Les dépens : c’est quoi ?

Demandez à dix justiciables ce que recouvrent exactement les dépens, et vous obtiendrez dix réponses différentes — y compris parmi les professionnels du droit. C’est l’un de ces termes que tout le monde prononce sans vraiment savoir ce qu’il désigne. On sait qu’ils sont « mis à la charge » de la partie perdante, mais sans trop savoir à quoi cela correspond ni comment ils sont calculés.

Le flou vient d’abord du fait que les jugements se contentent presque toujours d’une formule lapidaire : « condamne M. X aux dépens », sans jamais en dresser la liste. Or cette absence de précision laisse parfois la place à des dérives. Certains commissaires de justice, chargés de liquider les dépens, y ajoutent des postes qui n’y ont pas leur place — par exemple des procès-verbaux de constat, qui relèvent d’honoraires libres et non des dépens au sens strict.

Il est donc essentiel de clarifier ce que recouvrent vraiment les dépens, ce qu’ils comprennent (et ne comprennent pas), qui les fixe, et comment les contester lorsqu’ils ont été gonflés à tort.

Synthèse

L’avocat qui veut récupérer les dépens devra généralement demander :

  • Le droit de plaidoiries (13 €)
  • Le timbre BRA (Paris et région parisienne)
  • Les frais d’expertise

La liste limitative des dépens

L’article 695 du code de procédure civile donne une liste limitative :

« Les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution comprennent :

1° Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l’administration des impôts à l’exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l’appui des prétentions des parties ;

2° Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international ;

3° Les indemnités des témoins ;

4° La rémunération des techniciens ;

5° Les débours tarifés ;

6° Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;

7° La rémunération des avocats dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;

8° Les frais occasionnés par la notification d’un acte à l’étranger ;

9° Les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (UE) 2020/1783 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale (obtention des preuves) (refonte) ;

10° Les enquêtes sociales ordonnées en application des articles 10721171 et 1221 ;

11° La rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, en application de l’article 388-1 du code civil ;

12° Les rémunérations et frais afférents aux mesures, enquêtes et examens requis en application des dispositions de l’article 1210-8. »

Frais de traduction et d’interprétariat

Traduction des actes
Les frais de traduction des actes, lorsqu’elle est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international, font partie des dépens (CPC, art. 695, 2°).

En revanche, les honoraires d’un traducteur privé choisi par une partie n’entrent pas dans les dépens et demeurent à sa charge (Cass. soc., 11 juill. 2001, n° 99-43.485), sauf à pouvoir être intégrés dans les frais irrépétibles.

Relèvent également des dépens les frais de traduction nécessaires à la notification des actes à l’étranger ainsi qu’à la reconnaissance et à l’exécution transfrontalières des décisions de justice (CPC, art. 509-1 à 509-6 et 670-3).

Lorsque la notification d’un acte à l’étranger exige une traduction, le traducteur est rémunéré dans les conditions fixées par l’article R. 122 du Code de procédure pénale (CPC, art. 670-3).
Dans l’Union européenne, la signification d’un acte à l’intérieur d’un autre État membre entraîne un coût forfaitaire fixé par les États concernés (Règl. UE 2020/1784 du 25 nov. 2020, art. 15).

Mesures d’instruction transfrontalières comprises dans les dépens
Constituent également des dépens les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande d’une juridiction, dans le cadre du règlement (UE) 2020/1783 du 25 novembre 2020 (CPC, art. 695, 9°).

Ces dépens concernent la recherche des preuves. Le dispositif s’applique en matière civile ou commerciale lorsque, conformément à sa législation, une juridiction d’un État membre de l’Union européenne demande à une juridiction compétente d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction, ou lorsqu’elle réalise elle-même un tel acte à l’étranger.
La demande ne peut toutefois viser à obtenir des éléments de preuve qui ne seraient pas destinés à être utilisés dans une procédure judiciaire engagée ou envisagée (Règl. UE 2020/1783, art. 1, § 2).

Les frais d’interprétariat ou de traduction nécessaires dans le cadre de ces mesures transfrontalières peuvent être substantiels. Le Code de procédure civile prévoit à cet égard le versement de provisions.

Ainsi, lorsqu’une mesure d’instruction ordonnée à l’étranger occasionne des frais pour la traduction des formulaires à adresser à la juridiction requise, le juge ordonne le versement d’une provision à valoir sur ces frais, dont le montant est fixé conformément au tarif prévu par l’article R. 122 du Code de procédure pénale.
Il désigne la ou les parties tenues de verser cette provision au greffe dans le délai qu’il fixe, selon les modalités prévues aux articles 270 et 271 du CPC.
Dès réception de la traduction, le greffe verse la rémunération due au traducteur (CPC, art. 178-1).

De même, lorsqu’une mesure d’instruction exécutée à l’étranger est susceptible d’engendrer des frais d’interprétariat, le juge fixe la provision selon les mêmes modalités (CPC, art. 178-2).
Dès réception de la demande de remboursement émise par la juridiction requérante, le greffe procède au paiement dans la limite des sommes consignées.

Rémunération des techniciens et des experts

Mesures d’instruction visées
Le technicien est une personne commise par le juge pour l’éclairer par des constatations (CPC, art. 249), une consultation (CPC, art. 256) ou une expertise (CPC, art. 263) sur une question de fait nécessitant ses compétences (CPC, art. 232).

La rémunération de l’expert nommé par le juge entre dans les dépens dès lors que sa mission est justifiée par la technicité du litige — qu’il s’agisse d’un contentieux en matière de construction, de responsabilité médicale, d’accident ou de tout autre domaine nécessitant une appréciation technique.

Sont également comprises dans les dépens les rémunérations des techniciens ou experts intervenant dans des domaines où un texte prévoit expressément leur désignation, notamment :

  • les expertises en écriture en matière d’inscription de faux ou de vérification d’écriture (CPC, art. 291 et 308) ;
  • l’audition d’un mineur dans toute procédure le concernant (C. civ., art. 388-1 ; CPC, art. 695, 11°) ;
  • les examens et enquêtes prévus en matière d’enlèvement international d’enfants (CPC, art. 695, 12° et 1210-8) ;
  • les enquêtes sociales pouvant être ordonnées, même d’office, en matière familiale (CPC, art. 695, 10°, 1072, 1171 et 1221).

Intégration de la rémunération des experts dans les dépens
Pour que le coût d’une expertise soit compris dans les dépens, la mesure d’instruction doit résulter d’une décision judiciaire (jugement, arrêt, ordonnance de référé, décision du juge de la mise en état, du juge aux affaires familiales ou du juge de l’exécution).

À l’inverse, lorsqu’une partie sollicite de manière unilatérale l’avis d’un technicien ou d’un expert privé sans décision judiciaire, la rémunération de celui-ci ne relève pas des dépens (Cass. 2e civ., 5 déc. 1973, n° 72-13.295 ; Cass. 3e civ., 17 mars 2004, n° 00-22.522).

Peuvent toutefois être inclus dans les dépens les frais d’une procédure préparatoire étroitement liée au litige, par exemple :

  • un constat de commissaire de justice réalisé pour appuyer une demande en résiliation de bail ;
  • des frais de commandement, de sommation ou d’inscription provisoire d’hypothèque.

Le juge des référés, tenu de statuer sur les dépens, peut y inclure les frais d’une instance antérieure ayant préparé celle dont il est saisi (Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n° 14-24.848).

Un rapport d’expertise annulé pour vice de forme mais susceptible d’être utilisé s’il est corroboré par d’autres éléments du dossier peut donner lieu à des honoraires réduits (Cass. 2e civ., 4 juin 2015, n° 14-12.060).

Le technicien nommé par une juridiction ne peut être payé qu’en vertu d’une décision du juge (CPC, art. 248).

Rémunération de l’expert

Provision
Le juge qui ordonne l’expertise ou qui en assure le contrôle fixe, lors de la désignation de l’expert ou dès qu’il est en mesure de le faire, le montant d’une provision à valoir sur la rémunération de ce dernier. Cette provision doit être aussi proche que possible du montant prévisible des honoraires définitifs.
Le juge désigne la ou les parties chargées de consigner la provision au greffe, dans le délai qu’il détermine, et fixe, le cas échéant, les échéances de versement (CPC, art. 269).

Aucun paiement direct, même à titre d’avance ou d’acompte, ne peut être effectué par une partie à l’expert. Celui-ci ne peut être remboursé de ses débours qu’à travers les sommes consignées.

En pratique, l’expert débute ses opérations après avoir été informé par le greffe que la provision a été versée, mais le délai de dépôt de son rapport court à compter de la notification de l’ordonnance de désignation.

Si la provision apparaît manifestement insuffisante au vu des diligences accomplies ou à venir, l’expert en informe sans délai le juge, copie aux parties. Le juge peut alors ordonner une provision complémentaire à la charge de la partie qu’il désigne (CPC, art. 280).
En principe, la provision est mise à la charge de la partie qui a demandé l’expertise, mais le juge dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation (Cass. 1re civ., 5 juill. 1989, n° 87-15.288).

Lorsqu’une partie bénéficie de l’aide juridictionnelle, elle est dispensée de consigner la provision et du paiement du solde des honoraires (Cass. 2e civ., 26 févr. 1992, n° 90-20.821).

Rémunération définitive
Une fois sa mission achevée, l’expert adresse au juge sa demande de fixation d’honoraires accompagnée du dépôt de son rapport. Il communique également sa demande aux parties par tout moyen permettant d’en attester la réception.
Les parties disposent d’un délai de quinze jours pour formuler leurs observations auprès du juge et de l’expert (CPC, art. 282).

Passé ce délai, le juge fixe la rémunération de l’expert en tenant compte des diligences accomplies, du respect des délais et de la qualité du travail fourni. Il autorise l’expert à percevoir les sommes consignées et, selon le cas, ordonne le versement d’un complément à la charge d’une ou plusieurs parties, ou la restitution du trop-perçu (CPC, art. 284).

Si le juge envisage de fixer une rémunération inférieure à celle demandée, il doit au préalable inviter l’expert à présenter ses observations (CPC, art. 284, al. 3).
La décision du juge vaut titre exécutoire pour l’expert (CPC, art. 284, al. 4) et peut être contestée devant le premier président de la cour d’appel (CPC, art. 724).

La procédure spéciale des articles 284 et 724 du CPC s’applique à toutes les contestations relatives à la rémunération des techniciens désignés par le juge, y compris celles portant sur la répartition de cette charge entre les parties (Cass. 2e civ., 16 janv. 2014, n° 13-10.655).

Enfin, la décision du juge relative au montant de la rémunération de l’expert n’a pas à être spécialement motivée : elle relève de son appréciation souveraine (Cass. 2e civ., 7 nov. 1984, n° 83-10.921).

Émoluments des officiers publics et ministériels

Tarifs réglementés
Les officiers publics et ministériels perçoivent une rémunération tarifée appelée émoluments. Sous réserve que leur intervention soit liée à l’instance, leurs émoluments peuvent être inclus dans les dépens, y compris lorsqu’ils ont été missionnés avant l’introduction de la procédure par l’une des parties.
En revanche, les dépens n’incluent pas les frais de constat réalisés par un huissier ou commissaire de justice qui n’a pas été désigné judiciairement (Cass. 2e civ., 12 janv. 2017, n° 16-10.123).

Les tarifs réglementés applicables aux prestations sont fixés par arrêtés (C. com., art. L. 444-1 s. et R. 444-1 s., modifiés par le décret n° 2020-179 du 28 février 2020). Ces tarifs concernent notamment :

  • les commissaires-priseurs judiciaires (ou commissaires de justice) : C. com., art. A. 444-1 s. ;
  • les greffiers des tribunaux de commerce : C. com., art. A. 743-8 s. ;
  • les huissiers ou commissaires de justice : C. com., art. A. 444-10 s. ;
  • les notaires : C. com., art. A. 444-53 s.

Peuvent également être compris dans les dépens, bien qu’ils ne soient pas officiers publics, les émoluments :

  • des administrateurs judiciaires (C. com., art. A. 663-4 s.) ;
  • des commissaires à l’exécution du plan (C. com., art. A. 663-14 s.) ;
  • des mandataires judiciaires (C. com., art. A. 663-18 s.).

La liste complète des prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers, huissiers, administrateurs, mandataires et notaires dont le tarif est régi par le titre IV bis du Code de commerce figure à l’annexe 4-7 de la partie réglementaire (C. com., art. R. 444-3).

Redistribution
Une redistribution entre professionnels peut être organisée afin d’assurer la couverture de l’ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et de garantir l’accès du plus grand nombre au droit.
Cette redistribution alimente un fonds spécifique : le Fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice (C. com., art. R. 444-22 s.).

Remises
Des remises peuvent être consenties lorsque le tarif est proportionnel à la valeur d’un bien ou d’un droit et que cette valeur dépasse un seuil défini par arrêté.
Le taux de remise, identique pour tous les clients, doit se situer dans les limites fixées par la réglementation.
Toutefois, pour certaines prestations et au-delà d’un montant d’émolument déterminé par arrêté, le professionnel et son client peuvent librement convenir du taux de remise (C. com., art. L. 444-2, al. 4 ; pour les notaires, v. C. com., art. A. 444-174, modifié par l’arrêté du 28 février 2020).

Affichage des tarifs
Les commissaires-priseurs judiciaires (ou commissaires de justice), notaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers ou commissaires de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, ainsi que les personnes autorisées à exercer ces fonctions (C. com., art. L. 811-2 et L. 812-2), doivent afficher de manière visible et lisible les tarifs qu’ils pratiquent, à la fois dans leur lieu d’exercice et sur leur site internet (C. com., art. L. 444-4 ; C. consom., art. L. 112-1).

Le non-respect de cette obligation ou d’une injonction de s’y conformer est sanctionné par une amende administrative pouvant atteindre :

  • 3 000 € pour une personne physique ;
  • 15 000 € pour une personne morale (C. com., art. L. 444-6).

Tarif applicable à d’autres auxiliaires de justice
Lorsqu’un professionnel exerce une activité relevant d’une autre catégorie d’auxiliaire de justice ou d’officier public ministériel, sa rémunération doit être fixée selon le tarif propre à cette catégorie (C. com., art. L. 444-1, al. 2).

En outre, les personnes non professionnelles mais autorisées par le tribunal à exercer les fonctions d’administrateur ou de mandataire judiciaire (C. com., art. L. 811-2, al. 2 et L. 812-2, II) sont soumises aux mêmes tarifs que les professionnels de ces fonctions (C. com., art. L. 444-1, al. 2).

Ce qui ne fait pas partie des dépens

Les PV de constat des commissaires de justice

les dépens n’incluent JAMAIS les frais de constat d’un huissier ou commissaire de justice non désigné judiciairement (Cass. 2e civ. 12-1-2017 n° 16-10.123 F-PB : Bull. civ. II n° 8).

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