Le notariat français est une institution ancienne, centrale, indispensable au fonctionnement du droit civil.
Pendant longtemps, il a fonctionné en vase clos, protégé par un monopole très strict, avec une qualité de service extrêmement variable selon les offices.
Ces dernières années, l’arrivée d’une nouvelle génération de notaires — plus formés, plus modernes, plus orientés “service” — a montré qu’un autre modèle est possible : plus réactif, plus professionnel, plus transparent. L’ouverture progressive de la profession, notamment sous l’impulsion des réformes récentes, a permis l’émergence d’offices plus dynamiques et davantage connectés aux attentes des particuliers et des entreprises.
Mais cette évolution positive reste limitée et insuffisante.
Le système global, lui, demeure largement inchangé :
- monopole toujours rigide,
- concurrence extrêmement réduite,
- pratiques héritées qui persistent,
- et un fonctionnement structurel qui continue de produire lenteurs, asymétries, erreurs et frustrations.
C’est dans ce contexte qu’il faut poser la question de fond :
qu’est-ce qui ne va pas avec le système notarial français, et pourquoi ces dysfonctionnements persistent-ils malgré l’arrivée d’une nouvelle génération plus efficace ?
Le problème fondamental : le notaire ne fait pas le travail
C’est l’élément central, celui qui explique 95 % des dysfonctionnements : le notaire ne réalise pas lui-même les diligences qu’on croit lui confier.
Dans une étude notariale, l’immense majorité du travail est effectuée par :
- des secrétaires,
- des assistants,
- des collaborateurs administratifs,
- des clercs de notaire.
Et un clerc de notaire n’est pas un notaire.
C’est la différence structurante entre un cabinet d’avocats et une étude notariale.
Le parallèle avec les avocats
Dans un cabinet d’avocats :
- 99 % du travail juridique est réalisé par des avocats ;
- le collaborateur est un avocat, titulaire du même diplôme, soumis aux mêmes obligations déontologiques, aux mêmes risques disciplinaires, à la même responsabilité professionnelle ;
- la qualité est garantie par la concurrence, la réputation, et surtout par le contradictoire permanent (un autre avocat en face, une audience, un juge).
Dans une étude notariale, c’est l’inverse :
- les actes sont préparés par du personnel non diplômé notaire,
- le « contrôle » du notaire se limite souvent à parapher une version qu’il n’a pas rédigée,
- la qualité dépend intégralement des compétences du collaborateur… et non du notaire lui-même.
Pourquoi ?
Parce qu’économiquement, le modèle notarial pousse structurellement à la sous-traitance interne :
- Le notaire est un officier public ministériel : concurrence structurellement très faible.
- L’installation est limitée : nombre de notaires contingenté, barrières à l’entrée.
- Les émoluments sont fixés : pas de compétition par la qualité, donc incitation maximale à la réduction du coût de production.
Le notaire maximise donc sa marge en déléguant tout à des salariés qui coûtent moins cher que lui — ce qui est rationnel économiquement, mais catastrophique pour la qualité juridique.
Un collaborateur non notaire, même excellent, n’est pas un notaire.
Exactement comme :
- un assistant juridique n’est pas un avocat (collaborateur ou associé),
- un comptable n’est pas un expert-comptable,
- un interne n’est pas un chirurgien.
Les diplômes ont un sens. Le niveau d’expertise aussi.
Et ce système de délégation intégrale explique l’essentiel :
- la faiblesse qualitative des actes,
- les erreurs récurrentes en succession, régimes matrimoniaux, hypothèques, partage,
- les délais absurdes,
- l’irresponsabilité relative du signataire final.
Ce point est le cœur du problème notarial en France.
Le rôle central – et bloquant – du notaire dans les procédures amiables : un monopole sans contrainte
Il existe un second problème structurel, tout aussi fondamental : on a donné au notaire un rôle central dans des procédures où il est impossible de le contraindre à agir, même lorsqu’il détient une fonction indispensable à l’accès au juge.
L’exemple le plus emblématique : le partage successoral
En matière de succession ou d’indivision, l’article 1360 du Code de procédure civile impose une tentative préalable de partage amiable.
Certaines juridictions ont pu estimer que cette tentative impliquait la réalisation par le notaire d’un procès-verbal de difficultés, seul document permettant ensuite d’assigner en partage judiciaire.
Sur le papier :
- les héritiers doivent saisir un notaire,
- le notaire doit convoquer les parties,
- constater l’échec,
- et rédiger un PV permettant enfin de saisir le tribunal.
En pratique : tout s’effondre.
Le blocage : un travail indispensable… mais pas rémunéré
Dès lors que le notaire comprend que la succession n’ira pas à son terme amiable — et donc qu’il n’y aura pas d’acte à tarifer — une part importante des offices :
- traînent,
- ne répondent plus,
- « perdent » les courriers,
- ou refusent purement et simplement de rédiger le PV de difficultés.
Pourquoi ?
Parce que rédiger ce PV nécessite :
- d’étudier le dossier,
- de convoquer les parties,
- de les recevoir,
- de constater l’échec,
- et de rédiger un acte.
Tout cela ne génère aucun émolument suffisant.
Économiquement, c’est du temps perdu.
Structurellement, c’est une incitation à l’inaction.
La conséquence : une atteinte directe à l’accès au juge
Sans PV de difficulté, les héritiers ne peuvent pas assigner.
Ils restent juridiquement bloqués.
Ils sont soumis :
- aux délais du notaire,
- à l’arbitraire de sa gestion de dossier,
- à son bon vouloir,
- et parfois à son refus pur et simple.
Ce problème est massif dans plusieurs régions de France, où certains offices refusent de s’investir dans des successions conflictuelles, sachant qu’elles ne donneront jamais lieu à un acte tarifé.
Une situation juridiquement aberrante
On se retrouve avec :
- un auxiliaire privé (même s’il est officier public),
- qui n’est pas partie à la succession,
- qui n’a aucun intérêt financier à agir,
- qui n’est soumis à aucun délai,
- et sans moyen légal pour le contraindre à produire l’acte qu’on attend de lui.
C’est un point cardinal : le système repose sur un acteur qui n’a aucune incitation économique à faire ce que la loi exige de lui, et aucun mécanisme de contrainte lorsque sa passivité bloque tout le processus.
Résultat : des justiciables sont empêchés d’accéder au juge parce qu’un notaire refuse de faire un document qu’il est seul habilité à rédiger, sans sanction, sans recours pratique, sans délai impératif.
L’absence totale de concurrence : un système économique fondé sur la rente
Un autre problème fondamental du notariat français est l’absence quasi absolue de concurrence, qui place le notaire dans une situation économique unique, inconnue dans la plupart des autres professions du droit.
Le notaire est un officier public… mais surtout un acteur protégé
Le statut d’officier public ministériel est historiquement lié au droit civil français et à une conception « notariale » de la sécurité juridique.
Mais dans les faits, ce statut confère au notaire une rente monopolistique :
- le nombre de notaires est contingenté,
- l’accès à l’installation est limité,
- le marché est verrouillé par des règles corporatistes,
- et les tarifs sont fixés nationalement.
Même une fois diplômé notaire, il est difficile voire impossible de s’installer librement : on n’ouvre pas une étude notariale comme on ouvre un cabinet d’avocats.
C’est un système comparable aux licences de taxi :
le droit d’exercer vaut plus que la compétence réelle.
La comparaison internationale est éclairante
Dans beaucoup de pays (États-Unis, Royaume-Uni, pays nordiques), il n’y a pas de notaires au sens français, et ce sont :
- des avocats,
- des solicitors,
- ou des juristes spécialisés
qui réalisent les opérations que nous réservons aux notaires.
Là-bas, la concurrence existe — et elle produit de la qualité.
En France, la rente produit l’inverse.
Pourquoi un avocat ne pourrait-il pas recevoir une vente d’un appartement quand il peut faire celle d’actions de SCI qui détiennent un immeuble ?
La rente + l’absence de concurrence = absence d’incitation à la qualité
Contrairement à l’avocat, le notaire n’est pas discipliné par le marché.
Un avocat mauvais, lent, incompétent, ou négligent :
- perd ses clients,
- perd sa réputation,
- et disparaît rapidement,
puisqu’il existe 70 000 avocats, que le client peut changer à tout moment.
Un notaire mauvais, lent, négligent ou désinvolte :
- garde sa clientèle immobilière (obligatoire),
- conserve sa position locale,
- continue à percevoir les émoluments fixés par la loi,
- ne subit aucun contrecoup économique réel.
Le client n’a aucun levier.
Il ne peut pas « changer » de notaire en pleine succession sans conséquences lourdes.
Il ne peut pas imposer un délai.
Il ne peut pas sanctionner la médiocrité par un choix alternatif.
Le résultat : un pouvoir économique et social disproportionné
Dans certaines régions peu dotées en notaires, cette situation est exacerbée :
un petit nombre d’offices détient un pouvoir considérable.
Ils peuvent :
- choisir les dossiers qui les intéressent,
- traiter avec lenteur sans craindre de perdre des clients,
- maintenir des pratiques de travail anciennes,
- refuser de rédiger certains actes non rémunérateurs (comme les PV de difficultés),
- et vivre dans une rente confortable, sans pression à la qualité.
Certains notaires, protégés par ce système, peuvent objectivement sous-travailler tout en bénéficiant d’un train de vie élevé — et le client n’a absolument aucun recours contre cette situation structurelle.
Une situation économiquement anormale
On a donc :
- une profession dont le nombre est limité,
- des tarifs fixés,
- une clientèle partiellement captive,
- une absence de sanction économique,
- et une responsabilité professionnelle difficile à engager.
C’est une équation unique dans le monde du droit et de la prestation intellectuelle.
Une équation qui détruit toute incitation à la qualité, qui explique l’inertie, et qui laisse le client sans alternative.
Ah Confrère, c’est un plaisir de vous lire
Que dire de ces charges ou offices de l’Ancien Régime ? ou du fait d’avoir à payer pour exercer un métier, ou bénéficier d’un monopole ?
tout cela disparaîtra un jour, comme les avocats aux Conseils , et comme cela a été le cas pour les avoués dont finalement on se passe bien
mais cela prendra du temps, vous êtes jeune, vous le verrez peut être !
moi…?
Bien à vous
Philippe Taithe