Sauf lorsqu’une conciliation ou une autre procédure collective est déjà ouverte, un créancier peut saisir le tribunal d’une demande d’ouverture de redressement ou de liquidation judiciaire par voie d’assignation (C. com., art. L. 631-5, al. 2 et L. 640-5, al. 2).
Le Code de commerce prévoit en effet que « lorsqu’il n’y a pas de procédure de conciliation en cours […] la procédure peut aussi être ouverte sur l’assignation d’un créancier, quelle que soit la nature de sa créance ». Par cette disposition, le législateur a entendu protéger les négociations amiables : tant qu’une conciliation est en cours, l’assignation du créancier est irrecevable et constitue une fin de non-recevoir d’ordre public (CA Toulouse, 3 déc. 2014, n° 14/05510).
En pratique, si la déclaration du débiteur demeure le mode de saisine « naturel » du tribunal, l’assignation du créancier reste historiquement la voie la plus fréquemment utilisée. Elle conserve toutefois un caractère purement facultatif (Cass. com., 18 janv. 2005, n° 02-16.305).
Conditions pour le demandeur (créancier)
Que doit établir le demandeur et que doit vérifier le tribunal saisi ?
Le créancier qui assigne doit démontrer deux conditions cumulatives :
- l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible, non sérieusement contestée par le débiteur ;
- l’incapacité du débiteur à régler cette créance au moyen de son actif disponible, caractérisant l’état de cessation des paiements.
Un créancier peut assigner son débiteur en redressement ou en liquidation judiciaires lorsqu’il justifie d’une créance exigible et non contestée, et que le débiteur se trouve dans l’impossibilité de la régler avec son actif disponible. Ces deux conditions doivent être constatées par le tribunal saisi (Cass. com., 19 avr. 2023, n° 20-19.401, F-D).
La faculté reconnue au créancier de solliciter l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de son débiteur suppose donc la réunion de ces deux conditions cumulatives : l’existence d’une créance certaine, liquide et exigible, d’une part, et la caractérisation de l’état de cessation des paiements, d’autre part. La Cour de cassation rappelle à cet égard que le tribunal doit se prononcer explicitement sur chacune d’elles.
En pratique, si le créancier est généralement en mesure d’apprécier la qualité de sa créance, il reste tributaire des constatations opérées par la juridiction saisie pour établir l’insuffisance de l’actif disponible. Autrement dit, il ne suffit pas qu’une dette demeure impayée : encore faut-il que son non-paiement résulte d’une impossibilité objective pour le débiteur d’y faire face, et non d’un simple refus de paiement.
Condition n°1 : une créance exigible et non contestée
La créance invoquée à l’appui de l’assignation doit être certaine, c’est-à-dire ni conditionnelle ni litigieuse, et ne pas se réduire à une obligation naturelle. Elle doit également être liquide et exigible, seuls les passifs présentant ces trois caractères pouvant révéler la cessation des paiements. Cette exigence exclut notamment les associés de la personne morale, dont la seule qualité ne suffit pas à leur conférer celle de créancier, condition nécessaire pour agir.
S’agissant de l’appréciation de la créance, le juge du fond ne peut se borner à relever que le débiteur conteste la validité du contrat dont elle est issue. Il lui appartient d’examiner concrètement si le débiteur conteste effectivement devoir les sommes correspondant aux factures produites. Autrement dit, le caractère litigieux de la créance ne saurait être déduit de la seule discussion portant sur le contrat initial : le juge doit vérifier, de manière directe et circonstanciée, la réalité et l’exigibilité des sommes réclamées.
Cas particuliers
Cas du créancier-associé
Si la simple qualité d’associé ne saurait, en raison de l’affectio societatis, être assimilée à une créance, rien n’interdit à un associé de se prévaloir d’un droit de créance né d’une cause étrangère à son statut, telle qu’un prêt, un dépôt de fonds en compte courant ou un contrat de fourniture. Dans une telle hypothèse, l’associé agit comme tout autre créancier civil ou commercial.
La jurisprudence consacre d’ailleurs cette possibilité : la Cour de cassation reconnaît que l’associé titulaire d’un compte courant d’associé dispose des mêmes droits que tout créancier de la société (Cass. com., 15 juill. 1982 ; 24 juin 1997, n° 95-20.056 ; 3 nov. 2004, n° 01-17.491 ; 14 nov. 2006, n° 05-15.851 ; 9 oct. 2007, n° 06-19.060 ; 10 mai 2011, n° 10-18.749).
Cas du cessionnaire d’une créance
Le créancier qui agit doit démontrer que sa créance existe et qu’il en est toujours titulaire. Ainsi, lorsqu’une créance a été cédée à une banque conformément aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, seul le cessionnaire, une fois le transfert notifié, est habilité à poursuivre le débiteur ou à lui accorder des délais. Le cédant ne peut pas se substituer à la banque pour assigner le débiteur en redressement judiciaire (Cass. com., 8 janv. 1991, n° 89-13.711).
Nature de la créance invoquée
Créance civile ou commerciale
L’assignation doit préciser la nature de la créance (C. com., art. R. 631-2). Cette exigence est toutefois relative : le non-paiement d’une dette civile peut parfaitement fonder la demande. En effet, l’article L. 631-5 du Code de commerce prévoit que la procédure peut être ouverte sur assignation d’un créancier, « quelle que soit la nature de sa créance ». L’exigence d’un passif commercial impayé est donc abandonnée, ce qui se justifie puisque non seulement les personnes morales de droit privé, mais aussi les artisans, les agriculteurs et désormais les professionnels indépendants peuvent être soumis aux procédures collectives.
Origine de la créance indifférente
L’origine de la créance n’a pas d’importance. Ainsi, l’administration fiscale peut assigner un débiteur en procédure collective. La Cour de cassation a confirmé que l’administration pouvait agir à ce titre (Cass. com., 7 févr. 2012, n° 11-11.347). Dans la pratique, une réponse ministérielle du 24 décembre 1990 a rappelé que l’assignation en redressement judiciaire par les comptables publics revêt un caractère exceptionnel, réservée aux situations où un plan de redressement est inconcevable, où le passif fiscal croît sans cesse et où aucune autre mesure de poursuite n’est envisageable.
Créance chirographaire ou garantie par une sûreté
Peu importe que la créance invoquée soit chirographaire ou assortie d’une sûreté. Un créancier titulaire d’un privilège ou d’une hypothèque peut assigner, même si sa sûreté couvre l’intégralité de la créance, dès lors qu’il établit l’existence d’un passif exigible impayé. La caution, le garant ou le coobligé peuvent également agir contre le débiteur principal qu’ils ont désintéressé, par subrogation. De même, la qualité de créancier est reconnue au porteur d’une lettre de change acceptée, sauf si les endossements contredisent sa qualité ou si sa mauvaise foi au sens du droit cambiaire est démontrée.
Créances salariales
La loi ne reconnaît pas expressément aux salariés ou aux institutions représentatives du personnel la faculté d’assigner leur employeur en redressement ou liquidation judiciaire. Toutefois, s’ils ne sont pas payés, les salariés restent des créanciers impayés et peuvent, à ce titre, invoquer la cessation des paiements pour demander l’ouverture d’une procédure collective. En parallèle, la loi prévoit une possibilité d’alerte : les membres du comité social et économique peuvent signaler au président du tribunal ou au ministère public tout fait révélant la cessation des paiements de l’entreprise (C. com., art. L. 631-6 et L. 640-6, mod. Ord. n° 2021-1193 du 15 sept. 2021).
Condition n° 2 : Constat de la cessation des paiements
S’agissant du défaut de paiement, le tribunal doit déterminer s’il résulte d’un refus délibéré du débiteur, alors même qu’il disposerait des moyens financiers nécessaires pour s’en acquitter, ou s’il traduit au contraire une impossibilité objective de paiement due à l’insuffisance de l’actif disponible. Cette distinction renvoie à la condition déterminante de toute procédure collective : l’état de cessation des paiements.
Si cette exigence ne prête pas à discussion, elle soulève toutefois une difficulté pratique majeure : le créancier assignant ne dispose généralement pas des éléments lui permettant d’apprécier avec précision la situation financière de son débiteur et, en particulier, l’étendue de son actif disponible.
Il appartiendra donc au tribunal d’effectuer les diligences nécessaires pour vérifier cette situation, en recourant aux moyens procéduraux qui lui sont propres.
Modalités procédurales de l’assignation
Forme de la demande du créancier : assignation et non requête
L’article L. 631-5 du Code de commerce prévoit que le redressement judiciaire peut être ouvert « sur l’assignation d’un créancier ». L’article L. 640-5 énonce la même règle pour l’ouverture d’une liquidation judiciaire. En conséquence, tout autre mode de saisine est exclu, notamment la requête.
La jurisprudence a confirmé cette règle, en jugeant par exemple que la saisine du tribunal par voie de requête est irrecevable (CA Versailles, 6 mars 1997). De même, la Cour de cassation a jugé irrégulière la saisine par requête de l’administrateur visant à étendre une procédure antérieurement ouverte (Cass. com., 30 mars 1999, n° 95-17.707). La même solution avait déjà été retenue par la cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier, 31 juill. 1991).
Représentation des parties
Représentant des obligataires
Tous les créanciers peuvent assigner individuellement leur débiteur, sauf les obligataires qui doivent agir par l’intermédiaire du représentant de leur masse. L’article L. 228-83 du Code de commerce dispose en effet qu’« en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires de la société, les représentants de la masse des obligataires sont habilités à agir au nom de celle-ci ». Le représentant peut ainsi demander le redressement judiciaire de la société émettrice en cas de non-paiement des coupons d’intérêts ou du remboursement des obligations. Il lui appartient ensuite de déclarer le passif global impayé au titre de l’emprunt obligataire (C. com., art. L. 228-84). À défaut de diligence, un mandataire spécial peut être désigné par décision de justice (C. com., art. L. 228-85).
Le représentant de la masse est seul habilité à exercer les actions au nom des obligataires, de sorte qu’une action intentée individuellement par l’un d’eux est irrecevable (Cass. com., 9 déc. 1969). Un obligataire ne peut qu’obtenir la convocation de l’assemblée de la masse afin qu’elle désigne un représentant chargé d’agir en justice.
Cette représentation exclusive s’impose notamment pour toute assignation tendant à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une personne morale autorisée à émettre des obligations.
Représentant de la personne morale débitrice
Du côté du défendeur, seul le représentant légal de la personne morale peut être assigné. Contrairement au dépôt de bilan, pour lequel la qualité de représentant est entendue largement, lorsqu’un créancier agit, l’assignation doit viser les représentants légaux. Ainsi :
- aux gérants pour les sociétés civiles, SNC, SCS ou SARL/EURL,
- au président du conseil d’administration, au directoire ou au directeur général d’une SA,
- au président pour une SAS,
- à l’administrateur pour un GIE.
Représentant d’une société nulle ou dissoute
Le redressement, ou plus fréquemment la liquidation judiciaire, peut être sollicité à l’encontre d’une société nulle ou dissoute. Dans ce cas, l’assignation doit être dirigée contre son représentant légal : la société, réputée dissoute seulement pour l’avenir, continue de subsister à l’égard des tiers. Il n’est donc pas nécessaire d’assigner individuellement les associés (C. com., art. L. 235-10 et L. 235-12 ; C. civ., art. 1844-15 et 1844-16).
Une société assignée en liquidation judiciaire ne saurait, en outre, se soustraire à la procédure par une dissolution frauduleuse consistant à transférer son patrimoine à une nouvelle entité (Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-11.141).
Mise en cause des fondateurs et des premiers organes
Les créanciers qui provoquent l’ouverture d’une procédure collective contre une société nulle conservent le droit d’invoquer cette nullité pour engager la responsabilité des fondateurs ou des premiers organes. Cette action, fondée sur la nullité, ne les prive pas de leur droit de préférence sur l’actif social.
Représentant d’une société en liquidation
Lorsqu’une société est en liquidation, l’assignation peut être valablement délivrée au liquidateur. En revanche, après clôture de la liquidation, est nulle l’assignation adressée au liquidateur amiable ayant cessé ses fonctions (CA Chambéry, 20 sept. 1990).
Société dotée d’un administrateur provisoire
Si une société est dotée d’un administrateur judiciaire, l’assignation signifiée au gérant n’empêche pas celui-ci de former appel : la Cour de cassation considère que l’instance a été liée avec lui (Cass. com., 15 juill. 1968).
Contenu de l’assignation : mentions exigées
L’assignation doit préciser la nature et le montant de la créance et contenir tout élément de preuve permettant de caractériser la cessation des paiements du débiteur (C. com., art. R. 631-2 pour le redressement judiciaire, art. R. 640-1 pour la liquidation judiciaire).
L’indication de la nature de la créance revêt un caractère purement formel, dès lors qu’elle n’a aucune incidence ni sur la décision d’ouverture de la procédure collective, ni sur l’appréciation de l’état de cessation des paiements. En revanche, la mention du montant de la créance est essentielle : elle permet au tribunal d’évaluer la gravité du défaut de paiement.
Le créancier, qui supporte la charge de la preuve, doit donc éviter toute formulation approximative et produire des éléments précis et circonstanciés, adaptés à la situation : états d’inscriptions de privilèges, protêts, nantissements, correspondances, chèques sans provision, lettres de change impayées, décisions de condamnation, moratoires non respectés, cessation d’activité, voire disparition du débiteur.
Si, au cours de l’instance, le créancier reçoit des acomptes, il doit en informer le tribunal. À défaut, il commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité et de l’obliger à réparer le préjudice causé (Cass. com., 18 janv. 1972, n° 70-13.752 ; CA Paris, 17 févr. 1988).
Contraintes de délai
Assignation après décès du débiteur
Selon l’article L. 631-3, alinéa 2, pour le redressement judiciaire, et l’article L. 640-3, alinéa 2, pour la liquidation judiciaire, lorsqu’une personne exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou indépendante (y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé) décède en état de cessation des paiements, le tribunal peut être saisi dans le délai d’un an à compter du décès. La saisine peut intervenir sur l’assignation d’un créancier, quelle que soit la nature de sa créance, ou sur requête du ministère public.
Assignation après cessation d’activité du débiteur
Aux termes de l’article L. 631-5, alinéa 2, et de l’article L. 640-5, alinéa 2, du Code de commerce, lorsque le débiteur a cessé son activité, l’assignation d’un créancier doit intervenir dans le délai d’un an à compter de :
- la radiation du Registre du commerce et des sociétés. Pour une personne morale, le point de départ est la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation. La radiation intervenue avant la clôture des opérations de liquidation ne peut faire courir ce délai (Cass. com., 12 juill. 2016, n° 14-19.694) ;
- la cessation de l’activité, lorsqu’il s’agit d’un artisan, d’un agriculteur ou d’une personne physique exerçant une profession indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
- la publication de l’achèvement de la liquidation, s’il s’agit d’une personne morale non immatriculée.
Pour un avocat, la cessation d’activité correspond à la date de sa radiation du tableau de l’Ordre (CA Paris, 6 sept. 2007).
C’est à la partie qui invoque le dépassement du délai légal qu’il appartient de prouver la date d’achèvement de la liquidation (CA Bordeaux, 21 févr. 2007 ; CA Paris, pôle 5, ch. 8, 17 janv. 2017, n° 16/15700).
Autres demandes d’un créancier : attention au principal/subsidiaire !
Nouvelle demande d’ouverture d’une procédure collective
Lorsqu’un créancier a été débouté par une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, il ne peut renouveler son action en se fondant sur les mêmes faits. En revanche, il peut présenter une nouvelle demande s’il invoque des circonstances nouvelles, même antérieures à la première demande, dès lors qu’elles n’avaient pas été alléguées. Par ailleurs, un autre créancier peut agir sur les mêmes faits sans qu’on puisse lui opposer l’autorité de la chose jugée.
Exclusivité de la demande d’ouverture d’une procédure collective
La demande d’ouverture d’un redressement judiciaire est, à peine d’irrecevabilité soulevée d’office, exclusive de toute autre demande relative au même patrimoine, sauf si elle est accompagnée d’une demande subsidiaire d’ouverture d’une liquidation judiciaire (C. com., art. R. 631-2, al. 2).
De façon symétrique, l’article R. 640-1 prévoit que la demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire est exclusive de toute autre, sauf si elle est assortie d’une demande subsidiaire de redressement judiciaire.
En pratique, un créancier peut donc formuler une demande principale (redressement ou liquidation) et une demande subsidiaire portant sur la procédure inverse.
Justification de l’exclusivité de la demande
L’exclusivité de l’action vise à prévenir tout détournement de procédure. L’assignation en redressement ou en liquidation judiciaire a longtemps été utilisée comme moyen de pression, incitant le débiteur à régler le seul créancier demandeur pour éviter l’ouverture d’une procédure collective, au détriment des autres créanciers.
Or une telle demande constitue un acte d’une particulière gravité. Elle ne peut être instrumentalisée à des fins de recouvrement individuel ou d’intimidation, mais doit être exclusivement réservée à la mise en œuvre d’une procédure collective lorsque la cessation des paiements est avérée.
Interprétation du principe d’exclusivité de la demande
La Cour de cassation a précisé que l’exclusivité posée par les articles R. 631-2 et R. 640-1 du Code de commerce ne concerne que les demandes d’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires. Elle ne s’étend pas aux demandes d’extension de procédure.
Ainsi, la Haute juridiction a jugé recevable la double demande d’un liquidateur tendant, d’une part, à l’extension de la procédure collective au gérant de la société, et, d’autre part, à sa condamnation à supporter l’insuffisance d’actif (Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-16.635).
Elle a également admis que des salariés, ayant initialement sollicité la liquidation judiciaire de leur employeur, puissent présenter reconventionnellement — et en cause d’appel — une demande d’annulation d’une transmission universelle de patrimoine non publiée au registre du commerce et des sociétés, ou, à titre subsidiaire, réclamer le paiement de leurs créances à la société absorbante (Cass. com., 23 oct. 2019, n° 18-15.475).
Éléments supplémentaires à joindre à une assignation tendant à l’ouverture d’une liquidation judiciaire
Le créancier qui sollicite directement la liquidation judiciaire de son débiteur doit joindre à son assignation des éléments établissant que la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise. L’article R. 640-1, alinéa 3, du Code de commerce exige en effet que « les éléments de nature à établir que le redressement est manifestement impossible » soient produits. Cette exigence reprend l’article L. 640-1, selon lequel la liquidation judiciaire est ouverte à tout débiteur en cessation des paiements « dont le redressement est manifestement impossible ».
La charge de la preuve est donc renforcée : le créancier doit non seulement démontrer l’insuffisance de l’actif disponible par rapport au passif exigible, mais aussi l’impossibilité de survie de l’entreprise. La cessation d’activité peut être établie par un procès-verbal de constat, et l’impossibilité du redressement par l’analyse des documents comptables.
Pour éviter qu’une telle demande ne repose uniquement sur cette charge probatoire, la loi autorise une assignation alternative en redressement ou en liquidation judiciaire.
Nature de l’assignation en ouverture d’une procédure collective
Le créancier qui assigne en ouverture d’une procédure collective n’a pas à justifier d’un titre exécutoire : il ne sollicite ni le paiement d’une somme d’argent, ni la saisie de biens. La demande d’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire ne constitue ni une action en recouvrement, ni une voie d’exécution, ni une mesure conservatoire, ni une action relevant du juge des référés (Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16.633).
De même, une clause de non-recours stipulée au profit d’un établissement financier, par laquelle celui-ci renonce à toute poursuite contre les associés d’une société en nom collectif, ne fait pas obstacle à une demande d’ouverture de procédure collective dirigée contre la société elle-même (Cass. com., 22 mars 2011, n° 09-72.749).
Enfin, l’assignation en ouverture de procédure collective constitue une citation en justice au sens de l’article 2241 du Code civil et interrompt la prescription, sauf lorsque la demande est rejetée ou déclarée irrecevable (Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-10.852).
Dommages-intérêts pour demande abusive
Nature du préjudice
L’exercice d’une action en justice, même infondée, relève du droit fondamental d’agir. En principe, un créancier qui échoue est simplement condamné aux dépens. Toutefois, la demande de redressement ou de liquidation judiciaire constitue un acte grave : lorsqu’elle est détournée de son objectif, elle devient abusive. Le créancier qui agit de mauvaise foi, de façon malicieuse ou avec une légèreté blâmable commet une faute ouvrant droit à réparation. Le préjudice peut être important : la simple délivrance d’une assignation peut inquiéter les salariés, alerter les banques ou nuire à la réputation commerciale du débiteur.
Nature de l’abus
La responsabilité civile du créancier peut être engagée lorsqu’il assigne sans démontrer la cessation des paiements, sans mise en demeure préalable, ou en sachant que le débiteur est solvable. La jurisprudence a ainsi retenu la faute du créancier ayant agi à la légère (Cass. com., 5 déc. 1989, n° 88-10.340 ; Cass. com., 16 mars 1993, n° 90-21.646 ; Cass. com., 3 févr. 2009, n° 06-19.355 ; CA Paris, 18 févr. 1997 ; CA Metz, 25 nov. 1999 ; CA Aix-en-Provence, 30 juin 2011 ; T. com. Lille Métropole, 5 mars 2018, n° 2018/001176).
Créanciers institutionnels
Les créanciers institutionnels, tels que les organismes sociaux ou fiscaux, ne sont pas exempts de tout risque de condamnation pour abus de droit lorsqu’ils détournent la procédure collective de sa finalité.
Ainsi, la Cour de cassation a sanctionné l’URSSAF qui avait utilisé l’assignation en redressement judiciaire comme moyen de pression sur un débiteur disposant pourtant d’une trésorerie suffisante pour régler sa dette (Cass. com., 1er oct. 1997, n° 95-13.262). De même, la cour d’appel de Paris a condamné l’URSSAF à des dommages-intérêts pour avoir assigné le mauvais débiteur et tardé à reconnaître son erreur (CA Paris, 23 juin 1995).
À l’inverse, une assignation délivrée par une caisse de retraite, après l’échec d’une injonction de payer et d’une saisie-attribution, n’a pas été jugée abusive, même si la liquidation judiciaire a ensuite été infirmée faute de cessation des paiements caractérisée (CA Paris, 3 juill. 2012, n° 12/03588).
S’agissant de l’administration fiscale, le Conseil d’État a admis une forme d’immunité de l’État lorsque la procédure a été ouverte à tort à la demande du Trésor public (CE, 26 mars 1982, n° 22557).
Demande reconventionnelle en dommages-intérêts
Le débiteur peut former une demande reconventionnelle en dommages-intérêts lorsque l’assignation est manifestement abusive. Il doit alors démontrer l’existence d’un préjudice, par exemple l’atteinte à son crédit, matérialisée par les réactions de ses banques, fournisseurs, clients ou salariés (CA Paris, 23 févr. 1988).
Exemple d’assignation abusive : l’affaire Bielsa contre le LOSC
L’actualité a fourni une illustration emblématique de l’usage abusif de l’assignation en procédure collective. Marcelo Bielsa, ancien entraîneur du LOSC, avait saisi le tribunal de commerce de Lille d’une demande d’ouverture d’un redressement judiciaire contre son ancien club, estimant détenir une créance salariale et indemnitaire d’environ 18,6 millions d’euros à la suite de son licenciement.
Par un jugement du 5 mars 2018, le tribunal a rejeté sa demande au motif que la créance invoquée était litigieuse, puisqu’elle faisait l’objet d’un contentieux prud’homal, et ne pouvait donc pas être intégrée au passif exigible du club. En outre, aucune cessation des paiements n’était démontrée.
Le tribunal a considéré que l’assignation, largement médiatisée, avait été utilisée comme un moyen de pression sur le club, portant atteinte à son image et à son crédit. Il a qualifié la démarche d’abusive et a condamné Bielsa à verser 300 000 € de dommages-intérêts au LOSC, outre 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (T. com. Lille, 5 mars 2018, n° 2018001176).
Cette décision illustre parfaitement la rigueur de l’exigence jurisprudentielle : l’assignation en redressement ou liquidation judiciaire est un acte grave, qui ne peut être utilisé comme un simple levier de négociation. Lorsqu’elle repose sur une créance incertaine ou qu’aucune cessation des paiements n’est caractérisée, elle peut se retourner contre son auteur et donner lieu à une condamnation lourde pour procédure abusive.
Synthèse
Conditions de recevabilité
- Nature de la créance : le créancier peut agir quelle que soit la nature de sa créance, même civile et antérieure à l’activité commerciale (Cass. com., 22 juin 1993). La créance doit être certaine, liquide et exigible (Cass. com., 2 déc. 2014, n° 13-20.203) et non prescrite (Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-14.789). Peu importe qu’elle ne soit pas assortie d’un titre exécutoire (Cass. com., 28 juin 2017, n° 16-10.025).
- Conciliation en cours : la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’une conciliation est opposable à tout créancier, même non partie à cette conciliation (CA Toulouse, 3 déc. 2014, n° 14/05510).
- Pas d’exécution préalable requise : l’assignation en ouverture d’une procédure collective n’a pas la nature d’un acte d’exécution, et le créancier n’a pas à justifier avoir engagé d’autres démarches de recouvrement (Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-12.539 ; CA Aix-en-Provence, 26 août 2019, n° 2019/398).
Forme et contenu de l’assignation
La demande est faite par voie d’assignation (et non sur requête : CA Versailles, 6 mars 1997, n° 96-6394).
Elle est délivrée par commissaire de justice 15 jours au moins avant l’audience, et une copie est déposée au greffe 8 jours au moins avant cette date (C. com., art. R. 662-2 et CPC, art. 856 et 857).
L’assignation doit :
- indiquer la nature et le montant de la créance ;
- contenir tout élément de preuve de la cessation des paiements (C. com., art. R. 631-2, al. 1 ; CA Orléans, 19 oct. 2006, n° 06/00789 ; Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-13.017 ; Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-11.381).
Le créancier peut demander l’ouverture du redressement judiciaire et, subsidiairement, celle de la liquidation judiciaire (C. com., art. R. 631-2, al. 2). Mais, à peine d’irrecevabilité, l’assignation ne peut contenir aucune autre demande relative au patrimoine du débiteur, même à titre subsidiaire (Cass. com., 1er déc. 1992, n° 90-20.409). Une demande au titre de l’article 700 CPC reste toutefois possible (Cass. com., 17 juin 2020, n° 19-10.464).
Cas particulier des exploitations agricoles
Si le débiteur est un exploitant agricole non constitué en société commerciale, l’assignation doit être accompagnée d’une attestation délivrée par le greffier constatant la saisine préalable du président du tribunal judiciaire pour désignation d’un conciliateur (C. com., art. L. 631-5, al. 6 ; R. 631-2, al. 1 ; C. rur., art. L. 351-2).
Cette formalité n’est pas exigée si l’exploitant est déjà engagé dans une procédure de rétablissement professionnel (C. com., art. L. 640-5, al. 6).
Les risques pour le créancier
Une assignation abusive peut entraîner :
- une condamnation à des dommages-intérêts (Cass. com., 5 déc. 1989, n° 88-10.340 ; Cass. com., 1er oct. 1997, n° 95-13.262 ; CA Paris, 16 févr. 2023, n° 21/19512) ;
- le paiement d’une amende civile pouvant aller jusqu’à 10 000 € (CPC, art. 32-1).
Frais de la procédure
Lors du dépôt de l’assignation au greffe, le créancier doit verser une provision d’environ 70 €. Une loi prévoit en outre le paiement d’une contribution pour la justice économique, actuellement contestée devant le Conseil constitutionnel.
Que se passe-t-il après l’assignation en RJ ?
L’assignation en redressement judiciaire intervient, dans la pratique, à la suite d’une série d’étapes préalables révélant l’insolvabilité apparente du débiteur.
Elle est en général précédée :
- de l’obtention d’un titre exécutoire par le créancier ;
- puis de tentatives de mesures d’exécution forcée (saisies, saisies-attributions, etc.) demeurées infructueuses, le débiteur ayant préalablement vidé ses comptes ou dissimulé ses avoirs.
Face à cette assignation, le débiteur dispose de deux options :
- Il s’acquitte de sa dette afin d’éviter l’ouverture de la procédure collective ;
- Il conteste la demande, en démontrant notamment :
- que la créance invoquée fait toujours l’objet d’une contestation sérieuse, par exemple en raison d’un recours pendant devant une juridiction d’appel ;
- ou qu’il n’est pas en état de cessation des paiements, en justifiant de sa solvabilité (soldes bancaires positifs, règlements en cours, attestations fiscales et sociales, etc.).
Il convient de rappeler que la charge de la preuve de la cessation des paiements pèse exclusivement sur le créancier demandeur : encore faut-il distinguer le débiteur qui ne peut pas payer de celui qui ne veut pas payer (exemple Bielsa c. LOSC cité plus haut).
Modèle d’assignation en redressement judiciaire/liquidation judiciaire
Assignation en redressement (et/ou liquidation) judiciaire
Devant le tribunal de commerce (ou le tribunal judiciaire) de (ville)
L’an (année en toutes lettres),
Et le (date en toutes lettres),
À la requête de :
Si le créancier est une personne physique :
X (nom et prénom) ;
domicilié (adresse) ;
né le (date et lieu de naissance) ;
de nationalité (nationalité)
immatriculé au RCS – ville (ou inscrit au RNE) sous le numéro
Si le créancier est une société :
Dénomination sociale ;
Forme juridique (SA, SARL, SAS…) ;
Au capital de (montant) ;
Siège social : (adresse) ;
immatriculée au registre du commerce et des sociétés au RCS – ville, sous le numéro
représentée par (nom du représentant légal)
(le cas échéant) Ayant pour avocat (nom et adresse de l’avocat)
(le cas échéant) Élisant domicile (par exemple au cabinet de l’avocat précité ; l’élection de domicile en France est obligatoire pour le demandeur résidant à l’étranger)
Me Z (nom), huissier de justice,
demeurant (adresse) ;
A l’honneur d’informer :
Si le débiteur est une personne physique :
Y (nom et prénom du débiteur) ;
domicilié (adresse) ;
né le (date et lieu de naissance) ;
de nationalité (nationalité) ;
immatriculé au RCS – ville (ou inscrit au RNE) sous le numéro
représenté par (nom, qualité et adresse du conseil).
Si le débiteur est une société :
Dénomination sociale ;
Forme juridique ;
au capital de (montant) ;
Siège social : (adresse) ;
immatriculée au RCS – ville sous le numéro
représentée par (nom et adresse du représentant légal)
Où étant et parlant à…
Il est donné assignation d’avoir à comparaître devant le tribunal de commerce (ou le tribunal judiciaire) de (ville) au (adresse du tribunal), à l’audience du :
(date à choisir dans le calendrier des audiences du tribunal).
ATTENTION En matière de procédures collectives devant le tribunal de commerce (ou le tribunal judiciaire), les parties peuvent se défendre elles-mêmes, ou se faire représenter par toute personne de leur choix. Si vous décidez de vous faire représenter par une personne qui n’est pas avocat, celle-ci devra justifier d’un pouvoir écrit spécial (CPC art. 853 ; C. com. art. R 622-2, al. 1).
Toute personne qui ne se présente pas personnellement ne peut être représentée que par avocat (C. com. art. R 662-2, al. 2).
Si vous ne comparaissez pas en personne ou si vous ne vous faites pas représenter, le procès se déroulera en votre absence et vous vous exposerez à ce qu’un jugement soit rendu à votre encontre au vu des seuls éléments fournis par votre adversaire.
Objet de la demande
- X (nom ou dénomination du créancier) est créancier de Y (nom ou dénomination du débiteur) pour une somme de (montant) euros représentant (nature de la créance ; par exemple, loyers des mois de… au titre des locaux situés…).
- La créance est certaine dans son principe et dans son montant, eu égard à (expliquer).
- Son exigibilité résulte de (expliquer).
- Les diligences suivantes ont été entreprises en vain pour obtenir le recouvrement amiable de la créance : (énumérer).
- (Facultatif) Des voies d’exécution ont été engagées mais sont restées infructueuses.
- Y (nom ou dénomination du débiteur) se trouve manifestement en état de cessation des paiements puisque (expliquer tout cas d’espèce).
- (En cas de cessation d’activité du débiteur) Y a cessé toute activité, rendant le redressement judiciaire impossible.
- (Si la situation du débiteur rend le redressement impossible) Le redressement de l’entreprise (ou société) est manifestement impossible en raison de (expliquer).
- Y ne fait pas déjà l’objet d’une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire en cours à la date de la présente.
- (Si le débiteur est un agriculteur personne physique ou n’exerçant pas sous la forme d’une société commerciale) Monsieur le président du Tribunal judiciaire de (ville) a été préalablement saisi d’une demande de règlement amiable le (date) concernant Y.
Par ces motifs
- Constater l’état de cessation des paiements de Y (nom ou dénomination du débiteur), dont le siège (ou le domicile) est (adresse) et qui est immatriculé au registre (préciser lequel) sous le numéro.
- Prononcer le redressement judiciaire (ou, à titre subsidiaire, la liquidation judiciaire) de ladite entreprise (ou société) avec toutes conséquences de droit.
- Désigner tel juge-commissaire et tels mandataires de justice qu’il plaira au Tribunal de nommer.
- Fixer la date de cessation des paiements.
- Ordonner l’accomplissement des formalités de publicité prévues par la loi.
- Ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.
Pièces jointes
- Justificatifs du caractère certain de la créance
- Extrait K Bis du débiteur
- (Facultatif) Voies de recours exercées
