Assurance pertes d’exploitation

La garantie « pertes d’exploitation » a été au centre d’un contentieux massif depuis la crise sanitaire. La question est toujours la même : dans quelle mesure l’assureur peut-il opposer une clause d’exclusion à l’assuré qui invoque la baisse ou l’arrêt de son activité à la suite d’une fermeture administrative ?

La jurisprudence de la Cour de cassation, notamment depuis 2022, a été sévère pour les entreprises. Mais un arrêt du 25 janvier 2024 marque un infléchissement significatif, rappelant avec force que seules les clauses d’exclusion “formelles et limitées” peuvent être opposées. La moindre ambiguïté les prive d’effet.

Cet article reprend les principes, illustre les enjeux par la décision du 25 janvier 2024 et confronte ces apports aux analyses publiées sur les blogs spécialisés et la presse juridique.

Les conditions d’opposabilité d’une clause d’exclusion

Pour obtenir l’indemnisation d’un sinistre, l’assuré doit d’abord prouver que les conditions de la garantie sont réunies. L’assureur qui entend s’exonérer en invoquant une clause d’exclusion doit ensuite démontrer que cette clause a été portée à la connaissance de l’assuré avant la survenance du sinistre (C. civ. art. 1353 ; Cass. 3e civ., 7 sept. 2011, n° 09-70.993 ; Cass. 2e civ., 6 oct. 2011, n° 10-15.370).

Encore faut-il que la clause litigieuse ait été présentée en caractères très apparents, conformément à l’article L 112-4 du Code des assurances, et qu’elle soit formelle et limitée (C. ass. art. L 113-1).

Une clause est dite formelle lorsqu’elle est expresse, claire et précise. Elle doit viser des circonstances ou faits identifiables permettant à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie sans nécessiter d’interprétation (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646).

Si le juge doit interpréter la clause pour en comprendre la portée, celle-ci n’est pas formelle et doit être réputée non écrite.

Une jurisprudence longtemps défavorable aux assurés

Entre 2020 et 2023, la Cour de cassation a validé plusieurs clauses d’exclusion opposées à des entreprises ayant subi une perte d’exploitation liée au Covid-19. Dans les arrêts du 1er décembre 2022 (n° 21-15.392 ; n° 21-19.341 ; n° 21-19.342 ; n° 21-19.343), elle a jugé que les exclusions visant la « fermeture collective d’établissements pour cause identique » étaient suffisamment précises, privant ainsi de garantie de nombreux assurés.

Dans la presse juridique et sur les blogs de confrères, cette jurisprudence a été largement commentée. Les analyses convergent : les clauses AXA ou Generali ont souvent été rédigées avec une technicité propre à rendre difficile leur contestation, et les juridictions du fond les ont appliquées largement. Plusieurs sites soulignent qu’une partie importante des litiges a tourné autour de la formulation « fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national », notion dont l’interprétation a été resserrée au détriment des assurés.

Cette rigueur a été confirmée par l’arrêt de la 2e chambre civile du 12 octobre 2023 (n° 22-13.759).

Toutefois, ce mouvement n’est pas linéaire.

Le tournant de l’arrêt du 25 janvier 2024

L’arrêt Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739 (Sté Helen Traiteur c/ AXA France IARD) constitue un rappel ferme du cadre légal et marque un rééquilibrage. Il illustre parfaitement l’importance de la rédaction de la clause et la vigilance exigée des assureurs.

Les faits

Une société de traiteur-organisateur de réceptions souscrit un contrat multirisque professionnelle comportant une garantie pertes d’exploitation. À la suite du premier confinement, elle sollicite l’indemnisation de la perte de chiffre d’affaires.

L’assureur refuse, invoquant une clause d’exclusion ainsi rédigée :

« Demeure toutefois exclue :
– la fermeture consécutive à une fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national,
– lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation volontaire de la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession. »

La décision de la cour d’appel

La cour d’appel déclare la clause opposable, estimant :

– que l’absence de la conjonction « et » séparant les deux alinéas établissait qu’ils n’étaient pas cumulatifs ;
– que les deux hypothèses étaient distinctes ;
– que la présentation en caractères gras suffisait à répondre aux exigences de l’article L 112-4.

La censure de la Cour de cassation

La Cour casse l’arrêt : l’usage de la conjonction de subordination « lorsque » rend la clause ambiguë. Son interprétation est nécessaire : elle n’est donc pas formelle.

La clause est inopposable à l’assuré.

Cette solution rappelle que, même dans le contexte Covid-19 où les assureurs ont souvent invoqué des exclusions, toute imprécision profite à l’assuré. Les blogs spécialisés et la presse juridique ont largement commenté cette décision, y voyant soit un infléchissement, soit au minimum un rappel à l’ordre adressé aux assureurs sur la qualité rédactionnelle des clauses.

Enjeux pratiques et recommandations

Les analyses doctrinales convergent : l’articulation entre extension de garantie (fermeture administrative, maladie contagieuse, épidémie) et clause d’exclusion constitue le cœur du régime des pertes d’exploitation.

Pour les assurés :

– vérifier systématiquement la rédaction de la clause d’exclusion ;
– relever tout terme nécessitant interprétation (cause identique, fermeture collective, région, lorsqu’il…) ;
– examiner la typographie et la mise en évidence des exclusions ;
– ne pas hésiter à solliciter une expertise juridique en cas de refus de garantie.

Pour les avocats :

– argumenter à la fois sur le terrain de l’opposabilité (L 112-4) et de la formalité/limitation (L 113-1) ;
– mobiliser la jurisprudence récente, en particulier l’arrêt du 25 janvier 2024 ;
– démontrer que la clause n’est pas suffisamment précise ou qu’elle vide la garantie de sa substance.

De nombreux confrères, dans leurs blogs, insistent également sur l’importance de l’information précontractuelle : les assureurs doivent attirer spécialement l’attention de l’assuré sur l’existence d’une exclusion.

Conclusion

La période post-Covid a structuré une jurisprudence fournie sur les pertes d’exploitation. Si les arrêts de 2022 et 2023 semblaient consacrer une approche rigoureuse en faveur des assureurs, l’arrêt du 25 janvier 2024 rappelle que l’exclusion ne s’applique que si elle est rédigée avec une précision irréprochable.

La moindre ambiguïté profite à l’assuré.

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