La responsabilité civile personnelle du dirigeant (faute de gestion, faute détachable)

Cet article fait partie d’une étude plus complète sur tous les aspects de la responsabilité du dirigeant :

Les sanctions des fautes de gestion du dirigeant : comment le faire payer personnellement (in bonis + procédure collective) ?

La responsabilité civile personnelle du dirigeant peut être engagée pour des manquements à la seule « bonne gestion », sans qu’il soit nécessaire que s’y ajoute une violation des statuts ou de la loi.

La société, ses associés et les tiers peuvent ainsi agir en responsabilité contre le dirigeant de droit, mais aussi de fait, afin d’obtenir réparation des préjudices subis.

Principe de la faute de gestion séparable des fonctions

Pour que la responsabilité personnelle d’un dirigeant puisse être recherchée par un tiers, il convient de démontrer l’existence d’une faute séparable de ses fonctions, c’est-à-dire une faute qui lui soit imputable à titre personnel et non au titre de l’organe social.

La responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers n’est engagée que s’il commet une faute séparable de ses fonctions, c’est-à-dire une faute intentionnelle, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales et imputable personnellement au dirigeant.

La Cour de cassation rappelle de manière constante que tel n’est le cas que lorsque le dirigeant a commis une faute intentionnelle d’une particulière gravité, étrangère à l’exercice normal de ses fonctions (Cass. com., 27 janv. 1998, n° 93-11.437 ; Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092).

Constitue ainsi une faute séparable l’acte volontairement dommageable, incompatible avec les prérogatives qu’un dirigeant est normalement appelé à exercer (Cass. com., 20 mai 2003 ; Cass. com., 7 juill. 2004, n° 02-17.729).

Fondement juridique

Cette action, visée par les textes en matière de faute de gestion expressément pour les sociétés suivantes (Elle peut être généralisée à l’ensemble des dirigeants sociaux):

Forme de la sociétéReprésentant légal/organe dirigeantFondement
SAS PrésidentArticle 227-8 « Les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d’administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée. » renvoyant à l’article 225-251
Société civileGérantC. civ. art. 1850
SARL GérantC. com. art. L 223-22 alinéa 1
SA directeur général et membres du directoire de la SA C. com. art. L 225-251
SNC, les SCS et les sociétés en participation à caractère commercial  article 1240 du code civil

Il est en outre intéressant de noter que la responsabilité civile n’a pas uniquement une fonction « indemnisatrice ». Une dimension « sanctionnatrice » est présente, en droit des sociétés, en raison du maintien de l’exigence d’une faute.

Aux termes de l’article 223-22 du code de commerce réglementant la responsabilité du gérant de société commerciale : « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. »

Article 1850 du code civil : « Chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion. »

La transposition des décisions entre les sociétés

L’appréciation de la faute du dirigeant est appréciée de la même manière quelle que soit la forme de la société (commerciale ou civile, par actions ou de personnes, etc.). Ainsi, la décision rendue dans une forme de société est tout à fait transposable à une autre forme de société. Par exemple, si la chambre civile de la Cour de Cassation a estimé que la fourniture de faux bilans par le gérant d’une société civile était constitutif d’une faute détachable des fonctions, cette jurisprudence peut naturellement être utilisée dans un conflit identique dans une SAS.

Causes de responsabilité des gérants

Principe de responsabilité des gérants

Les gérants sont responsables envers la société et envers les tiers  :

  • des infractions aux lois et règlements ;
  • des violations des statuts ;
  • des fautes commises dans leur gestion.

Précisons qu’à l’égard des tiers, la responsabilité des gérants ne peut être engagée que s’ils ont commis une faute séparable de leurs fonctions.

Violation des lois et règlements par le gérant

Violation des statuts par le gérant

Fautes de gestion du gérant

Les fautes de gestion susceptibles d’être reprochées à un gérant couvrent un champ très large, allant de la simple négligence à de véritables manœuvres frauduleuses. Il n’est pas nécessaire qu’un acte positif soit établi : l’inaction, l’incurie ou la passivité du dirigeant peuvent suffire. La responsabilité du gérant peut ainsi être engagée même sans intention de nuire, dès lors qu’un comportement contraire à l’intérêt social — ou aux enjeux sociaux et environnementaux attachés à l’activité — est démontré.
Il appartient à la société ou à l’associé demandeur d’établir concrètement en quoi le comportement du dirigeant est contraire à ces intérêts.

Les tribunaux ont ainsi retenu comme fautes de gestion :

  • La tenue défectueuse de la comptabilité, ayant causé un préjudice à la société et aux associés (Cass. 2e civ., 10 déc. 1980).
  • Le défaut de surveillance d’un cogérant ayant permis un détournement de fonds sociaux (Cass. com., 9 déc. 1957).
  • Le défaut de surveillance d’un directeur titulaire d’une large délégation de pouvoirs et l’absence de mesures correctives malgré la révélation de ses agissements répréhensibles (Cass. com., 6 févr. 1962).
  • L’inaction face à des irrégularités de facturation signalées au dirigeant et aisément vérifiables, exposant la société à des sanctions fiscales (CA Paris, 14 janv. 2020, n° 17/20212).
  • Le manquement au devoir de loyauté, le dirigeant ayant acquis pour son compte personnel l’immeuble utilisé par la société alors qu’il savait les associés désireux de l’acheter ensemble (Cass. com., 18 déc. 2012, n° 11-24.305).
  • L’absence de souscription d’une assurance obligatoire ou le défaut de paiement des primes ayant provoqué la caducité du contrat (T. com. Seine, 8 janv. 1952 ; Cass. com., 29 avr. 1954).
  • La conclusion d’un bail défavorable à la société (Cass. com., 8 juin 1963).
  • L’absence de réaction du dirigeant d’une société en difficulté, notamment l’omission de convoquer une assemblée générale malgré un déficit important (Cass. com., 5 juin 1961).
  • Le prélèvement irrégulier de fonds figurant au compte courant d’associé pour financer un achat immobilier personnel (Cass. com., 1er juill. 2008, n° 07-16.215).
  • L’octroi unilatéral d’une rémunération, alors que les statuts exigeaient une décision des associés (CA Rennes, 28 juin 2022, n° 20/02742).
  • La mise en échec d’une opération de crédit-bail destinée à financer l’acquisition immobilière d’une SCI, suivie de prélèvements injustifiés de trésorerie au profit d’une autre société contrôlée par le gérant (CA Paris, 22 mai 2008, n° 07-8661).
  • Le refus injustifié d’augmenter un loyer dont le montant était très inférieur à celui autorisé par le statut des baux commerciaux, causant une perte de revenus à la société (CA Paris, 9 mars 1989).

En revanche, certaines situations ne constituent pas une faute de gestion :

  • Lorsque les décisions critiquées (modalités de location, acquisition d’un second immeuble) ont été prises collectivement par l’assemblée des associés, et que les cautionnements consentis par le gérant garantissaient des prêts destinés à financer des travaux valorisant l’immeuble, le dirigeant a été jugé exempt de toute faute (Cass. 3e civ., 2 oct. 2001, n° 1315).
  • De même, un gérant ayant renoncé à la vente du principal actif de la société et provoqué le versement d’une indemnité de dédit n’a pas été considéré fautif dès lors qu’il n’agissait pas pour un intérêt personnel mais pour préserver l’économie globale de l’opération, compromise par une évolution fiscale annoncée (Cass. com., 8 nov. 2005, n° 1398).

Conventions réglementées non approuvées

En cas de conclusion d’un contrat constituant une convention réglementée et dont l’exécution peut entraîner la responsabilité du gérant pour faute de gestion , il est possible d’agir sur deux fondements au choix contre le dirigeant de SARl, sociétés anonymes, des sociétés en commandite par actions, des sociétés par actions simplifiées et des sociétés civiles ayant une activité économique :

  • Les gérants sont tenus de supporter les conséquences préjudiciables à la société des conventions réglementées non approuvées (pour SARL C. com. art. 223-19, al. 4). L’action en responsabilité sur le fondement de l’article L 223-22 du Code de commerce reste ouverte même si la convention a été approuvée (Cass. com. 18-12-2024 no 22-21.487 F-B). L’approbation d’une convention par l’assemblée générale n’exonère pas le gérant de sa responsabilité s’il a commis une faute de gestion. Il est vrai que l’article L 223-22, al. 5 prévoit qu’aucune décision de l’assemblée ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour les fautes commises dans l’accomplissement de leur mandat.
  • peut cumulativement constituer une faute de gestion le fait pour un dirigeant de ne pas avoir soumis une convention réglementée à l’approbation des associés (CA Paris 28-7-2016 no 15/04260). La possibilité de mettre à la charge du gérant de SARL les conséquences préjudiciables pour la société des conventions réglementées non approuvées n’interdit pas de mettre en jeu sa responsabilité pour faute de gestion, que les conventions aient ou non été approuvées. Cass. com. 18-12-2024 no 22-21.487 F-B. Il y a Cumul de responsabilités du gérant de SARL pour convention réglementée irrégulière et faute de gestion. la possibilité prévue à l’article L 223-19, al. 4 du Code de commerce, de mettre à la charge du gérant d’une SARL les conséquences préjudiciables à la société des conventions réglementées non approuvées n’est pas exclusive de la mise en jeu de sa responsabilité sur le fondement de l’article L 223-22 du Code de commerce, que ces conventions aient ou non été approuvées.

Faute séparable des fonctions de gérant (à l’égard du tiers en demande)

Le gérant est l’organe de représentation de la société. Lorsqu’il agit au nom et pour le compte de la personne morale, celle-ci est, en raison de sa personnalité juridique distincte, seule engagée à l’égard des tiers par les actes accomplis : si l’acte est source de responsabilité civile, c’est à la société et à elle seule que les tiers peuvent demander réparation.

La responsabilité personnelle du gérant est engagée à l’égard des tiers si le gérant a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement (Cass. com., 27 janv. 1998, no 93-11437, Vanhove c/ SA CDR Total France ; Cass. com., 12 janv. 1999, n° 96-19.670. ; Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092) : « La responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute détachable de ses fonctions. Il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions.« 

La faute séparable des fonctions est qualifiée lorsque le gérant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (Cass. com. 20-5-2003; Cass. com. 7-7-2004).

Ont été reconnus responsables d’avoir commis une faute séparable de leurs fonctions :

  • le gérant d’une société de prestations de services en matière immobilière qui a obtenu pour un client de celle-ci une autorisation de transformation de locaux d’habitation en locaux commerciaux en corrompant un fonctionnaire (Cass. 1e civ. 6-10-1998 n° 1463 : RJDA 12/98 n° 1362) ;
  • le gérant qui a volontairement trompé un fournisseur sur la solvabilité de la société (Cass. com. 20-5-2003 n° 851 : RJDA 8-9/03 n° 842, concl. R. Viricelle p. 717) ;
  • le gérant qui, au lieu de comptabiliser une provision correspondant au coût prévisible d’un litige à venir entre la société et des tiers, a prélevé dans la trésorerie sociale une somme dont le montant excessif a conduit la société à cesser ses paiements (Cass. com. 6-11-2007 n° 05-13.402 : RJDA 2/08 n° 157) ;
  • le gérant qui a laissé un salarié utiliser un véhicule de la société sans l’informer du fait qu’il n’était plus assuré (Cass. com. 4-7-2006 n° 865 : RJDA 2/07 n° 166, 1e esp.) ;
  • le gérant qui n’a pas restitué le véhicule loué par la société et l’a détourné en le vendant au repreneur de la société (Cass. com. 15-3-2017 n° 15-22.889 F-D : RJDA 8-9/17 n° 557) ;
  • le gérant d’une société constituée pour acquérir le capital d’une autre société qui a organisé l’insolvabilité de la première société de sorte que celle-ci ne soit pas en mesure de payer le prix d’achat des parts de la seconde (CA Versailles 6-8-2015 n° 12/08939 : RJDA 11/15 n° 754) ;
  • le gérant qui a engagé au nom de la société de nombreux recours en justice contre des projets immobiliers, alors que ces recours étaient étrangers à l’objet social et à l’intérêt social (Cass. com. 10-11-2015 n° 14-18.179 : RJDA 2/16 n° 125).

En revanche, n’a pas commis de faute séparable de ses fonctions :

  • le gérant qui a laissé entendre, dans une circulaire adressée à ses créanciers, que malgré les difficultés financières de la société, une banque, à qui il avait demandé l’octroi d’un prêt, allait se prononcer favorablement (Cass. com. 25-1-2005 n° 139 : RJDA 5/05 n° 584) ;
  • le gérant qui prend au nom de la société l’engagement de garantir le paiement des dettes d’une filiale sans révéler au bénéficiaire de la garantie la situation économique précaire de la société garante (Cass. com. 20-6-2006 n° 808 : RJDA 2/07 n° 166, 2e esp.) ;
  • le gérant d’une SCI qui, à l’occasion d’une cession de parts sociales, n’informe pas l’acquéreur des parts de l’existence d’un nantissement grevant celles-ci (Cass. com. 29-3-2011 n° 10-11.027 : RJDA 10/11 n° 818) ;
  • le gérant qui s’est abstenu de répondre à une demande d’information émanant d’un organisme public, la passivité ne constituant pas une telle faute (Cass. com. 5-7-2017 n° 15-22.707 F-D : RJDA 1/18 n° 33).

Alors même qu’il est l’auteur de la faute de gestion, le dirigeant ne sera personnellement tenu à l’égard des tiers que si cette faute est détachable de ses fonctions, c’est-à-dire intentionnelle et d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal du mandat social (Cass. com., 20-5-2003, n° 99-17.092, FS-PBI).

L’AMF, pour sa part, n’exige pas l’existence d’une faute détachable. Mais sa compétence est strictement limitée : elle ne porte pas sur les fautes de gestion, seulement sur les violations graves du droit des sociétés, des règlements européens, des lois, règlements ou règles professionnelles approuvées par l’Autorité des marchés financiers (C. mon. fin., art. L. 621-13-9).

Commet ainsi une faute détachable le dirigeant qui engage de nombreux recours judiciaires étrangers à l’objet social et à l’intérêt social (Cass. com., 10-11-2015, n° 14-18.092 F-D : RJDA 2/16 n° 125).
Il en résulte que seules certaines fautes de gestion peuvent entraîner la sanction personnelle du dirigeant lorsqu’elles sont invoquées par un tiers. Les autres n’engagent que la responsabilité de la société.

Cette immunité partielle ne bénéficie toutefois qu’au dirigeant de droit d’une société dotée de la personnalité juridique. Le dirigeant de fait ne semble pas en bénéficier (J. Heinich et L. Watrin, Le dirigeant de fait, J.-Cl. Sociétés, fasc. 45-20, n° 43), et le dirigeant d’une société en participation en est également exclu.

En outre, même lorsque le dirigeant bénéficie de cette immunité à l’égard des tiers, le préjudice causé à la société par ses fautes de gestion peut toujours donner lieu à une action sociale. Dans ce cadre, l’existence d’une faute détachable n’est pas requise : toute faute de gestion suffit pour engager la responsabilité interne du dirigeant.

Encore faut-il que l’action soit engagée. En pratique, tant que le dirigeant demeure en fonctions, la société introduit rarement une action en responsabilité, les dirigeants étant peu enclins à se poursuivre eux-mêmes.

Il faut alors compter sur l’initiative d’un associé agissant ut singuli, généralement minoritaire, pour demander la réparation du préjudice social. Cette action est rare, car l’associé avance seul les frais de procédure.
Reste la possibilité pour un associé d’intenter une action individuelle, en réparation de son préjudice personnel. Mais cette action est elle aussi peu fréquente : les juges exigent que le préjudice invoqué ne soit pas le simple corollaire du préjudice social (Cass. 3e civ., 12-5-2021, n° 19-13.942 FS-P).

En définitive, sur le plan civil, si le dirigeant doit répondre de ses fautes, la mise en œuvre effective de sa responsabilité suppose en pratique sa révocation préalable (Cass. com., 27-5-2021, n° 19-17.568 F-D : Bull. Joly 2022, p. 32, note S. Tisseyre ; RJDA 8-9/21 n° 570, à propos d’une action ut singuli exercée par un cogérant associé).

Pourrait-il dès lors tenter d’échapper à sa responsabilité en invoquant l’approbation de sa gestion par les associés ou une clause statutaire de non-responsabilité ?

L’article 1843-5 du Code civil y apporte une réponse nette, en instituant une double interdiction :
— est réputée non écrite toute clause statutaire subordonnant l’exercice de l’action sociale à une autorisation de l’assemblée ou comportant une renonciation à son exercice ;
— aucune décision de l’assemblée ne peut éteindre une action en responsabilité pour des fautes commises dans l’accomplissement du mandat social.

Le dirigeant ne peut donc se prévaloir ni d’un quitus, ni d’une clause statutaire pour s’exonérer.

Reste en suspens la question de savoir si le fait d’avoir voté le quitus empêche un associé d’agir individuellement. Certains soutiennent que l’associé ayant voté le quitus est tenu par la bonne foi. Néanmoins, l’article 1843-5 ne distinguant pas entre action sociale et action individuelle à propos du quitus, il ne paraît pas y avoir lieu d’opérer cette distinction (Cass. 3e civ., 27-5-2021, n° 19-16.716 FS-P : Dr. sociétés 2021, comm. n° 102, note N. Jullian ; RJDA 8-9/21 n° 571). Le quitus n’a donc jamais d’effet libératoire, qu’il s’agisse d’une action sociale ou individuelle. Il peut tout au plus conduire à moduler la responsabilité du dirigeant envers un associé, en raison de son propre comportement.

En revanche, le dirigeant échappe à sa responsabilité s’il démontre que la faute de gestion reprochée résulte de l’exécution d’une décision prise en assemblée générale (Cass. 3e civ., 2-10-2001, n° 00-12.347 F-D : Bull. Joly 2002, p. 265, note F.-X. Lucas).

Enfin, même condamné au civil, le dirigeant peut ne pas supporter la charge financière de la condamnation : les fautes de gestion sont en principe assurables. Les sociétés souscrivent le plus souvent une garantie “responsabilité des dirigeants” (C. Ruellan, Essai sur les conditions d’assurabilité des fautes commises par les mandataires et dirigeants sociaux, Mélanges Merle, D. 2013, p. 617). Le paiement des primes est alors traité comme un supplément de rémunération. Ces assurances couvrent généralement les manquements aux obligations légales, réglementaires ou statutaires, ainsi que les fautes de gestion.

Seules les fautes intentionnelles ou dolosives excluent la garantie et laissent le dirigeant supporter personnellement la condamnation (A. Constantin, De quelques aspects de l’assurance de responsabilité civile des dirigeants sociaux, RJDA 7/03, p. 595).

Enfin, l’action en responsabilité dirigée contre le dirigeant relève impérativement de la compétence du tribunal de commerce, même lorsque le défendeur est une personne physique non commerçante.

Tribunal de commerce ou tribunal judiciaire : qui est compétent ?

Infraction pénale comme faute séparable des fonctions

Une faute séparable des fonctions peut également résulter de la commission d’une infraction pénale intentionnelle par le dirigeant. La Cour de cassation juge en effet que la réalisation d’un délit caractérisé, étranger à l’exercice normal des fonctions sociales, constitue une faute détachable engageant sa responsabilité personnelle (Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-66.255).

Une infraction pénale intentionnelle est, par nature, séparable des fonctions sociales du dirigeant (Cass. com., 28 septembre 2010, n° 09-66.255 FS-PBRI, et Rapport C. cass. 2010 p. 381 s. ; sur renvoi, CA Douai, 15 novembre 2011, n° 11/00259 ; Cass. com., 9 décembre 2014, n° 13-26.298 F-D ; Cass. com., 18 septembre 2019, n° 16-26.962 F-PB).
L’infraction intentionnelle constitue un acte personnel du dirigeant, qui doit en assumer seul les conséquences, sans recours contre la société, même si l’acte fautif a été commis dans l’exercice de ses fonctions (Cass. com., 18 septembre 2019, n° 16-26.962 F-PB).

En conséquence, la non-souscription des assurances construction obligatoires constitue une faute détachable des fonctions sociales. La Cour de cassation juge de manière constante que ce délit, en raison de sa gravité et de son caractère intentionnel, engage la responsabilité personnelle du dirigeant (Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-66.255 ; Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 04-14.731 ; Cass. 3e civ., 14 déc. 2017, n° 16-24.492 ; v. également Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15.326).

À la différence de la chambre commerciale, la chambre criminelle considère qu’une action civile peut être valablement exercée contre un dirigeant sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute séparable (Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669 FP-PB).

En principe, il n’y a pas de crime ou de délit sans intention (C. pén., art. 121-3, al. 1). Le risque pour un dirigeant d’engager sa responsabilité personnelle en raison d’une infraction pénale intentionnelle commise dans le cadre de ses fonctions est donc significatif.

Cependant, lorsque la loi le prévoit, certains délits dits non intentionnels peuvent résulter d’une simple imprudence, négligence ou violation d’une obligation de prudence ou de sécurité (C. pén., art. 121-3, al. 2). Les contraventions sont, quant à elles, le plus souvent non intentionnelles.

Il a ainsi été jugé, s’agissant d’une société commerciale, que la seule constatation du manquement d’un dirigeant à son obligation de dépôt des comptes sociaux (contravention visée à l’art. R. 247-3 C. com.) ne suffit pas à caractériser une faute séparable (Cass. com., 3 mai 2018, n° 16-23.627 F-D).

Sur ce point, la chambre criminelle adopte une position différente de celle de la chambre commerciale :
selon elle, les dirigeants engagent leur responsabilité civile personnelle envers les tiers pour toutes les infractions pénales dont ils se sont personnellement rendus coupables, même lorsqu’elles ont été commises dans le cadre de leurs fonctions sociales, et même lorsqu’il ne s’agit que de contraventions (Cass. crim., 20 mai 2003, n° 02-84.307 ; Cass. crim., 7 septembre 2004, n° 03-86.292 ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669 FP-PB et n° 16-83.984 FP-PB).

L’atteinte aux droits des créanciers sociaux (le fait pour le créancier de ne jamais recouvrer son argent)

L’atteinte aux droits des créanciers sociaux constitue l’une des principales manifestations de cette faute séparable.

Est ainsi fautif le comportement par lequel un dirigeant organise volontairement l’insolvabilité de la société, détourne ou soustrait des actifs, ou encore neutralise les voies de recours dont disposent les créanciers pour recouvrer leur créance. La faute est caractérisée dès lors que le dirigeant, par une démarche volontairement dommageable, prive les créanciers de la possibilité d’être désintéressés.

La Cour de cassation a retenu la faute séparable lorsque le dirigeant, conscient d’un litige imminent, effectuait des prélèvements anticipés et excessifs sur les bénéfices sociaux afin de soustraire ces sommes au gage des créanciers (Cass. com., 6 nov. 2007, n° 05-13.402).
De même, elle a jugé fautif le dirigeant d’une filiale qui s’était délibérément abstenu de déclarer une créance au passif de la société mère en redressement judiciaire, dans le but d’avantager celle-ci et au détriment des créanciers de la filiale, ainsi privés de tout recours utile (Cass. com., 27 mai 2014, n° 12-28.657).

Dans le même esprit, la cour d’appel de Douai a récemment considéré qu’un président de SAS engageait sa responsabilité personnelle pour avoir organisé l’insolvabilité de la société au détriment d’un client créancier (CA Douai, 16 oct. 2025, n° 23/04804).
Après avoir abandonné un chantier malgré d’importants acomptes encaissés, le président avait transféré le siège social au Royaume-Uni, radié la société du RCS français puis procédé à sa dissolution, rendant toute exécution impossible. Il avait en outre omis de souscrire l’assurance décennale obligatoire, privant le créancier de tout recours contre un assureur. La cour a jugé, en infirmant la décision du tribunal de commerce de 1ère instance, qu’un tel comportement, volontairement dommageable et destiné à faire échec aux droits du créancier, constituait une faute séparable engageant sa responsabilité personnelle.

Préjudice résultant de la faute du gérant

Conformément au droit commun, la responsabilité des gérants n’est engagée que si la faute qu’ils ont commise est génératrice d’un préjudice et s’il existe une relation de cause à effet entre cette faute et ce préjudice (CA Paris 21-2-2003 n° 02-5910 : Dr. sociétés 2004 comm. n° 5 note Lucas).

La réparation doit correspondre intégralement au préjudice subi (Cass. crim. 28-1-2004 n° 779 : RJDA 6/04 n° 764 ; Cass. com. 12-5-2015 n° 13-28.059 : RJDA 11/15 n° 753). Cependant, le montant de cette réparation peut être atténué lorsque les demandeurs ont eux-mêmes commis une faute, par exemple en confiant des fonctions difficiles à un gérant notoirement inexpérimenté (pour un exemple emprunté aux sociétés commerciales mais transposable, voir CA Paris 13-1-1939 : JCP 1939 I n° 1021).

Étendue de la responsabilité des gérants

Responsabilité individuelle du gérant
Responsabilité solidaire des gérants

Action en responsabilité contre le gérant

Action individuelle en responsabilité contre le gérant

Action sociale contre le gérant

Prescription de l’action en responsabilité contre le gérant

Cas particuliers de responsabilité civile du gérant

Responsabilité civile du gérant de société en procédure collective

En cas de procédure collective ouverte à l’encontre de la société, les gérants peuvent être tenus de contribuer au règlement du passif social et être soumis à certaines interdictions et déchéances ainsi qu’à diverses sanctions (privation du droit de vote, obligation de céder leurs parts sociales, etc.)

Si l’ouverture de la procédure collective de la société interdit aux créanciers sociaux d’agir en paiement contre celle-ci (sauf pour les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture et « utiles » à la procédure ; C. com. art. L 622-21, L 631-14 et L 641-3), cette suspension des poursuites ne bénéficie qu’à la société et non à ses dirigeants (Cass. com. 29-3-2023 n° 21-21.005 F-B : RJDA 6/23 n° 323 ; Cass. com. 14-6-2023 n° 21-21.330 FS-B). Par exemple, ceux-ci peuvent être poursuivis au titre de leur solidarité fiscale avec la société (Cass. com. 21-6-1994 n° 92-16.134 D : RJDA 11/94 n° 1142, rendu en application de l’art. L 267 du LPF ; Cass. com. 29-3-2023 précité, faisant application des art. 1799 et 1799 A du CGI).

Toutefois, les poursuites engagées par les créanciers contre les dirigeants en leur qualité de coobligés ou de garants des dettes sociales sont temporairement suspendues en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire de la société mais non en cas de liquidation judiciaire de celle-ci.

Responsabilité du gérant personne morale

Si une personne morale est gérante, ses dirigeants encourent les mêmes responsabilités civiles que s’ils étaient gérants en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu’ils dirigent (C. civ. art. 1847).

Et le dirigeant de fait ?

Le régime spécifique de responsabilité civile prévu par le droit des sociétés (C. com. art. L 223-22 s. pour les SARL et art. L 225-251 s. pour les sociétés par actions) ne concerne que les dirigeants de droit (Cass. com. 21-3-1995 no 93-13.721 ; Cass. com. 30-3-2010 no 08-17.841).

Les dirigeants de fait sont en conséquence soumis au droit commun de la responsabilité extra-contractuelle de l’article 1382 du Code civil (art. 1240 à compter du 1er octobre 2016) qui, sur le terrain de la prescription, est plus rigoureux puisque l’action en responsabilité se prescrit par cinq ans à compter du jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaître la faute du dirigeant (C. civ. art. 2224).

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