Lorsqu’un bien appartient à plusieurs personnes en indivision, il arrive qu’un seul en fasse usage : il y habite, y exerce une activité ou en retire seul les avantages. Dans cette hypothèse, une question revient systématiquement : l’indivisaire occupant doit-il une indemnité aux autres ?
L’article 815-9 du Code civil répond par l’affirmative : celui qui use privativement d’un bien indivis peut être tenu de verser une indemnité d’occupation. Mais derrière ce principe se cache une mécanique beaucoup plus nuancée. Qu’entend-on exactement par « occupation privative » ? Faut-il prouver une exclusion matérielle des autres indivisaires ou suffit-il qu’ils soient empêchés d’en jouir ? L’indemnité est-elle automatique ou subordonnée à une demande ? Et comment en évaluer le montant ?
À la croisée du droit de jouissance, de l’égalité entre indivisaires et du principe d’équité, la jurisprudence a construit un régime d’une précision remarquable, où chaque fait – présence, usage, accord tacite ou opposition – peut influer sur le droit à indemnisation.
Invision, occupation privative, jouissance du bien indivis et indemnité
Qu’est ce que l’indemnité d’occupation privative ?
L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est redevable d’une indemnité (C. civ. art. 815-9, al. 2).
L’alinéa 2 de l’article 815-9 code civil sanctionne en effet la règle de l’alinéa 1er selon laquelle « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires ».
La jouissance privative résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’user de la chose (Cass. 1e civ. 8-7-2009 n° 07-19.465 FS-PBI). Peu importe que cet usage résulte d’une autorisation judiciaire (Cass. 1e civ. 14-6-2000 n° 98-19.255 : Bull. civ. I n° 186).
L’indemnité est due même si l’indivisaire n’habite pas effectivement l’immeuble indivis, dès lors que l’occupation est exclusive du droit du ou des autres coïndivisaires (Cass. 1e civ. 23-6-2010 n° 09-13.250).
L’indemnité d’occupation n’a pas vocation à sanctionner l’occupation, même privative, d’un bien indivis mais plutôt le comportement empêchant les autres indivisaires de jouir du bien. En qualité de propriétaire, tout indivisaire a le droit d’occuper le bien, mais en tant que copropriétaire, il est tenu de ne pas entraver le droit équivalent des autres indivisaires.
Quels sont les critères de l’occupation privative ?
Une fois le champ d’applicabilité de l’indemnité d’occupation privative, quand y a t il occupation privative ?
La clé du droit à indemnité est parfois présentée comme résidant dans le caractère privatif de la jouissance, lequel s’apprécie uniquement par rapport aux autres indivisaires (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-12.331 P) et correspond à l’impossibilité, de droit ou de fait, pour les coïndivisaires d’user de la chose ainsi accaparée (Civ. 1re, 31 mars 2016, n° 15-10.748 P). Encore faut-il que cette impossibilité résulte du comportement d’un indivisaire, et non d’une nécessité extérieure, telle que le départ en maison de retraite d’un coïndivisaire en raison de la dégradation de son état de santé (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 17-26.020 P). Au fil de la jurisprudence, le critère déterminant semble être l’exclusivité de l’usage d’un bien, notion qui définit en principe la propriété, mais qui demeure inopposable aux indivisaires dès lors qu’au sein d’une indivision, l’exclusivité se conçoit collectivement.
Critères positifs
C’est le cas si l’indivisaire :
- a installé quelqu’un dans le bien, par exemple les enfants du couple.
L’impossibilité pour l’indivisaire de jouir de l’intégralité du bien compte tenu de sa superficie est sans incidence sur le montant de l’indemnité mise à sa charge en contrepartie du droit de jouir privativement de la totalité de l’immeuble (Cass. 1e civ. 12-6-2018 n° 17-17.243 F-D : BPAT 4/18 inf. 167). De la même manière, le fait que la maison occupée privativement par un indivisaire se trouve dans un état de vétusté incompatible avec sa mise en location ne décharge pas l’occupant de son obligation d’indemniser l’indivision (Cass. 1e civ. 3-10-2019 n° 18-20.430 FS-PBI : BPAT 6/19 inf. 259).
En outre, il importe peu que le bien occupé soit ou non productif de revenus car l’indemnité n’est pas la compensation d’une perte éventuelle de revenus, mais le prix de la jouissance privative d’un bien « collectif » (Cass. 1e civ. 12-5-2010 n° 09-65.362 F-PBI : BPAT 4/10 inf. 236 ; Cass. 1e civ. 24-9-2014 n° 13-21.005 F-PB).
L’indemnité est tout autant due en cas de jouissance privative d’un bien mobilier indivis, avec ou sans valeur (Cass. 1e civ. 17-10-2018 n° 17-22.282 F-D : BPAT 6/18 inf. 267-13).
L’indivisaire qui occupe un immeuble indivis doit une indemnité même s’il est vétuste et sans valeur Cass. 1e civ. 27-3-2024 n° 22-14.552 F-D
Le simple usage ou la simple occupation privative d’un bien indivis par un indivisaire justifie qu’une indemnité soit due à l’indivision (C. civ. art. 815-9, al. 2). Aucune autre condition n’est exigée. Est ainsi censurée la cour d’appel qui exclut le versement d’une indemnité par l’indivisaire occupant au motif que la valeur de l’immeuble est nulle, compte tenu de son état actuel le classant en dessous du seuil de décence et de salubrité (voir également Cass. 1e civ. 3-10-2019 no 18-20.430 FS-PBI : BPAT 6/19 inf. 259, à propos d’un bien dans un état de vétusté incompatible avec sa mise en location).
Privation d’accès au bien même sans occupation effective
Il a été jugé qu’une indemnité est due même en l’absence d’occupation effective, dès lors qu’une privation d’accès au bien indivis est constatée au détriment des coïndivisaires (Civ. 1re, 12 janv. 1994, n° 91-18.104 ; 22 avr. 1997, n° 95-15.830 ; 26 mai 1999, n° 97-11.904 ; 14 juin 2000, n° 98-19.255 P ; 30 juin 2004, n° 02-20.085 P ; 23 juin 2010, n° 09-13.250 P ; 14 janv. 2015, n° 13-28.069 ; 7 févr. 2024, n° 22-13.749). Elle a également été admise lorsque l’occupation de l’immeuble par un indivisaire n’exclut pas la même utilisation par ses coïndivisaires (Civ. 1re, 13 janv. 1998, n° 95-12.471 P ; 5 nov. 2014, n° 13-11.304 P).
Détention des clés : le coïndivisaire qui a les clefs du bien indivis doit-il nécessairement une indemnité ?
« L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (article 815-9, alinéa 2 du Code civil).
Cette règle s’applique même en l’absence d’utilisation ou d’occupation effective des lieux (Cass. 1re civ., 14 juin 2000, n° 98-19.255).
Toutefois, aucune indemnité n’est due si l’occupation du bien par un indivisaire n’exclut pas la même utilisation par les autres. La jouissance doit être exclusive, et ces derniers doivent se trouver dans « l’impossibilité de droit ou de fait (…) d’user de la chose » (Cass. 1re civ., 8 juill. 2009, n° 07-19.465).
Ainsi, l’indemnité de jouissance privative est due dès lors que certains indivisaires ne peuvent pas user du bien indivis, même en l’absence d’occupation effective des lieux (Cass. 1re civ., 23 juin 2010, n° 09-13.688 ; Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-20.229).
Sur ce point, la détention des clefs peut être décisive : détenir les clefs, c’est matériellement pouvoir jouir librement du bien.
La jurisprudence considère que l’indivisaire qui détient seul les clefs de la porte d’entrée, lui assurant la libre disposition du bien indivis, est redevable d’une indemnité d’occupation (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-10.748 ; Cass. 1re civ., 20 sept. 2023, n° 21-23.877).
La conservation des clefs suffit à caractériser la jouissance privative dès lors qu’elle empêche les autres indivisaires d’accéder au bien (Cass. 1re civ., 21 nov. 2012, n° 11-20.365).
Le coïndivisaire qui refuse d’en remettre les clefs aux autres, leur interdisant ainsi tout accès, est tenu d’une indemnité d’occupation (Cass. 1re civ., 30 juin 2004, n° 02-20.085 ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2012, n° 11-20.365 ; Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-10.748).
En d’autres termes, la simple détention des clefs, en ce qu’elle confère la libre disposition du bien indivis à leur détenteur, constitue une jouissance privative génératrice d’indemnité (Cass. 1re civ., 20 sept. 2023, n° 21-23.877).
À l’inverse, si les clefs ne sont pas détenues exclusivement par un seul indivisaire et que chacun peut librement accéder au bien, aucune indemnité n’est due (Cass. 1re civ., 13 janv. 1998, n° 95-12.471).
Ainsi, même si un indivisaire récupère les clefs d’un logement libéré par un locataire sans pour autant l’occuper, la simple détention peut suffire à établir une jouissance exclusive si les autres ne peuvent y accéder.
La Cour de cassation rappelle que « la jouissance privative d’un immeuble indivis résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’user de la chose » et que « la détention des clés, en ce qu’elle permet à son détenteur d’avoir seul la libre disposition d’un bien indivis, est constitutive d’une telle jouissance privative ».
Le détenteur des clefs est donc, en principe, débiteur d’une indemnité d’occupation. Toutefois, il peut en être exonéré s’il démontre avoir toujours mis à la disposition de ses coïndivisaires le trousseau qu’il détenait. Tout dépend, en définitive, des circonstances de l’espèce.
Exclusion de l’indemnité d’occupation (critères négatifs)
Cette partie peut également être lue comme les conditions négatives d’applicabilité de l’indemnité d’occupation privative.
Une indemnité n’est pas due lorsque les conditions ci-dessus ne sont pas remplies.
Absence de jouissance privative
Aucune indemnité n’est due lorsque la jouissance n’est pas privative (Cass. 1e civ. 8-4-2009 n° 08-13.765 F-D ). Tel est le cas :
- de l’indivisaire qui a les clés uniquement pour veiller à l’entretien du bien ou de celui qui occupe le bien de façon ponctuelle sans interdire la venue de ses coïndivisaires ;
- d’une utilisation privative qui n’interdit pas l’usage du bien indivis aux autres coïndivisaires ; ainsi par exemple la transformation d’une cour pour partie en potager et poulailler, qui n’empêche pas la circulation, le stationnement et l’entreposage de matériel (Cass. 1e civ. 5-11-2014 n° 13-11.304 F-PB : BPAT 1/15 inf. 17) ;
- d’une « occupation privative » d’un indivisaire quand sa compagne part en maison de retraite ; l’impossibilité pour le coïndivisaire d’occuper l’immeuble résulte seulement de son état de santé et non du comportement de l’indivisaire occupant (Cass. 1e civ. 3-10-2018 n° 17-26.020 F-PB : BPAT 6/18 inf. 246) ;
- de l’indivisaire qui occupe l’immeuble indivis en qualité de locataire, titulaire d’un bail verbal ; peu importe à cet égard que la valeur locative du bien soit nettement supérieure au montant du loyer acquitté (Cass. 1e civ. 18-3-2020 n° 19-11.206 F-PB : BPAT 3/20 inf. 104).
Absence d’indivision en jouissance
Il n’y a donc pas d’indemnité lorsqu’il n’y a pas d’indivision en jouissance sur le bien en question. Ainsi, une veuve ne doit rien lorsqu’elle opte pour le quart des biens de la succession en pleine propriété et les trois quarts en usufruit tandis que sa belle-fille reçoit les trois quarts en nue-propriété (Cass. 1e civ. 15-5-2013 n° 11-24.217 F-PBI).
Légataire (désigné par le testament)
Un héritier désigné par testament pour recevoir un bien successoral l’occupe de manière exclusive, alors que la succession n’est pas encore liquidée. Est-il redevable d’une indemnité d’occupation envers l’indivision ?
L’héritier saisi de l’universalité de la succession peut prétendre à la jouissance du bien légué à compter du jour du décès, laquelle est exclusive de toute indemnité au profit de l’indivision pour l’occupation du bien légué (Cass. 1re civ., 2 juin 1987 : Bull. civ. I, n° 181 . – Cass. 1re civ., 24 sept. 2008, n° 06-21.445 ; Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 12-26.486 – Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 14-28.865).
L’héritier à réserve, légataire universel, en possession complète de l’hérédité, en vertu de la saisine légale, est habile à prétendre à la jouissance du bien légué à compter du jour du décès, et que cette jouissance est exclusive de toute indemnité au profit de l’indivision pour l’occupation du bien légué ( Cass. 1re civ., 2 juin 1987, n° 85-16.269 : . – Cass. 1re civ., 24 sept. 2008, n° 06-21.445 . – Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 14-28.865).
Le légataire qui est également héritier ne doit pas d’indemnité d’occupation, cette dernière qualité lui conférant la saisine du ou des biens légués depuis le décès, ce qui lui permet de prétendre à leur jouissance sans devoir d’indemnité d’occupation à ses cohéritiers (Cass. 1e civ. 6-12-2005 n° 03-10.211 F-PB ; Cass. 1e civ. 24-9-2014 n° 12-26.486 ; Cass. 1e civ. 16-3-2016 n° 14-28.865 F-D ).
Observons toutefois que l’héritier légataire d’une quotité et non d’un bien particulier désigné dans le testament resterait, jusqu’au partage, titulaire de droits indivis. Dans ce cas, l’occupation privative d’un bien de la succession, susceptible d’être compris dans le legs mais non encore attribué, ouvre la possibilité pour les indivisaires de réclamer une indemnité pour la période courant du décès jusqu’au partage.
Qu’en est-il en cas d’occupation privative par l’ex-mari du domicile conjugal détenu en nue-propriété indivise avec son ancienne épouse, l’usufruit dudit bien étant détenu par sa mère ? Il n’y a pas plus d’indemnité d’occupation due par le mari envers l’indivision en l’absence d’indivision en jouissance entre les ex-époux nus-propriétaires (Cass. 1e civ. 1-6-2023 n° 21-14.924 F-B : BPAT 4/23 inf. 186).
Acceptation des coindivisaires
Une indemnité est exclue lorsque les indivisaires ont renoncé à leur droit et accepté que la jouissance soit gratuite. En revanche, que leur auteur ait, de son vivant, logé gratuitement l’un d’eux ne les lie pas (Cass. 1e civ. 29-5-2013 n° 11-22.481 F-D).
Non cumul indemnité d’occupation et indemnité de revenus
Enfin, les indivisaires ne peuvent pas demander à celui qui exploite un fonds de commerce indivis à la fois une indemnité d’occupation et une indemnité au titre des revenus tirés de ce bien indivis (Cass. 1e civ. 3-10-2006 n° 04-18.435 F-PB ; Cass. 1e civ. 11-3-2009 n° 07-20.856 F-D).
Qui est bénéficiaire de l’indemnité ?
L’indemnité est due à l’indivision et non aux coïndivisaires non occupants. Un concubin ne peut pas être déclaré redevable envers sa compagne d’une indemnité mensuelle de 300 € pour l’occupation privative du bien indivis acquis ensemble (Cass. 1e civ. 30-9-2009 n° 08-18.278 F-D). Il en va de même à propos d’un époux divorcé déclaré redevable d’une indemnité envers son ex-épouse pour avoir occupé privativement un bien immobilier dépendant de l’indivision postcommunautaire. L’indemnité d’occupation due par un indivisaire au titre de la jouissance privative d’un immeuble indivis doit revenir à l’indivision (Cass. 1e civ. 15-3-2023 n° 21-15.183 F-D). Elle n’est donc pas proratisée en fonction des droits des autres indivisaires ; elle doit entrer pour son montant total dans la masse active partageable (Cass. 1e civ. 4-6-2007 n° 05-21.842 F-PB : BPAT 4/07 inf. 111 ; Cass. 1e civ. 24-10-2012 n° 11-22.615 F-D).
Quel montant de l’indemnité privative ?(Appréciation judiciaire)
Le montant de l’indemnité correspond à la perte de revenus subie par l’indivision pendant la durée de cette jouissance privative. Elle est fixée d’un commun accord entre les indivisaires ; à défaut, son montant relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
En pratique, ceux-ci se réfèrent à la valeur locative du bien, généralement diminuée pour tenir compte du caractère précaire de l’occupation. Ils peuvent ordonner une expertise pour la déterminer. Les améliorations éventuellement apportées au bien par l’occupant sont sans incidence sur le montant de l’indemnité d’occupation.
Contrairement à un loyer, celle-ci n’est pas revalorisée chaque année.
Il peut y avoir une incidence, le cas échéant, de l’occupation des enfants des indivisaires après séparation du couple.
Lorsqu’un expert ayant pour mission de fournir tous éléments permettant au tribunal de calculer l’indemnité d’occupation due par un indivisaire à l’indivision est désigné, le jugement tranche la contestation portant sur l’obligation de celui-ci au paiement de cette indemnité sur le fondement de l’article 480 du Code de procédure civile (Cass. 1e civ. 26-1-2022 n° 20-15.901 F-D).
La jurisprudence admet une réfaction comprise entre 15 et 30 % par rapport à un loyer normal et ce, compte tenu de la précarité de l’occupation, l’indivisaire, l’occupant ne disposant pas de la protection accordée aux locataires (Cour de cassation, 1re, 4 mai 1994, n° 91-21.822 ou cour d’appel de Paris, 2e chambre, 15 septembre 1995, n° 195-024135). En pratique, il est nécessaire de faire évaluer cette valeur locative à dire d’expert ou par une agence immobilière.
Outre l’indemnité d’occupation à proprement parler, l’indivisaire occupant est également redevable de l’ensemble des charges liées à l’occupation privative du bien, soit les charges de copropriété dites récupérables sur l’occupant ou encore les charges d’entretien courant (eau, gaz et électricité…) (1re Civile, 12 décembre 2007, pourvoi n° 06-11.877). À l’inverse de la taxe foncière qui reste due par l’indivision, la taxe d’habitation a donné lieu à débats. La jurisprudence a longtemps retenu qu’il incombait à l’indivisaire occupant privativement le bien indivis d’assumer le paiement de cette taxe d’habitation.
La Cour de cassation a décidé du contraire dans un arrêt du 5 décembre 2018, confirmé depuis, en qualifiant le règlement de la taxe d’habitation comme une dépense de conservation de l’immeuble indivis devant être supportée à titre définitif par l’indivision (Civ 1re, 5 décembre 2018, n° 17-31.189 ; Civ 1ere 13 février 2019, n° 17-26.712).
Paiement et moment de l’indemnité
L’indemnité est due pour la période allant du premier jour de la jouissance privative et au plus tôt au début de l’indivision, jusqu’à la libération des lieux et au plus tard au jour du partage.
L’indivisaire concerné doit en effectuer le paiement dès qu’elle est fixée. Il n’y a pas lieu de l’intégrer au compte de liquidation et d’attendre le partage pour son règlement (Cass. 1e civ. 15-4-1980 : RTD civ. 1981 p. 173 ; Cass. 1e civ. 30-5-2000 n° 98-19.195).
L’indemnité d’occupation est considérée comme un fruit de l’indivision ; elle est soumise à la prescription quinquennale (en ce sens, par exemple, Cass. 1e civ. 15-5-2008 n° 06-20.822 FS-PB ; sur la mise en jeu de cette prescription)
Quand demander l’indemnité d’occupation privative ? Quelle prescription ?
L’indemnité d’occupation est due dès que l’occupation privative commence. L’indemnité d’occupation est considérée comme un fruit et revenu de l’indivision. À ce titre, elle est soumise à la prescription quinquennale visée à l’article 815-10 du Code civil : « Aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera toutefois recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l’être ».
il est rappelé qu’en matière de procédure de divorce, la prescription ne commence à courir qu’une fois le divorce définitif en vertu de l’article 2236 du Code civil prévoyant que la prescription ne court pas entre époux.
Si le délai de cinq ans est ainsi dépassé, agir en justice conserve un intérêt, mais seulement pour les cinq années précédant l’acte interruptif d’instance. Les simples échanges de courriers, mises en demeure ou constats d’huissier ne permettent pas d’interrompre la prescription. Il est donc particulièrement important, pour prémunir ses intérêts, d’engager une démarche judiciaire.
Recevabilité de la demande d’indemnité de jouissance privative. L’article 815-10 du Code civil indique qu’aucune recherche relative à des fruits et revenus d’un bien indivis n’est recevable plus de 5 ans après la date à laquelle ces fruits et revenus ont été perçus ou celle à laquelle ils auraient pu l’être. En d’autres termes, le texte limite à une durée de 5 ans en arrière par rapport à la demande en paiement la période à prendre en considération pour la restitution des fruits et revenus perçus par l’un des indivisaires ou pour le versement d’une indemnité de jouissance privative. Cette période de 5 ans à prendre en compte peut être allongée à raison de la survenue de tout évènement interruptif ou suspensif de prescription. par exemple, l’assignation n’ayant été faite que le 21 février 2012 pour un décès en mai 2001, aucune demande en paiement n’était recevable pour la période antérieure au 21 février 2007. M
Quelle interruption de prescription de l’indemnité d’occupation ?
Cas d’interruption de la prescription de l’article 815-10.
La prescription est interrompue par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (C. civ., art. 2240), par une demande en justice (C. civ., art. 2241) ou par une mesure conservatoire prise en application du Code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée (C. civ., art. 2244).
Le praticien aura à l’esprit que certains actes valent « demande en justice », interrompant le cours de la prescription.
En pratique, seule une assignation en partage ou en paiement de l’indemnité d’occupation interrompt la prescription.
Ainsi,
- la Cour de cassation a admis qu’un procès-verbal de difficultés dressé par le notaire chargé de la liquidation et faisant état de réclamations de l’un des indivisaires relativement à des fruits et revenus de biens indivis constitue une cause d’interruption de la prescription (Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n° 96-16735 : Bull. civ. I n° 47 ; Defrénois 30 sept. 1998, n° 36866, p. 1119, note O. Milhac.). Le procès-verbal de difficulté dressé par le notaire liquidateur, désigné dans le cadre d’une procédure de partage, est également interruptif, mais uniquement si l’indemnité est réclamée au sein de ce procès-verbal.
- Idem en matière de prescription des créances entre époux (Cass. 1re civ., 23 nov. 2016, n° 15-27497, PB : AJ fam. 2017, p. 64, obs. J. Casey ; Dr. famille 2017, n° 13, note B. Beignier ; Defrénois flash 12 déc. 2016, n° 137c2, p. 10.).
- De même pour un dire adressé à l’expert désigné par le juge saisi d’une action en partage et qui fait état de réclamations concernant les fruits et les revenus (Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-23752 : Bull. civ. I, n° 224.).
- Interruption de la prescription par une demande implicite en fixation de l’indemnité de jouissance privative. Cass. 1re civ., 18 mars 2020, no 18-21659, ECLI:FR:CCASS:2020:C100228, D (rejet)
En revanche,
- une lettre, simple ou même recommandée, faisant explicitement état d’une demande de restitution de fruits et revenus encaissés par l’un des indivisaires ou d’une demande en paiement d’une indemnité de jouissance privative ne peut interrompre le cours de la prescription (En ce sens : Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25944, F-PB : Defrénois 30 mars 2017, n° 126c5, p. 366, note G. Champenois ; Defrénois 11 janv. 2018, n° 131q2, p. 35, obs. A. Chamoulaud-Trapiers ; Defrénois flash 24 oct. 2016, n° 136e6, p. 10.). Il ne s’agit pas d’une « demande en justice »…
Le praticien chargé de la liquidation d’une succession ou d’une communauté ne manquera pas de rappeler que la préservation des droits de chacun dans l’indivision impose d’assigner en paiement d’une indemnité de jouissance privative avant que le délai de 5 ans ne soit écoulé. On ne saurait ici faire l’économie d’une assignation.
Le cas spécifique du divorce : pas d’indemnité d’occupation pour le futur !
Seul l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est redevable d’une indemnité. Viole l’article 815-9 du code civil la décision qui met une indemnité d’occupation à la charge d’un indivisaire pour une période à venir sans réserver l’hypothèse de la remise effective du bien à la disposition de l’indivision avant cette échéance. (Civ. 1re, 12 juin 2025, F-B, n° 23-22.003).
Dans le contexte du divorce, une indemnité d’occupation peut être due lorsque la jouissance d’un bien commun aura été attribuée à titre onéreux à l’un des époux en cours de procédure. Pour autant, l’indemnité est une sanction qui n’est justifiée qu’autant que la règle de « non-exclusivité » est effectivement transgressée. Celui qui se voit par exemple attribuer la jouissance onéreuse du domicile conjugal peut toujours décider, ponctuellement ou non, d’en ouvrir les portes à l’autre partie. En pareille hypothèse, l’exclusivité litigieuse cessant, l’indemnité n’est plus due.
lorsqu’une juridiction condamne un indivisaire au paiement d’une indemnité pour une période future, il convient systématiquement de réserver l’hypothèse d’une mise à disposition du bien au profit des autres indivisaires : nulle sanction sans transgression.
Comment demander l’indemnité d’occupation privative ? (procédure PAF)
L’indemnité d’occupation est assimilée à un revenu de l’indivision. Chaque indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices en résultant conformément à la règle posée par l’article 815-11 du Code civil. Ce texte prévoit« qu’en cas de contestation, le président du tribunal judiciaire peut ordonner une répartition provisionnelle des bénéfices sous réserve d’un compte à établir lors de la liquidation définitive ».
Quel juge compétent ?
Une telle demande doit être portée devant le président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond aux termes de l’article 1380 du Code de procédure civile. Il est ainsi possible de solliciter le paiement provisionnel d’une indemnité d’occupation avant même le partage. In fine, le compte d’indemnité d’occupation apparaîtra dans le compte d’indivision ou d’administration figurant à l’acte de partage. Le montant de l’indemnité d’occupation est fixé selon la valeur locative du bien.
Il résulte de l’ article 1380 nouveau du Code de procédure civile que la demande relative à l’article 815-9 doit être portée devant le président du tribunal judiciaire qui statue selon la procédure accélérée au fond.
Cette procédure, rapide, est réglementée par l’ article 481-1 du Code de procédure civile . Le président du tribunal rend un jugement, et statue au principal, dans les formes prévues par ce texte.
Il résulte de la combinaison des articles 815-9 du Code civil et 1380 du Code de procédure civile qu’est compétent le président du tribunal pour régler l’usage et la jouissance d’un bien indivis, et donc la question de l’indemnité d’ occupation , dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 2e et 4e chambres réunies, 11 Mai 2022 – n° 21/14082)
Indemnité d’occupation ou indemnité d’exclusion et indemnité d’empêchement ?
Parler d’« indemnité d’occupation » est source de malentendus. La terminologie suggère en effet que le simple fait, pour un indivisaire, d’occuper le bien indivis justifierait le versement d’une indemnité. Or, il n’en est rien : ce que sanctionne l’article 815-9 du Code civil, ce n’est pas l’occupation en elle-même, mais l’exclusivité de la jouissance, autrement dit l’empêchement ou l’exclusion des autres indivisaires de leur droit d’usage. Une appellation comme « indemnité d’exclusion » ou « indemnité d’empêchement » aurait le mérite de recentrer l’analyse sur l’atteinte au droit des coïndivisaires, et non sur l’occupation qui, en soi, est parfaitement légitime dès lors qu’elle demeure compatible avec l’égalité des droits au sein de l’indivision. Ce glissement sémantique éviterait bien des confusions et rappellerait avec plus de clarté que l’indemnité ne compense pas une utilisation du bien, mais une privation.
Charges de copropriété, impots : qui paie quoi ?
Quelle imputation des charges afférentes au bien objet de la jouissance privative ?
Principe général
L’indivisaire qui use privativement du bien reste tenu, avec les autres, des charges nécessaires à sa conservation, mais supporte seul les dépenses d’usage personnel.
La distinction repose sur la finalité de la dépense :
- les charges conservatoires profitent à l’indivision dans son ensemble ;
- les charges d’usage profitent uniquement à l’occupant.
Charges communes à la charge de l’indivision en dépit de l’occupation privative
Relèvent de cette catégorie toutes les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis, visées à l’article 815-13 du Code civil.
Elles doivent être supportées par tous les indivisaires, proportionnellement à leurs droits, même en cas d’occupation exclusive.
Sont notamment considérées comme charges de conservation :
- les primes d’assurance habitation, destinées à préserver l’immeuble (Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-70.269 ; Cass. 1re civ., 13 sept. 2017, n° 16-18.789) ;
- la taxe foncière, impôt attaché à la propriété, incombant à l’indivision jusqu’au jour du partage (Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-24.767 ; Cass. 1re civ., 27 janv. 2016, n° 15-11.151). L’impôt foncier, tendant à la conservation de l’immeuble indivis, incombe à l’indivision jusqu’au partage, peu importe l’usage privatif (Cass. 1re civ., 13 janv. 2016) ;
- le remboursement d’un emprunt affecté à l’acquisition ou la conservation du bien (Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 973).
- Les charges de copropriété communes (réparations structurelles, gros travaux, charges générales) figurent, quant à elles, au passif de l’indivision (Cass. 1re civ., 12 déc. 2007, n° 06-11.877 ; 3 déc. 2008, n° 07-13.937).
Ces dépenses conservent leur caractère collectif, quelle que soit la situation d’occupation : le fait qu’un indivisaire réside seul dans l’immeuble ne transfère pas à lui seul la charge de ces impôts ou assurances.
Charges d’usage personnel à la charge de l’occupant
Inversement, l’indivisaire qui jouit privativement du bien doit supporter seul les dépenses résultant de cet usage exclusif, c’est-à-dire celles qui ne bénéficient qu’à lui.
Relèvent de cette catégorie :
- les charges de copropriété « locatives » c’est à dire afférentes à l’usage individuel (chauffage, eau, entretien courant) ;
- les dépenses domestiques liées à l’occupation ;
- la taxe d’habitation, lorsqu’elle demeure applicable, due par l’occupant au 1er janvier de l’année d’imposition.
Droit à remboursement lors du partage
L’indivisaire qui a payé, sur ses deniers personnels, une dépense relevant de la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur l’indivision, dont il peut obtenir remboursement ou compensation lors du partage.
Cette créance s’évalue selon le montant effectivement acquitté et profite à proportion des droits des autres indivisaires (C. civ., art. 815-13, al. 1).
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Bonjour Maître, Pour l’indemnité d’occupation du bien détenu par un couple sans contrat de mariage mais pour lequel l’un des 2 indivisaires a financé 70% dudit bien, y a-t-il un calcul de prorata puisque l’un des indivisaires ne détient de 30% du bien ?
Ce cas n’est prévu ou calculé dans aucune publication .
Merci pour votre avis. bien cordialement. Mme Dominique Guidoin