Quand l’État devient légataire : délais, procédures et conséquences pour les héritiers

Il arrive, plus souvent qu’on ne le croit, qu’un particulier désigne l’État comme légataire de tout ou partie de sa succession. Ces libéralités, appelées « legs à l’État », obéissent à des règles particulières, à la frontière du droit civil et du droit administratif.
Leur régime est souvent méconnu, alors qu’il entraîne des conséquences pratiques très concrètes pour les héritiers ou co-légataires privés.

Les dons et legs consentis à l’État ne relèvent pas du droit commun des successions mais du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).
Ce code encadre strictement les conditions dans lesquelles l’État peut accepter une libéralité.

L’article R. 1121-1 du CG3P précise que « l’acceptation des dons et legs faits à l’État est prononcée par arrêté ministériel du ministre chargé du domaine ».
Autrement dit, l’État ne peut pas se comporter comme un héritier ordinaire : il doit passer par une procédure administrative qui implique plusieurs services (préfecture, direction régionale des finances publiques, puis Direction de l’immobilier de l’État à Bercy).

Lorsque le testament est découvert, le notaire transmet une copie au préfet du département du dernier domicile du défunt. C’est à partir de cette transmission que courent les délais prévus par le CG3P.

Deux délais essentiels à connaître

La procédure d’acceptation d’un legs par l’État est gouvernée par deux délais successifs et cumulatifs, fixés par l’article R. 1121-3 du CG3P.

1. Le délai de réclamation de six mois
Pendant les six mois suivant l’ouverture du testament, les héritiers légaux (enfants, conjoint, etc.) peuvent former une réclamation auprès du ministre chargé du domaine.
Ce délai a pour objet de protéger la réserve héréditaire : un héritier peut contester le legs s’il estime qu’il porte atteinte à ses droits réservataires.

Dans la pratique, ce délai se calcule à compter du dépôt du testament au rang des minutes du notaire.
Exemple : si le testament est ouvert le 28 mars 2025, le délai de réclamation expire le 28 septembre 2025.
Passé ce terme, le legs est purgé de toute contestation possible par les héritiers.

2. Le délai d’acceptation de douze mois
Une fois le testament transmis au préfet, l’État dispose de douze mois pour accepter ou refuser la libéralité.
Ce délai court à compter de la réception du testament par la préfecture (et non de l’ouverture de la succession).

Exemple : si le préfet reçoit le testament le 31 mars 2025, la décision doit intervenir au plus tard le 31 mars 2026.
Et surtout, le silence gardé par l’administration vaut refus : le refus tacite est automatique à l’expiration du délai.

La procédure d’instruction

Pendant cette période de douze mois, la succession est instruite par plusieurs services.

  • Le Pôle régional de l’immobilier de l’État (PRIE) accuse réception du dossier et le transmet à la Direction de l’immobilier de l’État (DIE), bureau de la réglementation domaniale, contentieux et expertise domaniale.
  • La DIE procède à une vérification du testament (validité, absence d’héritiers réservataires, nature du legs, présence éventuelle de charges).
  • Si le dossier ne soulève pas de difficulté, un arrêté ministériel d’acceptation est pris par le ministre chargé du domaine.

Dans les cas plus complexes — par exemple lorsque le legs est grevé d’une condition (comme la transformation d’un bien en musée) — la décision peut être précédée d’un avis du Conseil d’État.

Le service des Domaines devient ensuite gestionnaire et liquidateur : il peut vendre les biens légués, régler les dettes du défunt et reverser le solde net au Trésor.

Schéma pratique : chronologie d’un legs à l’État

Étape 1 – Dépôt du testament
Le notaire dépose le testament et envoie une copie au préfet.
→ C’est le point de départ du calcul des délais.

Étape 2 – Délai de réclamation de six mois
Les héritiers légaux disposent de six mois pour contester le legs.
→ À l’expiration de ce délai, aucune réclamation n’est plus recevable.

Étape 3 – Délai d’acceptation de douze mois
L’État dispose de douze mois à compter de la réception du testament par la préfecture pour statuer.
→ Le silence de l’État vaut refus tacite.

Étape 4 – Instruction administrative
Le dossier circule entre le PRIE et la DIE, qui vérifient la validité du testament, la consistance du patrimoine et les éventuelles charges.

Étape 5 – Décision ministérielle

  • En cas d’acceptation, un arrêté ministériel officialise la libéralité ; le service des Domaines procède ensuite à la liquidation et à la perception de la part de l’État.
  • En cas de refus explicite ou tacite, la part léguée à l’État réintègre la masse successorale et revient aux autres légataires ou héritiers.

Conséquences pour les héritiers et légataires privés

La présence de l’État comme légataire retarde le règlement de la succession : tant que la décision ministérielle n’est pas prise, le partage ne peut pas être effectué.
Les légataires privés doivent donc patienter, parfois près d’un an, avant de percevoir leur part.

Si l’État accepte, il devient co-légataire et participe à la liquidation, souvent par l’intermédiaire du service des Domaines.
S’il refuse ou garde le silence au-delà du délai, la part lui revenant retombe dans la masse successorale et bénéficie aux autres ayants droit.

Points de vigilance pour les praticiens

  • Identifier immédiatement la présence d’un legs à l’État et informer le client du blocage potentiel.
  • Calculer avec rigueur les deux délais : six mois pour la réclamation, douze mois pour l’acceptation.
  • Conserver la trace des transmissions et accusés de réception : le point de départ du délai de douze mois dépend de la date de réception par la préfecture.
  • Relancer l’administration à l’approche du terme pour obtenir confirmation de la décision.
  • Anticiper les deux hypothèses (acceptation ou refus) pour préparer la liquidation ou le partage complémentaire.

Conclusion

L’acceptation d’un legs par l’État suit un régime spécifique, distinct du droit civil classique.
Deux délais structurent la procédure :

  • six mois pour les héritiers souhaitant contester,
  • douze mois pour l’État afin de se prononcer.

Passé ce délai, le silence vaut refus.
Pour les praticiens du droit des successions, le suivi de ces délais est crucial : il conditionne la rapidité du règlement et la sécurité juridique des héritiers.

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