Recevoir un bien immobilier en donation peut sembler une aubaine. Mais lorsqu’il s’agit de le vendre, surtout du vivant du donateur et en présence d’héritiers réservataires, le projet peut rapidement tourner au casse-tête juridique. Car la vente d’un bien donné n’est pas toujours libre. Elle peut même engager la responsabilité de l’acheteur et exposer le donataire à des recours successoraux, en particulier via l’action en réduction. Décryptage.
1. Un bien donné n’est pas (tout à fait) un bien comme les autres
Le donataire devient pleinement propriétaire du bien dès la donation. Mais ce transfert s’effectue à titre gratuit, ce qui en droit successoral n’est jamais neutre.
Si au moment du décès du donateur, la donation a entamé la réserve héréditaire — c’est-à-dire la part minimum revenant obligatoirement à certains héritiers (descendants, ou conjoint survivant en l’absence de descendants) —, ces derniers pourront exercer une action en réduction.
L’action en réduction est une procédure successorale permettant aux héritiers réservataires de faire réintégrer à la succession les libéralités excessives consenties par le défunt au détriment de leur réserve. Cette action vise à reconstituer leur part minimale d’héritage, soit en récupérant directement le bien, soit en obtenant une indemnité compensatoire.
Et si le bien a été vendu entre-temps, l’acheteur peut être attaqué, sauf s’il a agi de bonne foi et que le bien a été vendu avec l’accord de tous les intéressés.
2. L’accord des héritiers réservataires : un verrou redoutable
En théorie, le donataire peut vendre son bien librement.
En pratique, dès que le donateur est encore en vie et qu’il existe d’autres héritiers réservataires, la situation se complexifie :
- Pour sécuriser la vente, il faut l’accord exprès du donateur et de tous les héritiers réservataires, faute de quoi la vente pourra être contestée par voie d’action en réduction.
- Sinon, les héritiers pourront agir à l’ouverture de la succession, pour demander une indemnité à l’acquéreur ou au donataire, si la donation a amputé leur réserve.
Cet accord est rarement obtenu spontanément. Pourquoi ? Parce que les héritiers n’ont aucun intérêt à y consentir :
- Leur consentement les prive définitivement de l’action en réduction (article 924-4 du Code civil).
- Ils perdent un moyen de pression successoral essentiel.
⚠️ Sauf contrepartie financière immédiate, les héritiers auront donc tout intérêt à garder le silence et à exercer leurs droits après le décès.
3. Un bien invendable, ou bradé
En l’absence de consentement des héritiers réservataires, le bien devient quasi invendable. Aucun acquéreur raisonnable n’acceptera de signer un acte grevé d’un tel risque, ou alors à un prix très fortement décoté.
Résultat : le donataire est juridiquement propriétaire d’un bien dont il ne peut rien faire, ou presque. Cette paralysie patrimoniale est d’autant plus problématique que, de son côté, le donataire doit assumer toutes les charges attachées au bien :
- taxe foncière,
- impôt sur la fortune immobilière (IFI),
- frais d’entretien ou de copropriété,
- voire impôt sur la plus-value si une vente survient.
Bref, le donataire se retrouve souvent à devoir financer un bien qui ne produit aucun revenu et qui est juridiquement impossible à liquider, sauf à prix sacrifié.
4. L’acquéreur aussi peut se retrouver piégé
Le risque ne pèse pas que sur le donataire. L’acheteur du bien peut, lui aussi, être visé des années plus tard par une action en réduction :
- Si la vente est intervenue sans le consentement des héritiers réservataires, l’action en réduction peut être exercée directement contre lui (article 924-4).
- Il peut alors être contraint de payer une indemnité ou, dans certains cas, de restituer le bien.
Le Code civil prévoit un délai d’exercice de l’action en réduction de 5 ans à compter du décès, ou 2 ans à compter de la découverte du préjudice, plafonné à 10 ans (article 921 C. civ.).
C’est pourquoi les notaires exigent, dans ces situations, des garanties supplémentaires : vérification de l’origine du bien, consentements formalisés, etc.
5. Quelques conseils pour vendre un bien reçu en donation
- Identifiez la nature de la donation : simple, partage, avec clause d’inaliénabilité ou réserve d’usufruit ?
- Analysez la situation successorale du donateur : existe-t-il des héritiers réservataires ?
- Signez un acte de consentement exprès du donateur et de tous les héritiers réservataires (acte notarié idéalement).
- Envisagez une indemnisation immédiate des héritiers pour les convaincre.
- Demandez conseil à un notaire ou un avocat avant toute mise en vente.
En résumé
Vendre un bien reçu par donation est possible… mais potentiellement risqué. En présence d’héritiers réservataires, c’est un cadeau empoisonné : le donataire croit être libre, mais il reste exposé à une action en réduction longtemps après la vente.
Le bien devient souvent invendable ou bradé, et le donataire supporte seul les charges fiscales et financières sans possibilité de valoriser son patrimoine.
La meilleure arme ? L’anticipation notariale, le conseil juridique et le consentement clair de tous les héritiers concernés.
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