La nullité suscite, depuis longtemps, une méfiance constante. Parce qu’elle efface purement et simplement l’acte de l’ordre juridique, sans permettre sa correction, elle a pu être perçue comme une sanction démesurée. J. Hémard dénonçait en elle « un toxique […] qui détruit […] et ne répare rien » (Théorie et pratique des nullités des sociétés et des sociétés de fait, Recueil Sirey, 2ᵉ éd., 1926, n° 708, p. 937), tandis qu’E. Thaller y voyait « une arme perfide, dont les gens mal intentionnés se servent parfois à titre comminatoire, dans l’unique but d’intimider leurs adversaires et de les amener à composition » (Journ. Sociétés 1884, p. 765).
La nullité est pourtant un instrument essentiel de protection : elle sanctionne le non-respect des conditions de validité d’un acte juridique et assure la cohérence de l’ordre juridique. Mais toutes les nullités ne se valent pas. Certaines protègent l’intérêt général, d’autres un intérêt privé. Certaines sont prévues expressément par la loi, d’autres sont seulement déduites du caractère impératif de la règle violée. D’autres encore se rapprochent du “réputé non écrit”, une sanction particulière qui efface la clause comme si elle n’avait jamais existé.
Nullité absolue et nullité relative
La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général (article 1179, alinéa 1ᵉʳ du Code civil). Elle protège la cohérence de l’ordre juridique : les règles d’ordre public, de moralité ou de sécurité juridique. Toute personne justifiant d’un intérêt, y compris le ministère public, peut en demander la constatation. Elle ne peut être couverte par la confirmation du contrat (article 1180).
La nullité est relative lorsque la règle violée vise à protéger un intérêt privé (article 1179, alinéa 2). Seule la personne que la loi entend protéger peut l’invoquer. Elle peut être couverte par la confirmation de l’acte (article 1181).
La distinction est fondamentale : elle détermine qui peut agir, dans quel délai, et si la nullité peut être « réparée ». En pratique, une nullité relative protège une partie faible (ex. vice du consentement), tandis qu’une nullité absolue préserve une exigence d’ordre public (ex. objet illicite, incapacité d’agir dans l’intérêt collectif).
Nullité obligatoire et nullité facultative
Avant l’ordonnance du 12 mars 2025, la doctrine et la jurisprudence distinguaient entre la nullité obligatoire et la nullité facultative.
La nullité obligatoire, dite aussi de plein droit ou automatique, devait être prononcée dès que l’irrégularité était constatée : le juge n’avait aucune marge d’appréciation.
La nullité facultative, à l’inverse, laissait au juge une liberté d’appréciation : même si les conditions légales étaient réunies, il pouvait décider de ne pas l’appliquer, en tenant compte de la finalité de la règle ou de la gravité du vice. La distinction reposait sur la formulation : « est nulle » signifiait nullité obligatoire, « peut être annulée » traduisait une nullité facultative.
Cette distinction a été rendue obsolète par l’ordonnance du 12 mars 2025, qui a unifié le régime des nullités, mais elle reste utile pour comprendre la logique de textes anciens ou sectoriels encore en vigueur.
Nullité textuelle (ou expresse) et nullité virtuelle
Une nullité est textuelle ou expresse lorsqu’elle est expressément prévue par un texte, reconnaissable à la formule « à peine de nullité » ou « est nul ».
La nullité est virtuelle lorsqu’elle découle du principe général selon lequel la violation d’une règle impérative entraîne la nullité de l’acte, même sans texte exprès.
Autrefois, le droit des sociétés soumettait à un régime de nullités textuelles les actes modifiant les statuts : la nullité « ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats » (article L. 235-1, alinéa 1ᵉʳ du Code de commerce).
Les actes ou délibérations ne modifiant pas les statuts, pris en violation d’une disposition impérative du livre II du Code de commerce, relevaient en revanche de la nullité virtuelle.
L’ordonnance du 12 mars 2025 a généralisé ce système des nullités virtuelles, consacrant l’idée que toute violation d’une règle impérative peut entraîner la nullité, même sans texte explicite.
Exception de nullité
La nullité peut être invoquée soit par voie d’action, lorsqu’on demande l’annulation d’un acte, soit par voie d’exception, en défense.
L’exception de nullité est une défense au fond : elle ne cherche pas à obtenir l’annulation formelle de l’acte, mais à empêcher qu’il produise effet. Elle permet, par exemple, de refuser l’exécution d’une obligation issue d’un contrat nul.
L’article 1185 du Code civil consacre son caractère perpétuel : tant que l’acte n’a pas été exécuté, l’exception de nullité peut être soulevée sans condition de délai. Une fois l’acte exécuté, elle ne peut plus être invoquée.
Réputé non écrit
Le réputé non écrit se distingue de la nullité. Il s’agit d’une fiction juridique consistant à tenir pour inexistante une clause contraire à une disposition d’ordre public.
La clause réputée non écrite est privée de tout effet, rétroactivement et de plein droit, sans qu’une décision judiciaire soit nécessaire pour la “faire tomber”, même si le juge pourra en constater l’inopposabilité.
Sa dénonciation est imprescriptible, car le temps ne saurait valider une clause contraire à l’ordre public.
En droit des sociétés, cette sanction figure à l’article 1844-10, alinéa 2 du Code civil. L’ordonnance du 12 mars 2025 en a élargi le champ d’application, de sorte qu’elle peut désormais viser un plus grand nombre de stipulations statutaires contraires à la loi ou à l’intérêt social.
En résumé
- La nullité absolue sanctionne une atteinte à l’intérêt général et ne peut être confirmée.
- La nullité relative protège un intérêt privé et peut être couverte.
- L’exception de nullité permet de s’en prévaloir en défense, sans limite de temps.
- Quant à la clause réputée non écrite, elle est purement effacée du droit, comme si elle n’avait jamais existé, et sa dénonciation est imprescriptible.
Ces distinctions, loin d’être théoriques, déterminent qui peut agir, dans quel délai et avec quelles conséquences. Dans les contentieux sociétaires notamment, la qualification exacte du vice conditionne la stratégie procédurale et la recevabilité même de l’action.
