Indivision de droits sociaux (actions et parts sociales)

L’indivision de droits sociaux constitue une situation fréquente, notamment lors d’une transmission successorale ou à la suite de la dissolution d’un régime matrimonial ou d’un pacte civil de solidarité. Elle présente une complexité particulière puisqu’elle impose d’articuler les règles propres au droit des sociétés avec celles de l’indivision. Le principe d’indivisibilité des droits sociaux contribue à assurer cette cohérence, tandis que la pluralité d’indivisaires a conduit le législateur à organiser leur représentation.

Prérogatives de chaque indivisaire

Chaque titre indivis confère à l’ensemble des indivisaires la qualité d’associé (Cass. 1re civ., 6 févr. 1980, n° 78-12.513 ; Cass. com., 7 juill. 2020, n° 18-19.330). Toutefois, la loi impose la désignation d’un mandataire chargé de les représenter. Ce mécanisme de représentation ne fait pas obstacle à un exercice individualisé de certaines prérogatives attachées aux droits sociaux, le principe d’indivisibilité ne jouant qu’à l’égard des rapports entre les associés et la société.

En d’autres termes, si chaque indivisaire a bien la qualité d’associé, il ne peut exercer ses droits qu’en conformité avec le régime de l’indivision, sauf disposition spécifique contraire. L’action commune des indivisaires, par l’intermédiaire d’un représentant unique, n’est requise que pour l’exercice du droit de vote (C. com., art. L. 225-110 ; C. civ., art. 1844, al. 2).

En dehors de ce cas, chaque indivisaire peut agir individuellement, et notamment :

  • demander la désignation d’un administrateur judiciaire (Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 17-26.695) ;
  • solliciter la nomination d’un expert de gestion (Cass. com., 4 déc. 2007, n° 05-19.643) ;
  • obtenir la communication et la consultation des documents sociaux (pour les actions, C. com., art. L. 225-118 ; pour les parts sociales, Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 18-17.662 ; CA Paris, 7 janv. 2009, n° 08/14713) ;
  • participer aux assemblées, indépendamment de l’existence d’un mandataire commun (Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10.151) ;
  • engager une action en responsabilité contre le dirigeant (Cass. crim., 4 nov. 2009, n° 09-80.818).

Désignation du mandataire commun aux indivisaires

Principe général : la nécessité d’un mandataire commun

En cas d’indivision (qu’elle soit de droit commun, successorale, matrimoniale ou autre) portant sur des parts sociales ou sur des actions de société, les copropriétaires/coindivisaires ne peuvent pas exercer individuellement le droit de vote attaché aux parts ou aux actions : sauf clause contraire des statuts, ils doivent se faire représenter par un mandataire unique, choisi parmi eux ou en dehors d’eux, chargé de voter en leur nom (C. civ. art. 1844, al. 2).

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la désignation du représentant, celui-ci est nommé par le président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire à la demande du copropriétaire le plus diligent.

Pour permettre l’exercice effectif du droit de vote attaché à des titres indivis, il est nécessaire de désigner un représentant. Sa désignation est impérative. Chaque indivisaire peut assister à l’assemblée, mais ne pourra pas voter (Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10.151).
De même, chacun bénéficie d’un droit à une information individualisée et peut exercer une action conservatoire pour sauvegarder son titre (Cass. com., 7 juill. 2020, n° 18-19.330).

L’article 1844 du Code civil

L’article 1844, alinéa 4, du Code civil prévoit que les parts sociales indivises doivent être représentées par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux, sauf clause contraire des statuts.
En cas de désaccord, le mandataire est désigné en justice (Cass. 1re civ., 15 déc. 2010, n° 09-10.140).
Une disposition identique figure à l’article L. 225-110 du Code de commerce pour les sociétés par actions. Lorsque l’action est indivise, les indivisaires doivent également s’entendre sur la perception du dividende.

Désignation amiable

Lorsque les indivisaires confient à l’un d’eux un mandat général d’administration (C. civ., art. 815-3), ce mandat ne suffit pas, en principe, pour représenter les indivisaires en assemblée. Pour éviter toute contestation, il est recommandé de désigner un mandataire spécifique conformément à l’article 1844 du Code civil ou de donner au mandataire général un mandat spécial pour l’exercice des droits sociaux.

Lorsque la décision excède l’administration normale (ex. : augmentation de capital), les indivisaires doivent, à l’unanimité, désigner un mandataire spécial pour l’assemblée.

Le représentant ne peut en principe réaliser que des actes d’administration. La qualification dépend de l’ordre du jour : certaines résolutions relèvent des actes de disposition (Cass. com., 16 nov. 2004, n° 01-10.666).

Un décret du 22 décembre 2008 (n° 2008-1484) précise qu’est considéré comme un acte d’administration l’exercice du droit de vote en assemblée, sauf dispositions particulières.

Désignation judiciaire

Quel juge saisir ?

Le représentant des indivisaires de droits sociaux est désigné par le président statuant en référé pour toutes les sociétés quel que soit leur type.

Autrement dit, le président du tribunal statue en référé et non en la forme des référés ni en procédure accélérée au fond.

Si l’article R 225-87 du Code de commerce prévoit expressément pour les sociétés anonymes (et, sur renvoi de l’article L 226-1, al. 2, pour les sociétés en commandite par actions) que le mandataire chargé de représenter les copropriétaires d’actions indivises est désigné par le président du tribunal statuant en référé, aucun texte ne le précise pour les sociétés civiles, les SARL, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les SAS.

La Cour de Cassation a unifié le régime pour les sociétés civiles et pour toutes les sociétés commerciales (Cass. com. 29-5-2024 n° 22-22.292 F-B)

À défaut d’accord entre indivisaires, le mandataire est désigné judiciairement, à la demande de l’indivisaire le plus diligent (Cass. 1re civ., 25 mai 1992, n° 90-14.020).

La demande relève :

  • du président du tribunal de commerce pour les sociétés commerciales,
  • du président du tribunal judiciaire dans les autres cas (Décret n° 78-4 du 3 juill. 1978, art. 17).

Qui doit présenter la demande ?

La société n’a pas qualité pour présenter la demande (Cass. com., 15 nov. 1976, n° 75-13.730). Elle doit émaner des indivisaires ou, à défaut, d’un créancier par voie oblique.

Si un administrateur provisoire a été désigné (C. civ., art. 815-6), il a vocation à représenter les indivisaires pour l’exercice des droits attachés aux parts ou actions (Cass. com., 15 févr. 1983, n° 82-10.782).

Qui peut être désigné ?

Un membre de l’indivision

Le mandataire commun peut être choisi parmi les indivisaires (Cass. com., 10 juill. 2012, n° 11-21.789).

Un tiers mandataire ad hoc

Toutefois, les juges peuvent désigner un tiers si l’intérêt commun l’exige, même en présence de stipulations statutaires contraires (CA Paris, 7 janv. 2009, n° 08/14713). le désaccord entre associés a pu justifier la désignation d’un tiers alors même que les statuts prévoyaient que le représentant serait choisi parmi les indivisaires ou les autres associés

⚠️ Attention : La notion de « désaccord » est appréciée largement. La Cour d’appel de Paris a confirmé la désignation d’un mandataire en considérant qu’elle n’était pas limitée aux crises paralysant la société (CA Paris, 20 oct. 1999, JurisData n° 1999-116189).  Selon des auteurs, le désaccord est consacré en cas de refus par la majorité des indivisaires de désigner un représentant. L’indivisaire qui remet en cause la décision de la majorité pourrait alors demander en justice la désignation d’un mandataire (pour une critique de cette opinion, S. Schiller et H. Fabre, L’ indivision des droits sociaux).

Application de l’article 815-3 du Code civil

En cas de mésentente entre les copropriétaires d’une part sociale indivise sur le choix du mandataire chargé de les représenter, il ne peut être dérogé aux dispositions impératives prévoyant la désignation judiciaire du mandataire.

Après avoir constaté l’existence d’un tel désaccord, la cour d’appel a fait application de l’article 1844 du Code civil, et non de l’article 815-3 du même code (Cass. 1re civ., 15 déc. 2010, n° 09-10.140).

L’affirmation générale de la Cour de cassation laisse à penser qu’il s’agit d’une solution de principe, extensible à l’ensemble des sociétés civiles et commerciales (v. not. Rev. sociétés 2019, p. 526).

⚠️ Attention
En cas de crise, chacun des indivisaires peut demander la nomination d’un administrateur provisoire (Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 17-26.695). Cette désignation entraîne le dessaisissement du dirigeant en place et l’intervention d’un tiers judiciairement habilité, chargé de prendre temporairement en main la direction de la société afin de tenter de résoudre la difficulté.

Mission du mandataire

Contours des pouvoirs

Les pouvoirs du mandataire dépendent de la nature des résolutions soumises à l’assemblée, selon qu’il s’agit d’actes d’administration ou d’actes de disposition, avec toutes les difficultés attachées à cette distinction (v. not. R. Mortier, Actes de disposition et actes d’administration en droit des sociétés ; M. Laroche, Le mineur en société civile ; H. Hovasse et M. Noé, Indivision et droits sociaux).

Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle constitue à cet égard une boussole utile.

La contestation de la mission du mandataire est fréquente. Un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 31 mars 2022 en fournit une illustration.

Illustration jurisprudentielle : l’arrêt Versailles, 31 mars 2022

Dans cette affaire, un différend opposait les indivisaires majoritaires d’une société civile. Pour éviter un blocage, ils avaient sollicité la désignation d’un mandataire judiciaire.

Lors d’une assemblée générale, celui-ci :

  • s’est abstenu de voter sur l’approbation des comptes et le quitus de la gérance ;
  • a voté contre l’exclusion d’un associé, indivisaire, alors même que la majorité des membres de l’indivision réclamait son exclusion et lui avait donné instruction en ce sens.

Mécontents, les indivisaires ont saisi le juge des référés (CPC, art. 835) pour obtenir la révocation du mandataire. Le juge ayant refusé, ils ont interjeté appel.
La cour d’appel de Versailles confirme la décision : une telle révocation ne peut pas être prononcée en référé (CA Versailles, 31 mars 2022, n° 21/05568).

Enseignements dégagés

La décision précise utilement les contours des droits et obligations du mandataire :

  • Le mandataire judiciaire n’a pas à recueillir l’accord des indivisaires, mais seulement leur avis.
  • Il agit dans l’intérêt de l’indivision, lequel ne se confond pas avec la somme des intérêts particuliers.
  • Le fait de voter différemment de ce que souhaitent certains indivisaires, s’il estime que l’intérêt de la société le commande, ne constitue pas un trouble manifestement illicite.
  • Si le mandataire devait rechercher systématiquement un accord préalable, sa désignation perdrait toute utilité, car elle vise précisément à débloquer une situation de blocage.

Ce qui domine, c’est l’intérêt commun de l’indivision. La recherche de la meilleure rentabilité (ou la limitation des pertes), à laquelle tous les indivisaires sont intéressés, relève de cet intérêt commun. Ainsi, l’existence de divergences entre indivisaires, nées de circonstances étrangères à l’indivision, n’exclut pas l’existence d’un intérêt collectif (Cass. 1re civ., 13 nov. 1984, n° 83-13.999).

La cour d’appel rappelle également que les indivisaires détenteurs de parts sociales :

  • conservent le droit de participer aux assemblées générales,
  • et peuvent obtenir toutes les informations nécessaires à cet effet (Cass. com., 21 janv. 2014, n° 13-10.151).

Leur droit propre reste donc préservé.

Portée pratique

La cour d’appel de Versailles souligne néanmoins que le mandataire judiciaire aurait dû rencontrer l’ensemble des indivisaires avant la première assemblée générale afin de leur expliquer sa mission et le sens de ses choix. Cette remarque, bien que périphérique, constitue une indication précieuse pour la pratique.

Enfin, le mandataire judiciaire n’est pas à l’abri de toute action : il engage sa responsabilité civile en cas de faute dans l’exercice de sa mission.

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