Voici un des principes classiques du droit des procédures collectives.
Le jugement qui ouvre une procédure collective à l’encontre d’une entreprise interdit à ses créanciers d’agir contre celle-ci en paiement d’une créance née avant l’ouverture de la procédure (C. com. art. L 622-21) ; les instances en cours tendant à cette fin sont interrompues et peuvent être reprises sous certaines conditions (art. L 622-22).
La prohibition des nouvelles instances à compter de l’ouverture
Le jugement ouvrant la sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaires d’une entreprise interdit aux créanciers d’agir individuellement contre celle-ci, notamment pour obtenir le paiement d’une créance antérieure (C. com. art. L 622-21, L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1).
L’interruption des instances en cours à compter de l’ouverture
Si une instance en paiement est en cours à la date du jugement d’ouverture, elle est interrompue jusqu’à ce que le créancier poursuivant déclare sa créance et appelle les organes de la procédure à participer à l’instance, mais elle ne tend plus alors qu’à la constatation de la créance et à la fixation de son montant (C. com. art. L 622-22, L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1).
En d’autres termes, l’instance reprise ne peut pas aboutir à la condamnation de l’entreprise débitrice à payer la créance (Cass. com. 11-5-1993 no 91-11.951 P : Bull. civ. IV no 182 ; Cass. com. 7-9-2022 no 20-20.404 F-D ; Cass. com. 18-10-2023 no 21-14.513 F-D : ).
Définition de l’instance en cours au sens de l’article 622-22
L’instance en cours, au sens de l’article L 622-22 du Code de commerce, est celle qui tend à obtenir du juge saisi du principal une décision définitive sur l’existence et le montant de la créance (Cass. com. 6-10-2009 no 08-12.416 F-PB : RJDA 12/09 no 1105) ; une fois passée en force de chose jugée, cette décision pourra être inscrite sur l’état des créances (C. com. art. R 622-20).
La reprise possible de l’instance en cours interrompue
A compléter
L’irrecevabilité de toutes les autres instances (référé provision, etc..)
Le référé provision (qui n’est pas une instance en cours)
L’instance en référé-provision, qui n’est pas une instance en cours, tombe sous le coup de l’arrêt des poursuites des créanceirs et prend fin lorsque le défendeur fait l’objet d’une procédure collective. (Cass. com. 2-7-2025 no 24-17.279 F-D, Sté Aera c/ Sté Aquatechnique). Elle ne peut donc pas faire l’objet d’une reprise après mise en causes organes et déclaration de créance.
L’instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une provision n’est pas une instance en cours interrompue par l’ouverture de la procédure collective du débiteur, au sens de l’article L 622-22, de sorte qu’une cour d’appel, statuant sur l’appel formé par ce dernier contre l’ordonnance l’ayant condamné au paiement d’une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n’y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l’interdiction des poursuites édictée par l’article L 622-21.
L’instance en référé tend à obtenir une condamnation qui ne peut être que provisionnelle et provisoire, de sorte que la décision rendue ne pourra pas être retranscrite sur l’état des créances. L’instance en référé n’est donc pas une instance en cours et ne peut donc pas être interrompue par le jugement d’ouverture. La demande en paiement de la provision devient irrecevable en vertu de la règle de l’interdiction des poursuites individuelles prévue à l’article L 622-21. Le créancier n’a d’autre solution que de déclarer sa créance, qui sera soumise à la procédure de vérification et d’admission des créances devant le juge-commissaire (Cass. com. 6-10-2009)
La liberté limitée après l’arrêté du plan selon la date de naissance de la créance
Créances antérieurs à l’arrêt du plan
La décision arrêtant le plan de redressement ne met pas un terme à la suspension des poursuites individuelles engagées contre l’entreprise. Cette protection demeure applicable, y compris lorsque l’instance est reprise et que l’entreprise bénéficie d’un plan de sauvegarde ou de redressement.
En effet, bien que l’adoption du plan ait pour effet de replacer l’entreprise à la tête de ses biens, lui conférant ainsi la qualité d’« in bonis » (Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-10.187, FS-PB), cela ne signifie pas pour autant que les créanciers retrouvent immédiatement leur droit de poursuivre individuellement le recouvrement de leurs créances. Le principe de l’arrêt des poursuites individuelles demeure en vigueur, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans plusieurs décisions récentes (Cass. com., 7 sept. 2022, n° 20-20.404, F-D : RJDA 1/23 n° 42 ; Cass. com., 18 oct. 2023, n° 21-14.513, F-D).
Créances postérieures à l’arrêt du plan
Les créances nouvelles nées après l’arrêté du plan sont recouvrées selon le droit commun (Cass. com. 26-10-2022 no 21-13.474 F-B : RJDA 1/23 no 4 ; Cass. 3e civ. 25-1-2023 no 21-12.930 F-D), et donc sans immixtion des règles de la procédure collective.
Autrement dit, l’arrêté du plan de redressement ne met pas fin à la suspension des poursuites contre le débiteur mais les actions en paiement des nouvelles créances de celui-ci ne tombent pas sous le coup de cette suspension.
Question centrale : la date de naissance de chacune des créances invoquées
En cas de vice caché et procédure collective
La créance de l’acheteur au titre de la garantie des vices cachés naît au jour de la vente (notamment, rendus sous l’empire de la loi du 25-1-1985 mais transposables au régime actuel, Cass. com. 8-6-1999 no 96-18.840 P : RJDA 8-9/99 no 908 ; Cass. com. 18-2-2003 no 00-13.257 F-D). Si la vente a été conclue avant que le vendeur soit mis en procédure collective, la créance de l’acheteur afférente à la réduction du prix et à l’indemnisation de sa perte de jouissance est une créance antérieure et l’action en paiement tombe sous le coup de la règle de la suspension des poursuites (Cass. com. 18-2-2003).
En cas de condamnation à l’article 700 CPC
Le raisonnement est tout autre pour la créance relative aux frais de l’article 700 du CPC, qui naît de la décision qui statue sur ces frais (Cass. 3e civ. du 12-6-2002 no 00-19.038 FS-PB et Cass. com. 11-6-2002 no 00-12.289 FS-PB : RJDA 11/02 no 1171). Dans l’affaire Cass. com. 15-1-2025 no 23-21.768 F-D, Sté De Widehem automobiles c/ X, la condamnation du vendeur en application de l’article 700 du CPC était intervenue non seulement après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, mais surtout après l’arrêté du plan de redressement.
