La prostitution est-elle légale en France ? (+ proxénétisme)

La question paraît simple. Elle ne l’est pas.

Une personne majeure peut se prostituer en France : c’est licite.
Mais la loi ne définit jamais ce qu’est la prostitution, alors même que tout ce qui l’entoure – client, intermédiaire, propriétaire, plateforme, chauffeur, “manager” – est l’un des domaines les plus réprimés du droit pénal.

Cette absence de définition légale crée un flou massif, surtout avec l’apparition de nouvelles pratiques :
• contenus sexuels payants,
• OnlyFans,
• caming,
• studios de créateurs,
• live-shows interactifs.

Beaucoup de personnes s’interrogent : est-ce de la prostitution ? Est-ce pénalement risqué ? Le proxénétisme peut-il être retenu ?

Pour répondre clairement, il faut partir d’un point fondamental : en droit français, il n’y a prostitution que s’il existe une relation sexuelle rémunérée impliquant un contact physique avec le client.
C’est le critère structurant.
Il sépare ce qui relève de la prostitution, de la pornographie, du divertissement érotique ou des plateformes de contenus.

Sans contact physique → pas de prostitution → donc pas de proxénétisme.

Ce cadre posé, on peut comprendre ce qui est réellement autorisé, ce qui ne l’est pas, et ce qui devient pénalement dangereux.

Table of Contents

Une activité licite pour la personne majeure

La prostitution volontaire d’un adulte n’est pas interdite.
Aucun texte ne sanctionne le fait, pour une personne majeure, de se prostituer elle-même.

Mais cette licéité n’est qu’une tolérance :
• l’activité n’a aucun statut juridique,
• elle ne peut pas être déclarée comme profession,
• elle n’offre aucune protection administrative ou sociale,
• des arrêtés municipaux peuvent en limiter l’exercice.

Le cœur du système répressif ne vise pas la personne prostituée, mais la demande et l’environnement.

Définition de la prostitution

La prositution est une activité qui consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui. (Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mai 2022, 21-82.283, Publié au bulletin)

Une activité non définie par la loi : ce sont les juges qui tracent la frontière

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la prostitution n’est pas définie par la loi française.
Le Code pénal évoque pourtant la « prostitution » à de nombreuses reprises — proxénétisme, recours à la prostitution, prostitution des mineurs, traite — mais sans jamais en donner la moindre définition.

Cette omission n’est pas accidentelle : elle découle du choix abolitionniste de la France. La personne prostituée n’étant pas pénalisée, le législateur n’a jamais jugé nécessaire de définir sa propre activité.

Résultat :
👉 c’est la jurisprudence qui a dû définir la prostitution.

La définition jurisprudentielle : rémunération + contact physique de nature sexuelle

La définition contemporaine repose sur deux éléments cumulatifs, imposés par la Cour de cassation depuis les années 1990 :

  1. Une rémunération
  2. Des contacts physiques de nature sexuelle destinés à satisfaire les besoins sexuels du client

La formule complète apparaît dans les arrêts de principe :

  • Cass. crim., 27 mars 1996, n° 95-82.016
  • Cass. crim., 23 juin 1999, n° 98-88.097
  • confirmés par Cass. crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283

Dans l’arrêt du 23 juin 1999, la Cour affirme :

« La prostitution consiste à se prêter, moyennant rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui. »
(Cass. crim., 23 juin 1999, n° 98-88.097)

« En l’absence de définition légale de la prostitution, dont la caractérisation conditionne l’incrimination de proxénétisme, et en présence de textes récents dont il résulte que le législateur n’a pas entendu étendre la définition jurisprudentielle de cette notion, arrêtée par la Cour de cassation en 1996, et selon laquelle cette activité consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui, il n’appartient pas au juge de modifier son appréciation dans un sens qui aurait pour effet d’élargir cette définition au-delà de ce que le législateur a expressément prévu. »

Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mai 2022, 21-82.283, Publié au bulletin : 

Ainsi, pour qu’il y ait prostitution :

✔ Il faut un contact physique

– un simple échange de messages obscènes, même tarifé, ne suffit pas (Cass. crim., 10 mars 1955, Bull. crim. n° 151)
– une exhibition, même sexuelle, ne suffit pas non plus (Civ., 19 mars 1912)

✔ Ce contact doit être sexuel dans sa nature ou sa finalité

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait pénétration.
Tout contact corporel accompli dans le but de satisfaire sexuellement un client suffit :
massages sexuels, attouchements, pratiques non pénétratives…
(T. corr. Thionville, 8 mars 1977 ; Cass. crim., 27 mars 1996)

✔ Et il faut une rémunération

Sans paiement → il n’y a pas prostitution (Cass. crim., 22 juill. 1959 ; Cass. crim., 9 oct. 1996).

🟦 Synthèse :
Prostitution = rémunération + contact physique de nature ou à finalité sexuelle.

Si l’un des deux éléments manque → la prostitution n’est pas constituée.

Ce qui n’est PAS de la prostitution : pornographie, strip-tease, caming… et OnlyFans

À partir de cette définition, la jurisprudence exclut un grand nombre d’activités sexuelles rémunérées qui ne comportent aucun contact physique :

Pornographie

Même explicite et très bien rémunérée :
→ le spectateur ne participe pas à l’acte → absence de contact corporel.

Strip-tease, effeuillage, spectacles érotiques

Déjà en 1952, les juges ont refusé de qualifier ces exhibitions de prostitution (Paris, 3 janv. 1952).

Caming / webcam sexuel

La Cour de cassation a formellement tranché dans un arrêt de principe :

🔹 Cass. crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283 (publié au Bulletin)

Elle juge que les performances sexuelles filmées en direct :

  • sont rémunérées
  • peuvent être réalisées sur instructions du client
  • sont sexuelles…

mais ne constituent pas de la prostitution, car sans contact physique avec le client.

La Cour précise que, même avec l’évolution numérique, le législateur n’a jamais voulu étendre la définition de la prostitution.

OnlyFans

OnlyFans suit exactement la même logique :
contenus sexuels rémunérés, interactions, demandes des abonnés…
mais pas de contact corporel.

🟦 Conclusion :
OnlyFans, pornographie et caming ne sont pas de la prostitution.
Pas de prostitution → pas de proxénétisme.

Ces activités peuvent tomber sous d’autres infractions (mineur, contrainte, diffusion illicite…), mais jamais du seul fait du contenu sexuel rémunéré.

Une définition ancienne, mais cohérente et toujours réaffirmée

La Cour avait jadis tenté une définition plus large (Civ., 19 mars 1912, “employer son corps à la satisfaction des plaisirs du public”), mais elle l’a abandonnée.

Depuis :

  • 1955 → nécessité d’un contact
  • 1959 → nécessité d’une rémunération
  • 1996 → définition stabilisée
  • 1999 → formule consacrée
  • 2022 → confirmation et refus de l’élargir

Dans l’arrêt du 18 mai 2022, la Cour de Cassation rappelle :

« Il n’appartient pas au juge d’élargir la définition au-delà de ce que le législateur a expressément prévu. »
(Cass. crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283)

La prostitution des mineurs : un régime totalement différent

Dès qu’un mineur apparaît dans le tableau, tout change.
Le droit français ne parle quasiment plus de “prostitution” du mineur : il parle de protection, de corruption, d’atteintes sexuelles, de pornographie impliquant des mineurs. Le mineur n’est jamais vu comme un “professionnel du sexe”, mais comme une victime.

Le mineur n’est jamais un “prostitué” en droit

Un mineur qui a des relations sexuelles contre de l’argent, un cadeau ou un avantage, ne sera jamais regardé comme une personne qui “exerce librement une activité de prostitution”.

En pratique :

  • il n’est pas poursuivi pour s’être “prostitué”,
  • il peut bénéficier de mesures d’assistance éducative,
  • l’objectif des institutions est de le protéger, pas de le sanctionner.

En revanche, les adultes qui gravitent autour de lui (clients, rabatteurs, “amis”, hébergeurs, organisateurs, gestionnaires de comptes sur les réseaux ou plateformes) s’exposent à des infractions graves : atteintes sexuelles, proxénétisme aggravé, corruption de mineur, infractions liées à la pornographie impliquant des mineurs, etc.

Interdiction absolue et réaction en chaîne : éducatif pour le mineur, pénal pour les adultes

La logique est la suivante :

  • le mineur est considéré comme vulnérable par principe,
  • même s’il “consent”, la loi considère que ce consentement est dépourvu de portée réelle,
  • tout adulte qui participe, organise, finance, filme, diffuse ou achète un acte sexuel impliquant un mineur s’expose à des poursuites pénales.

Ce n’est donc pas la “prostitution” du mineur qui est incriminée, mais :

  • l’adulte qui profite de sa sexualité,
  • l’adulte qui le met en contact avec d’autres,
  • l’adulte qui organise l’environnement (hébergement, tournage, diffusion, mise en relation…).

C’est très important dans les dossiers où un mineur apparaît dans des contenus sexuels payants, y compris en ligne, y compris sur des plateformes type OnlyFans ou assimilées : on change complètement de registre juridique.

Les infractions spécifiques : corruption, exposition à la sexualité, diffusion d’images

Lorsque le mineur est exposé à une sexualité adulte, plusieurs infractions peuvent se cumuler ou se croiser, sans qu’il soit nécessaire de passer par la qualification de prostitution :

  • corruption ou perversion de mineur, lorsqu’un adulte organise ou met en scène la confrontation du mineur à des pratiques ou contenus sexuels dans l’intention de le pervertir ;
  • infractions liées aux images et vidéos à caractère pornographique impliquant un mineur, que ces images soient diffusées, partagées, ou simplement demandées à distance ;
  • atteintes sexuelles ou agressions sexuelles, dès qu’il y a contact physique.

Dans ce cadre, la notion de “prostitution” devient presque secondaire : la seule présence du mineur suffit à faire basculer l’affaire dans un régime de protection pénale maximale.

En pratique, cela signifie que :

  • un adulte qui paie pour un acte sexuel avec un mineur commet une infraction, quel que soit le vocabulaire employé (“escort”, “plan”, “service”…),
  • un adulte qui paie un mineur pour se filmer ou s’exhiber sexuellement est également sur un terrain pénal très lourd, sans qu’on ait besoin de discuter de “prostitution” au sens strict.

Le client : une infraction autonome depuis 2016

Pendant longtemps, le droit français n’a pas ciblé le client. L’axe de répression portait surtout sur les réseaux et les proxénètes.
Depuis 2016, la logique est assumée : rendre l’achat d’un acte sexuel lui-même répréhensible.

L’interdiction d’acheter un acte sexuel

La loi interdit désormais, pour un majeur, le fait de :

  • solliciter,
  • accepter,
  • ou obtenir une relation de nature sexuelle

d’une personne qui se livre à la prostitution, en échange d’une rémunération ou d’un avantage.

On ne sanctionne donc plus uniquement ceux qui “exploitaient” la prostitution, mais aussi ceux qui alimentent la demande. Cette évolution place le client au cœur du dispositif répressif.

La situation type est la suivante :
un client prend contact avec une personne prostituée, négocie un prix, et achète un acte sexuel. Même si tout est “consenti”, même si la personne prostituée est majeure, il commet une infraction autonome.

Les sanctions encourues

Le client encourt une amende et peut se voir imposer un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.
Les choses se aggravent :

  • si la personne prostituée est mineure,
  • si elle est particulièrement vulnérable,
  • ou si d’autres circonstances aggravantes sont réunies.

Les dossiers se construisent à partir de :

  • contrôles sur la voie publique,
  • surveillances et filatures,
  • rendez-vous dans des hôtels,
  • exploitation d’annonces en ligne et de messages,
  • auditions croisées des clients et personnes prostituées.

En pratique, beaucoup de clients découvrent à cette occasion que “payer une escort” n’a rien d’anodin pénalement, même s’ils pensaient simplement “acheter une prestation”.

La validation par la Cour européenne des droits de l’homme en 2024

La pénalisation des clients a été contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Les requérants soutenaient que cette loi portait atteinte à leur vie privée, à leur autonomie sexuelle, et mettait en danger les personnes prostituées en les poussant vers la clandestinité.

La Cour a pourtant validé le dispositif français (CEDH, 25 juill. 2024, n° 63664/19, 64450/19, 24387/20, 24391/20, 24393/20, M.A. et autres c/ France) :

  • elle a considéré que la France disposait d’une marge d’appréciation importante en matière de politique pénale et de protection des personnes prostituées ;
  • elle a jugé que la pénalisation de l’achat d’actes sexuels ne violait pas le droit au respect de la vie privée ;
  • elle a même reconnu que les personnes prostituées pouvaient se plaindre des effets de la loi, tout en confirmant sa validité.

Concrètement, cela signifie que le cadre juridique actuel – prostitution licite pour le majeur, mais achat de l’acte sexuel pénalement sanctionné – est solidement installé et conforme à la Convention européenne des droits de l’homme.

Le proxénétisme : la vraie limite juridique

C’est ici que les choses deviennent les plus techniques… et les plus dangereuses pour les tiers.
L’infraction de proxénétisme est au cœur du dispositif. Elle ne vise ni la personne prostituée, ni le simple principe de prostitution, mais tous ceux qui profitent, aident, organisent ou facilitent la prostitution d’autrui.

Une infraction qui suppose d’abord… de la prostitution

Premier point capital : le proxénétisme est une infraction “de conséquence” :
il n’existe que s’il y a, en amont, des actes de prostitution au sens juridique.

Autrement dit :

  • s’il n’y a pas de prostitution au sens “relation sexuelle rémunérée avec contact physique”,
  • il ne peut pas y avoir, en principe, de proxénétisme.

C’est précisément pour cette raison que la distinction entre prostitution et pornographie, entre prostitution et caming, ou entre prostitution et OnlyFans n’est pas qu’un débat de vocabulaire : elle a des conséquences directes sur la qualification de proxénétisme.

Dès que l’on reconnaît des actes comme relevant de la prostitution, tous ceux qui gravitent autour peuvent être exposés à des poursuites.

Les grandes formes de proxénétisme à connaître

Le droit pénal regroupe sous le terme “proxénétisme” des comportements très variés.
En simplifiant, on peut distinguer plusieurs figures typiques.

Tirer profit de la prostitution d’autrui

C’est l’image classique du proxénète : quelqu’un qui vit, en tout ou partie, de l’argent issu de la prostitution d’une autre personne.

Mais cette définition est plus large qu’on ne le croit :

  • le concubin ou le conjoint qui est entièrement entretenu par les revenus de la prostitution,
  • la personne qui, sans travailler, profite régulièrement des gains,
  • celui qui organise le partage des sommes encaissées.

Il n’est pas nécessaire de diriger un “réseau” : un partage régulier des revenus peut suffire à faire entrer le comportement dans le champ de la loi.

Mettre en relation : l’intermédiaire, discret ou assumé

Le proxénétisme, c’est aussi l’entremise :
faciliter la mise en contact entre un client et une personne prostituée.

Cela peut viser :

  • l’ami ou la connaissance qui organise régulièrement les rencontres,
  • le “manager” qui gère les rendez-vous,
  • certaines plateformes ou intermédiaires physiques qui organisent la clientèle.

Là encore, il n’est pas nécessaire de percevoir des sommes considérables : l’important est d’avoir joué un rôle actif et conscient dans l’organisation des rencontres.

Aider ou assister l’activité prostitutionnelle

On parle ici de tous ceux qui apportent une aide matérielle ou logistique :

  • mise à disposition de moyens de transport,
  • organisation des déplacements,
  • financement ciblé de l’activité,
  • fourniture de matériels, de locaux, d’outils de communication, en sachant à quoi ils servent.

Dans les dossiers, le débat se focalise souvent sur l’intention :
la personne savait-elle que cette aide servait à faciliter une activité de prostitution ?

Mettre des lieux à disposition : appartement, hôtel, studio

Enfin, une grande partie du contentieux concerne la mise à disposition de locaux :

  • appartement loué en sachant qu’il sert à la prostitution,
  • chambre régulièrement utilisée dans un hôtel,
  • studio ou “love room” lorsque la finalité prostitutionnelle est connue et tolérée.

Le propriétaire, le gérant ou l’hôtelier peuvent être poursuivis dès lors qu’ils ont connaissance de l’usage réel du lieu et qu’ils en tirent profit.

C’est l’un des terrains les plus sensibles en pratique, car le simple fait de “fermer les yeux” peut suffire à caractériser l’élément intentionnel.

Les aggravations : mineur, vulnérabilité, bande organisée

Le proxénétisme est déjà une infraction sévèrement punie dans sa forme “simple”.
Mais certaines circonstances font basculer le comportement dans un régime beaucoup plus lourd, parfois criminel.

Les principales aggravations sont les suivantes :

  • l’implication d’un mineur, même sans contact physique direct avec l’auteur ;
  • la vulnérabilité de la personne prostituée (maladie, handicap, précarité extrême, dépendance, déficience psychique, etc.) ;
  • l’autorité exercée par le proxénète sur la victime (ascendant, conjoint, compagnon, parent) ;
  • la bande organisée, qui fait passer l’infraction du délit au crime ;
  • et, au sommet, les actes de torture ou de barbarie, qui relèvent d’un traitement criminel particulièrement sévère.

Dans les dossiers impliquant des mineurs, l’infraction est presque automatique : dès que l’adulte organise, facilite, planifie ou tolère l’activité, la qualification de proxénétisme aggravé s’applique.

Les peines principales et complémentaires

Le proxénétisme simple est puni de 7 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Mais dans les formes aggravées, les peines montent très vite :

  • jusqu’à 10 ans pour la plupart des aggravations ;
  • 20 ans en bande organisée ;
  • 30 ans lorsqu’il y a actes de torture ou de barbarie.

À ces peines principales s’ajoutent souvent :

  • interdiction d’exercer certaines activités,
  • interdiction de gérer une entreprise,
  • fermeture d’établissement,
  • confiscation de biens,
  • peines complémentaires applicables aux personnes morales.

Ces sanctions montrent à quel point l’infraction est centrale dans la politique pénale française : on ne touche pas à la prostitution, mais on frappe toutes les personnes qui graviteront autour.

Le proxénétisme hôtelier et la responsabilité des propriétaires, gérants et hébergeurs (article 225-10 du Code pénal)

C’est l’un des terrains les plus mal compris du proxénétisme : le risque pénal pesant sur les propriétaires, gérants d’hôtels, exploitants de locations touristiques, et plus largement toute personne mettant à disposition un lieu où s’exerce la prostitution.

Beaucoup imaginent qu’il faut avoir “organisé” l’activité pour tomber sous le coup de la loi. C’est faux. Le Code pénal a créé un régime autonome, particulièrement large, qui vise tous ceux qui hébergent, sciemment ou non, une activité prostitutionnelle.

La règle : la « tolérance » suffit pour constituer l’infraction

L’article 225-10 du Code pénal réprime le fait :

– de tenir un établissement de prostitution ;
– ou de tolérer qu’une personne s’y livre habituellement à la prostitution.

La notion de “tolérance” est volontairement basse :
il n’est pas nécessaire d’aider, d’organiser, de négocier, ni même de tirer directement profit des passes.

Il suffit que l’exploitant sache que le lieu sert régulièrement à la prostitution et qu’il laisse faire.

En pratique, cela vise :

– les hôtels utilisés de manière répétée pour des rendez-vous tarifés ;
– les appartements ou studios “dédiés” à des personnes prostituées ;
– les locations Airbnb ou meublés de courte durée où l’activité devient régulière ;
– les gîtes, résidences touristiques, chambres meublées, etc.

Ce que sanctionne la loi, ce n’est pas la gestion d’un réseau : c’est le fait d’offrir un lieu stable et tolérer l’activité.

Les peines sont très lourdes : 10 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende, assorties de peines complémentaires (fermeture, confiscation, interdiction professionnelle…).

Quand la “tolérance” devient participation : le proxénétisme hôtelier « actif »

Dès lors que le propriétaire ou l’exploitant fait plus que laisser faire – par exemple :

– attribuer certaines chambres aux clients identifiés ;
– organiser la rotation des passages ;
– filtrer les entrées ;
– fournir un système logistique (ménage entre deux clients, gestion horaire, surveillance) ;
– protéger la prostituée ou intervenir dans la tarification ;

il change de catégorie.

Il n’est plus dans l’article 225-10 :
il bascule dans le proxénétisme de droit commun (article 225-5 et suivants), avec des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans ou 30 ans si une circonstance aggravante est constituée (mineur, contrainte, bande organisée…).

Les propriétaires et hébergeurs : une responsabilité souvent sous-estimée

En pratique, de nombreux bailleurs tombent dans l’infraction simplement parce qu’ils ont fermé les yeux trop longtemps, sans imaginer qu’ils pouvaient être poursuivis.
La jurisprudence retient la tolérance dès lors que :

– les allées et venues étaient manifestes ;
– des voisins s’en sont plaints ;
– le gestionnaire a été alerté mais n’a rien fait ;
– ou que l’activité était exclusivement exercée dans le logement.

Autrement dit : l’inaction devient une participation punissable.

La prostitution itinérante et les locations de courte durée

Les réseaux actuels utilisent massivement :

– des appart-hôtels ;
– des locations touristiques ;
– des logements pris “à la semaine” ;
– des Airbnb utilisés “à l’heure”.

La loi ne distingue pas : si le lieu est mis à disposition avec connaissance de son usage réel, l’article 225-10 s’applique.
Le bailleur ne peut pas se retrancher derrière la brièveté de la location ou l’absence d’activité commerciale. La qualification pénale reste identique.

Conséquence : un risque pénal objectif et sévère

Le proxénétisme hôtelier constitue aujourd’hui l’un des fondements les plus utilisés dans les dossiers liés à la prostitution d’escorting, à la prostitution itinérante et aux réseaux locaux.

Ce mécanisme permet de sanctionner :

– ceux qui facilitent matériellement le système ;
– ceux qui ferment les yeux ;
– ceux qui refusent d’agir malgré les signaux évidents.

Aucune participation active n’est nécessaire : la seule tolérance, en connaissance de cause, suffit.

Responsabilité des plateformes et des sites d’annonces

Les plateformes d’annonces ou les sites qui hébergent des contenus susceptibles de relever de la prostitution ou du proxénétisme bénéficient du régime allégé de responsabilité des hébergeurs prévu par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Tant qu’ils se bornent à stocker des contenus pour le compte d’utilisateurs, sans jouer de rôle actif dans leur élaboration, ils ne sont pas réputés “éditer” ces contenus. En revanche, dès lors qu’ils :
– ont connaissance de la présence de contenus manifestement illicites (annonces de prostitution explicites, proxénétisme aggravé impliquant des mineurs, etc.),
– et s’abstiennent de les retirer ou de les signaler,
ils s’exposent à un basculement de statut : d’hébergeurs techniques, ils peuvent devenir facilitateurs du système prostitutionnel, voire complices ou coauteurs de proxénétisme si l’on démontre qu’ils tirent directement profit de ces annonces.

Plusieurs affaires ont illustré cette tension, notamment lorsque des sites d’annonces payantes ont été suspectés de structurer une part significative de la prostitution en France. Dans ces dossiers, la ligne de partage entre simple hébergement et implication active dans la mise en relation prostitutionnelle est au cœur du débat pénal.

Prostitution, contrat et indisponibilité du corps humain

D’un point de vue strictement civiliste, la prostitution ne se réduit pas à une simple “prestation de service” comme une autre. Ce que certains auteurs appellent le “contrat prostitutionnel” ou le “contrat de proxénétisme” consiste en réalité à mettre le corps de la personne à la disposition du client, ou du proxénète, en vue d’une pratique sexuelle déterminée.

Dans le contrat de prostitution, le client verse une rémunération en échange de l’usage temporaire du corps de la personne prostituée, spécialement de ses organes sexuels. Dans le contrat de proxénétisme, la mise à disposition s’opère au profit d’un tiers (souteneur, “employeur”, agence), qui organise l’exploitation du corps d’autrui dans un but lucratif.

Or le droit positif français reste structuré par deux lignes de force :
– le principe d’indisponibilité du corps humain et de ses éléments ;
– et la place de la dignité de la personne humaine comme composante de l’ordre public.

Le Conseil d’État l’a rappelé de manière emblématique dans l’arrêt “Commune de Morsang-sur-Orge”, en jugeant qu’une activité librement consentie (le lancer de nain) pouvait être interdite au nom de la dignité, composante de l’ordre public, alors même que l’intéressé tirait ses revenus de cette activité (CE, 27 oct. 1995, n° 143578).

Transposé à la prostitution, le raisonnement est clair : le consentement de la personne ne suffit pas, à lui seul, à rendre licite un mécanisme de marchandisation du corps, en particulier lorsqu’il consiste à aliéner temporairement l’usage de ses organes sexuels. Le choix du législateur français de ne pas pénaliser l’auto-prostitution du majeur ne signifie pas que l’activité est “neutre” en termes de dignité ; il explique en revanche pourquoi tout l’environnement pénal (client, proxénète, tiers) a été construit comme un système de protection contre cette exploitation.

Le critère décisif : sans contact physique, il n’y a pas de prostitution… donc pas de proxénétisme

Toute la matière pénale tourne autour d’une idée simple mais déterminante :
il n’y a prostitution que s’il existe une relation sexuelle impliquant un contact physique avec le client.

Ce critère, posé depuis longtemps par la jurisprudence, est celui qui :

  • distingue prostitution et pornographie,
  • distingue prostitution et caming,
  • distingue prostitution et OnlyFans,
  • et conditionne l’application du proxénétisme.

L’arrêt caming (Crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283)

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a rappelé ce principe avec force.
Des performeuses sexuelles filmaient leurs actes en direct pour des clients payants.
La partie civile voulait faire reconnaître ces actes comme de la prostitution.

La Cour a refusé catégoriquement : sans contact physique avec le client, il n’y a pas d’acte prostitutionnel.

Ce raisonnement vaut pour toutes les activités numériques actuelles :

  • lives érotiques,
  • shows webcam,
  • services payants de contenus sexuels,
  • plateformes type OnlyFans,
  • interactions personnalisées avec rémunération.

Ce n’est pas de la prostitution.
Et donc, ce n’est pas du proxénétisme.

Conséquences pour les plateformes, studios et partenaires

Cette distinction est fondamentale pour les créateurs de contenus, mais aussi pour les sociétés qui :

  • hébergent,
  • gèrent,
  • promeuvent,
  • accompagnent,
  • financent,
  • ou organisent des activités de contenus sexuels payants.

En l’absence de contact physique entre le créateur et le client, il n’y a pas prostitution.
L’activité se situe dans un autre champ juridique (droit de la communication, droit de la consommation, règles sur la pornographie, droit du travail, droit fiscal…).

Des infractions peuvent apparaître dans ces domaines (mineur, diffusion illicite, absence d’avertissement, fraude, contrefaçon d’identité, absence de déclaration fiscale…), mais pas du seul fait de la dimension sexuelle rémunérée.

Conclusion

La prostitution d’un majeur est licite en France, mais tout l’environnement est strictement réprimé :

  • le client commet une infraction,
  • le proxénétisme vise tout tiers qui profite, aide ou organise,
  • les mineurs déclenchent un régime pénal totalement distinct et beaucoup plus sévère.

La clé de voûte du système reste la définition jurisprudentielle :
prostitution = relation sexuelle rémunérée + contact physique.

C’est elle qui permet de distinguer clairement :

  • prostitution,
  • pornographie,
  • caming,
  • OnlyFans,
  • spectacles érotiques,
  • divertissement sexuel en ligne.

Cette frontière, simple en apparence, emporte des conséquences pénales majeures. Elle conditionne non seulement la légalité de l’acte en lui-même, mais surtout la responsabilité pénale de tous ceux qui gravitent autour.

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