réception de l’ouvrage ? Le dommage était-il apparent à la réception ? –> Si oui, exclusion de la garantie décennale et application de la RCP
  • La non-conformité (réglementaire/contractuelle) est-elle génératrice uniquement d’un risque sans matérialisation de dommage dans le délai décennal ? Si oui, exclusion de la garantie décennale et application de la RCP

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