Et si une affaire judiciaire française se jouait… dans un tribunal américain ? C’est ce que révèle la plainte en diffamation déposée le 23 juillet 2025 par Emmanuel et Brigitte Macron contre Candace Owens, une figure médiatique ultraconservatrice américaine, devant la Superior Court of Delaware. En cause : une campagne de désinformation agressive accusant publiquement la Première Dame d’être un homme, d’avoir volé une identité, et de vivre une relation incestueuse avec le Président de la République.
Ce contentieux n’a rien d’anecdotique : il soulève des questions majeures sur la liberté d’expression, les limites de l’immunité journalistique, la radicalisation algorithmique, et la capacité pour des figures publiques de protéger leur réputation dans un environnement numérique mondialisé.
Une plainte américaine… pour des propos mondialisés
Le choix du Delaware n’est pas anodin. Candace Owens y a immatriculé les sociétés utilisées pour diffuser ses podcasts, vidéos et contenus sur les réseaux sociaux. Ce lien formel suffit, en droit américain, à établir la compétence juridictionnelle locale.
Mais le véritable enjeu est ailleurs : obtenir d’un juge américain qu’il reconnaisse que la liberté d’expression – même sous le régime très protecteur du Premier Amendement – ne permet pas de transformer le mensonge en outil d’influence.
La plainte vise donc autant les personnes physiques que les entités qui structurent, hébergent et amplifient le contenu diffamatoire.
Les allégations : du conspirationnisme assumé
Le contenu visé par la plainte est massivement documenté. Il s’étale sur plusieurs mois de publications, vidéos, podcasts, extraits X/Twitter, et produits dérivés. Owens y soutient notamment que Brigitte Macron serait un homme nommé Jean-Michel Trogneux, qu’elle aurait volé une identité, que les Macron seraient liés par le sang, ou encore qu’ils seraient les agents involontaires d’un programme de contrôle mental gouvernemental.
On retrouve ici les schémas classiques de l’infox virale : mise en doute de l’état civil, insinuations sexuelles, manipulation pseudo-journalistique, puis marchandisation du scandale (t-shirts, abonnements, contenus exclusifs).
Ces propos sont d’autant plus graves qu’ils s’inscrivent dans une stratégie de diffusion intentionnelle, répétée et lucrative, à rebours des décisions de justice françaises déjà rendues et des demandes officielles de retrait transmises à Owens.
Le cadre juridique américain : la diffamation sous haute exigence
Dans l’ordre juridique américain, la liberté d’expression bénéficie d’une protection constitutionnelle particulièrement élevée. Toutefois, les personnalités publiques peuvent intenter une action en diffamation si elles démontrent que les propos litigieux ont été émis avec actual malice – c’est-à-dire avec la connaissance de leur fausseté, ou dans une indifférence volontaire à la vérité (New York Times v. Sullivan, 1964).
C’est précisément ce que les Macron soutiennent ici :
- Owens disposait de toutes les preuves contredisant ses affirmations (photos d’enfance, actes d’état civil, témoignages familiaux, décisions de justice françaises),
- Elle a délibérément choisi de ne pas les prendre en compte, préférant amplifier un récit sensationnaliste contraire à la réalité documentée,
- Elle a poursuivi ses déclarations après plusieurs mises en demeure circonstanciées et détaillées.
En ce sens, la plainte ne cherche pas seulement à contredire une rumeur : elle veut faire constater qu’Owens savait pertinemment qu’elle mentait, et a menti par stratégie éditoriale.
Entre business modèle et déformation du réel
Ce type d’affaire illustre un phénomène croissant : l’exportation de récits extrémistes sous couvert d’indépendance journalistique. Le podcast devient ici un véhicule de fausses informations destinées à provoquer l’indignation, capter l’attention, puis monétiser l’audience.
L’objectif n’est pas l’information, mais l’inflammation.
La véracité des faits devient secondaire : ce qui compte, c’est le potentiel viral du doute, la tension suscitée, le récit transgressif. C’est un modèle de l’audience par l’outrance.
Le contexte idéologique : une rhétorique transphobe mondialisée
La plainte met également en lumière un phénomène social bien identifié : la “transvestigation”, obsession transphobe consistant à accuser des femmes publiques d’être en réalité des hommes dissimulés.
Brigitte Macron y est ici une figure symbolique, instrumentalisée pour illustrer un complot imaginaire à l’échelle planétaire mêlant CIA, pédo-satanisme et manipulation électorale.
Le tout s’inscrit dans un écosystème de figures déjà controversées (Alex Jones, Andrew Tate, Xavier Poussard), qui se citent, se valident, se relaient, dans un jeu de miroir algorithmique déconnecté de toute réalité factuelle.
Conclusion
Cette procédure judiciaire est bien plus qu’un différend personnel : elle constitue une tentative juridique de redéfinir les limites de la liberté d’expression à l’ère numérique. Elle questionne le rôle des plateformes, des algorithmes et des producteurs de contenu dans la fabrication du faux.
Elle met aussi en lumière un paradoxe : plus la vérité est accessible (par les archives, les documents, les décisions), plus certains contenus s’en détournent, misant sur le spectacle du doute et la rentabilité de la polémique.
Ce procès – s’il va jusqu’au bout – pourrait faire jurisprudence, non seulement sur le plan juridique, mais aussi comme signal d’alerte : au-delà de l’ironie, de la satire ou de l’opinion, il existe des limites, même aux États-Unis. Et ces limites, parfois, passent par un juge.
