L’action paulienne : tout comprendre

L’« action paulienne » est l’instrument juridique par excellence pour le créancier qui entend combattre la fraude : en effet, cette voie permet de faire déclarer inopposables à son encontre les actes accomplis par son débiteur en fraude de ses droits — ce que l’on appelle souvent la « fraude paulienne ». En vertu de l’article 1341-1 et suivants du Code civil, le créancier peut agir à titre personnel contre les dispositions patrimoniales du débiteur qui ont pour effet de porter atteinte à son gage ou à sa capacité de recouvrement.

Le créancier peut ainsi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (action dite « paulienne » ; C. civ. art. 1341-1). L’article 1341-2 du Code civil étant laconique sur l’action paulienne (ancien article 1167), c’est la jurisprudence qui en a précisé le régime en retenant les principes suivants : cette action est ouverte notamment contre les actes par lesquels le débiteur s’est appauvri ou a diminué son patrimoine sciemment à son détriment (Cass. 1re civ., 6 mars 2001, n° 98-22.384 FS-P ; Cass. 3e civ., 26 novembre 2020, n° 19-23.243 F-D).

La jurisprudence a ainsi précisé que la fraude paulienne se caractérise notamment par la préexistence d’une créance, l’entrave à l’exécution par le débiteur et l’intention de nuire à l’égard du créancier, voire la complicité d’un tiers. L’article suivant se propose de démêler, de façon exhaustive mais claire, les conditions d’ouverture de l’action paulienne, la preuve de l’appauvrissement du débiteur, les actes à titre gratuit ou onéreux, et leur rapport avec la procédure collective — autant de moteurs indispensables pour saisir l’enjeu qu’est la lutte contre la fraude paulienne.

Synthèse

L’action paulienne est un recours ouvert au créancier lui permettant de faire déclarer inopposables à son égard les actes accomplis par son débiteur en fraude de ses droits.

Autrement dit, lorsqu’un débiteur organise volontairement son insolvabilité — par exemple en donnant, vendant ou transférant un bien pour échapper au paiement — le créancier peut demander au juge que cet acte soit écarté à son égard, afin de reconstituer le gage sur lequel il peut exercer ses poursuites.

Fondée sur les articles 1341-1 et 1341-2 du Code civil (ancien art. 1167), l’action paulienne suppose :

  1. Une créance certaine, liquide et exigible (ou du moins antérieure à l’acte frauduleux) ;
  2. Un appauvrissement du débiteur réduisant les droits du créancier ;
  3. Une fraude, c’est-à-dire la connaissance par le débiteur du préjudice causé au créancier (et, pour les actes à titre onéreux, la complicité du tiers bénéficiaire).

Son effet n’est pas d’annuler l’acte, mais de le rendre inopposable au seul créancier demandeur, afin qu’il puisse exercer ses droits comme si la fraude n’avait jamais eu lieu.

Les conditions de l’action paulienne

Cette action est recevable sous certaines conditions .

Quelles sont les conditions subordonnant la caractérisation de la fraude paulienne ?

  1. La préexistence de l’engagement du débiteur ;
  2. L’entrave à l’exécution du droit de la créance ;
  3. L’intention frauduleuse du débiteur ;
  4. La complicité du tiers.

Une créance fondée en son principe

Le créancier demandeur doit être titulaire d’une créance fondée en son principe à la date de l’acte attaqué (Cass. 1e civ. 17-1-1984 no 82-15.146 P : Bull. civ. I no 16 ; Cass. com. 25-3-1991 no 89-12.267 P 1e espèce).

Il n’est pas nécessaire que cette créance ait été certaine et exigible à cette date (Cass. com. 25-3-1991).

Appauvrissement strict du débiteur : pas forcément !

La question à se poser : l’opération constitue-t-elle un facteur de diminution de la valeur du gage du créancier et d’appauvrissement du débiteur ?

L’acte attaqué doit avoir entraîné un appauvrissement du débiteur (diminution de son patrimoine) et provoqué ou aggravé son insolvabilité apparente. Ces conditions sont cumulatives lorsqu’il s’agit d’un créancier chirographaire (Cass. 1re civ., 6 mars 2001, n° 98-22.384 ; Cass. 3e civ., 26 nov. 2020, n° 19-23.243).
Toutefois, l’insolvabilité n’a pas à être démontrée lorsque la fraude porte sur l’exercice d’un droit spécial dont dispose le créancier sur un bien du débiteur, tel qu’une promesse de vente (Cass. 3e civ., 6 oct. 2004, n° 03-15.392) ou une hypothèque (Cass. 1re civ., 8 oct. 2008, n° 07-14.262).

Il faut en outre que le débiteur ait eu conscience du préjudice causé au créancier en accomplissant l’acte litigieux (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n° 91-11.871 ; Cass. 3e civ., 9 févr. 2010, n° 09-10.639 ; Cass. com., 1er juill. 2020, n° 18-12.683).

Enfin, lorsque l’acte est consenti à titre onéreux, le tiers cocontractant doit avoir eu connaissance de la fraude (C. civ., art. 1341-2). Une telle connaissance n’est pas requise pour un acte à titre gratuit, telle une donation (Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n° 14-16.652).

L’action paulienne doit naturellement être rejetée lorsque, malgré l’acte attaqué, le débiteur demeure en mesure de désintéresser le créancier poursuivant (Cass. com., 1er juill. 2020).

Même en cas d’acte onéreux au prix du marché

Lorsque l’acte conclu par le débiteur l’a été à titre onéreux, l’équivalence des prestations convenues — et donc l’absence apparente d’appauvrissement — n’exclut pas l’action paulienne. Le créancier peut agir même lorsque la cession consentie par son débiteur, bien que réalisée à un prix normal, a pour effet de soustraire un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender. Le préjudice du créancier est alors caractérisé (Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, à propos d’une cession de fonds de commerce ; Cass. com., 3 déc. 2002, n° 99-18.580, pour l’apport d’un immeuble à une société ; Cass. com., 29 mai 2024, n° 22-20.308).

Dans ce cas, la preuve d’un appauvrissement ou d’une insolvabilité du débiteur n’est pas exigée.

Tel est notamment le cas lorsque un immeuble est remplacé par du numéraire ou par des parts sociales.

Certes, les parts sociales sont saisissables par le créancier (C. exéc., art. L. 231-1), mais elles présentent plusieurs désavantages : leur valeur est souvent incertaine, leur cession peut être soumise à agrément, et leur réalisation forcée est bien plus complexe qu’une saisie immobilière ou mobilière classique.

  • Difficulté de négociation des parts sociales : il n’est pas aisé de trouver un acquéreur pour celles-ci
  • que la vente soit faite à l’amiable ou sur adjudication, l’acquéreur doit être agréé par les autres associés
  • la valeur des parts peut baisser en fonction de l’évolution des dettes sociales
  • risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCI : les créanciers de la société prendre des sûretés sur les actifs de celle-ci, voire les saisir
Acte litigieuxSolutionJp
Apport par une personne physique d’un immeuble à une SCI en contrepartie de quoi ’intéressé a reçu des parts de la SCI dont la valeur nominale correspondait à la valeur de l’immeublela difficulté de négocier les parts sociales et le risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCICass. com. 29-5-2024 no 22-20.308 F-B, Sté Banque CIC Sud-Ouest c/ X
des parts sociales reçues par un débiteur en contrepartie de l’apport d’un immeuble à une société civile, même si l’apport avait été fait dans des conditions financières normales,la saisie des parts n’offrait pas, pour le créancier, les mêmes garanties qu’une saisie immobilière et que, l’existence de dettes sociales amoindrissant la valeur des parts, l’apport constituait un appauvrissement du patrimoine du débiteurCass. com. 3-12-2002 no 99-18.580 F-D
la cession d’un bien, même consentie à un prix normal, contre des liquiditésa pour effet de faire échapper le bien aux poursuites du créancier du vendeur, en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender ().Cass. com. 1-3-1994 no 92-15.425 P ; Cass. com. 23-5-2000 no 96-18.055 FS-D

L’exemple de la cession d’un fonds de commerce au bon prix

Cession d’un fonds à une société liée – Fraude paulienne – Absence d’exigence de preuve de l’appauvrissement

Poursuivie par son expert-comptable en paiement d’honoraires, une société (A) cède son fonds de commerce à une autre société (B), constituée par son dirigeant et son épouse dans le seul but d’accueillir l’activité. L’expert-comptable obtient ultérieurement la condamnation de la société A au paiement des sommes dues. Après la mise en liquidation judiciaire de cette dernière, il agit pour faire déclarer la cession inopposable à son égard sur le fondement de la fraude paulienne.
La cour d’appel rejette sa demande, considérant que, bien que la société A ait remplacé son fonds par une somme d’argent plus facilement dissimulable, l’expert-comptable ne prouvait pas l’insolvabilité, même apparente, du débiteur à la date de la cession.
La Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle que le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables les actes passés en fraude de ses droits, à condition, en cas d’acte à titre onéreux, d’établir que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude (C. civ., art. 1341-2).
Elle précise que l’action paulienne demeure ouverte lorsque la cession, même consentie à un prix normal, a pour effet de soustraire un bien aux poursuites du créancier en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Dans une telle hypothèse, le préjudice du créancier est caractérisé et la preuve d’un appauvrissement du débiteur n’est pas requise.
(Cass. com., 29 janv. 2025, n° 23-20.836, X c/ Sté LBR)

La donation d’usufruit de parts sociales

L’action paulienne a été admise contre une donation de l’usufruit de parts sociales dès lors que celles-ci ne sont pas dénuées de valeur et peuvent donner lieu à une distribution de dividendes, ce qui caractérise un appauvrissement du donateur. (Cass. 1e civ. 30-4-2025 no 22-20.929 F-D, X c/ Fonds commun de titrisation Absus)

Une donation peut ainsi être remise en cause (par exemple, Cass. com. 1-7-2020 no 18-12.683 F-D : RJDA 10/20 no 533 ; Cass. com. 10-5-2024 no 22-15.257 F-D : BRDA 12/24 inf. 13), y compris lorsqu’elle a été consentie en vue de porter préjudice à un créancier futur (Cass. com. 23-10-2007 no 06-16.344 F-D : RJDA 2/08 no 190, cas d’un donateur ayant organisé la fraude à l’avance en vue de faire échec à des poursuites qu’il savait possibles). Le créancier n’est pas tenu de prouver la complicité du donataire (Cass. 1e civ. 15-5-2015 no 14-16.652 F-D : RJDA 8-9/15 no 601).

En principe, les dividendes sont les fruits des droits sociaux (Cass. com. 5-10-1999 no 97-17.377 P : RJDA 1/00 no 34 ; Cass. com. 10-2-2009 no 07-21.806 FS-PB : RJDA 5/09 no 433) et ils appartiennent à l’usufruitier (C. civ. art. 582 et 587) sauf exceptions (Cass. com. 27-5-2015 no 14-16.246 FS-PBRI : RJDA 8-9/15 no 564 pour la distribution de réserves ; Cass. 3e civ. 19-9-2024 no 22-18.687 FS-B : BRDA 19/24 inf. 1 pour la distribution du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI). Il résulte de l’arrêt commenté que l’absence de distribution de dividendes ne fait pas obstacle à l’action paulienne contre une donation d’usufruit sur des droits sociaux dès lors qu’une telle distribution demeure possible.

Alors qu’elle a déjà été condamnée en qualité de caution à payer une banque, une personne fait donation à ses enfants de l’usufruit des parts qu’elle détient dans deux sociétés civiles immobilières (SCI). La banque demande que la donation lui soit déclarée inopposable pour fraude paulienne. Le donateur conteste : la donation ne l’a pas appauvri, puisque l’usufruit est sans valeur compte tenu du passif des SCI et de l’absence de dividendes distribués, les usufruitiers n’ayant droit qu’à ceux-ci. Jugé au contraire que la valeur positive de l’usufruit des parts sociales et, partant, l’appauvrissement du donateur étaient caractérisés : les SCI avaient réalisé des bénéfices sociaux au cours des exercices antérieurs à l’acte de donation et, en dépit de leur passif respectif, elles disposaient d’un patrimoine immobilier non négligeable à l’époque de la donation. Une distribution de dividendes futurs étant ainsi possible, il en résultait que le fait que les SCI n’en aient pas effectivement distribué était sans incidence sur la valeur du droit à les percevoir et que les parts sociales avaient une valeur qui ne pouvait pas être nulle. (Cass. 1e civ. 30-4-2025 no 22-20.929 F-D, X c/ Fonds commun de titrisation Absus)

Conditions relatives aux personnes

Conditions tenant au tiers poursuivi (l’acquéreur)

L’action paulienne est dirigée non pas contre le débiteur auteur de la fraude, mais contre le tiers qui a bénéficié de l’acte frauduleux et qui jouit des droits relatifs au bien litigieux. Il en résulte que le fait de ne pas mettre en cause le tiers constitue une fin de non-recevoir susceptible d’être soulevée en tout état de cause (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n° 89-14.948). Ce tiers sera en général le cocontractant du débiteur, mais on ne peut exclure que le bien aliéné se trouve entre les mains d’un sous-acquéreur. Seront donc étudiées la situation du cocontractant du débiteur, puis celle du sous-acquéreur.

Situation du cocontractant du débiteur
Actes à titre onéreux : exigence de la mauvaise foi du tiers

Cette condition est explicitement posée par l’article 1341-2 du code civil.

L’action paulienne ne peut aboutir que si le demandeur parvient à démontrer que le défendeur s’est rendu complice de la fraude, ce qui revient à dire qu’il a été de mauvaise foi (Cass. req., 22 août 1882 : DP 1883, 1, p. 296Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n° 81-11.426 Cass. 1re civ., 27 juin 1984, n° 83-12.749).

Si le tiers ignorait que l’acte aggravait ou créait l’insolvabilité du débiteur, aucun reproche ne pourra lui être adressé, et l’acte qu’il a passé conservera toute son efficacité. Les intérêts du tiers contractant l’emporteront toujours sur ceux du créancier dès lors qu’il sera de bonne foi. Il serait en effet dangereux pour la sécurité des transactions de pénaliser le tiers qui n’aurait rien à se reprocher.

Par ailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que le tiers contractant devra, si l’action réussit, rendre ce qu’il a reçu, sans pouvoir répéter la valeur qu’il a fournie au débiteur, par hypothèse insolvable.

La question se pose alors de savoir quelle est l’intensité de l’exigence de complicité qui est exigée par les tribunaux. Il convient de considérer que la définition de la complicité répond aux mêmes critères que celle de la fraude elle-même. Admettre le contraire serait inconvenant. Il peut ainsi exister un complot ou un concert frauduleux entre le débiteur et son cocontractant, comme en attestent certains exemples tirés de la jurisprudence [(Cass. 1re civ., 7 oct. 1980, n° 79-12.462 Cass. 3e civ., 15 nov. 1977, n° 76-11.202), à propos de la constitution d’une hypothèque]. Mais, en tout état de cause, la seule connaissance par le tiers du préjudice causé au créancier par l’acte auquel il souscrit doit être jugée suffisante (Cass. civ., 30 janv. 1900 : DP 1900, 1, p. 166Cass. 1re civ., 29 mai 1985, n° 83-17.329).

Ainsi, a été considéré comme complice de la fraude du débiteur son beau-frère au courant de ses difficultés financières (Cass. 3e civ., 23 avr. 1971, n° 70-10.951).

Mais il ne suffit pas en principe que le tiers ait connaissance de l’existence de dettes pesant sur son cocontractant, dès lors qu’il ignore tout du montant de ces dettes et des difficultés relatives à leurs règlements. Il a été jugé que n’est pas complice d’une fraude le tiers qui obtient la constitution d’une sûreté à son profit, hypothèque ou nantissement, en sachant que ce faisant, il contribuait à créer à son profit une situation privilégiée (CA Dijon, 19 déc. 1897 : DP 1900, 1, p. 166). Il l’est, en revanche, s’il a conscience de s’associer à un acte qui accroît l’insolvabilité du débiteur ou qui réduit les chances des créanciers de celui-ci d’obtenir satisfaction (Cass. 3e civ., 15 nov. 1977, n° 76-11.202). On ne saurait occulter le fait que la ligne de démarcation entre ces deux situations peut être très ténue.

La preuve de cette complicité, comme celle de la fraude du débiteur, peut être faite par tous moyens, qui sont souverainement appréciés par les juges du fond (Cass. 1re civ., 16 mai 1979, n° 78-10.585).

Les tribunaux peuvent ainsi prendre en considération :

  1. les liens de parenté ou d’amitié,
  2. la faiblesse du prix
  3. ou l’inexécution de l’acte.

Actes à titre gratuit : indifférence à la mauvaise foi du tiers

L’exigence de la mauvaise foi du tiers bénéficiaire d’un acte à titre gratuit n’est pas une condition de l’exercice de l’action paulienne (Cass. com., 24 janv. 2006, n° 02-15.295 Cass. 1re civ., 23 avr. 1981, n° 80-10.873 Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-11.124, n° 927 P). Cette solution est, depuis le 1er octobre 2016, implicitement consacrée par l’article 1341-2 du code civil, tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, qui exige la fraude uniquement pour les actes à titre onéreux. La fraude est seulement nécessaire dans ce cas dans la personne du donateur. La solution se justifie par l’idée que si la remise en cause de la libéralité prive le bénéficiaire d’un gain qu’il pouvait croire définitivement acquis, il ne subit pas à proprement parler une perte, à la différence du créancier agissant. Les acquéreurs à titre gratuit n’ont en effet fourni aucune contrepartie, contrairement à ceux qui ont traité à titre onéreux. Ils manquent simplement l’occasion de s’enrichir.

La Cour souligne que la donation, acte à titre gratuit, n’impose pas au créancier de prouver la fraude des bénéficiaires (Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-15.257, X c/ Administration des douanes et droits indirects).

Cas des obligations naturelles

Comme on le voit, la dualité des solutions retenues est le fruit d’un compromis. On s’était demandé comment il convenait de raisonner à propos de la constitution de dot, c’est-à-dire s’il fallait raisonner comme pour les actes à titre onéreux ou à titre gratuit. La jurisprudence traitait traditionnellement cette institution comme un acte à titre onéreux (Cass. civ., 18 janv. 1887 : S. 1887, 1, p. 97, note Labbé). Mais en raison de sa disparition, la question est aujourd’hui sans intérêt. En revanche un débat du même type persiste à propos de l’exécution des obligations naturelles. Il ne semble pas que la Cour de cassation se soit déjà penchée sur cette difficulté. La tendance dominante dans la doctrine est plutôt de considérer qu’il s’agirait d’une libéralité, ce qui rendrait l’acte plus aisément attaquable (C. Colombet, De la règle que l’action paulienne n’est pas reçue contre les paiements, RTD civ. 1965, p. 5, spéc. p. 15 et s.).

Charge de la preuve de l’insolvabilité ou de la solvabilité du débiteur

La Cour de cassation fait application constante de ces principes, y compris en ce qui concerne la charge de la preuve (Cass. 1re civ., 5 juill. 2005, n° 02-18.722 ; Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 12-11.788 ; Cass. 3e civ., 9 févr. 2010, n° 09-10.639).
En principe, il incombe au créancier exerçant l’action paulienne d’établir l’insolvabilité apparente du débiteur. Toutefois, il appartient au débiteur de démontrer qu’il dispose encore de biens de valeur suffisante pour répondre de son engagement.

Dans une espèce récente, l’insolvabilité apparente du débiteur résultait des éléments suivants : la créance de l’administration des douanes était déjà fondée en son principe à la date de la donation-partage, la condamnation pénale du débiteur ayant été confirmée une première fois par la cour d’appel ; la dette était importante ; l’acte de donation, portant sur une somme de 1 260 000 €, intervenu trois mois après l’arrêt d’appel, avait nécessairement appauvri le débiteur en soustrayant des éléments de son patrimoine et visait à porter atteinte aux droits de l’administration.

Enfin, la chambre commerciale a récemment confirmé que le succès de l’action paulienne n’est pas subordonné à la preuve de l’insolvabilité du débiteur lorsque le préjudice du créancier résulte du caractère frauduleux de l’opération, peu important que la cession ait été faite à un prix normal (Cass. com., 29 janv. 2025, n° 23-20.836).

Action paulienne et procédure collective

Un créancier peut-il agir individuellement pour fraude paulienne contre un débiteur en liquidation judiciaire ?

Potentiellement non. La Cour de cassation a en effet jugé que le liquidateur judiciaire, représentant l’intérêt collectif des créanciers (domaine dans lequel il a un monopole), a qualité pour exercer l’action paulienne contre un acte frauduleux ayant pour effet de soustraire un bien du gage commun des créanciers, y compris lorsque la répartition des dividendes profite exclusivement à certains d’entre eux (Cass. com. 8-3-2023 no 21-18.829 F-B : BRDA 8/23 inf. 7).

La simulation et son action en déclaration

La condition de la créance et sa certitude

Pour qu’un créancier puisse exercer l’action paulienne, il doit justifier d’une créance certaine au moins dans son principe. Cette exigence doit être remplie tant à la date de l’acte argué de fraude qu’au moment où le juge statue, sous peine d’irrecevabilité de l’action (C. civ., art. 1341-2, ex-art. 1167).

La Cour de cassation a confirmé cette règle dans une affaire récente : des acquéreurs avaient découvert des désordres graves après l’achat d’une maison et avaient assigné le vendeur en indemnisation. Alors que leur action en responsabilité était en cours, ils ont introduit parallèlement une action paulienne afin de faire déclarer inopposables à leur égard la cession de parts sociales et la donation d’un appartement réalisées par les vendeurs au profit de leurs filles. Les vendeurs soutenaient que la créance n’était pas certaine au moment de cette demande.

La Cour de cassation a écarté cet argument en jugeant que l’action paulienne était recevable, car les acheteurs justifiaient d’un principe certain de créance aussi bien à la date des actes argués de fraude qu’au jour où la cour d’appel statuait. En effet, un expert avait constaté des infiltrations rendant la maison inhabitable ou insalubre, et le juge de la mise en état avait retenu la responsabilité de plein droit des vendeurs en leur qualité de constructeurs, condamnant ceux-ci au paiement de provisions (Cass. 3e civ., 26-6-2025, n° 23-21.775 FS-B).

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante : il n’est pas nécessaire que la créance soit liquide ou exigible à la date de l’acte frauduleux, il suffit qu’elle soit certaine dans son principe (Cass. 1re civ., 19-11-2002, n° 00-12.424 ; Cass. 1re civ., 15-1-2015, n° 13-21.174). La Cour de cassation avait déjà précisé que, même au jour où le juge statue, le créancier n’a pas à justifier d’une créance certaine et liquide mais seulement d’un principe certain de créance (Cass. com., 24-3-2021, n° 19-20.033).

L’apport essentiel de la décision de 2025 tient à la qualification : le défaut de principe certain de créance au jour où le juge statue constitue non pas une question de bien-fondé mais une condition de recevabilité de l’action paulienne.

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