Condamnation in solidum vs solidaire : quelle différence ?

La distinction entre obligation solidaire et obligation in solidum est un classique du droit français. Elle continue d’intéresser la pratique contentieuse, car elle détermine la manière dont un créancier peut agir et dont un codébiteur peut exercer ses recours. Pourtant, la différence tend à perdre de son importance, tant en jurisprudence qu’au regard des projets de réforme.

Définition et sources

L’obligation solidaire est définie par les articles 1310 et suivants du Code civil. Elle peut avoir pour source la loi ou le contrat. La loi prévoit de nombreux cas de solidarité, qu’il s’agisse de solidarité passive (plusieurs débiteurs d’une même dette) ou active (plusieurs créanciers). Le contrat est également souvent source de solidarité : lorsque plusieurs débiteurs s’engagent pour la même dette, il est rare que la solidarité ne soit pas stipulée.

L’obligation in solidum, au contraire, n’est ni légale ni conventionnelle, mais jurisprudentielle. La Cour de cassation, dès la fin du XIXe siècle, a dégagé cette figure afin de permettre à la victime d’un dommage d’obtenir la réparation intégrale auprès de chacun des coauteurs. Dans son arrêt du 11 juillet 1892, elle a jugé que « la réparation d’un fait dommageable survenu par la faute de deux ou plusieurs personnes doit être ordonnée, pour le tout, contre chacune, lorsqu’il y a entre chaque faute et la totalité du dommage une relation directe et nécessaire ». Puis, le 4 décembre 1939, elle a consacré expressément l’expression « in solidum ». La jurisprudence a ensuite élargi son application : aux codébiteurs d’aliments (aujourd’hui abandonné), à l’auteur d’un dommage et à la personne civilement responsable (commettant du fait de son préposé), à l’assuré et à son assureur tenu sur le fondement de l’action directe, ou encore au sous-débiteur assigné sur le fondement d’une action directe en paiement.

La doctrine (Bénabent, Flour/Aubert/Savaux, Terré/Simler/Lequette, Malaurie/Aynès/Stoffel-Munck, Ripert/Boulanger, Zénati-Castaing/Revet) analyse l’obligation in solidum comme une obligation plurale au total, proche de l’obligation solidaire, dont elle ne diffère que par son fondement et par certains effets accessoires. La Cour de cassation a d’ailleurs choisi cette qualification pour ne pas violer l’ancien article 1202 du Code civil, qui réservait la solidarité aux cas prévus par la loi ou le contrat.

Domaine d’application

L’obligation in solidum constitue aujourd’hui le droit commun de l’obligation plurale en matière de responsabilité civile. Elle s’applique en cas de pluralité de fautes ou de pluralité de contrats concourant au même dommage. Elle s’étend à la garde d’une chose, à la responsabilité contractuelle conjointe de plusieurs débiteurs, ainsi qu’aux hypothèses d’action directe de la victime contre l’assureur. L’obligation in solidum se distingue de l’obligation indivisible prévue par l’article 1320 du Code civil : l’obligation indivisible ne se divise pas en raison de la nature de son objet, alors que l’obligation in solidum porte sur une obligation divisible (souvent de somme d’argent) que la jurisprudence traite « au total » par équité, pour protéger le créancier et renforcer sa garantie de paiement.

Effets principaux et effets accessoires

Dans les rapports entre le créancier et les codébiteurs, les effets principaux de l’obligation solidaire et de l’obligation in solidum sont identiques : le créancier peut réclamer le paiement intégral à l’un quelconque des codébiteurs et le paiement par un seul libère les autres. La différence se situe au niveau des effets secondaires.

L’obligation solidaire emporte représentation mutuelle entre codébiteurs. Ainsi, une mise en demeure ou un acte interruptif de prescription contre l’un vaut pour tous, les exceptions communes peuvent être invoquées par tous, et les recours exercés par un débiteur peuvent profiter aux autres.

À l’inverse, l’obligation in solidum ne produit pas ces effets secondaires. Il n’existe pas de représentation mutuelle : le créancier doit mettre en demeure chacun des codébiteurs et interrompre la prescription à l’égard de chacun. De même, chaque codébiteur doit exercer individuellement ses voies de recours, sans bénéficier de celles introduites par les autres.

On notera que le législateur européen, lorsqu’il définit la responsabilité des coobligés dans ses règlements ou directives, emploie le terme de solidarité et non celui d’in solidum. Cela confirme que les deux notions ne sont pas synonymes et que la solidarité emporte un régime plus complet.

Jurisprudence et contrôle de la Cour de cassation

La Cour de cassation a longtemps contrôlé strictement la qualification donnée par les juges du fond, censurant les décisions qui utilisaient le terme « solidaire » là où il fallait dire « in solidum » (Cass. civ., 25 févr. 1942 ; Cass. com., 10 mai 1948 ; Cass. civ., 30 déc. 1952 ; Cass. 1re civ., 24 févr. 1954 ; Cass. 2e civ., 24 févr. 1960 ; Cass. soc., 8 déc. 1960). Mais, face à la fréquence de la confusion et à l’absence de différence véritable sur les effets principaux, elle a progressivement renoncé à sanctionner cette erreur de terminologie. Dans un arrêt du 28 mars 1995, la première chambre civile a jugé que l’emploi du terme « solidaire » n’occasionnait pas de grief aux codébiteurs si leurs droits restaient identiques à ceux qu’ils auraient eus en cas de condamnation in solidum. De même, dans un arrêt du 30 octobre 2007, elle qualifie cette utilisation d’« inexactitude terminologique ».

Vers une unification des régimes

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a modernisé les articles 1309 et suivants du Code civil. L’article 1309, alinéa 3, n’admet désormais comme obligations « au total » que la solidarité et l’indivisibilité. Le projet de réforme de la responsabilité civile (art. 1265) prévoit quant à lui que « lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles sont solidairement tenues à réparation envers la victime ». Cette évolution législative confirme la tendance à l’unification des régimes et à la disparition progressive de l’in solidum en tant que catégorie autonome.

Conséquences pratiques

Pour le créancier, la distinction a peu d’impact sur son droit principal : il peut poursuivre l’un quelconque des codébiteurs pour le tout. Mais elle peut avoir une importance en matière de prescription, de mise en demeure et de recours, puisque l’in solidum n’offre pas les effets collectifs de la solidarité. Pour le débiteur, cela signifie qu’il doit être particulièrement attentif à agir individuellement pour préserver ses droits.

En pratique, la différence tend à perdre son importance : la Cour de cassation ne sanctionne plus la confusion des termes lorsqu’elle ne porte pas atteinte aux droits des parties et le législateur semble vouloir consacrer la solidarité comme régime unique des obligations au total.

Sources

EncyclopédiesJurisClasseur Civil Code Art. 1309 à 1319 – Fasc. 30 : RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS. – Modalités de l’obligation. – Pluralité de sujets. – Obligation  » in solidum  » Marc MIGNOT (auteur de référence sur la question et professionnel particulièrement pertinent)

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