Nicolas Sarkozy sera incarcéré à une date qui lui sera communiquée par le Procureur de la République lors de sa convocation du 13 octobre 2025 à 14h. Mais sans doute pas pour longtemps.
Ce n’est ni un passe-droit ni un privilège : c’est la conséquence d’un mécanisme juridique peu connu, celui du mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire.
Synthèse
Pourquoi Nicolas Sarkozy sera libéré très rapidement de prison
Le 25 septembre 2025, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Nicolas Sarkozy à cinq ans d’emprisonnement ferme, pour association de malfaiteurs en vue de commettre un délit puni de dix ans d’emprisonnement.
Cette peine a été assortie d’un mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire.
Autrement dit : il doit aller en prison, même s’il fait appel.
Mais dans les faits, il ne devrait y rester que très peu de temps.
Et ce n’est ni un privilège ni un passe-droit : c’est la stricte conséquence des textes.
🔹 Le mandat de dépôt à effet différé (article 464-2 CPP)
Depuis la loi du 23 mars 2019, le tribunal peut ordonner qu’un condamné soit incarcéré à une date ultérieure, fixée par le parquet.
Ce mandat peut être assorti de l’exécution provisoire notamment lorsque la peine dépasse une année.
Pour le prononcer, le tribunal doit motiver sa décision au regard :
– des faits de l’espèce ;
– de la personnalité du condamné ;
– de sa situation matérielle, familiale et sociale.
Il doit aussi justifier pourquoi la peine ne peut être aménagée.
Ces critères, relativement souples, laissent au juge une large marge d’appréciation.
🔹 Mais une fois incarcéré, tout change.
Nicolas Sarkozy demeure présumé innocent, puisqu’il n’a pas été condamné définitivement.
Il reste donc juridiquement un prévenu, et non un condamné au sens strict.
Il peut dès lors demander sa mise en liberté (article 148-1 CPP).
La cour d’appel statue alors non plus sur la gravité des faits, mais sur les critères de l’article 144 CPP, qui visent à évaluer les risques concrets d’une détention :
1° Conserver les preuves nécessaires à la manifestation de la vérité → inutile : l’enquête est close depuis longtemps.
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes → les faits sont anciens, toutes les auditions ont eu lieu.
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices → non applicable une fois l’instruction terminée
4° Protéger la personne mise en examen → aucun risque identifié.
5° Garantir la représentation devant la justice → Nicolas Sarkozy s’est toujours présenté librement à chaque convocation, confrontation, audience et même à la prison de la Santé le 21 octobre.
6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement → il n’est plus dans une position lui permettant de commettre les faits reprochés (candidat à l’élection présidentielle).
7° Maintien de l’ordre public (non applicable ici s’agissant d’un délit).
Aucun de ces critères ne paraît rempli.
🔹 Une libération encadrée par des délais précis.
La cour d’appel doit statuer dans les deux mois suivant la demande de mise en liberté (article 148-2 CPP).
À défaut, la remise en liberté est automatique.
Dans la pratique, la cour d’appel de Paris statue en général dans un délai d’environ un mois.
Autrement dit, le seul obstacle qui s’oppose aujourd’hui à la libération de Nicolas Sarkozy n’est pas juridique mais calendaire : le délai d’audiencement, c’est-à-dire la date à laquelle la cour fixera l’examen de sa demande.
🔹 Conséquence : une détention courte, voire très courte d’ici la décision d’appel.
La cour d’appel, appliquant strictement les critères de l’article 144 CPP, devrait ordonner la mise en liberté dans les semaines suivant son écrou.
Ce n’est pas un traitement de faveur : c’est la mécanique ordinaire du droit.
Le mandat de dépôt repose sur la gravité passée ; la mise en liberté, sur l’absence de risques futurs.
Un mandat de dépôt pas tout à fait comme les autres
Lorsqu’un tribunal correctionnel prononce une peine d’emprisonnement ferme, il peut ordonner l’incarcération du condamné. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un mandat de dépôt ordinaire, prévu par l’article 465 du Code de procédure pénale, qui entraîne l’écrou immédiat à la fin de l’audience.
Mais la loi du 23 mars 2019 a introduit un régime plus nuancé : le mandat de dépôt à effet différé, visé à l’article 464-2 CPP. Ce mandat permet de reporter l’incarcération à une date ultérieure, fixée par le parquet. Il est encadré :
– la convocation devant le procureur doit intervenir dans le mois suivant le jugement ;
– et l’incarcération doit avoir lieu dans un délai maximal de quatre mois à compter de la notification au condamné de la date et de l’heure de son écrou (article D. 45-2-4 CPP).
Ce système évite l’incarcération « à chaud » tout en garantissant que la peine sera exécutée.
C’est dans ce cadre que Nicolas Sarkozy a été convoqué le 13 octobre devant le parquet national financier afin d’être informé de la date précise de son incarcération.
L’exécution provisoire : la clé du paradoxe
En principe, un condamné ne peut pas être incarcéré tant que l’appel est possible ou en cours (article 506 CPP).
Mais le mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire déroge à ce principe : il permet l’incarcération même si la décision n’est pas définitive.
Le tribunal peut décider d’assortir ce mandat de l’exécution provisoire – c’est ce qu’il a fait dans le dossier Sarkozy. Dans ce cas, l’appel n’est pas suspensif : la peine peut être exécutée malgré le recours. Cette possibilité est strictement encadrée par le Code de procédure pénale (articles 464-2, IV et D. 45-2-1-1).
Autrement dit, Nicolas Sarkozy pourra être incarcéré même s’il fait appel. Le jugement est exécutoire par provision.
Pour être valable, la décision qui prononce un mandat de dépôt – immédiat ou différé – doit être motivée : gravité des faits, quantum de la peine, éléments propres à l’espèce (Cass. crim., 24 août 2016, n° 16-83.609). C’est une mesure de sûreté, pas une sanction : elle vise à garantir l’exécution de la peine.
Mais, et c’est ici que tout bascule, les critères qui permettent d’ordonner un mandat de dépôt ne sont pas ceux qui permettent ensuite de maintenir une détention.
La seule voie de recours : la mise en liberté
Une fois la personne incarcérée, le mandat de dépôt à effet différé devient exécutoire.
C’est alors seulement qu’elle peut former une demande de mise en liberté, sur le fondement de l’article 148-1 CPP :
« La personne placée en détention provisoire peut à tout moment demander sa mise en liberté. »
La demande est examinée par la juridiction saisie du fond – en cas d’appel, la cour d’appel – dans un délai maximal de deux mois (article 148-2 CPP).
Les critères pour la mise en liberté ne sont pas ceux du mandat de dépôt
La cour d’appel ne statue pas selon les critères de l’article 464-2, qui ont fondé le mandat de dépôt à effet différé, mais selon ceux de l’article 144 CPP, applicables à la détention provisoire des personnes en attente de jugement.
Autrement dit, elle n’examine plus la gravité des faits, mais uniquement des risques concrets :
- risque de fuite ;
- risque de concertation avec des complices ou témoins (non applicable ici) ;
- risque de réitération ;
- nécessité de préserver l’ordre public (non applicable ici) ;
- ou garantie de représentation devant la justice.
Or la gravité des faits, qui avait justifié le mandat initial, ne fait pas partie de ces critères.
C’est ici que le régime se complexifie.
Le mandat de dépôt à effet différé (article 464-2 CPP) n’est pas une mesure de sûreté : il ne vise pas à prévenir un risque mais à exécuter une peine déjà prononcée.
Il ne peut donc pas faire l’objet d’une mainlevée sur le fondement de l’article 465 CPP, lequel ne concerne que le mandat de dépôt immédiat.
Il s’agit, plus précisément, d’une modalité d’exécution de la peine, et non d’une mesure de détention provisoire.
La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 27 mai 2025 (n° 25-81.970) : la chambre des appels correctionnels ne peut pas ordonner la mainlevée d’un mandat de dépôt à effet différé sur le fondement de l’article 465, alinéa 4, car ce texte ne vise que le mandat de dépôt immédiat.
Autrement dit, la voie procédurale diffère : dans le cas d’un mandat à effet différé, la contestation doit passer par une demande de mise en liberté fondée sur les articles 148-1 et suivants du Code de procédure pénale, et non par une demande de mainlevée fondée sur l’article 465.
Les excellents avocats de Nicolas Sarkozy ne manqueront sans doute pas de le rappeler avec la rigueur qu’on leur connaît.
Pourquoi la libération est quasi inévitable
Une fois incarcéré, Nicolas Sarkozy pourra déposer une demande de mise en liberté.
La cour d’appel, appliquant strictement les critères de l’article 144 CPP relatifs à la détention provisoire, devra se prononcer sur les risques précis justifiant, ou non, le maintien en détention.
Or, dans son cas, aucun de ces critères ne paraît rempli.
L’application fidèle de l’article 144 du Code de procédure pénale conduit même à considérer que le maintien en détention serait, dans ce contexte, difficilement justifiable.
- Le risque de fuite : tout dans la situation personnelle de Nicolas Sarkozy milite à l’inverse. L’intéressé dispose d’un domicile fixe, d’une vie familiale stable, d’un ancrage social et professionnel évident, et d’une notoriété qui rend toute fuite impossible matériellement comme symboliquement. Surtout, il s’est toujours présenté aux convocations judiciaires, a répondu aux interrogatoires et a exécuté les décisions de justice antérieures, y compris défavorables. Le fait même qu’il se soit présenté volontairement pour être écroué, en exécution d’un mandat de dépôt à effet différé, alors qu’il aurait pu se soustraire pendant plusieurs semaines, démontre par les faits qu’il se plie à la décision judiciaire. L’idée d’une évasion ou d’une résistance à l’autorité judiciaire relève ici de la pure fiction.
- Le risque de concertation : non applicable une fois l’instruction terminée
- Le risque de réitération : il est inexistant. Les infractions concernées relèvent d’un contexte politique et d’une configuration exceptionnelle qui n’existent plus. Nicolas Sarkozy n’exerce plus aucune fonction publique, ne dirige plus d’équipe politique et n’est impliqué dans aucune activité professionnelle pouvant générer un risque de récidive. L’hypothèse d’une réitération est donc purement théorique.
- La préservation de l’ordre public : non applicable en matière délictuelle
- Les garanties de représentation : elles sont totales. Nicolas Sarkozy réside en France, dispose de ressources et d’un environnement stable, et sa comparution devant la cour d’appel ne fait l’objet d’aucun doute.
Ainsi, si l’on applique loyalement les critères de l’article 144 du Code de procédure pénale, aucun ne peut justifier la prolongation de la détention.
Le seul motif encore susceptible d’émouvoir la juridiction, et qui avait justifié le mandat de dépôt à effet différé — la gravité des faits — n’entre pas dans le champ d’application du texte.
Ce n’est donc ni un privilège ni une faveur : c’est le résultat mécanique d’un système à deux logiques – l’une fondée sur la gravité passée, l’autre sur le risque futur.
Et c’est précisément cette dualité, prévue par les articles 464-2, 144, 148, 465 et 506 du Code de procédure pénale, qui explique pourquoi Nicolas Sarkozy sortira très vite de prison.
On pourra simplement regretter que la multiplication des régimes d’exécution rende la peine plus complexe, au détriment de son intelligibilité pour le justiciable – et, partant, de son acceptabilité.
Les autres recours envisageables
La demande d’aménagement de peine
Le principe de l’aménagement de peine
La question se pose également de savoir si Nicolas Sarkozy pourra faire une demande d’aménagement de peine.
En effet, un détenu condamné à une peine d’emprisonnement ferme et incarcéré peut par principe demander un aménagement de peine au juge de l’application des peines (JAP).
Lors de son examen, le JAP doit prendre en compte vos conditions matérielles de détention et le taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire où le détenu est incarcéré.
Le JAP peut ordonner l’un des aménagements de peine suivants :
- Détention à domicile sous surveillance électronique : vous portez un bracelet électronique, vous ne pouvez pas sortir de chez vous qu’à certains horaires, par exemple pour aller travailler
- Semi-liberté : vous êtes en prison, mais vous pouvez sortir à certains moments, par exemple pour aller travailler ou pour effectuer des démarches administratives
- Placement à l’extérieur : vous êtes hébergé dans une structure habilitée et vous pouvez sortir pour travailler, pour suivre une formation ou pour recevoir des soins
- Libération conditionnelle : vous êtes libéré en ayant des obligations et des interdictions à respecter
- Libération sous contrainte : vous êtes libéré avec des mesures de suivi et de contrôle obligatoires
La libération conditionnelle (article 729 CPP)
L’article 729 du Code de procédure pénale prévoit une libération conditionnelle de plein droit pour les personnes condamnées âgées de plus de soixante-dix ans. À première lecture, cette disposition pourrait sembler applicable à une situation comme celle de Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy peut-il demander un aménagement de peine ?
La sphère juridique est partagée.
Certains estiment que ce mécanisme ne concerne que les condamnés définitifs, c’est-à-dire ceux dont toutes les voies de recours ordinaires ont été épuisées. Or, tant qu’un appel est pendant, l’intéressé n’aurait pas encore la qualité de condamné définitif et demeurerait juridiquement un prévenu, au sens de la procédure pénale. Dès lors, l’article 729 du Code de procédure pénale ne pourrait être invoqué pour obtenir une mesure d’aménagement ou de libération conditionnelle dans le cadre d’un mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire. Le JAP pourrait estimer que le détenu en vertu d’un mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire n’a pas le droit de faire une demande d’aménagement de peine étant donné que l’intéressé n’a pas encore la qualité de condamné définitif et demeure juridiquement un prévenu, au sens de la procédure pénale.
D’autres estiment que l’article 707-5 du code de procédure pénale permet de faire bénéficier des dispositions relatives à l’aménagement de peine, dont la libération conditionnelle, aux prévenus condamnés en première instance et incarcérés en vertu d’un mandat de dépôt à exécution provisoire dans l’attente de leur procès d’appel.
La violation du principe du contradictoire ?
Le mandat de dépôt à effet différé n’ayant pas été expressément requis au cours des débats par le Parquet national financier, la question se pose de savoir si le principe du contradictoire a été respecté. En effet, aucune discussion préalable n’a pu se tenir sur l’opportunité d’une telle mesure d’incarcération, alors même qu’elle emporte des conséquences particulièrement graves sur la liberté individuelle.
Or, le principe du contradictoire impose que toute mesure susceptible d’affecter la liberté du prévenu soit débattue publiquement et contradictoirement : le ministère public doit en formuler la demande, afin que la défense puisse y répondre et présenter ses observations. En l’espèce, le tribunal a prononcé d’office le mandat de dépôt, sans que cette question ait été évoquée pendant les débats, privant ainsi le prévenu de la possibilité de faire valoir ses arguments.
Cette absence de discussion contradictoire pourrait constituer une atteinte aux droits de la défense et, plus largement, au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article préliminaire du Code de procédure pénale.
Conclusion
Tout indique que la détention de Nicolas Sarkozy sera de courte durée, et en tout cas inférieure à deux mois.
L’incarcération résulte du mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire, mais ce dispositif ne détermine pas la durée effective de la privation de liberté. Dès son écrou, l’intéressé pourra présenter une demande de mise en liberté sur le fondement des articles 148-1 et suivants du Code de procédure pénale.
Cette demande sera examinée par la cour d’appel au regard des critères de l’article 144 du Code de procédure pénale, applicables à la détention provisoire : existence d’un risque de fuite, de réitération des infractions ou d’absence de garanties de représentation. Or, dans la situation de l’ancien chef de l’État, ces risques apparaissent objectivement limités.
Dans ces conditions, une remise en liberté rapide est probable.
Au regard des délais habituels d’examen de ce type de demande, la durée de la détention ne devrait pas excéder deux mois.
Ce scénario correspondrait à une application ordinaire des règles du Code de procédure pénale, sans traitement particulier.

