Le langage feutré du droit : décryptage des litotes et euphémismes judiciaires

Le monde judiciaire cultive un art subtil : celui de dire sans dire. Par pudeur, par stratégie ou par tradition, les magistrats comme les avocats emploient souvent des formules édulcorées, des litotes, des sous-entendus, où l’ironie affleure parfois. Derrière une apparente neutralité se cache souvent un jugement sévère, un désintérêt poli ou une critique à peine voilée.


1. La litote, arme feutrée du juge

Dire moins pour faire comprendre davantage.

Exemples typiques :

  • “Des écritures très complètes”
    ➝ Traduction : c’est trop long, indigeste, et probablement illisible.
  • “Une argumentation intéressante”
    ➝ Traduction : ça n’a aucun intérêt, ou c’est à côté du sujet.
  • “Le justiciable est combattif “
    ➝ Traduction : il est ingérable, loufoque, voire inquiétant.
  • “L’avocat a été particulièrement créatif”
    ➝ Traduction : il a tiré sur la corde, inventé ou brodé.

2. L’euphémisme institutionnalisé : une politesse codée

Le juge ne dira jamais “ce que vous racontez est absurde”. Il dira plutôt :

  • “La motivation appelle à être clarifiée”
    ➝ Traduction : c’est confus, voire incohérent.
  • “La demande paraît prématurée”
    ➝ Traduction : c’est hors sujet ou mal fondé.
  • “Le mémoire manque de concision”
    ➝ Traduction : c’est interminable, verbeux, et fatigant.

3. Quand l’avocat s’y met aussi : flatter pour mieux contourner

Les avocats aussi utilisent ces codes :

  • “Je ne peux qu’abonder dans le sens de mon confrère…”
    ➝ Traduction : … pour mieux le contredire ensuite.
  • “Mon confrère a eu le mérite de poser les termes du débat”
    ➝ Traduction : … même si sa solution est absurde.
  • “Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention à la partie adverse”
    ➝ Traduction : … mais c’est exactement ce que je vais faire.

4. Ce que ces litotes révèlent de la culture judiciaire

  • Un art de la retenue hérité de la tradition oratoire.
  • Un jeu codé entre professionnels qui se comprennent sans avoir à s’expliquer.
  • Une forme de protection : pour ne pas froisser inutilement, on suggère plus qu’on ne dénonce frontalement.
  • Une manière de maîtriser la violence du verbe, dans un univers où les enjeux humains sont parfois très lourds.

Conclusion : lire entre les lignes, une compétence essentielle

Dans le prétoire comme dans les décisions écrites, tout ne se dit pas frontalement. Comprendre les litotes, c’est saisir l’ironie feutrée, les sous-entendus implicites, et parfois… le véritable message du juge. Car dans le droit comme dans la diplomatie, ce qui est tu compte autant que ce qui est dit.

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