Courrier PicRights (AFP, AP, Reuters) : comment réagir ?

Vous venez de recevoir un courrier de PicRights Europe GMBH vous réclamant une somme d’argent pour l’usage supposément non autorisé d’une photographie. Le message est solennel, truffé de références juridiques, rédigé dans un style qui se veut autoritaire — et, parfois, signé par un avocat. Pour beaucoup, l’effet est immédiat : un courrier d’avocat impressionne, inquiète, et déclenche souvent une peur disproportionnée par rapport à la réalité juridique.

Avant de céder à cette inquiétude, il faut comprendre la mécanique à l’œuvre. Ce type de démarche relève d’un phénomène désormais bien identifié : une forme de copyright trolling, fondée sur l’envoi massif, automatisé et standardisé de mises en demeure destinées à obtenir un paiement rapide. Le modèle repose moins sur le droit d’auteur que sur l’asymétrie d’information et sur la peur que suscite, chez un non-juriste, la réception d’un courrier juridiquement menaçant.

Cela ne signifie pas qu’aucun risque n’existe : aucun avocat sérieux ne prétendra qu’une action judiciaire est impossible. Mais, en pratique, la grande majorité de ces démarches ne débouchent sur aucune procédure. Elles fonctionnent principalement parce que le destinataire, impressionné par le courrier et inquiet de « finir au tribunal », croit devoir obtempérer.

Concrètement, si vous avez retiré la photographie litigieuse dès la réception du message, vous avez déjà accompli l’essentiel. Dans de nombreuses situations, cela suffit à réduire très nettement l’exposition au risque, le reste relevant davantage d’une mécanique d’intimidation standardisée que d’une véritable stratégie contentieuse.

Disclaimer important

Les informations figurant dans le présent article sont fournies à titre strictement général et informatif. Elles ne constituent en aucun cas un conseil juridique, ni une consultation juridique personnalisée.
Elles ne tiennent pas compte des spécificités de votre situation, ni d’aucun élément factuel propre à votre dossier.

En conséquence, je ne peux assumer aucune responsabilité quant à l’utilisation qui pourrait en être faite.
Avant toute décision ou action, vous devez impérativement consulter votre avocat habituel, seul à même de vous délivrer un conseil adapté et complet, fondé sur une analyse précise de votre situation.

Note importante

Je reçois de très nombreux messages de lecteurs à la suite de cet article.
Je ne suis malheureusement pas en mesure de répondre individuellement à ces demandes, sauf dans le cadre d’un dossier traité au cabinet.
Vous pouvez, si vous le souhaitez, prendre un rendez-vous payant via le lien Calendly.
Aucune réponse ne sera apportée par email en dehors de ce cadre.
Il n’est donc pas utile de me contacter à ce sujet par email, par téléphone ou via LinkedIn.

Qui est PicRights ?

PicRights est une entreprise suisse spécialisée dans la détection des usages non autorisés de photographies sur internet
(contrefaçons de droits d’auteur). Son adresse URL est https://www.picrights.com/.

Les organes de presse comme l’AFP mandatent la société Picrights  qui dispose d’un outil d’intelligence artificielle de reconnaissance dans lequel elle stocke les photographies de ses clients.

Quand PicRights détecte une photographie appartenant à l’un de ses clients sur un site web, elle adresse un premier courriel au propriétaire du site en question.

Son existence est d’ailleurs pour le moins trouble. En France, les courriers sont signés par un dénommé « Aurélien CAVALIER ». Une rapide recherche permet de se rendre compte qu’il ne s’agit même pas d’un salarié de PicRights mais d’un « freelance », autrement dit d’un auto entrepreneur.

Le phénomène du « copyright trolling »

Les méthodes employées par PicRights s’inscrivent dans un phénomène plus large que la doctrine qualifie parfois de « copyright trolling ».
Il s’agit de pratiques consistant à envoyer massivement des mises en demeure standardisées à des millions d’utilisateurs, le plus souvent pour obtenir un paiement immédiat fondé sur la peur, et non sur une véritable défense du droit d’auteur.

Le mécanisme repose sur trois ressorts :

  • des courriers intimidants,
  • un déséquilibre d’information massif,
  • et la crainte disproportionnée d’un contentieux qui, dans les faits, n’arrive pratiquement jamais.

Ce n’est donc pas un modèle de protection de la propriété intellectuelle : c’est un modèle économique.

Pourquoi PicRights relève de cette logique

Toutes les caractéristiques du copyright trolling se retrouvent dans le fonctionnement de PicRights :

  • des envois massifs, automatisés et impersonnels ;
  • l’absence quasi systématique de preuve irréfutable (pas de constat, simples captures d’écran non authentifiées) ;
  • des montants standards, sans rapport avec le préjudice réel ;
  • l’emploi de formulations anxiogènes pour obtenir une réaction immédiate.

Le but n’est pas d’aller en justice – les statistiques le démontrent – mais de provoquer un paiement rapide fondé sur la peur.
Ce modèle ne tient que parce que la majorité des destinataires ignorent totalement le droit d’auteur.

En quoi consistent les demandes de PicRights ?

Les messages envoyés par PicRights suivent habituellement le format suivant :

« Chère Madame, Cher Monsieur,

X a confié à notre société PicRights Europe GmbH (« PicRights ») la vérification du respect des droits d’auteur de ses contenus. Pour de plus amples informations, veuillez visiter xxxxxxxxxxxxx
Dans le cadre de sa mission, PicRights a identifié sur votre site une/des image(s) appartenant à [nom du client]. Or, X n’a pas connaissance d’une autorisation couvrant cette utilisation.

Vous trouverez en fin de ce courriel une copie de cette/ces image(s) en question et une capture d’écran de son/leur utilisation sur votre site internet.
Pour plus d’informations sur ce différend: https://resolve.picrights.com/x / Mot de Passe : X

Nous vous contactons afin que vous nous indiquiez si vous disposez d’une autorisation en cours de validité pour cette utilisation:

  • Si vous bénéficiez d’une autorisation d’utilisation en cours de validité pour cette utilisation, nous vous remercions de bien vouloir nous l’adresser via https://resolve.picrights.com/xxxxxxxxx, en cliquant sur le lien «J’ai une licence…».
  • Si vous ne bénéficiez pas d’autorisation d’utilisation pour cet usage, nous vous remercions de retirer cette/ces image(s) immédiatement de votre site internet et de nous contacter à ResolveFR@picrights.com afin de régulariser cette situation.
    Nous attirons votre attention sur le fait que le retrait seul de cette/ces image(s) ne suffira pas à clore ce différend. Nous réclamons le paiement d’un dédommagement lorsqu’une image fait l’objet d’une utilisation non autorisée.

Si vous pensez avoir reçu cet e-mail par erreur, n’hésitez pas à prendre contact avec nous par courriel à resolveFR@picrights.com , en mentionnant la référence XXXX-XXXX-XXXX

Soucieux de régler ce différend dans les plus brefs délais, nous vous prions de bien vouloir répondre au plus tard dans les quatorze (14) jours à compter de la date de la présente lettre.

Au nom de PicRights et de X, nous vous remercions de votre coopération et nous tenons à votre disposition.»

À la fin du courriel, la photographie supposément utilisée est reproduite, accompagnée d’une capture d’écran présentée comme une « preuve d’utilisation sur votre site internet ».

Le très faible volume de contentieux

Les bases de données juridiques montre que seulement …. 2 jugements ont été rendus à la suite de constatations d’infractions par Picrights

L’abus de droit reconnu par la CJUE

La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 17 juin 2021, a rappelé que transformer la violation alléguée d’un droit d’auteur en mécanisme systématique de rentabilité relève de l’abus de droit.

La Cour souligne que lorsqu’une démarche vise principalement à générer des revenus par l’envoi massif de mises en demeure, plutôt qu’à protéger réellement une œuvre, l’objectif même du droit d’auteur est détourné.

Ce raisonnement est parfaitement transposable :
lorsqu’une société adresse des milliers de mises en demeure fondées sur des preuves fragiles, en exigeant des montants standardisés auprès de destinataires non juristes, la logique n’est plus la protection d’un droit mais la monétisation d’une menace.

Le fondement juridique bancal de PicRights : l’absence d’originalité

Toute leur action part du principe que la photo litigieuse serait ORIGINALE.

Or, le droit français est particulièrement tatillon et bien souvent cette originalité fera défaut.

« En d’autres termes, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’ auteur, une photographie doit être, indépendamment du sujet photographié ou de la destination du cliché, une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité qui peut se révéler en premier lieu dans la phase de préparation de la prise de la photographie par ses choix dans le placement des objets à photographier ou en exprimant sa personnalité par l’éclairage choisi; qu’en second lieu le photographe peut imprégner la photographie de sa personnalité au moment de la prise de vue elle-même, par le cadrage, l’angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière; qu’enfin le photographe peut révéler sa personnalité en retravaillant la photographie, notamment à l’aide de logiciels professionnels dédiés à cet effet, par la modification des couleurs, la suppression d’éléments, le recadrage ou le changement des formats. (…) Par conséquent, il n’est pas démontré que la photographie, qui est, certes, le fruit d’un travail technique maîtrisé, est protégée par le droit d’auteur dans la mesure où elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de son auteur. » (TJ Paris 27 juin 2024 / n° 22/02990)

L’absence de preuve par capture d’écran

Il est également possible de contester la valeur probante de la capture d’écran puisqu’aucun PV de constat n’a été réalisé.

Il ne faut cependant pas reconnaitre par email la réalité de l’utilisation.

Le parasitisme

Le fondement juridique du parasitisme a en revanche lui plus de chances de prospérer

« Il est constant que celui qui ne dispose pas de droit privatif sur l’élément qu’il exploite dans le commerce ne peut trouver dans l’action en concurrence déloyale ou parasitaire une protection de repli lui permettant de faire sanctionner la simple exploitation non autorisée de cet élément. En outre, le simple fait de copier un produit qui n’est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Est en revanche fautif le fait, pour un professionnel, de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. En outre, les agissements parasitaires peuvent être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil même en l’absence de toute situation de concurrence (Cass. Com., 30 janvier 1996, pourvoi n° 94-15.725, Bull. 1996, IV, n°32). »

« Or, l’AFP, afin de remplir la mission qui lui est assignée par la loi n°57-32 du 10 janvier 1957, consistant à mettre une information complète et objective à disposition des usagers contre paiement, procède à différents investissements humains et financiers, pour constituer cette banque d’images. Cela implique notamment la mise en place d’un réseau de photographes professionnels qu’elle rémunère, qu’elle équipe de matériels performants et dont elle couvre les frais de production. La directrice financière de l’AFP atteste d’ailleurs des charges exposées pour la filière photo, bien que les données concernent les années 2020 à 2022.
De ce fait, en reproduisant le cliché sur son site internet, sans bourse délier, la société DK Ambassador a profité des investissements de l’AFP et, sans manquer à une obligation pré-existante qui lui serait imposée par la loi du 10 janvier 1957, a néanmoins adopté un comportement fautif parasitaire, de nature à engager sa responsabilité civile. »

Cependant, la question du parasitisme semble ne pas être recevable si la photo n’est pas originale.

Combien je risque ?

En général, la somme due en application des tarifs de l’AFP.

Pour une affaire récente, voici le calendrier:

  • 3 juillet 2018 : capture d’écran par picrights
  • Mars 2021 : retrait de la photo
  • 11 février 2022 : assignation
  • 27 juin 2024 : condamnation à payer 578,75 € pour deux ans d’utilisation d’une photo

Vu les montants en jeu et au regard des frais d’avocat, il est très peu probable que l’AFP assigne effectivement les auteurs.

Ce que je recommande à mes clients

Dans les dossiers PicRights que je traite au cabinet, ma recommandation repose sur le droit positif, l’analyse de la jurisprudence et la réalité de terrain.

Voici la conduite que je recommande généralement à mes clients. Attention, mes conseils sont toujours différents et adaptés à la situation particulière du client.

1. Retirer immédiatement la photographie litigieuse.
Une fois l’image retirée, le risque juridique devient extrêmement faible. Le préjudice cesse et cela suffit largement à réduire l’enjeu du dossier.

2. Ne jamais reconnaître l’utilisation de la photographie.
C’est essentiel.
Une reconnaissance, même implicite, est la seule chose qui pourrait réellement renforcer le dossier de PicRights. En l’absence de preuve authentique (constat, horodatage fiable, etc.), leur position est déjà très fragile. Ne leur offrez pas ce qu’ils ne peuvent pas établir.

3. Répondre brièvement pour contester, puis ne plus rien dire.
La seule réponse utile est la suivante :

« Madame, Monsieur,
J’accuse réception de votre courrier relatif à une prétendue utilisation non autorisée d’une photographie.
Je conteste intégralement votre présentation des faits, qui est infondée et ne repose sur aucun élément probant.
En conséquence, je m’oppose formellement à toute demande de paiement. Aucune autre réponse ne sera apportée. »

Pas d’explication, pas de justification, pas de dialogue. Cela permet d’éviter notamment le recours à l’injonction de payer.

4. Envisager un signalement au bâtonnier concernant le comportement de l’avocat de PicRights.
Lorsque le courrier signé par un avocat présente la situation de manière manifestement biaisée, omet la faculté de consulter un avocat ou utilise des formulations intimidantes, un signalement au bâtonnier peut être envisagé.
Au regard de l’article 8.2 du RIN, l’avocat doit en effet :

  • rappeler la possibilité de consulter un avocat,
  • s’interdire toute présentation déloyale de la situation,
  • s’interdire toute menace,
  • et n’adresser un courrier qu’en respectant les exigences de loyauté et de délicatesse.

Une démarche PicRights qui s’écarte de ces règles peut constituer un manquement déontologique légitimant une saisine du bâtonnier.

5. Ne pas craindre les relances, et ne réagir que si une assignation (exceptionnelle) intervient.
Les relances sont automatiques, massives, sans analyse individuelle.
Dans 99 % des cas, il n’y aura aucune suite.
Et si, par extraordinaire, une assignation était délivrée, il suffira de confier le dossier à un avocat qui fera valoir les arguments qui portent :

  • absence d’originalité,
  • absence de preuve authentique,
  • disproportion du prétendu préjudice,
  • éventuel abus de droit,
  • absence de lien causal certain.

Ce que je pense réellement de PicRights et de leurs avocats

Soyons parfaitement clairs : les méthodes de PicRights – et de l’avocat qui signe parfois leurs courriers – sont à mes yeux profondément contestables. Elles reposent sur un rapport de force artificiel, fondé sur la peur juridique, qui vise exclusivement des personnes qui ne maîtrisent pas le droit d’auteur. On leur adresse des mises en demeure alarmantes, rédigées dans un jargon volontairement intimidant, pour tenter d’obtenir le paiement de sommes sans rapport avec le préjudice réellement subi ou avec les décisions de justice rendues en la matière.

Ce ne sont pas des pratiques isolées : ce sont exactement les mêmes techniques que l’on observe chez certaines sociétés de recouvrement de créances, dont le modèle économique repose sur l’intimidation et l’asymétrie d’information. Le message est simple : faire peur pour faire payer.

Ce qui, en revanche, me choque réellement – et je le dis avec gravité – c’est qu’un avocat accepte de participer à ce système. Je déplore qu’un professionnel du droit, qui a prêté serment, donne son concours à une démarche qui repose moins sur la défense loyale de droits que sur la mise sous pression de personnes qui n’ont ni les moyens ni les connaissances nécessaires pour répliquer. Participer à un tel mécanisme me semble difficilement conciliable avec l’idée que je me fais de notre profession et des exigences de loyauté, de mesure et de probité qui l’accompagnent.

En pratique, les demandes de PicRights prospèrent uniquement lorsque le destinataire, inquiet, se sent obligé de répondre ou de se justifier. C’est précisément ce qu’il faut éviter. Toute reconnaissance, même implicite, de l’utilisation litigieuse revient à leur fournir ce qui leur manque : un aveu ou un élément permettant d’établir un début de preuve.

C’est pourquoi je suis extrêmement clair dans les dossiers que je traite :
si l’image a été retirée, que l’utilisateur n’a jamais reconnu l’usage, et que PicRights est incapable de produire une preuve irréfutable et juridiquement valable, je recommande à mes clients de ne pas donner suite à ces sollicitations. Leur position est juridiquement fragile, et l’absence de preuve solide rend leur démarche largement inopérante.

Répondre, argumenter ou négocier revient seulement à entrer dans un rapport de force qui ne repose sur aucun fondement sérieux. Le silence, dans ce type de configuration, est bien souvent la seule réponse adéquate.

2 réflexions sur “Courrier PicRights (AFP, AP, Reuters) : comment réagir ?”

  1. Bonjour Maitre,
    sauf que la société DK Ambassador a quand même été condamnée à 578,75 €, plus 3000€ au titre de l’article 700…
    Il nous arrive la même mésaventure, PicRight/AFP nous réclame 172€ pour l’utilisation d’une image que l’on a trouvé par ailleurs sur d’autres sites, avec ou sans le même cadrage. Naïvement, nous avons reconnu et enlevé l’image immédiatement de notre site (petite association d’intérêt général de 3 membres), mais nous avons un ultimatum au 31/01 et nous sommes un peu désemparés…
    Bien cordialement

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