Associé, collaborateur, partner, counsel… Que signifient vraiment les titres en cabinet d’avocats ?

Dans l’univers feutré des cabinets d’avocats, les titres professionnels abondent : collaborateur, associé, partner, counsel, directeur… Autant de termes qui, loin de n’être que des marques de prestige, traduisent (ou devraient traduire) une réalité juridique, économique et fonctionnelle. Pourtant, la diversité des usages et l’influence croissante des modèles anglo-saxons rendent la lecture de ces titres de plus en plus opaque, pour les clients comme pour les jeunes avocats. Cet article a pour objet de clarifier ce que recouvrent vraiment ces appellations, entre droit dur et marketing interne.

Fondements juridiques

Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques – Article 7

Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat – Chapitre I : Modalités particulières d’exercice de la profession (Articles 124 à 153)

Décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats

Les seuls vrais titres qui existent par la Loi

L’article 7 de la Loi est particulièrement clair, un avocat ne peut exercer sa profession que dans l’un des 6 cas suivants :

  1. soit à titre individuel ;
  2. soit au sein d’une association (association “classique” ou AARPI) ;
  3. soit au sein d’entités dotées de la personnalité morale (c’est à dire une société comme SELARL, SELAS, etc.) ;
  4. soit en qualité de collaborateur libéral d’un avocat ou d’une association ou société d’avocats ou d’une société ayant pour objet l’exercice de la profession d’avocat ;
  5. soit en qualité de salarié d’un avocat ou d’une association ou société d’avocats ou d’une société ayant pour objet l’exercice de la profession d’avocat ;
  6. soit comme membre d’un groupement d’intérêt économique ou d’un groupement européen d’intérêt économique.

Il en ressort en fait 3 grandes catégories :

  1. L’avocat individuel
  2. L’avocat qui exerce au sein d’une structure : association, société ou groupement
  3. L’avocat qui exerce pour le compte d’un tiers : avocat collaborateur ou avocat salarié

A noter que l’avocat collaborateur est également avocat individuel dans ses dossiers relevant de sa clientèle personnelle.

Collaborateur : un avocat sous contrat de collaboration libérale

Le collaborateur libéral est un avocat inscrit à un barreau, qui exerce au sein d’un cabinet dans le cadre d’un contrat de collaboration. Ce contrat est régi par la loi du 31 décembre 1971, complété par les dispositions du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession. Le collaborateur n’est pas salarié, mais exerce de manière indépendante. Toutefois, il reste lié au cabinet par un lien de dépendance fonctionnelle : il ne choisit ni ses clients ni ses dossiers, ne fixe pas ses honoraires, et ne décide pas de son emploi du temps.

Le collaborateur perçoit une rétrocession d’honoraires mensuelle, et peut être mis à disposition du cabinet à temps plein ou partiel. Cette situation hybride entre indépendance et subordination soulève parfois des contestations, notamment en cas de requalification devant le conseil de prud’hommes.

Associé : un statut juridique clair, à condition de l’être vraiment

Contrairement au collaborateur, l’associé est un membre de la structure d’exercice, détenteur de parts sociales dans une SELARL, une SCP, ou toute autre forme sociétaire. Il participe aux décisions collectives, engage sa responsabilité sur les dettes de la société selon les cas, et peut percevoir des dividendes.

Il existe toutefois deux formes d’association : l’association en capital et l’association en industrie, qui repose sur un apport en travail ou en compétence. Cette dernière n’implique pas de participation au capital, et ses modalités doivent être prévues dans les statuts. Dans la pratique, les “associés en industrie” ont souvent des droits économiques et décisionnels très limités.

Certains cabinets font le choix d’afficher un grand nombre d’associés sur leur site pour montrer un effet de masse, une expertise, et retenir les talents. Cependant, la consultation des statuts de la société sur Pappers montre bien souvent que soit ceux présentés comme associés ne le sont pas, soit qu’ils sont simples associés en industrie avec des droits tellements limités qu’ils ont autant de poids qu’un actionnaire de LVMH titulaire d’une action.

Certaines structures entretiennent la confusion en présentant comme “associés” des avocats qui ne le sont pas juridiquement. Ces “faux associés” peuvent être des collaborateurs désireux d’être valorisés, ou des counsel sans part sociale. Une telle pratique est risquée : elle contrevient aux règles déontologiques relatives à la transparence des titres, et peut entraîner des sanctions disciplinaires ou des contentieux sociaux en cas de litige.

Counsel, of counsel : une appellation intermédiaire, sans existence juridique

Le titre de “counsel” (ou “of counsel”) s’est imposé dans les cabinets influencés par le modèle anglo-saxon. Il désigne généralement un avocat très expérimenté, qui ne souhaite pas être associé, ou dont la position est transitoire vers l’association. Il peut aussi désigner un spécialiste technique, un ancien associé, ou un collaborateur sénior “stabilisé”.

Le terme n’a aucune portée juridique : le counsel reste soit collaborateur, soit avocat individuel avec un contrat d’intégration dans le cabinet. Son contrat, ses responsabilités et sa rémunération varient largement d’une structure à l’autre. La prudence s’impose donc, tant pour l’intéressé que pour les clients.

En réalité, le counsel est :

  • Soit un avocat individuel non intégré dans le cabinet (ce sera le cas des cabinets qui affichent par exemple une personne généralement agée sur leur site comme un ancien professeur de droit ou un ancien magistrat reconvertis avocat, afin d’apporter du crédit au cabinet)
  • Soit un avocat collaborateur (avec une marge de manoeuvre plus grande qu’un avocat collaborateur première année, mais il reste simple “collaborateur”, c’est à dire non associé).

Partner : un titre flou utilisé par les cabinets anglo-saxons

Le titre de “partner” a connu une généralisation dans les cabinets d’affaires, notamment ceux organisés en réseaux internationaux. Si dans le common law il désigne un associé au sens strict, en France, il recouvre une réalité très variable : véritable associé en capital, en industrie, voire collaborateur sénior sans aucun droit social.

Ainsi, la Cour d’appel a déjà relevé que le terme “partner”, même traduit par “associé” dans une convention, ne correspond pas nécessairement au statut juridique d’associé tel que prévu par la loi française. Dans un arrêt (CA Paris, pôle 2 ch. 1, 10 nov. 2009, n° 08/03450 arrêt cassé mais sur le cumul de responsabilité associé/collaborateur), elle juge :

“Considérant qu’il ressort de la convention conclue le 14 janvier 2002 entre le Cabinet [U], [T] & [J] et M. [Z] [X], versée en original et traduite par un expert inscrit sur la liste de la Cour, et intitulée « Agreement for contract partner relationship » c’est-à-dire, en français, « Accord afférent au statut d’associé » que l’avocat, qui a le statut, non pas d’employé, mais d’« associé », s’engage à consacrer son temps et ses efforts au développement du cabinet qui, de son côté, s’engage notamment à mettre à la disposition de l’avocat tous les moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de sa mission, à souscrire pour lui une assurance de responsabilité professionnelle, à acquitter ses cotisations ordinales, à rembourser ses dépenses professionnelles et à lui verser une rémunération par prélèvement sur les revenus du bureau installé à [Localité 7] ; Que, comme l’a justement énoncé le Tribunal de grande instance, il résulte des éléments qui précèdent que, si le terme « partner », employé dans la convention, est traduit par le mot « associé », il ne correspond aucunement au statut d’avocat associé tel qu’il est prévu par l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971.

Le RIN impose pourtant une cohérence entre le titre utilisé et la situation réelle de l’avocat. Employer le terme “partner” alors que l’intéressé n’a ni part ni pouvoir décisionnel peut être considéré comme trompeur, notamment vis-à-vis du client.

L’inflation des titres : entre marketing et confusion

Au-delà des grandes catégories, les cabinets multiplient les titres internes : directeur, manager, senior, head of… Cette stratégie vise souvent à flatter les égos, à structurer les parcours internes, ou à renforcer la lisibilité internationale. Mais ces titres n’ont pas de valeur juridique, et n’impliquent aucun droit particulier.

Ce flou peut nuire à la transparence envers les clients, et générer des frustrations chez les avocats eux-mêmes. La véritable reconnaissance professionnelle passe d’abord par la clarté contractuelle et la cohérence entre le titre et le statut réel.

Conclusion

La variété des titres utilisés en cabinet d’avocats reflète une profession en mutation, tiraillée entre traditions nationales et influences internationales. Mais ces titres n’ont de sens que s’ils correspondent à une réalité juridique et déontologique. Pour les jeunes avocats comme pour les clients, il est essentiel de ne pas se fier aux apparences, et de toujours vérifier le statut réel de son interlocuteur.

Et pour les cabinets, la transparence est plus que jamais une condition de confiance.

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