Comment assigner une société radiée ou dissoute ?

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La radiation d’une société du registre du commerce et des sociétés (RCS) ne signifie pas toujours sa disparition juridique immédiate. Selon les cas, la personnalité morale peut subsister, et il peut donc être indispensable de lui faire signifier une assignation — pour recouvrer une créance, engager sa responsabilité ou simplement préserver ses droits.
Dans cet article, je vous explique les différentes hypothèses à distinguer : société récemment dissoute, en liquidation judiciaire, ou radiée depuis plusieurs années. À chaque situation, une stratégie procédurale adaptée.

Société radiée : qu’est-ce que ça signifie ?

La personnalité morale de la société radiée subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social n’ont pas été liquidés. Ainsi peut-elle, notamment, agir en justice (Cass. com. 13 février 1996 précité ; CA Rouen 13 novembre 1984, SEEE c/ La Banque Mondiale World Bank) ou être mise en redressement judiciaire (CA Paris 13 septembre 1994 : JCP éd. E 1995 II n° 655).

Radiation par transmission universelle de patrimoine

La transmission universelle de patrimoine (TUP) est une procédure juridique française qui permet à une société absorbante de recueillir l’intégralité du patrimoine d’une autre société, sans liquidation, lorsque cette dernière est dissoute sans liquidation. Elle est prévue à l’article 1844-5, alinéa 3 du Code civil.

La TUP c’est en fait une fusion de sociétés : B rachète A qui disparait au profit de l’unique entité B. A devient totalement intégrée à B et perd sa personnalité morale.

Il convient alors dans ce cas d’assigner B qui est la seule société qui subsiste.

Attention : des petits malins utilisent la TUP pour éviter la liquidation et ses mécanismes de protection, notamment des créanciers. Ils vont alors faire des TUP au profit de coquilles vides en transférant toutes les dettes à cette coquille vide qui n’aura aucun patrimoine pour indemniser ses créanciers.

Attention 2 : il y a très souvent des TUP en cascade : B rachète A puis B est racheté par C, et ainsi de suite. Il faut alors suivre les TUP pour arriver à la dernière entité qui sera celle à assigner.

Qui représente la société radiée ?

La société radiée est représentée :

  • Soit par un mandataire pour représenter la société ;
  • Soit par son liquidateur si les fonctions de celui-ci n’ont pas pris fin. Lorsque les formalités de publicité liées à la clôture de la liquidation ont été effectuées à la demande du liquidateur et que ce dernier a achevé son mandat, il convient de faire désigner en justice le mandataire pour faire représenter la société (Cass. com. 3 juin 1997, n° 1450 P ; Cass. com. 16 mars 1999, n° 638 P)

Société dissoute : comment assigner une société dissoute ?

La dissolution d’une société pose une difficulté pratique majeure : peut-elle encore être attrait en justice, et notamment faire l’objet d’une assignation en liquidation judiciaire ? La réponse n’est pas intuitive, car elle dépend d’une articulation entre le droit des sociétés et le droit des procédures collectives.

Dissolution et disparition de la personnalité morale : deux temporalités

La dissolution d’une société n’entraîne pas immédiatement la disparition de sa personnalité juridique.

En cas de dissolution-liquidation classique, la personnalité morale subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la clôture (C. civ., art. 1844-8).

En cas de transmission universelle de patrimoine (TUP) à l’associé unique (C. civ., art. 1844-5, al. 3), la dissolution emporte en principe disparition immédiate de la personne morale, sans liquidation. Toutefois, cette disparition n’est acquise qu’après expiration du délai d’opposition des créanciers et, surtout, elle n’est opposable aux tiers qu’à compter de l’inscription au registre du commerce et des sociétés.

Cette distinction est capitale : la société peut avoir disparu dans ses rapports internes, mais continuer d’exister juridiquement à l’égard des tiers.

La règle de l’opposabilité aux tiers

L’article L. 237-2, alinéa 3, du Code de commerce prévoit que « la dissolution de la société ne produit ses effets à l’égard des tiers qu’à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés ».
Ainsi, tant que l’inscription n’a pas été réalisée, la société conserve une personnalité morale apparente vis-à-vis des tiers. La Cour de cassation a jugé que cette personnalité permet à un créancier, y compris des salariés, d’assigner la société en redressement ou en liquidation judiciaire (Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-15.068 ; Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-19.726).

Il importe peu que le tiers ait eu une connaissance personnelle de la dissolution : seul compte le critère objectif de l’accomplissement de la formalité de publicité. La chambre commerciale l’a encore rappelé dans un arrêt du 23 octobre 2019 (n° 18-15.475), confirmant la recevabilité d’une assignation en liquidation judiciaire dirigée contre une société dissoute mais dont la disparition n’était pas encore opposable.

Articulation avec l’article 1844-5 du Code civil

L’article 1844-5 du Code civil organise les effets de la TUP entre les parties à l’opération. À ce titre, la société absorbée disparaît une fois le délai d’opposition expiré, sans qu’il soit nécessaire d’accomplir une liquidation. Mais ce texte ne régit pas les rapports avec les tiers. Pour ces derniers, seule l’inscription de la dissolution au RCS est déterminante.

Autrement dit :

Entre parties : la société peut être considérée comme disparue à l’issue du délai d’opposition.

À l’égard des tiers : la société survit tant que la dissolution n’a pas été publiée au RCS.

La recevabilité de l’assignation

Il en résulte que l’assignation en liquidation judiciaire d’une société dissoute est recevable tant que la formalité de publicité au RCS n’a pas été effectuée. Une fois l’inscription intervenue, la société perd toute existence légale à l’égard des tiers, et l’assignation devient irrecevable.

La solution se justifie par un souci de sécurité juridique : il ne serait pas acceptable que la disparition d’une société dépende de la simple connaissance que certains tiers pourraient avoir de la dissolution. Le critère doit être unique, objectif et vérifiable : l’inscription au registre du commerce et des sociétés.

Conséquences pratiques

Cette jurisprudence invite les associés et dirigeants à une grande vigilance : tant que la dissolution n’est pas inscrite au RCS, la société demeure exposée aux actions des créanciers, y compris à l’ouverture d’une procédure collective.

En pratique, l’associé unique qui procède à une transmission universelle de patrimoine doit s’empresser d’accomplir les formalités de publicité afin de verrouiller juridiquement la disparition de la personne morale.

Une société dissoute peut donc être assignée en liquidation judiciaire tant que la disparition de sa personnalité juridique n’est pas opposable aux tiers, c’est-à-dire tant que l’inscription au RCS n’a pas eu lieu.

À défaut de diligence, la société reste juridiquement attaquable et l’associé unique s’expose directement au risque d’une procédure collective.

Références. – Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-15.068 ; Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-19.726 ; Cass. com., 23 oct. 2019, n° 18-15.475

Comment assigner une société liquidée ?

La clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d’actif met fin aux pouvoirs du liquidateur : il ne peut plus représenter la société (Cass. 2e civ., 17 oct. 2002, n° 01-13.553).

Dès lors, toute action ou voie de recours visant la société doit être dirigée contre un mandataire ad hoc spécialement désigné pour la représenter. C’est notamment le cas lorsqu’un ancien dirigeant forme appel d’une décision de condamnation : la voie de recours doit être exercée contre ce mandataire ad hoc et non contre l’ancien mandataire judiciaire (Cass. com., 5 nov. 2003, n° 00-10.239).

Aucune action ne peut être dirigée contre le liquidateur qui a quitté ses fonctions (Cass. 2e civ., 17 oct. 2002, n° 01-13.553). Toutefois, si le liquidateur a assigné un dirigeant avant la clôture, la sanction peut toujours être prononcée, la procédure devant alors être régularisée par la mise en cause d’un mandataire ad hoc chargé d’en poursuivre le cours (CA Douai, 10 mai 2007).

Enfin, la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif ne déroge pas au monopole du liquidateur pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers : l’action individuelle d’un créancier contre un tiers demeure irrecevable (Cass. com., 16 mai 2006, n° 04-17.362).

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