Il arrive parfois que certains actionnaires veuillent faire constater par huissier la régularité (ou l’irrégularité) de l’assemblée et obtenir de cet officier ministériel un compte rendu complet des débats, ou bien qu’ils veuillent faire assister les scrutateurs d’un huissier, par exemple pour garantir le secret du vote.
Plusieurs huissiers de justice ont ainsi assisté à une assemblée générale extraordinaire d’une SA dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, en raison d’un litige sur le décompte du nombre de voix d’un groupe d’actionnaires auquel il était reproché de ne pas avoir respecté les obligations de déclaration de franchissement des seuils. L’un des huissiers de justice avait été désigné avec la mission suivante : « Consigner par écrit tous faits et toutes déclarations se rapportant à l’établissement de la feuille de présence et au calcul des droits de vote et des comptes rendus des débats établis par les sténotypistes assistant les huissiers de justice » (CA Paris 18-11-2003 n° 03-11913, 1e ch. A, CNIM c/ Sté IDI : RJDA 3/04 n° 320).
Signalons que l’AMF demande aux actionnaires ou aux sociétés, cotées ou non, qui recourent aux services d’un huissier de justice dans le cadre d’une assemblée générale, d’exiger que celui-ci précise, dans le rapport qu’il établit, l’étendue et les limites de sa mission (Recommandation AMF 2012-05 modifiée le 29-4-2021, proposition 2.14).
Pourquoi recourir à un commissaire/huissier de justice lors d’une assemblée générale ?
Les assemblées générales (AG) sont un élément central dans la vie des sociétés, constituant le principal lieu de décision et d’expression des associés ou actionnaires. Cependant, des conflits peuvent surgir, notamment en cas de :
- Désaccords profonds entre associés ;
- Suspicion de violation des statuts ou de la loi ;
- Dysfonctionnements importants de la société.
Dans ces situations, faire appel à un huissier de justice permet de garantir un déroulement serein et conforme aux règles. Cet officier ministériel peut être désigné pour :
- Constater des irrégularités ou des violations des règles ;
- Prévenir les tensions et débordements ;
- Établir un procès-verbal à forte valeur probante.
Qui peut normalement participer à une assemblée générale d’une société ?
Normalement, seuls les actionnaires ou associés peuvent y assister, à l’exclusion des tiers. Cependant, des exceptions existent :
- Mandats ou habilitations légales : Les commissaires aux comptes (CAC) ou les représentants du comité social et économique (CSE) peuvent participer dans certains cas ;
- Nécessité exceptionnelle : Un huissier de justice peut être présent pour garantir les droits des associés, notamment lors de conflits graves.
La présence de cet officier ministériel est cruciale lorsque :
- Des dysfonctionnements importants apparaissent ;
- Une assemblée conflictuelle menace de dégénérer ;
- Des irrégularités graves doivent être constatées.
La retranscription exacte des débats par l’huissier est essentielle, notamment pour dresser un procès-verbal de constat ayant une force probante renforcée. Ce document peut être déterminant pour :
- Introduire une action en justice avec des preuves solides ;
- Prévenir les risques de débordement lors de l’AG ;
- Vérifier la conformité des décisions prises, que ce soit pour constater leur régularité ou irrégularité.
Exemple concret
Cette mesure est souvent indispensable lors de conflits entre associés gérants ou en cas de soupçons d’abus de majorité. Le procès-verbal peut préparer une action pour faute de gestion.
Néanmoins, il convient de noter que la présence d’un huissier ne peut être imposée. Si des associés s’y opposent, la désignation devra être obtenue par une décision judiciaire.
📖 Les conditions pour la désignation judiciaire d’un huissier
1. Quelle juridiction saisir ?
La désignation d’un huissier pour assister à une AG requiert l’intervention d’un juge, notamment :
- Le juge des référés : pour une décision rapide, via une procédure contradictoire ou par voie de requête non contradictoire en cas d’urgence (article 875 du Code de procédure civile).
Par exemple, si une assemblée conflictuelle doit se tenir dans une société commerciale, la demande devra être adressée au président du tribunal de commerce du siège social de la société.
2. Critères de fond pour la désignation
La demande doit être motivée par des raisons graves, telles que :
- Dysfonctionnements importants dans la gestion ou l’administration de la société ;
- Risques de tensions ou conflits lors de l’AG ;
- Intérêts lésés des associés ou de la société elle-même.
En revanche, une demande sera rejetée si l’ordre du jour est jugé banal ou si aucune tension significative n’est démontrée.
Exemples de jurisprudences sur la demande de désignation d’un commissiare de justice
- Est justifié l’arrêt qui a rejeté la demande de deux actionnaires tendant à la nomination d’un huissier de justice chargé d’assister à deux assemblées générales, ordinaire et extraordinaire, après avoir retenu que les ordres du jour des assemblées litigieuses comportaient l’approbation des comptes, l’affectation des bénéfices et une augmentation de capital et qu’il s’agissait de points normaux qui n’étaient pas revêtus, en l’espèce, d’un caractère de gravité justifiant la mesure sollicitée, constaté que la demande n’avait pas de rapport avec le fonctionnement de la société et déclaré fondées les conclusions par lesquelles ladite société et son président-directeur général faisaient valoir que les demandeurs n’avaient formulé aucune critique à l’encontre des procès-verbaux antérieurs. Cass. com. 15-2-1977 G. c/ Sté Manurhin : JCP 1979 II n° 19020 note N. Bernard. Ndlr : Dans cette affaire, la cour d’appel (CA Colmar 30-7-1975, Sté Manurhin c/ G. : D. 1976 p. 47 note J.-J. Burst) avait considéré que le dispositif prescrit par le juge des référés : assistance d’un huissier de justice, assisté d’un clerc et muni de deux magnétophones, était « non seulement gênant mais même humiliant » alors que l’accord ou le désaccord des actionnaires allait s’exprimer par les votes.
- Si un actionnaire peut demander l’assistance d’un huissier de justice avec mission de prendre note de l’intégralité des débats d’une assemblée générale, c’est à la condition que cette demande soit justifiée par des motifs graves intéressant directement le fonctionnement de la société. Tel n’est pas le cas lorsque l’ordre du jour ne présente aucun caractère ambigu ou exceptionnel et que le demandeur (en l’espèce détenant 0,3 % du capital) n’apporte aucune précision relative aux dissensions prétendues qui l’opposaient au conseil d’administration de la société sur la gestion des affaires sociales. CA Paris 15-11-1978, 14e ch., Sté Lagèze et Cazes c/ A. : Rev. sociétés 1979 p. 338 note J. G.
- Est justifiée la désignation d’un huissier de justice pour assister des actionnaires dès lors qu’en dépit d’un ordre du jour en apparence banal (approbation des comptes et du bilan), ces actionnaires, par ailleurs en conflit avec la société, avaient des motifs graves, tenant directement au fonctionnement de la société, qui justifiaient leur demande, qu’il était en effet important pour eux que soient consignées par écrit et en entier leurs demandes d’éclaircissements et les explications qui leur seraient fournies en réponse. En l’espèce, dans un contexte économique difficile, les dirigeants de la société, sous l’ordre du jour banal d’approbation des comptes, entendaient faire ratifier notamment la vente d’une usine de la société, une prise de participation majoritaire dans une autre entreprise ayant de sévères difficultés financières, un cautionnement des engagements de cette société supérieur à 27 millions de francs (environ 4 millions d’euros), alors que lors des précédentes assemblées les actionnaires n’avaient jamais été informés des projets des dirigeants sociaux sur ces points. CA Paris 28-4-1978, 14e ch. B, Sté Catel et Farcy c/ D. : Rev. sociétés 1978 p. 751 note J. G.
- Si seuls des motifs graves et intéressant le fonctionnement de la société peuvent justifier la désignation d’un huissier de justice pour assister aux débats d’une assemblée, a légalement justifié la présence d’un huissier à l’assemblée la cour d’appel qui a relevé que les documents accompagnant la requête établissaient l’existence de dissensions aiguës entre le groupe majoritaire et la minorité laissant redouter que non seulement les intérêts de ceux-ci, mais encore ceux de la société soient gravement lésés et a constaté le refus d’inscrire à l’ordre du jour les résolutions proposées par la minorité. Cass. com. 22-3-1988 n° 86-16.785 P, Sté normande de transit et de consignation (SNTC) c/ Sté nouvelle de transit et de courtage Tramar et autres : Bull. civ. IV n° 123.
- Justifie sa décision d’imposer la présence d’un huissier de justice à une assemblée générale d’actionnaires, pour motifs graves et intéressant le fonctionnement de la société, le tribunal qui relève que les débats et votes de l’assemblée doivent porter sur l’activité du président-directeur général et revêtent une importance particulière puisque, au cours de l’exercice social en cause, le plan de restriction financier conçu par le président avait été abandonné et un plan de sauvetage adopté d’urgence malgré l’opposition de ce dernier. La désignation d’un huissier assisté d’un sténotypiste est donc justifiée, dans l’intérêt même du fonctionnement de la société, notamment pour assurer un débat loyal et approfondi sur des choix déterminants pour l’avenir de la société et prévenir toute crainte du président d’une limitation dans l’expression de ses opinions et convictions ou d’une édulcoration de ses propos. CA Paris 21-2-1992, 14e ch. B, Sté Label 35 c/ H. : RJDA 5/92 n° 471.
🔄 Quand la présence d’un huissier est-elle indispensable ?
Le procès-verbal dressé par l’huissier peut être utilisé pour initier ou se défendre dans des procédures judiciaires, grâce à sa force probante renforcée. Il peut permettre :
- D’introduire une action en justice avec des preuves solides ;
- De prévenir les risques de débordement lors de l’AG ;
- De vérifier la conformité des décisions prises, que ce soit pour constater leur régularité ou irrégularité.
🎨 Exemples pratiques
- Lorsqu’un associé minoritaire suspecte un abus de majorité, la présence d’un huissier permet de consigner les débats et les résultats de vote.
- En cas de réunion conflictuelle entre gérants, l’huissier garantit une preuve fiable pour éviter les contestations ultérieures.
Les conditions pour la présence d’un commissaire de justice à l’AG
La présence d’un huissier de justice ne peut être imposée à l’assemblée que si cet officier ministériel a été commis par décision de justice.
La présentation de la demande de désignation d’un huissier de justice chargé d’assister à l’assemblée s’effectue auprès du président du tribunal du lieu où cette assemblée doit être réunie ou, en cas de litige au fond existant entre l’actionnaire et la société, devant le président de la juridiction saisie au fond (Cass. 2e civ. 18-11-1992 n° 91-16.447 P, G. c/ SA Foselev : RJDA 1/93 n° 41).
À défaut d’une décision de justice, l’accès d’un huissier de justice à l’assemblée pourra être légitimement refusé, soit par le bureau (dans la SA), soit par décision de l’assemblée si elle est saisie de la question.
🔒 En conclusion
Recourir à un huissier de justice lors d’une assemblée générale conflictuelle est une mesure préventive efficace pour protéger vos droits et assurer la transparence des décisions prises. En cas de conflit ou de soupçon d’irrégularités, cette solution peut faire la différence entre une démarche fructueuse et une bataille judiciaire incertaine.
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