Le temps de la négociation exclut-il le temps judiciaire ?
De plus en plus souvent, les juges adressent, via RPVA/e-barreau, des bulletins de mise en état dans lesquels ils invitent, avec plus ou moins d’insistance, à « mettre en place une mesure de médiation ».
L’incitation est claire : « Si les parties donnent leur accord pour entrer en médiation, l’affaire, qui reste inscrite au rôle, bénéficiera, à l’issue du processus, d’une priorité pour l’homologation de l’accord, ou, à défaut, pour que le juge statue. »
Le bâton également, puisque certains bulletins de mise en état affirment (sans réel fondement juridique) que : « Rappelons que l’inexécution de cette injonction, sans motif légitime, est susceptible de constituer un défaut de diligences justifiant une radiation du dossier, ou pourra constituer un des critères d’équité lors de l’appréciation par le juge des demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. »
Si, en tant qu’avocat, je demeure favorable à la négociation et à la médiation, je considère néanmoins essentiel que le calendrier de procédure soit maintenu afin d’éviter tout retard en cas d’échec de la médiation.
Pourquoi mener procès et médiation en même temps ?
Pour assurer la pleine efficacité de la médiation !
Une épée de Damoclès
D’abord, parce que l’épée de Damoclès du contentieux, avec son fameux aléa judiciaire, reste suspendue au-dessus de la tête des parties et rend, parfois, celles-ci plus intelligentes.
Des échéances couperet
Ensuite, et surtout, parce que le contentieux et ses dates donnent de vraies échéances aux parties.
Un phénomène fréquemment constaté est qu’on transige la veille des plaidoiries ou du jugement, pas 3 mois avant et surtout pas dans un temps suspendu, sans échéance ferme.
Tout avocat expérimenté vous le dira : on transige mieux avec des délais de procédure fermes.
Cela est aussi vrai vis-à-vis des clients qui réagissent plus vite quand ils savent que l’audience est dans une semaine plutôt que dans 3 mois ou à une date indéterminée quand les délais de procédure sont suspendus.
Éviter le dilatoire
Certaines parties peuvent faire semblant de vouloir négocier afin d’ensabler le dossier et de gagner du temps, le demandeur étant souvent pressé d’obtenir son résultat.
Dans la majorité des cas, à l’inverse, le défendeur n’est pas pressé … Même si parfois des clients en défense souhaitent passer rapidement à autre chose et sont donc pressés de négocier pour clore le sujet.
Pourquoi la médiation devrait-elle geler l’avancement du procès ?
De manière tout à fait arbitraire, la politique actuelle de l’amiable aboutit à ce que les négociations gèlent l’avancement du procès. Autrement dit, la médiation suspend les délais et la mise en état et paralyse la procédure.
Avant que l’amiable ne devienne une « politique » du ministère de la justice et une « injonction » des tribunaux, impliquant un tiers et paralysant le procès, temps des négociations et du contentieux allaient toujours de pair.
Et pour cause : temps des négociations et temps judiciaire ne sont pas exclusifs l’un de l’autre mais, au contraire, s’appuient et se renforcent.
D’autant que le risque, à séparer les deux, est de favoriser le dilatoire, une partie faisant semblant de vouloir négocier afin d’ensabler le dossier.
Les deux vont de pair et c’est d’autant plus vrai que parfois, le judiciaire est la phase incontournable pour pouvoir continuer à discuter.
La médiation fait-elle vraiment gagner du temps ?
Les défendeurs de la médiation défendent l’idée selon laquelle le gel d’une procédure pendant 3 mois, renouvelable une fois, constituerait un « temps ramassé ».
Tout d’abord, ce délai est trompeur : la médiation n’est pas ordonnée au moment de l’assignation mais après la saisine du tribunal, soit typiquement de 3 à 5 mois après.
Ensuite, qu’un accord soit trouvé ou non, l’affaire revient typiquement devant le juge 1 à 2 mois après la fin de la médiation, soit pour homologation de l’accord soit pour reprise de l’instance.
Une médiation, qu’elle réussisse ou échoue, c’est donc une instance de 7 à 13 mois [de (3+3+1) à (5+3+3+2) mois].
À comparer à la durée d’une instance « ordinaire », sans médiation de 12 à 18 mois devant le Tribunal judiciaire.
- En cas d’accord, c’est effectivement plus bref.
- Mais, à défaut d’accord, le demandeur subit alors un calendrier qui explose de 16 à 26 mois [(12+3+1) à (18+3+3+2)].
La médiation est-elle un mode de justice apaisé ?
Il est pour le moins paradoxal de vanter une justice apaisée en mettant en avant les modes alternatifs de règlement des différends, tout en cherchant à les imposer aux justiciables sous la menace de sanctions procédurales.
Plus inquiétant encore, certaines pratiques et projets laissent entrevoir une dérive :
- un projet envisage même de sanctionner financièrement les parties qui refuseraient de se soumettre à une médiation.
- les magistrats qui ordonnent des médiations bénéficieraient d’un avantage dans leur carrière par rapport à leurs collègues ;
La médiation est-elle payante ?
Oui, et c’est aux parties de la payer, alors que l’accès au juge lui est gratuit.
Quelle est la différence entre la médiation au tribunal judiciaire /cour d’appel et au tribunal de commerce ?
- Le calendrier : il ne risque pas de dérailler et de faire perdre 6 mois en demande à défaut d’accord.
- Le médiateur : ce sont souvent des juges consulaires qui reçoivent les parties pour rechercher un accord. Cela signifie que la mesure est gratuite pour les parties et menée par une personne dont la parole a du poids vis-à-vis d’elles.
Ce que je reproche à la médiation
Le recours à un discours quasi « christique » par ses partisans mérite d’être relevé.
La médiation est présentée comme une solution miracle, alors qu’elle n’est trop souvent que le reflet d’une démission de la justice, faute de moyens, et une méthode commode de gestion du stress pour ses auxiliaires.
Son caractère imposé rappelle certaines idéologies : « je vous assure que c’est bon pour vous, mais comme vous n’êtes pas assez éclairés pour le comprendre, je vais vous forcer la main au début ».
La médiation, c’est un peu la « mobilité douce » de la justice : on ne vous oblige pas à aller à vélo, mais on vous interdit progressivement de prendre la voiture.
Or, ce que recherchent les justiciables, ce n’est pas un compromis où personne ne gagne ni ne perd : c’est qu’un juge tranche et dise clairement qui a raison et qui a tort.
Cette mode revient à transformer l’avocat en psychothérapeute, chargé d’apaiser les tensions plutôt que de défendre des droits.

