La période d’essai permet à un cabinet d’avocats et à son collaborateur d’évaluer leur collaboration avant de s’engager durablement. Mais son régime, en droit français, demeure strictement encadré. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 27 novembre 2013, dans l’affaire opposant la SCP Franklin à l’un de ses collaborateurs, en fournit la clé d’interprétation la plus claire : lorsqu’un avocat collaborateur a déjà exercé les mêmes fonctions dans le cabinet avant sa prestation de serment, la période d’essai prévue à son contrat libéral est dépourvue d’effet.
Le cadre légal : une clause possible, mais non automatique
Le contrat de collaboration libérale est régi par l’article 18 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005. Il doit être écrit et mentionner la durée, les conditions d’exercice, la rémunération et les modalités de rupture. Aucune disposition n’interdit d’y inclure une période d’essai, mais celle-ci ne produit effet que si elle est expressément stipulée et justifiée par l’existence d’une relation professionnelle nouvelle. La jurisprudence, appliquant par analogie les principes du Code du travail, rappelle que la période d’essai ne se présume pas et qu’elle ne peut être détournée de sa finalité : elle doit permettre de tester des conditions d’exercice inédites, et non d’offrir un moyen de rupture facile à l’égard d’un professionnel déjà connu du cabinet.
L’affaire Franklin : le passage du salariat à la collaboration libérale
Dans l’affaire SCP Franklin représentée par son accocie co-gérant Maître Yann Colin c/ X… (CA Paris, 27 novembre 2013, n° 12/09202), le célèbre cabinet d’avocat avait recruté un jeune diplômé de l’EFB sous contrat à durée déterminée de juriste salarié, sans période d’essai, dans l’attente de sa prestation de serment. Le contrat prévoyait qu’il prendrait fin automatiquement dès son inscription au barreau, remplacé alors par un contrat de collaboration libérale comportant une période d’essai de trois mois. Deux mois et demi après la prestation de serment, le cabinet rompit la collaboration, invoquant cette période d’essai. Le collaborateur saisit le bâtonnier, soutenant que la période d’essai devait être réputée avoir commencé dès son entrée effective au cabinet, en qualité de juriste salarié. Le bâtonnier fit droit à cette demande et la Cour d’appel de Paris confirma cette position. Elle jugea que : « Le point de départ de la période d’essai se situe à la date à laquelle le collaborateur commence à œuvrer au sein du cabinet, quelle que soit la qualification donnée au contrat qui le lie audit cabinet. » Constatant que le contrat de travail n’avait été conclu que pour pallier le délai entre la fin de l’école et la prestation de serment, que la “commune intention des parties était de faire commencer la collaboration dès le 1er août 2011”, et que “l’activité de M. X…, en dehors de la plaidoirie, n’avait pas été différente avant et après le serment”, la cour releva que le cabinet avait déjà pu apprécier les qualités professionnelles de son collaborateur. La période d’essai prévue au contrat de collaboration fut donc neutralisée : la rupture devait être considérée comme intervenue hors période d’essai, et le collaborateur avait droit au préavis de trois mois et aux rétrocessions d’honoraires correspondantes.
La portée de la décision : une protection contre le détournement de la période d’essai
Cet arrêt consacre un principe simple : la période d’essai du contrat de collaboration libérale ne peut être invoquée que lorsqu’elle accompagne une relation réellement nouvelle. Si les fonctions exercées avant et après la prestation de serment sont identiques, la période d’essai est dépourvue d’effet, car elle ne correspond à aucune phase d’observation nouvelle. La Cour d’appel a ainsi voulu empêcher qu’un cabinet ne “redémarre” artificiellement une période d’essai à chaque changement de statut de son collaborateur — notamment lorsqu’un juriste salarié devient avocat — alors même que ses compétences ont déjà été évaluées dans les faits.
Le droit positif issu de cet arrêt
À la lumière de cette décision, le droit applicable peut être résumé ainsi :
– la période d’essai du contrat de collaboration libérale doit être expresse et justifiée ;
– elle est valable lorsque la collaboration libérale ouvre une relation inédite (nouvelles fonctions, autonomie réelle, clientèle personnelle, exercice plaidant) ;
– elle est inopérante lorsqu’il existe une continuité parfaite des fonctions (même activité, même département, même encadrement) ;
– en cas de rupture déguisée en période d’essai, le collaborateur peut exiger le préavis de trois mois et les rétrocessions d’honoraires correspondantes.
Enjeux financiers pour les cabinets
Ce principe n’est pas seulement théorique : dans les grands cabinets d’affaires, la rupture irrégulière d’une collaboration peut rapidement entraîner un coût important. Les rétrocessions d’honoraires mensuelles des jeunes collaborateurs varient souvent entre 9 000 et 14 000 € HT dans les structures anglo-saxonnes parisiennes. Un préavis de trois mois représente donc, à lui seul, un risque financier de 27 000 à plus de 40 000 € HT, sans compter les éventuelles pénalités ou dommages-intérêts si la rupture est jugée fautive.
En synthèse
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 27 novembre 2013 demeure la référence en matière de période d’essai dans le cadre d’une collaboration libérale. Il affirme qu’une clause d’essai ne peut être utilisée pour contourner les garanties attachées à une collaboration déjà éprouvée. Autrement dit, la période d’essai est un outil de vérification, pas un moyen de rupture. Lorsqu’elle suit un emploi identique exercé dans le même cabinet, elle est réputée sans effet — avec, à la clé, des conséquences financières potentiellement considérables pour le cabinet.
