Garde d’enfant dans une copropriété, est-ce autorisé ?

Peut-on accueillir des enfants chez soi lorsqu’on est assistante maternelle agréée, si le règlement de copropriété interdit toute activité professionnelle ?
La question, fréquente dans les résidences modernes, a récemment refait surface en Haute-Savoie. Une assistante maternelle s’est vue sommée par le syndic de cesser son activité ou de quitter son logement. Les copropriétaires invoquaient la clause d’« habitation exclusivement bourgeoise » du règlement, arguant que la garde d’enfants constituait une activité professionnelle.

Mais le droit français et la jurisprudence la plus récente montrent que l’activité d’assistante maternelle à domicile ne modifie pas la destination d’un immeuble d’habitation, dès lors qu’elle reste familiale et discrète.
La garde d’enfants à domicile, loin d’être un commerce ou une profession libérale, relève du travail salarié domestique, comparable à une aide à domicile.

L’enjeu est donc double :

  • pour les assistantes maternelles, faire reconnaître la légitimité de leur activité ;
  • pour les syndics, comprendre à quelles conditions une telle activité peut être encadrée sans contentieux.

Une activité familiale, non professionnelle

L’assistante maternelle n’est ni commerçante, ni artisan, ni profession libérale. Elle ne gère pas une clientèle, ne reçoit pas de public, et n’exploite pas un local ouvert aux tiers.
Le Code de l’action sociale et des familles définit précisément son statut :

« L’assistant maternel est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon non permanente des mineurs à son domicile […] après avoir été agréé à cet effet » (art. L421-1).

Autrement dit, elle exerce à son domicile, mais en tant que salariée de particuliers employeurs. Son activité est domestique, familiale et encadrée. Juridiquement, elle se rapproche davantage d’une femme de ménage que d’un professionnel indépendant.

Cette distinction est fondamentale : la plupart des règlements de copropriété qui interdisent les activités « professionnelles » visent les professions libérales, commerciales ou artisanales.
Or, l’assistante maternelle ne relève d’aucune de ces catégories.

Un encadrement strict par l’agrément

Avant toute activité, l’assistante maternelle doit obtenir un agrément du président du conseil départemental, qui contrôle la sécurité du logement, son aménagement et les conditions d’accueil.
L’article R421-3 du CASF impose notamment :

  • un examen médical d’aptitude,
  • des critères de sécurité et d’espace,
  • un environnement compatible avec le bien-être des enfants.

L’article L421-4 fixe le nombre maximal d’enfants accueillis simultanément à quatre.
Cet agrément constitue une véritable autorisation administrative d’usage familial du logement : l’État reconnaît que l’activité est compatible avec l’habitation.

La jurisprudence (CA Montpellier, 16 mars 2017) a d’ailleurs rappelé que lorsque le logement répond à ces exigences, aucune atteinte à la destination du lieu ne peut être reprochée.

Une activité légalement rattachée à l’usage d’habitation

Le Code de la construction et de l’habitation (art. L631-7-3) prévoit expressément qu’un occupant peut exercer une activité professionnelle dans son logement dès lors qu’il n’y reçoit ni clientèle ni marchandises.
Or, les enfants confiés à une assistante maternelle ne sont pas une « clientèle » au sens commercial : il s’agit d’un accueil familial, sans exploitation économique du local.

Le Code de l’action sociale et des familles (art. L421-13) impose par ailleurs une assurance obligatoire pour les dommages que les enfants pourraient provoquer ou subir, preuve supplémentaire que le législateur anticipe l’activité au domicile sans la requalifier en usage professionnel.

La compatibilité avec le règlement de copropriété

En copropriété, la question se pose à travers la destination de l’immeuble fixée par le règlement.
L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que « le règlement de copropriété détermine la destination des parties privatives et communes » et ne peut imposer aux copropriétaires des restrictions aux droits de jouissance « qu’en dehors de celles justifiées par la destination de l’immeuble ».

Ainsi, une clause d’« habitation bourgeoise » ou d’« habitation exclusivement bourgeoise » doit être interprétée strictement : elle ne saurait interdire une activité qui n’altère ni la tranquillité, ni l’aspect résidentiel, ni l’usage d’habitation du bien.

La distinction entre clause d’habitation simple et clause d’habitation exclusive

La doctrine du JurisClasseur Bail à loyer, qui fait autorité, distingue deux hypothèses :

  • La clause d’habitation bourgeoise simple : elle n’interdit pas les professions libérales ni certaines activités domestiques.
  • La clause d’habitation exclusivement bourgeoise : elle prohibe, en principe, toute activité professionnelle indépendante dans les lieux.

Mais même dans ce second cas, la doctrine et la jurisprudence admettent une exception : l’activité d’assistante maternelle, lorsqu’elle s’exerce dans un cadre familial, n’est pas considérée comme professionnelle.

Le JurisClasseur cite expressément la profession d’assistante maternelle comme compatible avec l’habitation, y compris dans les immeubles soumis à une clause d’habitation bourgeoise exclusive.

« Étant démontré que la locataire ne reçoit qu’un nombre restreint d’enfants qui s’ajoutent aux siens dans l’appartement qui lui sert de logement, l’activité d’assistante maternelle, dont il n’est pas allégué qu’elle entraîne une gêne pour l’immeuble, demeure d’ordre essentiellement familial et n’est pas incompatible avec la clause d’habitation du bail. » (CA Paris, 16 mai 1995, confirmée Cass. 3e civ., 14 mai 1997).

Autrement dit, accueillir deux ou trois enfants à son domicile ne transforme pas un logement d’habitation en local professionnel.
Aucune modification de destination n’est caractérisée tant que l’activité reste familiale et discrète.

La jurisprudence constante : Cassation et cours d’appel

La Cour de cassation (3e civ., 14 mai 1997) a définitivement tranché :

« L’activité d’assistante maternelle, limitée à un nombre restreint d’enfants et exercée sans nuisance ni transformation des lieux, demeure d’ordre familial et n’est pas incompatible avec la clause d’habitation du bail. »

Ce principe a été confirmé par la cour d’appel de Versailles le 10 juillet 2025 (n° 25/03781), dans une affaire opposant une assistante maternelle à un syndicat de copropriétaires.
Le syndic soutenait que la garde d’enfants violait le règlement interdisant tout exercice professionnel.
La Cour a rejeté la demande, relevant que :

  • aucune nuisance avérée n’était démontrée,
  • l’activité ne modifiait pas la destination de l’immeuble,
  • et elle ne relevait d’aucune profession au sens du règlement.

La Cour a jugé qu’« il n’existait pas de trouble manifestement illicite », rappelant que la garde d’enfants au domicile est une activité d’habitation, non une exploitation professionnelle.

Une seule exception : la clause d’interdiction absolue

Une seule décision, isolée, a jugé l’inverse : CA Paris, 6e ch. B, 22 mai 2003 (AJDI 2003, p. 580).
Dans cette affaire, le bail contenait une clause expresse interdisant toute activité, quelle qu’elle soit.
La Cour a estimé que le bailleur pouvait s’en prévaloir pour délivrer un congé pour motif légitime et sérieux.

Cette décision ne contredit pas la jurisprudence de principe : elle rappelle simplement qu’en présence d’une clause d’interdiction absolue, le juge n’a pas de pouvoir d’interprétation.
Mais ces clauses, très rares en copropriété, s’interprètent strictement et ne peuvent être étendues à des activités familiales tolérées par la loi.

Le parallèle avec l’usage d’habitation au sens du Code de la construction

L’article L631-7-3 du Code de la construction et de l’habitation autorise expressément l’exercice d’une activité à domicile, dès lors qu’elle ne conduit pas à y recevoir de clientèle ni de marchandises.
L’activité d’assistante maternelle correspond exactement à ce cas :

  • elle ne reçoit pas de clientèle,
  • elle ne transforme pas le local,
  • elle ne crée pas de flux commerciaux.

Le logement reste donc à usage d’habitation.

La distinction essentielle : assistante maternelle et crèche collective

La confusion est fréquente, y compris parmi les copropriétaires : accueillir trois enfants à domicile n’a rien à voir avec exploiter une crèche ou une micro-crèche.
L’assistante maternelle exerce seule, dans son logement, et sous agrément du conseil départemental. Elle accueille généralement deux à quatre enfants, sans personnel salarié, sans enseigne, sans livraison, sans publicité ni réception de public.

À l’inverse, une crèche collective ou une micro-crèche relève d’un modèle totalement différent :

  • elle reçoit de nombreux enfants (souvent dix à vingt) ;
  • elle implique du personnel salarié ;
  • elle entraîne des livraisons de repas et de matériel ;
  • elle provoque des allées et venues importantes de parents, de prestataires, voire de véhicules de service.

Ces différences d’échelle et d’impact expliquent la divergence de traitement juridique.

Le Tribunal judiciaire de Paris, 11 septembre 2025 (n° 22/11353), a ainsi condamné l’exploitation d’une crèche dans un immeuble à usage de bureaux :

« Les nuisances sonores, les livraisons fréquentes et les encombrements des parties communes excèdent les inconvénients normaux de voisinage et contreviennent à la destination de l’immeuble. »

En d’autres termes, la crèche est une activité professionnelle ouverte au public, tandis que l’assistante maternelle exerce un emploi domestique à caractère familial.
Cette distinction est fondamentale pour les syndics comme pour les copropriétaires : l’une modifie la destination, l’autre non.

Les affaires récentes médiatisées en Haute-Savoie (France Bleu, Le Dauphiné) illustrent bien cette confusion. Les assistantes maternelles visées accueillaient un nombre limité d’enfants à leur domicile, avec un agrément parfaitement valable. Aucune décision judiciaire n’a validé les menaces d’expulsion proférées à leur encontre. Ces actions reposent le plus souvent sur une lecture approximative du règlement ou sur des plaintes de voisinage non étayées.

La notion de trouble manifestement illicite

Pour qu’un syndicat de copropriété puisse obtenir en référé la cessation d’une activité, il doit prouver l’existence d’un trouble manifestement illicite (art. 835 CPC).
Ce trouble suppose une violation flagrante de la règle de droit ou un dommage imminent.
Or, l’exercice d’une activité d’assistante maternelle ne constitue pas en soi une infraction ni une atteinte à la destination de l’immeuble.

La cour d’appel de Versailles (10 juillet 2025) l’a rappelé : aucune nuisance concrète n’étant démontrée, et la destination d’habitation n’étant pas modifiée, le juge des référés n’avait pas compétence pour ordonner la cessation de l’activité.
Les simples allégations de bruit ou de passage ne suffisent pas : il faut des constats précis, des témoignages concordants et une violation objective du règlement.

Les bonnes pratiques pour les assistantes maternelles

Pour prévenir tout conflit, il est conseillé de :

  • conserver une copie de l’agrément et des rapports du conseil départemental ;
  • informer courtoisement le syndic ou le conseil syndical de l’activité, par souci de transparence ;
  • veiller à limiter le bruit et les allées et venues ;
  • recueillir, le cas échéant, des attestations de voisins confirmant l’absence de nuisances.

En cas de contestation, une assistante maternelle peut produire :

  • son agrément administratif ;
  • des attestations de parents employeurs ;
  • des constats de tranquillité ou de conformité ;
  • et, en dernier recours, saisir le juge pour faire constater l’absence de trouble illicite.

Les bonnes pratiques pour les syndics et les copropriétés

Avant toute action judiciaire, il convient de :

  • relire la clause du règlement de copropriété : une clause d’« habitation exclusive » n’interdit pas systématiquement les activités familiales ;
  • vérifier la réalité des nuisances : horaires, intensité, répétition, impact sur les parties communes ;
  • privilégier le dialogue et, si nécessaire, inscrire la question à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale pour obtenir un avis collectif.

Le recours judiciaire doit rester exceptionnel. Le juge ne sanctionnera l’activité d’une assistante maternelle que si elle génère un trouble anormal de voisinage ou viole une clause expresse d’interdiction absolue.

En conclusion

L’activité d’assistante maternelle à domicile est non seulement légale, mais reconnue par la loi comme une activité compatible avec l’habitation. Elle ne constitue ni un commerce, ni une profession libérale, ni un usage professionnel au sens de la loi de 1965.
La jurisprudence (Cass. 3e civ., 14 mai 1997 ; CA Versailles, 10 juillet 2025) et la doctrine (JurisClasseur) convergent : accueillir des enfants à son domicile relève de la vie familiale et domestique, non de l’exploitation professionnelle d’un local.

Les copropriétés gagneraient à distinguer cette activité des structures collectives type crèches, dont l’impact sur la tranquillité et la destination de l’immeuble est sans commune mesure.

Si vous êtes assistante maternelle menacée d’expulsion, ou syndic confronté à une copropriété divisée sur le sujet, je peux analyser votre règlement, évaluer les nuisances alléguées et déterminer la stratégie juridique la plus adaptée à votre situation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *