Lorsqu’une société contracte une dette – qu’il s’agisse d’un prêt bancaire, d’un contrat de location, d’un crédit-bail ou d’un engagement vis-à-vis d’un fournisseur – le créancier exige presque toujours que le dirigeant s’engage personnellement en qualité de caution. Autrement dit, même si la dette est celle de l’entreprise, c’est le patrimoine personnel du dirigeant qui se retrouve engagé. Sans caution personnelle, pas de contrat, pas de financement, pas de fourniture.
Se porter caution n’est pourtant jamais anodin. Cet acte, souvent signé dans la précipitation ou sous la pression du créancier, peut conduire le dirigeant à mettre en jeu ses biens personnels pour une dette qui n’est pas la sienne. D’où des questions récurrentes : comment faire annuler un cautionnement ? Comment en réduire le montant ? Quels sont les vices de procédure ou de forme qui peuvent être invoqués ?
La loi et la jurisprudence prévoient en effet de nombreuses protections : nullités de forme, nullités de fond, obligations d’information du créancier, disproportion manifeste, vices du consentement, bénéfice du redressement judiciaire… autant de moyens de défense permettant d’annuler l’acte ou de limiter considérablement son effet.
Cet article présente de façon exhaustive toutes les nullités, exceptions et irrégularités qui peuvent être soulevées par une caution poursuivie par un créancier, en les illustrant par la jurisprudence la plus récente.
Invoquer le bénéfice du redressement judiciaire
Un dirigeant qui s’est porté caution personnelle ne pourra pas être poursuivi par son créancier si la société est en redressement judiciaire et que le plan est respecté.
En effet, l’ouverture d’un redressement judiciaire suspend les poursuites contre la caution personne physique. Dès lors que le plan de redressement judiciaire sera suivi, aucune action ne pourra être prise contre la caution personne.
Si l’entreprise part en liquidation judiciaire en revanche, la caution personnelle pourra être recherchée.
Nullités de forme
- Défaut de mention manuscrite : L’article L. 331-1 du Code de la consommation exige que l’acte de cautionnement contienne certaines mentions manuscrites spécifiques correctement reproduites
- Absence de signature : L’absence de signature de la caution ou de l’établissement prêteur sur l’acte
- Non-respect du formalisme obligatoire : la présence de la mention de la durée du cautionnement, doivent être respectées.
Sanction : nullité
Mention manuscrite placée après la signature de la caution
Pour les cautionnements jusqu’au 1er janvier 2022
Nullité du cautionnement si la mention manuscrite est placée après la signature de la caution. Lorsqu’une personne physique se porte caution au profit d’un créancier professionnel et qu’elle appose la mention manuscrite sous sa signature, son engagement est nul, même si la mention est suivie de son paraphe.
Il existe une divergence jurisprudentielle entre la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation sur la question de la validité d’un cautionnement lorsque la signature de la caution n’est pas placée sous sa mention manuscrite.
La chambre commerciale juge que cette circonstance rend le cautionnement nul. Ainsi en est-il lorsque la caution a apposé sa signature sous des mentions préimprimées et avant la mention manuscrite (Cass. com. 17-9-2013 no 12-13.577 FS-PB : RJDA 12/13 no 1050 ; Cass. com. 15-3-2023 no 21-21.840 F-D : RJDA 7/23 no 402), lorsque les mentions manuscrites entourent sa signature (Cass. com. 26-6-2019 no 18-14.633 F-D : RJDA 12/19 no 787) ou lorsqu’elles figurent sous la signature et qu’elles sont suivies d’un paraphe (Cass. com. 23-10-2019 no 18-11.825 F-D : RJDA 2/20 no 109).
Elle a en revanche admis la validité du cautionnement en cas d’interposition, entre la mention manuscrite et la signature, d’un ajout ou d’une clause préimprimée n’affectant pas le sens et la portée de la mention manuscrite (Cass. com. 5-12-2018 no 17-26.237 F-D : RJDA 2/19 no 135), ou dans un cas où la caution avait signé au milieu de la mention manuscrite et non en dessous, faute de place en bas de page (Cass. com. 28-6-2016 no 13-27.245 F-D : RJDA 10/16 no 733).
De son côté, la première chambre civile juge au contraire que le cautionnement est valable lorsque la mention manuscrite, bien que figurant sous la signature de la caution, est immédiatement suivie du paraphe de celle-ci, de sorte que ni le sens ni la portée de la mention ne s’en trouvent affectés (Cass. 1e civ. 22-9-2016 no 15-19.543 F-PB : RJDA 12/16 no 904).
Avec l’arrêt commenté, la troisième chambre civile adopte la même position que la chambre commerciale. le cautionnement n’était pas valable dès lors que la signature de la caution précédait ses mentions manuscrites. Cass. 3e civ. 11-7-2024 no 22-17.252 F-D, I. c/ Sté Gestion immobilière et commerciale
La solution est transposable au régime issu de l’ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016 prévoyant des dispositions similaires à celles de l’ancien article L 341-2 (C. consom. art. L 331-1 et L 314-15), pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022 :
« Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même. » »
Pour les cautionnements à partir du 1er janvier 2022
En revanche, elle ne l’est pas, à notre avis, pour les cautionnements souscrits depuis cette date, qui sont soumis au nouvel article 2297 du Code civil (issu de l’ord. 2021-1192 du 15-9-2021 ayant réformé le droit des sûretés), lequel prévoit que la caution personne physique doit, à peine de nullité de son engagement, apposer elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. Il n’y a aucune indication concernant la signature, ce qui laisse au juge le soin d’apprécier au cas par cas si son positionnement dans l’acte assure ou non la pleine compréhension par la caution de la portée de son engagement.
Nullités de fond
Cautionnement disproportionné
Disproportion manifeste : En vertu de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, le cautionnement peut être annulé s’il est manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution au moment de la conclusion de l’acte.
Disproportion du cautionnement
Autres motifs
- Incapacité juridique : Si la caution est une personne juridiquement incapable (par exemple, un mineur non émancipé), l’acte peut être annulé.
- Erreur : Si la caution a signé l’acte sous l’influence d’une erreur sur un élément essentiel du contrat, elle peut demander l’annulation de l’acte.
- Dol : La nullité peut être invoquée si la caution a été trompée par des manœuvres frauduleuses de la part du créancier ou du débiteur principal.
- Violence : Si la caution a signé l’acte sous la contrainte ou la menace, elle peut demander l’annulation.
- Absence de cause : Si l’acte de cautionnement n’a pas de cause valable ou licite, il peut être annulé.
- Objet illicite : Si l’objet du cautionnement est illicite ou immoral, l’acte est nul.
Défaut d’information de la caution
- Défaut d’information annuelle : Selon l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, le créancier doit informer la caution de l’évolution de la dette principale chaque année. En l’absence de cette information, la caution peut être déchargée. (C. civ. art. 2302 et 2303).
- Défaut d’information précontractuelle : Si la caution n’a pas été correctement informée des risques et des engagements avant de signer, l’acte peut être contesté.
Nullités liées au consentement
- Vice du consentement : Tout vice du consentement (erreur, dol, violence) peut entraîner la nullité de l’acte.
- Absence de consentement éclairé : La caution doit avoir pleinement conscience de la portée de son engagement. Si elle prouve qu’elle n’a pas eu cette conscience, l’acte peut être annulé.
Défaut de mise en garde
Obligation de mettre en garde la caution (art. 2299)
Attention à la technique du cocontractant
Pour qu’une personne (caution, société holding, etc.) soit caution solidaire, cela suppose:
- le respect d’un certain formalisme (cf. C. civ. art. 2297 pour le cautionnement souscrit par une personne physique depuis le 1-1-2022),
- l’obligation de mettre en garde la caution (art. 2299) et d’informer celle-ci (C. civ. art. 2302 et 2303).
- En outre, le loueur s’exposait aux moyens de défense dont dispose toute caution pour refuser de payer tout ou partie de la dette en cas de défaillance du débiteur principal (notamment, C. civ. art. 2300 en cas de cautionnement disproportionné et art. 2314 en cas de perte des sûretés par le créancier).
- Caution, le dirigeant dispose d’un recours pour totalité de la dette contre la société locataire alors que, s’il est colocataire, il ne peut lui réclamer que la part qui excède son propre engagement.
C’est pourquoi de nombreux contrats qualifient dorénavant la caution de coemprunteur, colocataire ou cocontractant identique. Cela permet à celui qui met à disposition de s’affranchir des règles protectrices du cautionnement.
La Cour de Cassation refuse de donner effet à ces cautions détournées :
celui-ci a souscrit un engagement synallagmatique principal qui, à ce titre, n’est valable que s’il a une contrepartie réelle dont le souscripteur bénéficie personnellement. Pour un contrat de location, la contrepartie est nécessairement la jouissance du bien loué et ce, à titre personnel, et non la jouissance du bien à travers l’usage d’un tiers. Contrairement à ce que soutenait le loueur, le fait que le dirigeant ait été le cas échéant amené à conduire lui-même le véhicule ne peut suffire à caractériser une contrepartie personnelle, car une personne morale ne peut conduire que par le truchement d’une personne physique. Limitant l’utilisation du véhicule à un usage strictement professionnel, le contrat écartait la notion même de colocation et faisait du dirigeant, colocataire solidaire, un garant au profit du loueur. Le Code civil admet les engagements de codébiteurs solidaires non tous intéressés à la dette principale (C. civ. art. 1318 ; ex-art. 1216) mais il convient d’en éviter les utilisations détournées. La Cour de cassation reste ici vigilante sur le recours à la colocation. Lorsque le véhicule loué ne peut être utilisé que pour les besoins de l’activité d’une société, le contrat de location est dénué de contrepartie pour le dirigeant social qui s’est engagé en tant que colocataire. La location d’un véhicule de société déclarée nulle faute de contrepartie pour le dirigeant colocataire. (Cass. com. 23-10-2024 no 23-11.749 F-B, Sté Financo c/ X)
Autres motifs
- L’absence de communication par la banque d’un formulaire de renseignement complet sur la situation financière et patrimoniale de la caution
- La nullité du cautionnement pour non-respect du formalisme de l’acte de caution
- Les limites du contrat de cautionnement (étendue, durée, objet …)
- La nullité du cautionnement sans mention de la durée ou du délai de l’engagement de caution
- La caution doit être informée chaque année de la portée de son engagement et de sa faculté d’y mettre fin
- La caution doit être informée des incidents de paiements intervenus
- Le non-respect du principe de proportionnalité par la banque et la nullité de la caution pour disproportion
- Non-respect par le banquier dispensateur de crédit de son obligation de conseil ou de devoir de mise en garde
- Décharge de la caution par le jeu du bénéfice de subrogation
- L’inopposabilité du cautionnement en l’absence de déclaration de créance au passif de la liquidation de la société cautionnée
- L’existence d’un dol vice du consentement de la caution en présence d’une garantie de la banque par l’OSEO ou la BPI
- La « théorie des dominos» ou lorsqu’un cautionnement tombe il fait tomber tous les autres
- La prescription de l’action en paiement de la banque contre la caution
- L’absence de consentement de l’un des époux mariés sous le régime de la communauté
- En cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie des concours sont disproportionnées à ceux-ci
- La présence d’une procédure collective en cours et n’ayant donné lieu à aucun plan ou liquidation judiciaire de la société cautionnée
- La nullité du cautionnement quand la société cautionnée est en cours de formation
- La nullité du cautionnement en cas de novation du contrat de prêt principal par changement de débiteur
- Libération de la caution en cas d’irrespect de la procédure d’information préalable antérieure au paiement de la dette de la banque par une société de garantie
- L’absence d’exigibilité de la dette de la caution faute de déchéance du terme du prêt cautionné valablement prononcée
Mesure conservatoire (saisie conservatoire, etc.) et cautionnement du garant
Comment le créancier peut agir contre des garants du débiteur en redressement judiciaire ? (Cass. com. 13-12-2023 n° 22-18.460 F-B, X c/ Banque populaire occitane)
Principe
Lorsqu’une entreprise est placée en sauvegarde ou en redressement judiciaire, toute action contre les personnes physiques coobligées, cautions ou garants est suspendue jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation (C. com. art. L 622-28, al. 2 et 3, et L 631-14).
Cette suspension ne prive toutefois pas le créancier de la possibilité de prendre des mesures conservatoires contre le garant, que ce soit pendant la période d’observation ou pendant l’exécution du plan (C. exécution art. R 511-1 ; Cass. com. 14-6-2023, n° 21-24.018).
Obtention du titre exécutoire
Le créancier qui a pris une mesure conservatoire doit, s’il n’a pas encore de titre exécutoire, assigner le coobligé ou le garant dans le mois afin d’obtenir une condamnation à paiement, sous peine de caducité de la mesure (C. exécution art. L 511-4 et R 511-7, al. 1 ; C. com. art. R 622-26).
Cette action est possible même si la créance n’est pas encore exigible à l’égard du garant (Cass. com. 1-3-2016, n° 14-20.553 ; Cass. com. 8-9-2021, n° 19-25.686). L’instance en obtention du titre n’est donc pas suspendue.
Exécution du titre
Le titre exécutoire obtenu ne peut cependant pas être mis en œuvre tant que le plan de sauvegarde ou de redressement est respecté (Cass. com. 2-6-2015, n° 14-10.673). L’exécution forcée n’est possible que dans la mesure de l’exigibilité de la créance à l’égard du garant (C. exécution art. L 111-2).
Les personnes physiques garantes peuvent ainsi se prévaloir des dispositions du plan : leur dette suit l’exigibilité des dividendes prévus (C. com. art. L 626-11, al. 2 pour la sauvegarde et L 631-19, I, al. 1 pour le redressement ouvert depuis le 1-10-2021).
Illustration : Cass. com., 13-12-2023, n° 22-18.460
Un dirigeant, caution des dettes de sa société placée en redressement judiciaire en 2016, est poursuivi par la banque créancière. Celle-ci obtient une hypothèque provisoire, puis un titre exécutoire couvrant l’intégralité des sommes dues. La cour d’appel le condamne à payer le tout. La caution soutenait que, la société bénéficiant d’un plan de redressement sur dix ans, seule la part exigible suivant le plan pouvait lui être réclamée.
La Cour de cassation rejette cet argument :
- le titre exécutoire peut porter sur la totalité de la dette garantie, même si elle n’est pas intégralement exigible ;
- mais son exécution forcée est limitée à la part exigible, dont le contrôle relève du juge de l’exécution (C. org. jud. art. L 213-6).
Dans cette affaire, le redressement ayant été ouvert avant la réforme de 2021, la caution ne pouvait pas invoquer les nouvelles dispositions permettant d’aligner son obligation sur le plan. Elle restait donc tenue conformément à son engagement, sous déduction des sommes payées en exécution du plan (v. déjà Cass. com. 3-7-2007, n° 05-21.699 ; Cass. com. 9-6-2022, n° 21-11.449).
Apport
Le titre exécutoire obtenu contre le garant peut viser la totalité de la dette cautionnée, sans mention de la limite liée à l’exigibilité. C’est seulement au stade de l’exécution forcée que cette exigibilité joue, sous le contrôle du juge de l’exécution.
