Classement sans suite : qu’est-ce que ça signifie en pratique ? (infraction insuffisamment caractérisée, etc.)

Prévu aux articles 40 et 40-1 du code de procédure pénale, le classement sans suite est la décision par laquelle le procureur de la République décide de ne pas poursuivre, c’est-à-dire de ne pas saisir un juge pour qu’un procès ait lieu. Autrement dit, qu’il n’y a pas assez d’éléments pour nourrir une procédure pénale susceptible d’aboutir, pour aboutir à un jugement de condamnation.

Le choix de ne pas poursuivre se traduit par une décision de classement sans suite. Il s’analyse en une décision purement administrative, non susceptible de recours juridictionnel.

Mais qu’est-ce que ça signifie vraiment un classement sans suite ? Est-ce que ça innocente le mise en cause ?

Voici un article sur le classement sans suite expliqué par un avocat.

C’est quoi un classement sans suite ?

« Le classement sans suite (CSS) constitue une décision du procureur de la République, reposant sur le principe d’opportunité des poursuites, selon lequel il peut choisir de ne pas déclencher l’action publique lorsqu’il estime que les faits portés à sa connaissance ne justifient pas l’ouverture d’une procédure pénale. »

Le classement sans suite (CSS) est une décision prise par le procureur de la République de ne pas donner de suite pénale à une procédure. Son fondement juridique se trouve dans le principe d’opportunité des poursuites, consacré par :

  • Article 40-1 du Code de procédure pénale : « Lorsque les faits portés à la connaissance du procureur de la République ont été commis dans des conditions ne justifiant pas l’exercice de poursuites, celui-ci peut décider de classer sans suite. »

Le procureur de la République est un magistrat particulier qui a, selon l’expression consacrée, l’opportunité des poursuites. Il est celui qui, dans l’immense majorité des cas, décide ce qu’il convient de faire des faits qui sont révélés.

Lorsqu’il y a un dépôt de plainte, le Procureur décide si une enquête doit être menée. Lorsque le procureur considère que l’enquête a été menée à terme et s’il n’a pas l’obligation, comme en matière criminelle, d’ouvrir une information judiciaire et donc de saisir un juge d’instruction, il décide s’il va faire convoquer le mis en cause devant un tribunal, s’il va envisager de nouvelles investigations (réécouter un témoin, organiser une confrontation…) mais lorsqu’il estime qu’il n’y a rien de plus qu’il pourrait apporter au dossier, il doit se prononcer soit sur le renvoi devant la juridiction soit sur la saisine d’un juge d’instruction (facultative pour les délits, obligatoire en matière criminelle). 

Le Procureur peut aussi décider qu’il n’a pas assez d’éléments pour prouver la culpabilité de l’intéressé et classer sans suite.

Le classement sans suite peut être lié :

  • à l’absence d’infraction : les faits reprochés ne correspondent à aucune infraction en droit pénal français ;
  • à une infraction insuffisamment caractérisée : il existe bien une infraction pénale en droit français mais il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuves pour se convaincre de la culpabilité du mis en cause
  • à une déficience psychique ou neuro-psychique.
  • pour des motifs d’opportunité. Comme pour quelqu’un qui fait construire sans permis de construire mais qui, au cours de la procédure pénale, obtient une régularisation.
  • d’autres mesures ou sanctions de nature non pénales. Un homme ou une femme en situation irrégulière sur le territoire français, c’est une infraction. Mais si la personne fait déjà l’objet d’un arrêté de placement en rétention administrative voire d’une expulsion à l’étranger, le procureur classera sans suite, considérant qu’il y a eu une autre sanction de nature administrative qui suffit.

Les décisions de classement sans suite interviennent quand le Procureur est convaincu qu’il n’arrivera pas à démontrer la culpabilité du mis en cause devant une juridiction. Il se dit alors « A quoi bon faire risquer à la victime plusieurs heures, plusieurs jours, de procès qui peuvent être douloureux si l’on sait d’emblée qu’on ne pourra pas démontrer la culpabilité de l’intéressé ? »

Les différentes catégories du classement sans suite

Le code de procédure pénale ne prévoit aucune nomenclature, et pour cause : un classement sans suite (CSS) est un classement sans suite, les effets sont les mêmes : aucune suite n’est donnée à la procédure.

Mais à des fins statistiques, il a paru intéressant de savoir pourquoi un CSS était prononcé, car factuellement, un classement pour « y’a pas de preuve » et un classement pour rappel à la loi, ce n’est pas la même chose.

Il y a même un code numérique à deux chiffres (trois pour un cas qui a 4 sous-catégories) qui est apparu pour chaque grande catégorie, afin de leur enregistrement dans cette grande machine à produire des tableaux Excel qu’est l’administration. Les motifs sont regroupés en 8 catégories, qui correspondent au premier chiffre du code numérique.

  • Les rubriques 1, 2, 6, 7 et 8 ne concernent qu’un cas possible, on parle donc de classement 11, 21, 61, 71 et 81.
  • Les autres se subdivisent : un classement pour amnistie est un classement 32, pour immunité, un CSS 35. 
  • Les 4 causes d’extinction de l’action publique sont la rubrique 34, subdivisée en 341 décès du mis en cause, 342 abrogation de la loi 343 chose jugée et 344 prescription. 

1 : Absence d’infraction (classement 11)

Les faits dénoncés ne correspondent tout simplement à aucune infraction pénale prévue par le droit français. Il ne s’agit donc pas d’un dossier où l’infraction serait simplement mal caractérisée — hypothèse qui conduirait à un classement sans suite sous le code 21 —, mais bien d’une situation où aucun texte pénal n’incrimine le comportement rapporté. Autrement dit, le parquet n’a pas à prouver l’absence d’éléments constitutifs : l’acte dénoncé n’entre pas dans le champ de la loi pénale.

Exemples :

  • Une plainte déposée contre un teinturier ayant endommagé un vêtement confié : il s’agit d’un litige civil, non pénal.
  • Une plainte contre un voisin parce qu’il consomme de la viande le vendredi : là encore, aucun texte pénal ne sanctionne ce comportement.

2 : Infraction insuffisamment caractérisée (classement 21)

Il existe bien une infraction pénale en droit français mais il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuves pour se convaincre de la culpabilité du mis en cause.

Là, le plaignant a bien visé une infraction qui existe (au contraire du classement 11 pour absence d’infraction) mais le problème est qu’il manque les éléments constitutifs. Soit qu’ils n’existent pas, soit qu’on ne les a pas trouvés (généralement, parce qu’ils n’existent pas). 

Si on prend l’exemple d’une agression sexuelle ou de viol, lorsqu’il n’y a pas une démonstration de l’absence de consentement et de l’usage de violence, menace, contrainte ou surprise, il peut y avoir un classement sans suite. Et c’est là où il y a une véritable difficulté dans ce domaine des relations sexuelles : c’est très souvent sur cette notion d’absence de consentement qu’on aura du mal à établir l’infraction.

Quels éléments caractérisent une infraction ?

Pour qu’une infraction puisse être punissable, il faut qu’elle soit interdite par la loi et qu’une peine soit prévue : c’est l’élément légal.

L’élément matériel, c’est l’acte ou l’omission interdite par la loi qui peut être reproché à l’intéressé. L’élément matériel est la partie visible, extériorisée, de l’infraction. Il se manifeste par la réalisation concrète des faits incriminés. Par exemple, en matière de viol, c’est un acte de pénétration dans un orifice sexuel ou par un organe sexuel avec violence, menace, contrainte ou surprise.

Le troisième élément, qui fait souvent défaut et dont la démonstration est la plus souvent difficile en matière d’agression sexuelle, c’est l’élément intentionnel, également appelé élément moral. Pour le retenir, il faut pouvoir démontrer que celui à qui on reproche l’infraction savait qu’il commettait une infraction et, surtout, savait que le partenaire ne voulait pas ce contact sexuel, s’y opposait, qu’il n’y avait pas consentement.

3 : Motifs juridiques

Ca se sous-divise en :

  • extinction de l’action publique (EAP) par retrait de plainte quand elle est obligatoire,
  • amnistie,
  • transaction,
  • décès de l’auteur,
  • prescription,
  • abrogation de la loi pénale,
  • chose jugée,
  • immunité,
  • auteur dément,
  • procédure irrégulière. 

4 : Poursuites inopportunes

Dans ce cas de figure, il existe en principe suffisamment d’éléments pour engager des poursuites, mais le parquet choisit de ne pas le faire. Et il en a parfaitement le droit : c’est l’application du principe d’opportunité des poursuites.
Les motifs avancés sont variés : recherches infructueuses, désistement ou inertie du plaignant, état mental déficient, comportement ambigu de la victime, désintérêt de celle-ci, régularisation spontanée de la situation illicite, ou encore trouble ou préjudice jugé trop mineur.

Ce sont précisément ces classements sans suite “par opportunité” qui nourrissent la polémique. Car ici, le parquet pourrait engager des poursuites… mais ne le veut pas.

5 : Alternatives aux poursuites mises en oeuvre par le parquet

Le parquet peut décider d’un classement sans suite sous condition. Cette décision, qui tient lieu d’avertissement, permet de responsabiliser l’auteur de l’infraction tout en assurant, le cas échéant, la réparation du dommage subi par la victime. Cela couvre :

  • 52 la médiation
  • 53 l’injonction thérapeutique,
  • 54 la régularisation à la demande du parquet, 
  • 55 le désintéressement de la victime à la demande du parquet
  • 56 l’avertissement pénal probatoire qui remplace le rappel à la loi,
  • 57 les mesures de réparation pour les mineurs, et l’orientation vers une structure sanitaire et sociale. 

Le danger de l’alternative aux poursuites

Ce type de classement sans suite — présenté comme une alternative aux poursuites — soulève de vives critiques. En pratique, il revient à mettre en œuvre une sanction déguisée (rappel à la loi, contribution citoyenne, avertissement pénal probatoire, etc.) alors même que la personne est présumée innocente et que le procureur reconnaît ne pas disposer d’éléments suffisants pour établir sa culpabilité.

On se retrouve ainsi face à une contradiction majeure : si l’intéressé était réellement innocent, un classement sans suite « pur et simple » aurait dû s’imposer. Or, en choisissant cette voie médiane, le parquet laisse planer une suspicion, une sorte de culpabilité implicite qui pèse sur le justiciable, sans procès ni débat contradictoire.

Certains y voient un outil permettant au ministère public de sanctionner sans prouver, en dehors des garanties fondamentales de la procédure pénale. Car il ne viendrait à l’esprit de personne d’adresser un rappel à la loi à quelqu’un qui ne l’a pas enfreinte. C’est pourquoi ces alternatives aux poursuites apparaissent si problématiques : elles brouillent la frontière entre absence de culpabilité et condamnation symbolique, en ancrant l’idée d’une faute sans jamais l’avoir démontrée devant un tribunal.

6 : Alternative aux poursuites par une autre autorité que le parquet

Dans certains cas, le parquet choisit de ne pas poursuivre car une autre autorité a déjà pris le relais. Il peut s’agir, par exemple, de poursuites disciplinaires engagées par l’ordre professionnel de l’auteur, par son administration ou encore par son employeur. Aux yeux du parquet, cette réponse est jugée suffisante et rend inutile l’engagement de poursuites pénales supplémentaires.

7 : Auteur inconnu

Lorsque l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié, il devient évidemment impossible d’engager des poursuites : on ne peut pas juger une personne inconnue.

8 : Non lieu à assistance éducative

Il s’agit d’un cas particulier, qui ne vise que les mineurs et uniquement lorsque les faits en cause ne traduisent pas un problème intrafamilial. D’ailleurs, il ne s’agit pas nécessairement d’infractions pénales : par exemple, un mineur simplement trouvé errant dans la rue à une heure tardive peut donner lieu à ce type de classement.

Tableau synthétique des différents code de classement sans suite

CodeMotif
11Absence d’infraction
21 (le fameux classement 21)Infraction insuffisamment caractérisée
3. Motif juridiqueMotif juridique
31Extinction de l’action publique / Retrait de plainte (injure, diffamation, atteinte à la vie privée)
32Extinction de l’action publique / Amnistie
33Extinction de l’action publique / Transaction
34Extinction de l’action publique par :
341Décès du mise en cause
342Abrogation de la loi pénale
343Chose jugée
344Prescription de l’action publique
35Immunité
36Irrégularité de la procédure
37Irresponsabilité de l’auteur (trouble psychique, légitime défense…)
4. Poursuite inopportunePoursuite inopportune
41Recherches infructueuses
42Désistement du plaignant
43Etat mental déficient
44Carence du plaignant
45Comportement de la victime
46Victime désintéressée d’office
47Régularisation d’office
48Préjudice ou trouble peu important causé par l’infraction
5. Procédure alternativeProcédure alternative mise en oeuvre par le parquet
51Réparation / Mineur
52Médiation
53Injonction thérapeutique
54Plaignant désintéressé sur demande du parquet
55Régularisation sur demande du parquet
56Rappel à la loi / Avertissement
57Orientation vers structure sanitaire, sociale ou professionnelle sur demande du parquet
58Composition pénale réussie
AutresAutres
61Autres poursuites ou sanctions de natures non pénales
71Auteur inconnu
81Non-lieu à assistance éducative

Modèle de tableau utilisé par le Procureur

Quelle différence entre un classement 11 pour absence d’infraction et 21 pour infraction insuffisamment caractérisée ?

Comment fonctionne une plainte ?

  1. 1ère étape : elle prend des faits avérés ET des infractions existantes réellement dans le code pénal,
  2. 2ème étape (et c’est là que ça se gâte), que les premier constituaient les secondes, autrement que les faits existants constituent les infractions existantes dans le code pénal. 

Si la réponse est non à la deuxième prémisse, mais dès lors que les infractions visées existaient, ça ne pouvait être un CSS11 pour absence d’infraction (puisque l’infraction existe théoriquement en droit), Il ne restait que le 21 infraction insuffisamment caractérisée.

A partir du moment où est invoquée une infraction pénale en droit français, il ne peut y avoir qu’un classement pour infraction insuffisamment caractérisée.

Pourquoi un classement 21 après X années d’enquête ?

On entend souvent dire « Oui mais quand même il y a eu trois ans d’enquête, c’est qu’il y avait nécessairement quelque chose ». Ou qu’au bout d’investigations poussées on est passé à ça de confondre la coupable.

C’est un mauvais raisonnement : bien souvent la plainte a pris la poussière pendant l’essentiel de ces trois ans et quasiment aucun acte d’enquête n’a été réalisé.

Un classement sans suite innocente-t-il le mis en cause ?

« Le classement sans suite n’est pas synonyme d’innocence » : c’est FAUX, le mis en cause est jusqu’à une décision définitive de condamnation innocent, peu importe qu’il soit poursuivi ou qu’un classement sans suite ait été prononcé.

Tout le monde jusqu’à sa condamnation peut se dire innocent, c’est son droit le plus cher. Un classement sans suite ne peut pas prononcer quelque chose que vous détenez déjà : votre innocence.

Autrement dit, personne ne peut être « innoncenté » par une juridiction, ça n’existe pas. Au mieux vous pouvez être déclaré non coupable mais c’est dans le cas où il y a eu suffisamment d’éléments pour vous renvoyer devant un tribunal. Dans beaucoup de cas, la procédure s’arrête avant comme par exemple avec un classement sans suite.

Le classement sans suite veut simplement dire : le procureur de la République estime ne pas avoir assez d’éléments pour demander un jugement. Ni plus ni moins.

Mis en examen, condamné, classement sans suite, relaxé : quelle différence ?

Un classement sans suite empêche-t-il la tenue d’un procès ?

Le classement sans suite n’empêche pas la tenue d’un procès pour autant. Si le procureur classe l’affaire, il peut revenir sur sa décision si de nouveaux éléments sont portés à sa connaissance. Les plaignants peuvent aussi se constituer partie civile et saisir directement le juge d’instruction qui dirigera les investigations qui établira les faits et l’existence ou non d’une infraction. Si l’information est concluante, le juge d’instruction peut demander à ce que l’auteur présumé soit jugé par le tribunal. C’est à ce moment qu’un tribunal peut déclarer l’auteur coupable, mettant fin à sa présomption d’innocence.

À noter que si un tribunal condamnait le prévenu, et que ce dernier faisait appel de cette condamnation, il suspend la première décision et resterait présumé innocent jusqu’à la condamnation définitive, sans appel possible.

1 réflexion sur “Classement sans suite : qu’est-ce que ça signifie en pratique ? (infraction insuffisamment caractérisée, etc.)”

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