Jeux de hasard (loto, ticket à gratter) : que dit la loi ?

Les jeux de hasard fascinent autant qu’ils déchaînent les passions… surtout lorsqu’un gain important est en jeu. Mais que se passe-t-il lorsqu’un billet gagnant a été acheté à deux, ou avec l’argent d’un tiers ? Le gain appartient-il à celui qui a gratté ou à celui qui a payé ? Que dit la loi lorsque le ticket a été acheté en couple, ou encore avec de l’argent volé ? Derrière l’apparente simplicité d’un jeu à gratter se cachent des situations juridiques complexes, souvent tranchées par les tribunaux. Cet article fait le point sur les principales règles applicables et les cas de litige les plus fréquents.

Vous achetez un ticket à deux (hors mariage)

Situation : deux personnes, non mariées, achètent en commun un billet de loterie (il ne s’agit pas d’un prêt d’argent mais d’un achat en commun). Ce billet s’avère gagnant. Celui qui détient le ticket physiquement refuse de partager les gains avec l’autre partie.

Solution juridique : le gain doit être partagé entre les deux parties proportionnellement à leur contribution respective

Explication juridique : L’acquisition commune d’un billet de loterie crée entre les parties une “société en participation”. L’achat en commun du billet est constitutif d’un apport et prouve la volonté de s’associer pour un partage du coût et des gains éventuels créant une “société en participation”.

Preuve : la preuve est libre. L’avantage de retenir la qualification de “société en participation” réside notamment dans la liberté de la preuve de l’existence d’un tel groupement. En effet, en vertu de l’article 1871, alinéa 1er, du Code civil, la société en participation peut être prouvée par tous moyens. La jurisprudence est également constante sur ce point (Cass. com., 15 juillet 1969, n° 68-12.795 N° Lexbase : A8491AXR, Bull. civ. III, n° 271) et accepte que la preuve de l’existence de ce groupement soit rapportée par témoignages (Cass. com., 2 juillet 1969, n° 68-10.167). L’existence de l’apport en numéraire peut être établie par les dires de la commerçante qui a vendu le billet gagnant (Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-19.984, F-P). En outre, elle autorise les tiers de bonne foi à se prévaloir de l’apparence d’une société en participation (Cass. civ. 1, 3 novembre 1988, n° 87-11.795).

Jurisprudences : Cass. crim., 13 juin 1983, n° 81-95.011 ;Cass. crim., 20 mai 1985, n° 84-92.803

CA Agen, 19 déc. 2013, n° 12/00859. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Agen/2013/R5518BF59EB49D3632B75 : cette décision est très intéressante pour comprendre comment les juges se font leur religion s’agissant d’un ticket gagnant AMIGO de 1 million d’euros acheté 20 €. La partie en demande soutenait qu’elle avait donné la somme de 20 € à un client habituel avec l’engagement suivant “si tu gagnes on partage en deux, si tu pers tu me rends 10 €”. La justice lui a donné raison en se fondant à la fois sur la constance de ses propos (à l’opposé de ceux de l’autre partie) et sur les auditions ordonnées par la cour d’appel (civile) des personnes présentes au moment de cette donation d’argent :

“De ces témoignages, il peut être tiré la conclusion que K X et Q B ont constitué une société en participation en effectuant un apport en numéraire à parité pour l’achat du ticket du jeu gagnant, à savoir 10 € chacun quand bien même le financement intégral eût été opéré par le premier nommé, avec l’intention clairement manifestée de s’associer à cet achat et la vocation de participer à la perte du coût ou au bénéfice du gain.”

Il est très intéressant de noter que ce dossier a été instruit comme un dossier de cour d’assises puisque le Président de chambre Jacques RICHIARDI a ordonné la comparution devant lui des deux parties en litige en personne, et a réalisé lui même les auditions auprès des 6 personnes visées par l’arrêt avant dire droit “Ordonne la comparution personnelle de G X et de A B, (…) Ordonne une enquête à l’effet de procéder à l’audition de XX ; :Dit qu’il sera procédé à ces mesures d’instruction le mardi 10 septembre 2013 par M. Jacques RICHIARDI, président de chambre : — à 14 h pour la comparution personnelle des parties, — à 14 h 45 pour l’audition de Solène BAZIN, E F, XXX et L I J K, — à 16 h pour l’audition de XXX,” (Cour d’appel d’Agen, 2 juillet 2013, n° 12/00859). Cette instruction du dossier a sans doute un lien avec le fait que Jacques RICHIARDI, avant d’être président de chambre civile, était également … président de cour d’assises. On ne peut que féliciter un tel magistrat d’avoir aussi bien instruit un dossier civil. Malheureusement, dans la très grande majorité des cas, les juges civils refusent d’endosser ce rôle actif.

Vous achetez un ticket mais vous êtes marié

Mariage sous le régime de la communauté

En présence de gains résultant de la participation à un jeu de pur hasard , exclusif, donc, de toute notion d’industrie personnelle d’un époux, il convient de distinguer en fonction de l’origine des deniers ayant servi à l’acquisition du titre de participation (G. Cornu, préc. n° 10, p. 327-328. – Ch. Aubry et Ch. Rau, préc. n° 10. – Defrénois 1988, art. 34337, p. 1244 , obs. G. Champenois).

Si ces deniers proviennent de la communauté, le gain lui-même bénéficie à la communauté

Si les deniers sont propres, le gain obtenu est également propre. Cependant, un bien acquis avec des fonds personnels n’endosse la qualification de bien propre qu’à la condition que l’acquéreur marié sous le régime légal ait accompli des formalités d’emploi ou de remploi, conformément aux articles 1433 et 1434 du Code civil. Il convient donc d’être très vigilant.

Dans la pratique, le gain fortuit tiré d’un jeu de hasard tombera systématiquement en communauté puisque jamais un époux ne remplira de déclaration d’emploi ou de remploi à chaque achat d’un billet de loterie.

Jurisprudences :

Dans un arrêt du 13 novembre 2014, la Cour d’appel de Versailles a jugé, concernant une demande de réintégration dans la masse commune d’un gain du loto, que « l’achat du ticket gagnant en vue du tirage du 12 décembre 2012 est antérieur à la procédure de divorce engagée en mai 2013 ; que Delphine V. n’établit pas qu’elle a participé au tirage du Loto avec des fonds propres ; que dès lors les fonds gagnés constituent des biens communs » (CA Versailles, 2e ch. 1re sect., 13 nov. 2014, n° 13/08736. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Versailles/2014/BA12A8D4A4FD27E814B47 ).

Une solution similaire a été adoptée par la Cour d’appel de Dijon dans un arrêt du 8 décembre 2016 (CA Dijon, 8 déc. 2016, n°16/00532).

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